Chapitre 1 : A vif
Heero finit de taper son rapport et l'envoya à J.
Il se leva, s'étira un instant, et se dirigea vers la chambre à coucher : il lui fallait se reposer quelques heures s'il voulait rester opérationnel. En entrant dans la chambre plongée dans la pénombre, il distingua vaguement la silhouette de Duo emmitouflée dans la couette, respirant lentement et calmement, profondément endormie.
Un bref instant, Heero s'imagina un ours en train d'hiberner à la place de Duo.
Ca lui donnait presque envie de sourire.
A son tour, il se glissa sous les couvertures, tout habillé. Il s'endormit aussitôt.
Quand Heero ouvrit les yeux, il était seul dans la chambre. Il se redressa, s'étira, puis se leva rapidement, enfilant un pull pour ne pas avoir froid.
Dans le salon du deux pièce qui leur servait de planque, Duo avait allumé la T.V et buvait un café noir tout en regardant les infos que délivrait le petit poste de télévision.
- « Salut… Bien dormi ? »
Heero ne lui répondit pas. Il alla directement chercher la carafe pleine, se servit un café à son tour et alluma son ordinateur. Il s'assit à la table, tournant le dos au pilote 02.
- « Ca te coûte tant que ça de me répondre, Heero ? »
Le japonais soupira d'agacement. Son partenaire s'était mis en tête de « cohabiter » depuis le début de leurs missions à deux, il y avait déjà deux semaines. Le problème, c'est que si Duo était un bon coéquipier, il était aussi assez bavard et plutôt envahissant dès qu'il s'agissait d'autre chose… Des choses futiles en temps de guerre, estimait-il.
Mais il avait apprit que Duo était beaucoup plus têtu qu'il n'y paraissait. Et il n'avait pas la moindre envie de se prendre la tête avec lui quand il y avait des choses plus urgentes à faire. C'est donc avec mauvaise grâce qu'il fit l'effort de lui répondre.
- « Oui, j'ai bien dormi. »
Son coéquipier ne répondit rien, mais Heero aurait donné sa main à couper qu'il souriait d'un air satisfait. Le pilote 01 choisit donc de se concentrer sur autre chose : le mail de J reçu dans la nuit.
« Et c'est donc au milieu des cadavres des soldats de la base située à l'Ouest de la ville que l'on a retrouvé le corps de Mademoiselle Darlian. Les raisons de sa présence à cet endroit au moment même où la base se détruisait sont encore indéterminées. Elle est toujours en soins intensifs à l'hôpital St Sylvestre, mais sa vie serait hors de danger d'après les médecins. Et… »
Heero tourna brusquement la tête vers l'écran de télévision.
Ca n'était pas possible… Ca n'était pas possible… !
Le journaliste à la TV passa à autre chose, mais lui resta encore quelques secondes les yeux fixés sur le petit écran. Derrière lui, Duo l'observait sans rien oser dire, un air étrange sur le visage.
Heero se leva en hâte, prit la télécommande et changea de chaîne.
Partout, on délivrait la même information : Réléna était vivante.
Il avait encore du mal à y croire. Il l'avait vu, il l'avait vu tomber, juste en face de lui !
Il entendit le son d'une chaise que l'on raclait sur le sol et son regard rencontra celui de Duo
- « Il me semble que tu avais pour mission de détruire cette base la nuit dernière, je me trompe ?
- Non.
- C'est toi qui lui as tiré dessus ?
- Oui.
- … Pourquoi ?
- Pour des tas de raisons qui ne te regardent pas, Maxwell. »
Duo ne répondit rien. La voix de Heero était aussi froide que menaçante. Il quitta la pièce, jetant un dernier regard, soucieux, au pilote 01…
Heero ne remarqua rien. Il resta de marbre, plongé dans ses pensées.
Il l'avait raté. Encore… Ca n'était pas possible ! Non, ça n'était pas possible !
Il avait bien visé, comme il fallait, il avait tiré en plein cœur !
Elle aurait dû mourir sur le coup ! Elle aurait dû mourir !
K'SO !!
Il fallait qu'elle meure avant de parler. Elle devait mourir, il ne pouvait pas en être autrement, elle en savait trop… Il décida de l'achever la nuit venue.
