CHAPITRE 3 : DELIRE ET TRAHISON

La haine ! La haine qu'il avait vue dans ses yeux brûlait Erik comme du feu et il se tordait d'agonie dans les ténèbres. Il avait enlevé son masque et il tirait ses touffes de cheveux en gémissant et en haletant, en essayant de rester silencieux pour ne pas déranger Christine. Pendant un instant, le voile avait été levé, et il avait vu pour la première fois ce que Christine pensait de lui : aucune adoration, aucun désir secret, même pas pour sa voix, rien que de la haine et de la peur. Et même si cet instant était passé, il revoyait sans cesse cette haine dans sa tête. Il ne l'oublierait jamais. Son imagination fatiguée continuerait de la ressasser ; il savait que, désormais, chaque nuit, dès qu'il essaierait de dormir, peu importe la suite des évènements, cette image serait à la frontière de son esprit, elle attendrait qu'il se détende pour l'attaquer de plus belle.

Mais l'instant était passé. Christine avait été hystérique, et il lui avait donné du laudanum pour la calmer. Le doux voile s'était à nouveau abaissé, couvrant la répulsion et exposant son adoration. Le haïssait-elle vraiment ? Peut-être était-ce juste un instant de folie qui l'avait prise. En ce moment, elle était allongée dans sa chambre, elle rêvassait dans un brouillard opiacé, calme et peut-être heureuse. Quand il la prit dans ses bras, elle ne hurla pas et elle ne le frappa pas, et quand il la posa sur le lit, elle sourit ! Oh ce n'était qu'un petit sourire, et elle ne le regardait pas en souriant, mais cela avait une signification qu'il n'ignorerait pas. Christine n'était pas horrifiée d'être dans sa chambre, donc elle n'était pas horrifiée d'être dans sa maison avec lui. Mais pouvait-il être sûr ? Il était tout aussi probable que la haine soit réelle et que sa tranquillité soit une conséquence du laudanum. Il devait savoir.

Erik se releva bien droit, et essuya son visage dans sa manche. Toujours misérable mais de nouveau déterminé, il retrouva et remit son masque et alla en silence jusqu'à la porte de Christine. Il entra doucement pour ne pas l'effrayer et resta sur le seuil quelques secondes avant qu'elle ne le remarque. Ses yeux étaient froids et brillaient à la lumière et il ne put s'empêcher de remarquer combien elle était belle. Le demi sourire qu'elle arborait quand il l'avait portée avait disparu, et elle avait l'air troublé, mais pas terrifiée comme il l'avait craint. Il s'assit timidement sur le lit et prit sa main. Elle ne lui résista pas.

"Christine ?" dit-il. "Il y a un problème, ma chérie ?"

Confuse, elle le regarda, ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, comme si elle ne pouvait pas parler, avant de trouver enfin ses mots.

"Le noir. Il fait noir."

Elle le regarda d'un air plaintif. L'inquiétude dans sa voix dérangea Erik. Pourquoi la blesser encore plus ce soir ? Le mensonge leur avait bien servi dans le passé, après tout, sans ça, il ne lui aurait pas parlé.

"Mais ma chère", répondit il, "vous ne voyez pas le soleil ?"

Il désigna la lampe qui brillait à travers la pièce.

"Vous ne sentez pas sa chaleur ?"

Et il recouvrit ses jambes d'une couverture.

"Le soleil ?" demanda-t-elle faiblement, en regardant la lampe d'un air sceptique.

"Oui bien sûr. Vous ne savez pas qu'il brille nuit et jour ici-bas ? Nous ne sommes jamais dans le noir."

"Le soleil", répéta-t-elle, et son visage se détendit. "Il fait chaud."

Erik regardait la petite main dans la sienne. Elle ne semblait pas le haïr maintenant. La haine reviendrait-elle quand le laudanum se serait dissipé ? Il voyait d'un mauvais œil les heures à attendre avant de savoir. Son visage se peindrait-il de dégoût ? Il l'observa de près, examina sa beauté pendant qu'il le pouvait encore et remarqua consciemment pour la première fois les effets de son récent traumatisme. Les ecchymoses sur son front, qui provenaient des coups qu'elle s'était donnés la nuit précédente, ressortaient, sombres sur sa peau pâle. Ses yeux étaient cerclés de noir, et ses cheveux étaient tous emmêlés. Ce n'était pas tellement surprenant qu'elle ait si mal réagi, si elle était complètement épuisée et blessée. Il jeta un coup d'œil à la montre que Christine gardait à côté de son lit : il était quatre heures du matin. Elle ne s'était pas vraiment reposée depuis plus de deux jours. Le sommeil guérit de nombreux maux et après avoir dormi un long moment, elle se sentirait mieux et lucide, le regarderait sans terreur.

"Vous devriez dormir maintenant, Christine, vous êtes très fatiguée", déclara-t-il en l'aidant à se coucher et en posant la couverture sur elle.

