CHAPITRE 5 : DES REVES A LA REALITE

Le matin arriva dans cet endroit toujours sombre et Christine se réveilla. Sa tête était lourde et tout son corps picotait. Elle se rappelait vaguement combien elle avait été malade la veille et la vitesse inhabituelle à laquelle le médicament de Erik avait fait effet. Il y avait quelque chose de différent avec son vin, il devait avoir été plus fort que d'habitude, mais pour le meilleur et pour le pire, sa décision ne dérangeait pas Christine. Depuis la nuit du scorpion, la dernière nuit où elle avait vu la lune et les étoiles, Erik ne lui inspirait que répulsion. Mais malgré ce sentiment, elle commençait à lui faire confiance et à prendre tout ce qu'il lui donnait sans hésitation. A ses yeux, les motivations d'Erik avaient toujours été extrêmement discutables, immorales même. Mais c'était son jugement qui dictait leurs vies. Elle n'avait aucun autre choix, vraiment, que de lui donner sa foi, elle n'avait personne d'autre. Et si Erik pensait qu'une dose plus importante de laudanum était nécessaire, ainsi soit-il.

Cependant, il y avait autre chose, la nuit dernière, qui s'attardait dans sa mémoire. Au départ, elle avait pris ça pour un rêve, et rien de plus, mais au fur et à mesure que la somnolence la quittait et que ses facultés mentales normales lui revenaient, elle commença à réaliser que ce n'était pas un rêve.

Erik était parti bien trop longtemps. Normalement, il entrait dans sa chambre vers cinq heures du soir avec un plateau repas et de temps à autre quelque chose pour l'occuper : un nouveau livre, ou un ruban pour ses cheveux. Une heure précise plus tard, il réapparaissait avec son verre de vin et attendait patiemment qu'elle le boive avant de débarrasser le plateau et de nettoyer la chambre. La nuit dernière, par contre, la dix-septième heure passa, puis la dix-huitième et toujours pas d'Erik. A vingt heures, Christine commençait à se sentir mal et quelques heures plus tard, elle était si malade qu'elle ne voyait plus l'horloge, et ne pouvait écouter, chercher de l'ouïe les pas qui lui amèneraient le soulagement. Quand il était finalement arrivé, elle se demanda s'il n'était pas une invention de son imagination surexcité et fut effrayée quand il la toucha.

Le mélange vint enfin, mais elle était si agitée qu'il dut l'administrer lui-même. Quand sa main approcha sa bouche, elle sentit la mort sur sa peau, et elle toléra cette odeur pour la première fois. Cette odeur répugnante qui l'avait toujours dégoûtée signifiait l'arrivée du vin amère et lui semblait moins forte que son manque de laudanum. Mais bien que la douleur physique passât, aucun soulagement ne vint. Le Monde disparut et elle pénétra un brouillard d'images passagères et de rêves conscients, mais ce soir-là, ils étaient embrouillés et menaçants.

Elle lutta contre ces apparitions pendant un temps infini avant d'être témoin de la plus vive et de la plus remarquable des visions : là, sur le seuil de la porte, dans la maison du lac, Raoul était là, ses cheveux blonds brillant comme le foin un jour d'été, son visage pâle rayonnant d'amour et de désir. Le désir ! Elle le ressentait aussi. Et dans cet endroit loin de tout être humain, et dans son état de toxicomane, elle se donna au désir sans retenue, ni honte. Elle parla et il vint à elle, et bien qu'il l'ait tenue d'innombrables fois auparavant dans ses rêves, cette nuit là, cela lui sembla réel. Il y avait les bras d'un homme autour d'elle et un battement de cœur dans son oreille. C'était si réel, et elle se réjouissait de ces sensations physiques après avoir été si privée de vie. Les beaux traits de son amant étaient sereins, et elle voulait les voir envahis de passion. Un baiser attiserait sa ferveur, non ? Elle lui demanda donc, en sachant très bien qu'il ne pouvait pas lui refuser. Il la regarda, nonchalant bien que ses yeux brûlaient ; il toucha son visage. Mais quand il retira sa main, ce n'était plus Raoul mais quelque chose d'indistinct, et de confus, mais le même cœur continuait à battre sous sa main. Le temps passa mais la vision resta. Christine ferma les yeux et sentit sur sa bouche, une autre bouche, donatrice de sensations et de vie. La réalité commençait à se faire sentir, et c'était magnifique, meilleur qu'un rêve, et elle l'enlaça avec une joie renouvelée.

L'étrange visage se retira soudainement mais la peau de la jeune fille continuait à frissonner de ses caresses. Et elle sut qu'il subissait le même feu qu'elle car il revint. Il l'embrassa avec passion et ses mains la caressèrent impatiemment et elle se soumit à ces sensations torrides.