Heero pénétra sans trop de peine dans l'hôpital. Il y avait de nombreux policiers qui entouraient le bâtiment, mais l'avantage d'e l'hôpital dans lequel se trouvait la jeune fille était qu'il était immense. Il avait pu se procurer un plan détaillé du bâtiment pour pouvoir y pénétrer en évitant les entrées les mieux gardées – c'est-à-dire les entrées destinées au public. Il avançait lentement, rasant les murs, telle une ombre.
Le seul vrai problème restait le moyen d'atteindre Réléna sans se faire repérer. Car la jeune fille était à coup sûr protégée par quelques gorilles devant sa porte. Au minimum… S'il était moins chanceux, il aurait les infirmières sur le dos en prime… A l'angle du couloir où se trouvait la chambre de Réléna, il s'adossa au mur, arma son pistolet et jeta un coup d'œil rapide derrière lui pour faire le point : Y avait-il des ennemis, si oui combien, et comment attaquer le plus discrètement possible ?
Le couloir était étrangement vide. Il était très long, des rangées de chiffres s'alignaient les une unes derrière les autres. Toutes les portes étaient fermées.
Et devant l'une de ces portes se trouvaient deux hommes.
Heero regarda à nouveau rapidement. Correction, il y avait trois flics. Dont deux étaient à moitié assoupis. Le pilote leva les yeux au ciel. Tu parles d'une sécurité… Les policiers avaient visiblement préféré sécuriser les entrées. Heero trouvait étrange que Réléna soit aussi mal surveillée et il sentit un peu plus nerveux. Il y avait forcément une coquille.
Il inspira lentement et se mit à courir dans leur direction, les attaquant rapidement, sans hésiter. Aucun des trois hommes n'eut le temps de parer ou de sonner l'alerte. Heero tira trois coups, trois balles entre les deux yeux. Ils tombèrent à ses pieds, morts sur le coup. La voie était libre.
C'était trop facile, et Heero se raidit, sur le qui-vive. Où se trouvait le piège ?
Il entra dans la chambre. Le plus silencieusement possible, il s'approcha du lit.
Il vit la silhouette allongée, respirant paisiblement, endormie.
Son arme était chargée.
Il était prêt.
Clic.
- « Bonsoir, Heero. »
Malgré la pénombre, il pouvait voir Réléna sourire, allongée droite comme un I dans son lit, un pistolet à la main elle aussi. Pointé droit sur lui.
- « Tu as tué les trois hommes devant la porte j'imagine ?
- …
- Je m'en doutais. »
Heero ne bougea pas. Son arme la visait toujours.
Il ne s'attendait pas à ça. Il ne s'attendait pas du tout à ça.
La princesse bailla bruyamment. Elle se leva tranquillement, comme si elle ne risquait rien, son arme toujours dangereusement pointée vers le terroriste.
- « Je ne te laisserais pas me tuer tout de suite, 01. Nous allons avoir une conversation toi et moi. Après tu pourras me tuer, si tu t'en sens toujours l'envie… »
Heero ne bougea pas. Il voulait tirer, il devait tirer… Mais quelque chose avait changé.
- « Si tu tires, je tirerai aussi. Seulement mon arme à moi n'a pas de silencieux… A toi de voir. Tu ne risques rien. Je ne tirerai que si nécessaire… »
Ses yeux brillaient d'une lueur malsaine.
Heero sentit que quelque chose n'allait pas. Ce regard là, il l'avait déjà vu. C'était le sien, celui qu'il voyait dans la glace quand il était déterminé à aller jusqu'au bout. Ce n'était pas le regard d'un civil ordinaire. Ces yeux-là ne ressemblaient à rien à ceux de la Réléna qu'il connaissait.
Cette pièce le rendait étrangement mal à l'aise, et Réléna agissait vraiment bizarrement...
Heero se trompait rarement quand il s'agissait d'intuition. Il n'arrivait pas à trouver l'origine de ce malaise, cette drôle de sensation qui l'avait saisie quand il était entré dans la chambre et avait fait face à la jeune fille… Et ça le rendait encore plus méfiant.