Il revint dans sa propre chambre et s'allongea en essayant désespérément de faire partir son mal-être. Il avait mal partout et il songea que lui aussi n'avait pas dormi depuis des jours (et quels jours difficiles ils avaient été!) La précipitation effrénée pour déplacer les corps et le tapis détrempé avant le réveil de Christine avait été terriblement éprouvante et il se trouvait bien plus fatigué qu'il ne l'aurait cru. Il se mit à penser à la musique, la seule chose qui pouvait le calmer, et se laissa partir dans son petit monde. Il dut finalement s'endormir, car un hurlement le réveilla brusquement.

Quelques secondes plus tard, il était dans la chambre de Christine, près de son lit, ses mains inquiètes sur les épaules de la jeune femme. Mais cette fois, quand il la toucha, elle se tendit et regarda ailleurs. Bien qu'elle arrêtât de crier, son silence obstiné était d'une façon ou d'une autre bien plus dérangeant. Cette froideur soudaine n'était pas due à l'hystérie ou à la peur, mais était calculée et délibérée. Elle était lucide, et comprenait tout. Et bien qu'elle soit reposée, elle ne voulait pas rester avec lui, comme il l'avait espéré.

"Christine", commença-t-il avec une voix où la panique et le désespoir commençaient à poindre. "Regardez moi, s'il vous plaît."

Mais elle ne le regardait pas. Elle était assise, rigide et silencieuse, et même si elle lui permettait de lui prendre les bras, il pouvait dire que dans son cœur, elle ne voulait pas.

"Je t'en prie" , cria-t-il, "tu avais promis ! Je ne suis pas vraiment un monstre quand je te fais tenir tes promesses ! Tu as peur ? Tu sais que tu n'as rien à craindre de moi. Je ne toucherai pas un seul de tes cheveux sans ta permission !"

Il se rendit compte qu'il agrippait toujours ses bras et la relâcha aussitôt.

"Simplement, je t'en supplie, Christine, regarde moi. Parle moi. On peut être heureux, on chantera comme avant."

Christine tourna lentement la tête et le regarda. Il n'y avait aucune haine dans ses yeux, mais aucune autre expression non plus, et il comprit que s'il pouvait avoir son corps, son esprit était hors de portée. C'était terrible, ce visage impassible, et Erik pensa que tout serait mieux que ça, même le delirium du laudanum.

En deux jours, l'ancienne vie de Christine était morte et on la forçait à en vivre une autre. Il lui faudrait des mois, voire des années pour s'y adapter. Serait-ce si terrible de l'aider à passer ce cap difficile ? La réalité avait toujours été un lourd fardeau pour elle. Est-ce que l'aider à le porter serait un si grand crime ? Non ! Il était le seul homme de sa vie désormais, et c'était à lui de la consoler, de prendre soin d'elle et de l'aider durant les épreuves.

Encore une fois, il prépara le mélange dans un verre de vin et l'amena à Christine. Elle le regarda avec méfiance, mais elle était comme une mouche dans une toile d'araignée. Tant qu'Erik était là, elle ne pouvait échapper à l'horreur de sa présence et aux ténèbres éternelles. Elle pouvait faire face à son destin les yeux grands ouverts ou elle pouvait adoucir le coup avec cette boisson qui rendait aveugle. Le choix était simple. Elle prit le verre et en avala le contenu avec une détermination effrayante. Pendant que le monde s'évaporait, Christine espérait seulement que si jamais il la touchait encore, elle ne le sentirait pas, ni lui, ni l'odeur de mort qui s'exhalait de ses mains.

Mais il ne la toucha pas. Erik sortit de la pièce, incapable de supprimer le dégoût qu'il ressentait envers ce qu'il venait de faire. Il ne voulait pas voir le changement. Pourquoi les humains devaient-ils vivre comme ça, pensa-t-il, toujours vouloir ce qui est hors de portée, ce qui est refusé par peur et par hésitation ? Mais quand on leur donnait le bonheur, ils lui tournaient le dos, et choisissaient ce qui est impossible à la place. Etait-il si différent ? Il poursuivait certainement un espoir vain. Mais il n'y avait aucun bonheur pour lui en dehors de ce rêve, il n'avait aucun bonheur à jeter.

En quoi était-ce important ? Il ne faisait pas partie de cette misérable race humaine, et maintenant que Christine était avec lui, elle non plus. Ils accepteraient la joie de leur union et leur vie serait extatique. Il devait croire que c'était possible. Il ne pouvait pas vivre autrement. Un jour, Christine le regarderait avec lucidité, peut être pas avec amour mais avec tolérance et joie. Il était encore temps pour cela.

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RAR

Siryanne : Si tu updatais "comment attraper un Severus en dix leçons", ce serait bien... Merci pour la pub !

Blue Eyes At Night : I understand you. You know you can let your reviews in English, if you want to as I'm fluent. And the word for "know" is "savoir". Thank you for your review and for the effort you made to let your review in French, it touches me a lot.