21. Me dérobe
(Naruto)
Je veux dormir d'un sommeil vide mais j'ai les yeux ouverts. Je crois avoir quitté la salle pour la profondeur agréable du lit d'hôpital mais seule la dureté du sol détient la bonne réponse. La seule réponse. Je suis seul. Et après ? J'ai toujours été seul. Et alors ? C'est pas une chose à laquelle on s'habitue. On apprend à peupler les silences de phrases, à inventer des réponses à des questions que personne entendra jamais. Et ça disparaît pas. On ouvre les yeux et tout ce qu'on voit, c'est qu'il y a personne.
Tu souffres, petit homme
J'ai toujours été seul. Des repas en plein air aux soirées en famille, des fêtes de fin d'année à celles du printemps et puis celles de la rentrée. Ce qui me manque, c'est une famille. Non, ce qui me manque, c'est la force de m'en foutre. C'est pas grave de tomber. Ce qu'il faut, c'est se relever. C'est pas grave d'être seul. Ce qu'il faut, c'est sourire quant on ne l'est plus.
Cette force, je te la donne
Menteur ! Sale menteur !
Ma voix, faible, éraillée, celle d'un gamin qui sait pas quoi faire, je sais pas quoi faire.
Je ramène mes genoux vers ma poitrine, m'appuis sur les coudes et les mains et finis par me relever. Loin, il faut me mettre le plus hors de portée possible. Des flammes deviennent des flammèches et abandonnent à regret mon visage. Ouais. Je me souviens. Le rouleau volé. Ma technique favorite. Le démon. Notre première bataille contre Haku. Sasuke. La face de serpent. Le concours. L'autre bataille. Encore une autre. Sasuke. Je suis pas si nul. Je le connais.
Si tu les as gagnées, c'est seulement grâce à moi
Je lève les yeux. La masse floue, orangée, mouvante, rougeoyante, incandescente, trépigne derrière les barreaux. J'essaye de me souvenir de plus. Est-ce que c'est vrai ?
Si tu es tel que tu es, ce n'est que grâce à moi
Est-ce que c'est vrai ? Ne doute pas, arrête de douter, n'écoute pas, n'écoute plus.
Tu me dois tout cela.
Je rendrai rien.
Tu n'as pas le choix, tu sais.
Je recule mais cette fois la lumière se cramponne aux barreaux effrités. J'hésite. Le noir n'a plus l'air si accueillant. Continuer. Rester immobile. Avancer vers le portail. Le monde se brouille et des voix émergent. L'engourdissement me tient une longue seconde, ma tête cogne, mes bras ballottent, autre part. Puis la sensation s'évanouit et je reprends consistance dans un monde qui est aussi consistant qu'un rêve. Ou qu'un cauchemar.
Je pourrais rester ainsi une éternité. Ici entre le oui et le non. Mon démon me propose d'être plus fort. Tout le monde n'a pas cette chance. A quoi ça me servirait ?
Leur faire ravaler leurs méchancetés
Mais le monde est méchant. Pas si gentil, en tout cas.
Pas du tout envers toi, tu veux dire.
Tu veux te venger, c'est ça ? T'as déjà tué un tas de gens.
Oui ; tuer pour vivre. Je ne suis pas le premier à m'y soumettre.
Je m'assois. Je suis mieux, par terre. Mon ventre se tord et brûle. Ca change rien et je suis mieux.
Allez, laisse-toi, petit. Laisse-moi faire.
Les barreaux gondolent et enflent et semblent sur le point de se désagréger sans pourtant tomber en morceaux. Un cri rageur secoue la prison et les flammes se glissent et dégringolent et s'embrassent à un mètre de mes pieds. Les couleurs se mêlent, s'assemblent, prennent forme, saisissent une apparence. L'apparence d'un petit garçon blond effaré, vêtu d'un short et d'un T-shirt distendu. Je le regarde longtemps sans pouvoir rien dire. Il a l'air trop éclopé pour que quoi que se soit puisse changer quelque chose. C'est dur, de dire ce qu'il faut. Pourtant, quand j'étais à sa place, j'ai détesté les silences parce que c'était encore plus humiliant ; être dans la merde et le lire dans les yeux des autres. Encore plus dur de s'en sortir. Pendant que je pense à ça, le petit garçon change d'expression ; ses poings se sont serrés, ses yeux crispés. Sa mâchoire saille. Un truc bizarre s'élève sur ses épaules comme une cape rouge. Ah, alors, c'est ça ?
Il fait un pas tremblant de fureur vers moi et grandit. Pas tellement, un peu en taille, sa figure s'affirme, ses traits perdent leur naïveté. Il est en colère. Je saisis ses pensées parce que ses pensées, c'étaient les miennes. Parce que ce petit garçon, c'était moi ; pourquoi tout le monde fait attention à moi sans rien dire pourquoi il faut être poli et calme et attendre toujours être patient et tous ces gens qui m'évitent…
Il se jette sur moi comme si quelque chose avait brusquement explosé et on roule sur le sol glacé. Il est encore plus âgé maintenant, presque aussi âgé que moi et l'impression que je m'échappe à moi-même me tenaille. Les coups s'enchaînent sans que je sois en mesure de faire autre chose qu'encaisser. J'essaye gauchement de le retenir mais il est plein de haine, et puis la force de mon démon l'aide à m'atteindre.
Allez, petit. Montre-moi. Montre-leur de quoi tu es capable
Ouais. Je suis plus moi depuis un moment. Je devrais…
Je devrais…