Mais se méfier de quoi ? Etait-ce la coquille qu'il cherchait ? Non, ce n'était pas possible, Réléna ne savait pas manier d'arme, elle détestait la violence. Et d'ailleurs, personne ne lui aurait donné une arme, c'était comme reconnaître une impossibilité à la protéger.
Heero se crispa. Il se mettait à trouver cette situation franchement gênante. Pour l'instant, son problème, c'était de trouver le moyen de séparer l'adolescente de son arme. La garce, pensa-t-il. Elle avait bien préparé son coup. Il avait la désagréable sensation qu'elle avait tout deviné à l'avance et qu'il était la partie manquante d'un plan qu'elle se faisait une joie de mettre en place.
Il baissa un peu son arme. Pour le moment, il n'y avait rien à faire.
Elle le regarda d'un air assez satisfait, puis passa sa langue sur sa lèvre inférieure avant de se la mordre dans un sourire de contentement. Heero cligna des yeux.
C'était ça qui clochait ; c'était elle, c'était sa présence qui le troublait, c'était sa façon d'agir, si éloignée de la jeune fille à qui il avait fait face auparavant. Elle était ce malaise.
Puis elle s'assit à nouveau sur le lit et le regarda, baissant à son tour son arme toujours dans la main. Heero resta immobile et l'observa, attendant sans trop y croire un geste maladroit de sa part, une ouverture, n'importe quoi qui puisse lui faire prendre le dessus.
-« Alors ? » Dit-elle
- …
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Alors, quel effet ça te fait ? Et elle rajouta : Que je vive…
- Rien.
- Tu mens… Ca te gêne horriblement, ça te démange même, hein 01 ? »
Heero réalisa brusquement qu'elle ne l'avait jamais appelé 01. C'était toujours « Heero ». Et dit respectueusement, presque avec humilité. La seule et unique personne qui lui ait jamais parlé ainsi. J le traitait comme un objet. Duo riait de lui. Trowa semblait assez indifférent à sa présence en dehors des missions. Quatre lui parlait gentiment mais avec fermeté. Wufei avec hauteur, lui et sa foutue fierté. Mais elle… Pourquoi ce changement… ? C'était étrange.
- « Un problème, 01 ? Tu n'as pas envie de discuter ? De ton raté ? De…
- Tais- toi, lâcha-t-il, plus rapidement qu'il ne l'aurait voulu
- Oh. Je vois… Mais je ne suis pas à tes ordres, 01. Toi par contre tu es à ma merci. De nouveaux gardes du corps passeront prendre la relève et verront que leurs trois collègues sont hors d'état de nuire. Je peux hurler aussi, appeler une infirmière en appuyant simplement sur ce bouton – et elle désigna la petite boite électronique à côté d'elle – ou simplement te tirer dessus, ça fera assez de bruit pour que tu te fasses attraper si je te manque. Alors réponds. Tu n'as pas envie de discuter avec moi ? On en n'a jamais eu vraiment l'occasion, toi et moi… »
Heero cligna à nouveau des yeux. Elle savait qu'il était venu la tuer et elle voulait discuter ?
- « Tu te sens bien ?
- Oh. Tiens donc. Inquiet pour ma santé, tout d'un coup ?
- Réléna n'agirait pas ainsi.
- Que connais-tu de moi ? »
Heero se sentit con. Il devrait déjà être partit, l'avoir tuée. Qu'est-ce qu'il foutait là à écouter ses questions ? Il eut un frisson, son arme pesait lourd dans sa main, il avait envie de tirer. L'arme prête à l'emploi, dans ses mains, non utilisée, était devenue un poids, surtout sa main d'adolescent. Ca avait quelque chose de dérangeant.
Le visage féminin éclairé par la lune n'était pas celui qu'il connaissait, encore moins avec ce rictus ignoble. Heero se sentait oppressé, coincé. Il avait la désagréable sensation d'être enfermé dans une cage comme une souris de laboratoire, face à un scientifique la lorgnant d'un air intéressé.
Il avait envie d'en finir et de partir. Il commença à réaliser qu'il perdait ses moyens parce qu'il ne savait pas comment agir. Il fit alors ce qu'il ne devait pas faire. Il répondit.