Elle ne s'était pas posée la question de l'identité de l'homme. Dans son esprit, c'était Raoul, revenu du monde d'en haut, qui venait la prendre. Mais maintenant, la tête claire, elle savait que l'homme était réel et que ce n'était pas Raoul. Il n'y avait qu'une possibilité. C'était Erik ! En y pensant, un autre souvenir revint à la surface : l'odeur de mort, dans son nez, dans sa bouche. Le monstre l'avait touchée ! L'avait embrassée ! Et à sa demande ! Christine frissonnait à cette pensée, et elle fut envahie par le dégoût et la honte. Ses lèvres monstrueuses sur les siennes, sa peau décomposée qui se frottait contre la sienne, ses ongles jaunes qui s'enfonçaient dans ses épaules et dans ses hanches. Cette bête terrifiante l'avait presque consumée, et plus elle se rappelait qu'elle avait voulu qu'il la caresse, plus elle le détestait. Surtout qu'au plus profond d'elle-même, elle voulait encore sentir ce contact.

Quelle chose terrible : être déchirée entre le désir et la répulsion ! Contradictoire et implacable. Pouvait-elle s'abaisser à prendre la seule joie qui lui était offerte dans cette vie macabre ? Aurait-elle les tripes de le revoir ?

Trois petits coups se firent entendre, et avant qu'elle ne puisse se préparer d'une quelconque manière, la porte s'ouvrit et le monstre entra. Christine s'assit, mais rassembla les couvertures autour d'elle et les mit sur sa poitrine. Il portait un plateau-repas qu'il posa sur le secrétaire, sans regarder Christine comme si de rien n'était. Il avait quelque chose d'autre dans les mains, remarqua-t-elle. Il s'arrêta, y jeta un coup d'œil avant de s'avancer. C'était un petit paquet, emballé dans du papier brillant, et quand il le posa sur le lit à côté d'elle, sa proximité et l'odeur terrible qui en résultait la remplirent d'un tel dégoût qu'elle sortit de la pièce, nauséeuse, et fut malade, frustrée et en larme dans la petite salle de bain. Elle entendit son cri de consternation et s'en moqua éperdument. Il méritait de la voir dans cet état qu'il avait provoqué. Elle voulait le punir, le faire souffrir comme elle souffrait maintenant. Quand il posa sa main sur son dos, elle hurla au milieu des larmes :

"Ne me touche pas, Monstre !"

Et elle se tourna pour voir l'effet de ses mots. Il irradiait la peur et la panique, et elle pouvait dire malgré le masque que ses traits hideux étaient tordus et déformés. Il ne bougeait pas, sourd et muet, incertain de ses actions, comme un chien qui venait d'être battu par son maître. Rien que le fait qu'il soit dans la même pièce qu'elle était intolérable pour Christine, et elle hurlait :

"Sortez ! Sortez ! Sortez !"

Elle continua bien après son départ.

Mais quand ses sanglots cessèrent, elle se redressa et sortit de la pièce. Le paquet qu'il avait apporté était toujours sur le lit. Il y avait une carte : A ma femme bien-aimée, qui a mis ma vie solitaire en musique. Pour notre troisième mois ensemble. La boîte contenait un rossignol en cristal. Amère et vindicative, elle le jeta dans la cheminée où il se brisa.

Pendant des heures, elle tourna en rond en réfléchissant. Elle se souvenait de l'éducation stricte qu'elle avait reçue et ressentait de la honte. Elle se souvenait de tout ce que Erik lui avait volé et elle ressentait de la haine. Elle se souvenait du choc et de l'horreur ressentis la première fois qu'elle avait vu son visage et elle se sentait trahie. Mais elle n'arrivait pas à mettre de côté le souvenir du contact humain et de l'intimité et le bonheur qui s'en découlait. Et dans cette misérable tombe, où la morale n'avait pas cours, où rien n'était simple et beau, sa honte et son dégoût étaient plus faibles que son désir.

Des heures plus tard, quand elle fut sous opiacée, les sentiments désagréables et la confusion disparurent. Frappée d'incapacité, elle ne se sentait pas responsable de ses actions et pouvait accepter ses envies étranges sans honte ou culpabilité. Quand Erik apparut sur son seuil, les épaules voûtées et les yeux rouges, elle oublia joyeusement l'horreur et ne se souvint que de l'agréable. Il prit sa main tendue. Celle d'Erik n'était pas froide, elle ne puait pas la mort, et sa peau de cadavre dégageait un rayonnement doré, comme du parchemin à la lumière d'une bougie. Pendant qu'il la tenait et qu'il pressait son visage dans les cheveux de la diva en pleurant, la réalité merveilleuse du contact la submergea encore une fois, et elle oublia le monstre à qui elle se soumettait.

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Miliem : Ripper obéir. Ripper donner dose. MAINTENANT ! lol En espérant que ça te plaise... A ton avis, ça va finir comment ?