Il n'aurait pas dû.
- « Réléna est une gamine qui se prend pour une adulte parce qu'elle a trop de charges sur les épaules. Elle est polie et respectueuse, elle fait ce que son rôle lui ordonne. Et surtout, elle est dangereuse pour moi. »
Son ton froid se voulait direct et dur, blessant. Il devait lui faire comprendre qu'il n'allait pas discuter comme ça pendant longtemps encore.
- « … Je vois. Mais d'après toi… Pourquoi a –t-elle tant changée ? »
Heero comprit où elle voulait en venir. La nuit dernière.
Et il se sentit encore plus oppressé, dans une impasse.
Elle voulait le faire culpabiliser, lui faire dire ce qu'il lui avait fait, lui faire revivre son crime…
Non, c'était un devoir, un devoir.
Ca allait trop loin. Il releva son arme d'un geste vif, la pointa sur elle, et visa la tête, prêt à tirer.
Heero entendit à peine le bruit du canon. Mais il sentit une douleur vive s'insinuer dans sa cuisse droite et envahir doucement toute sa jambe ; puis un frisson parcouru son échine. En baissant les yeux, il vit avec stupéfaction son propre sang couler le long de sa jambe, tâcher ses chaussures, couler sur le sol. Elle avait tiré en premier.
Il leva la tête et la regarda, trop surprit pour dire quoi que ce soit. Comment avait-elle pu… ?
Elle lui sourit. Un beau sourire, presque semblable à ceux de la Réléna qu'il connaissait. Presque…
- « J'avoue t'avoir menti… C'est un silencieux aussi. Seulement, je ne pensais pas avoir à tirer, tu comprends ? Crois-moi, j'en suis navrée, mais… Il fallait se tenir tranquille, Heero… Tu as vu ? C'est drôle, non ? C'est la première fois que je me sers d'une arme, et je fais déjà ma première victime ! Pas mal pour une débutante, non ? Bon, j'avoue avoir visé ton épaule mais bon… On ne peut pas tout avoir, n'est-ce pas ? »
Et elle rit.
Et le sang du soldat se glaça.
Le rire était horrible, il lui rentrait sous les vêtements, remontait le long de son échine, il le gelait sur place. Heero ne savait plus comment agir. Cette fille… Cette fille… Comment avait-elle ou changer à ce point ? Cà n'était pas possible, il devait souffrir d'hallucinations.
- « Tu m'as l'air affolé, Heero. Et elle insista sur son nom, d'un ton mielleux. Un problème, peut-être ? Oh, je ne pense pas que ce soit la douleur, je t'ai vu endurer bien pire et t'en sortir vivant. Non, non, non… C'est moi qui te fais cet effet là, n'est-ce pas ?
- …
- Réponds-moi, s'il te plait… Et elle se mit à papillonner des cils dans une mauvaise imitation de jeune fille amoureuse.
- Tu es folle, murmura-t-il.
- C'est drôle comme tu arrives à rembarrer tes vrais sentiments en si peu de temps. Il y a un instant tu semblais complètement perdu, et maintenant tu essaies de me faire croire que tu as retrouvé ton assurance et ton regard d'acier ? Mal joué, il fallait ne rien laisser paraître dès le début. Désolée pour toi, je ne suis plus dupe.
- Arrête ça. Qu'est-ce que tu crois connaître de moi ? »
Et il insista sur le dernier mot, les dents serrées. Là, il eut subitement envie de se jeter sur elle pour la frapper, il avait envie de la voir souffrir sous ses coups, il voulait évacuer sa colère. Il ne savait pas vraiment comment s'expliquer ses sentiments confus, mais il voyait bien qu'elle se moquait de lui, elle voulait le pousser à bout, elle lui faisait perdre son temps, elle se foutait de lui ! Il perdait du temps… LA GARCE ! Et il réprima son envie de l'insulter. Il ne devait pas se laisser aller, il s'en sortirait, il lui fallait juste trouver le moment où il pourrait attaquer. Ce n'étaient que des phrases après tout. Il était idiot de s'énerver pour ça…
- « Ce que je sais de toi… Autant que toi tu en sais à mon sujet, c'est-à-dire très peu. Pourtant, moi je suis tout de suite tombée amoureuse de toi. Et elle rit, faisait à nouveau frissonner le terroriste. J'ai eu envie de te connaître, j'ai voulu tout savoir, j'ai voulu t'aimer. Je te suivais, je voulais te percer à jour, je voulais te comprendre, te voir, être avec toi. J'ai enregistré certaines attitudes, mimiques, situations, phrases, des détails qui me rendaient heureuses et qui me faisaient penser que je te connaissais chaque fois un peu mieux. J'ai toujours eu faim de toi, Heero. Encore maintenant je t'aime et je veux te comprendre. Voila l'un des buts de cette conversation. Mais je veux aussi comprendre pourquoi ma mort était si nécessaire, et je veux que tu me connaisses maintenant. Réléna, que tu as tenté de tuer hier, est bien morte. »
Devant l'air ahuri du pilote, elle rajouta :
- « Ou très profondément blessée si tu préfère, blessée à mort, dans le coma. Sa guérison ne peut commencer qu'avec toi, et pour le moment, c'est moi qui ai les rênes, c'est moi qui la fait survivre… »
Heero se mit à rire à son tour.
- « Tu veux me faire croire à de la schizophrénie, peut-être ?
- Tu n'écoutes pas, Heero. Et elle sourit de toutes ses dents, dans un rire qui étira exagérément sa bouche. Je suis Réléna. Seulement, tu m'as blessée si durement en voulant me tuer hier que j'ai besoin d'être forte pour survivre. Je suis entre la vie et la mort, mais dans mon cœur. Tu as brisé tous mes espoirs, idéaux, ton image comptait tant à mes yeux… ! Alors pour vivre quand même, je me suis refoulée moi-même, ou plutôt j'ai refoulé tout ce qui faisait la Réléna que tu connais. Je ne survivrais pas en agissant comme je l'ai toujours fait jusqu'à présent. Alors je vais agir comme il faut, comme font beaucoup d'hommes, comme font les animaux pour survivre. Je vais vivre pour moi, en tuant les autres s'il faut, en blessant, en me battant, en étant brutale, en abusant. La violence m'est maintenant nécessaire. Je me nourris de colère, de ressentiment, et ça marche. »
Devant l'air dégoûté du pilote, elle rajouta :
- « Tu l'as bien compris, ce qui me fait survivre, c'est toi. Ou plutôt mon envie de te faire payer. Car tu paieras. Tu souffriras comme moi. Tu partageras ma douleur. Je t'aime, je veux que tu saches comme j'ai mal. »
Et elle lui sourit tendrement.
Heero en fut horrifié. Elle était vraiment devenue schizophrène ou quoi ?
Qu'est-ce qu'elle racontait comme conneries ?
Mais elle délirait !
Et ses jambes tremblaient. Et son cœur battait très vite. Et sa tête tournait. Et il avait mal.
Il devait la tuer. Elle était devenue folle, elle délirait, ce serait comme une délivrance, presque. Oui, une délivrance, elle l'avait dit elle-même, elle souffrait…
Heero se sentit paniquer. Il essayait de se convaincre que son geste ne serait pas ignoble.
Mais comment en était-il arrivé là ? Une mission était une mission, il avait déjà tué tellement de gens, une de plus, qu'est-ce que ça pouvait lui faire… ?
- « Pourquoi fallait-il me tuer, Heero ?
- …
- Tu sais aussi bien que moi que tu ne sortiras pas de cette pièce si tu ne joue pas le jeu. Si tu te rappelles bien, je t'ai dit que tu pouvais me tuer si tu t'en sentais toujours l'envie, mais à aucun moment je n'ai dit moi vouloir te tuer. Tu ne risques rien. Contente toi de répondre à mes questions, plus vite tu répondras, plus vite tu pourras partir… »
Et elle lui sourit à nouveau, ce sourire énorme qui lui mangeait le visage, ce sourire hypocrite qui le mettait mal à l'aise. Heero s'assit à son tour sur le lit. Il leva les yeux au plafond et avala sa salive.
A ce moment précis, il sut qu'il faisait une énorme bêtise, mais il répondit malgré tout.
Il n'avait rien à se reprocher pourtant… ?
- « Tu m'as vu à plusieurs reprises. Tu as su me retrouver plusieurs fois. Il suffit que l'ennemi te trouve et te fasse parler pour que je sois en danger. Tu es un danger pour moi et les autres pilotes.
- Je vois… J'étais donc la cible de l'une de tes missions.
- … Non. Je n'ai jamais reçu d'ordres te concernant. C'est juste que tu as été témoin de ce que tu n'aurais jamais du savoir, et donc ta mort devenait inévitable, pour ne laisser aucune trace de mon passage. J'ai donc voulu réparer une grosse erreur.
- Je suis donc une grossière erreur.
- Oui. »
Et il planta son regard dans le sien. Oui, elle était une erreur, oui, et il ne regrettait pas de lui avoir tiré dessus hier, il le devait, c'était tout ce qu'il y avait à savoir.
Heero s'attendait à tout, à des larmes, de la déception, de la colère.
Mais sûrement pas à ce sourire satisfait.
- « Je comprends mieux à présent. »
Et Heero se demanda ce qu'elle pouvait bien avoir comprit.
Car elle souriait, et ses yeux brillaient d'une lueur malsaine.
Et pour la toute première fois, le pilote la trouva belle.
Dans ce « quelque chose » de mauvais, elle était incroyablement attirante.
Seule la blancheur de sa chemise d'hôpital ressortait dans le noir, alors que ses cheveux clairs étaient comme auréolés par la lumière de lune. Ses bras et ses jambes eux, restaient cachés dans le noir. De son visage, il ne distinguait que sa bouche fine, sensuelle, et les iris pétillants de malice.
C'était suffisant pour la rendre désirable.
Heero se demanda comment il avait pu ne pas le remarquer avant.
Réléna était une très belle femme…
Femme ?!
Il l'observa à nouveau.
Oui, c'était bel et bien une femme qu'il avait à côté de lui.
Encore une fois, il se demanda comment elle avait pu se métamorphoser à ce point.
C'en était presque effrayant.
- « … Tu dis que je suis une erreur, mais je crois que tu oublies un point. C'est toi qui as fait une faute en ne m'abattant pas tout de suite - encore plus en me laissant te connaître chaque fois un peu plus, j'arrive donc à la conclusion que tu es une erreur vis-à-vis de moi aussi. J'aurais dû mourir, je n'aurais pas dû t'aimer, Réléna n'aurait jamais dû exister, il ne devrait pas exister de représentante de la paix sur terre, j'aurais dû te laisser place, et par la même occasion, laisser le monde s'enflammer. »
Heero en resta bouche bée.
- « Parce que tu te crois nécessaire au monde ?
- Je le suis aujourd'hui. Et elle fit une moue satisfaite.
- Tu es prétentieuse.
- Non. Réaliste.
- Tu te fous de moi.
- Je suis un symbole, Heero, je suis la princesse de la paix, que je le veuille ou non, voilà où les circonstances m'ont menées, c'est tout. Je n'ai peut-être pas un grand poids politique, mais j'incarne ce que le peuple espère, et tant que je suis là, les gens peuvent croire en quelque chose de concret, mon image, mes paroles, mes actions, aussi minimes soient-elle.
- Quelqu'un aurait prit ta place.
- Je n'en suis pas si sûre.
- …
- Tu n'avais pas le droit de me tuer hier.
- Si, c'était mon devoir.
- C'était. Lors de notre première rencontre, tu aurais dû. Tu pouvais, tu en avais le droit, parce que j'étais le témoin gênant et que nous sommes en guerre. Tu pouvais et tu aurais dû. Mais aujourd'hui, en vue de la situation politique, tu n'avais pas le droit.
- C'est ton point de vue.
- Non. C'est un fait.
- K'so ! Tu ne vas pas m'apprendre mon boulot!
- Ca n'est pas une question de boulot ou d'avis personnel, il s'agit de faits. A l'époque, c'était ton droit de me tuer ou non. Mais aujourd'hui il n'y a plus aucune raison. Car j'ai un rôle important à tenir, tout comme toi. Et tu sais très bien que si Oz avait voulu me faire parler ou soupçonnait quelque chose, il y a longtemps qu'ils l'auraient fait. Tu n'avais ni raisons, ni ordre. Tu es en tort. Je ne sais pas si tu réalises à quel point tu as été cruel avec moi. Je ne sais pas si tu comprends à quel point ça peut faire mal d'être considéré comme une erreur, une cible sans vie par la personne, non, le tueur que l'on aime. »
Et Heero serra les dents.
La douleur de sa jambe revenait de plus en plus forte, il avait du mal à ne pas s'évanouir sous la douleur. Et les paroles de Réléna le torturaient. Il avait mal.
Mais il ne répondit rien. Car même avec la meilleure volonté du monde, les mots de Réléna lui revenaient : Tu n'avais ni raisons, ni ordre. Il n'avait pas le droit.
Il avait eu tort, il n'aurait pas dû. Le soldat lui hurlait qu'en se laissant aller ainsi, il allait perdre, il allait sombrer. Encore. Comme quand il avait tué la petite fille au chien.
Ca ne faisait pas aussi mal, mais c'était dérangeant, ça pesait. Non, en fait ça commençait seulement à faire mal, il sentait sa poitrine se gonfler, se gonfler, ça voulait sortir, tout…
Parce que pour la petite fille, il pouvait se dire qu'il n'avait pas vraiment eu le choix, qu'il ne voulait pas, il avait même été proche du suicide à ce moment là. Mais ici, c'était différent.
Il se souvenait très bien comme il avait tiré sur l'adolescente, froidement, sans appréhension ou même compassion. Il s'était cru dans son bon droit.
Mais il avait eut tort.
Quoiqu'on puisse raconter à son sujet, Heero était rempli de sentiments, il en était si rempli qu'il s'était crée une barrière pour les enfermer, et qu'il ne les montrait jamais. Il était sensible, aussi.
Là, le soldat en lui n'arrivait pas à reprendre le contrôle, il était trop loin pour le moment. Il lui hurlait que les erreurs arrivaient en temps de guerre, que ce n'était ni la première, ni la dernière, que ça devait le rendre plus fort, qu'il ne devait pas se lamenter…
Mais en cet instant, il se sentait craquer, il avait envie de dire, de montrer comme ça lui faisait mal d'avoir agit comme ça, il avait envie que Réléna arrête de lui parler de cette manière cynique et cruelle, il voulait qu'elle soit de nouveau la gamine qu'il avait vu. Il voulait qu'elle lui pardonne.
Mais ça, il ne pouvait pas le dire. Parce qu'il ne pouvait pas se briser devant elle, elle n'attendait que ça. Il voulait le dire à la fille qu'il avait tenté de tuer, et non pas la femme assise à côté de lui.
Mais il ne pouvait plus. C'était trop tard, trop tard…
Oui, trop tard, dit le soldat. Rien ne peut être changé, alors autant aller jusqu'au bout.
Tire, Heero.
Dans un ultime effort, il leva l'arme qu'il tenait à la main et visa la tête de Réléna.
Elle ne bougea pas, comme si elle n'avait plus rien à lui demander.
Lui voulait en finir. Il ne pouvait rien changer.
Alors il tira.
Il ne voulait pas être comme elle.
Elle n'aurait pas dû être souillée par lui.
Il ne voulait pas pleurer comme un enfant pour elle.
Elle n'aurait pas dû être si belle, si adulte, c'était trop tôt.
Il ne voulait pas se briser devant elle.
Elle ne pouvait pas l'avoir fait ramper à ses pieds.
Il ne voulait pas souffrir comme elle, souffrir d'elle et de lui.
Elle ne pouvait pas l'avoir réduit à cela, à ressentir les choses aussi vivement.
Il ne voulait pas que ses barrières se brisent.
Elle ne pouvait pas l'avoir mis ainsi à nu, l'avoir déchiré au plus profond de sa chair, exposé à vif aux yeux du monde.
Il avait envie de hurler. De rage, de déception, de douleur, pleurer pour pleurer, pour se libérer…
Elle avait brisé son masque.
NOTES : Eh oui, je vous laisse là-dessus…
Moi sadique ? … Noooooon XD
