CHAPITRE 6 : LES JOURS DE REVEIL

Erik fit bien attention à laisser Christine avant qu'elle ne se réveille. L'aube ne serait pas là avant plusieurs heures, et il imaginait les rues au-dessus, froides, sombres et désertes. Il voulait désespérément aller à la surface, marcher dans ces rues et respirer un peu d'air frais : célébrer la vie et de voir quelque chose de beau et de naturel après leur remarquable nuit. Mais il n'osait pas laisser son aimée seule, même quand elle dormait. Il se demanda s'il oserait jamais la laisser seule à nouveau.

Dans sa chambre, il se confia à son imagination. Ses pensées prirent la forme d'une grande maison, avec un jardin et de hauts murs dans la banlieue calme. Il y avait un saule près d'un étang : ses branches fines comme des pattes d'araignées disparaissaient dans l'eau. Et il voyait le reflet de la lune, pleine et blanche, qui lui donnait un éclat surnaturel. Peut-être un chien qui jouait dans la véranda, petit et mignon, pour faire sourire Christine. Ce chien le faisait sourire lui aussi, car il n'était jamais loin de sa maîtresse, et quand il arrivait, elle n'était jamais loin. Et là ! A la porte, elle apparut dans la lumière. Resplendissante dans sa robe argentée, sa peau opalescente. Et dans ses yeux, le regard qu'il voulait à en avoir mal, le regard qu'il avait enfin vu la nuit dernière. Mais là, aucun voile sur ses yeux, et son amour et son désir venait de son cœur.

Oh, comme il la voulait, cette image, cette vie avec elle ! Pouvait-il l'avoir ? Il devait avoir assez de capitaux, entre l'argent qu'il avait extorqué aux directeurs et la fortune qu'il avait accumulée à l'étranger. Et s'il n'y en avait pas assez, il y avait toujours de l'argent pour ceux qui avait de la ressource. Il pouvait acheter le terrain et il ferait les plans lui-même. Les ouvriers cherchaient toujours désespérément du travail, et il pouvait rassembler une équipe qui ne poserait pas de questions. Et si les murs étaient assez hauts, il n'y aurait personne pour être curieux ou effrayé. Personne sauf elle. Et elle ne serait pas dérangée, pas quand ils menaient une vie comme la leur.

Erik alla à son bureau, et commença à dessiner la maison. Ce fut remarquablement facile, presque comme s'il prenait une maison existante comme modèle. Tous les détails gravés dans son esprit à la perfection : la longue galerie au toit de verre au deuxième étage, le motif compliqué en fer sur la porte. Il pouvait voir les expressions du visage des chérubins qui orneraient la frise. Ce fut une grande joie de le dessiner, au fur et à mesure qu'il s'absorbait dans son travail, il se mit à fredonner, et à alimenter sa vie imaginaire.

Quelques heures plus tard, il fut dérangé dans son travail par un coup à la porte. Il y avait un problème ? Christine était blessée ? Paniqué, il sauta sur ses jambes, renversa sa chaise et une bouteille d'encre sur sa maison, se précipita à la porte et l'arracha presque de ses gonds en l'ouvrant. Christine était là, ni blessée, ni même triste, mais souriante et patiente.

"Erik, j'ai une chanson dans la tête", fit-elle, placide. "Ça me rend folle. Pourriez vous me la jouer ?"

Il s'était attendu à tout sauf à ça. Pour la première fois depuis la mort de son amant, elle s'était habillée et coiffée, et elle parlait comme s'ils étaient revenus en arrière dans le temps, avant la nuit du scorpion. Hésitant et confus, il répondit d'une voix teintée de suspicion :

"Mais bien sûr, ma chère." (Il leva une main pour la guider dans sa chambre où l'orgue dominait un pan de mur.) "A quoi pensiez-vous ?"

Le morceau était une sottise, une ballade bâclée, populaire l'année précédente. Mais pendant qu'il jouait, Christine s'appuyait sur l'instrument et souriait, en se balançant comme une petite fille sur cet air de musique. La femme qu'il avait vue la nuit passée n'était plus, ainsi quecette folie désespérée. C'était comme si rien n'avait changé depuis leur première rencontre. Mais bien qu'elle apparût naturelle à ce moment là, le contraste entre cette légèreté d'esprit et l'abîme de malheur où elle résidait était trop grand pour qu'il l'ignore et cela l'inquiétait énormément. Qu'est-ce qui avait pu la changer aussi soudainement ? Pas ce qui s'était passé la nuit dernière, c'était certain. Si elle savait ce qui était arrivé, elle irait immédiatement se jeter dans le lac. Mais à part ça, quoi d'autre ? Rien n'avait changé depuis des semaines.

Et son sourire était-il authentique, se demandait-il, ou bien était ce un rôle qu'elle jouait pour le convaincre, ou SE convaincre peut-être, que tout allait bien ? Il ne pouvait pas déchiffrer ce comportement, et il avait l'impression très forte que quelque chose allait se produire.

Mais que pouvait-il faire ? Christine semblait contente à présent, et ce n'était pas lui qui s'y opposerait. Même si elle ne se sentait pas tout à fait heureuse, il pensait que cette activité était saine et était le premier pas dans la bonne direction. Peut-être continuerait-elle à s'améliorer et qu'un jour, elle redeviendrait la fille dont il était tombé amoureux. La même fille la journée, mais femme la nuit.

Donc il encouragea son humeur joueuse, et quand il finit le morceau qu'elle avait demandé, il en commença un deuxième. Il voulait que ce soit léger et plein d'humour, il voulait éviter quelque chose qui rappellerait à Christine leur relation ou le passé. Il choisit le premier duo de « Orphée aux enfers ». Pauvre Orphée, incompris par sa femme, qui ne pouvait plus tolérer sa musique. Cela semblait positivement ridicule quand on savait que la musique était la seule chose que Christine aimait faire avec lui. Erik chanta avec un mélodramatique délibéré et Christine éclata de rire quand, avec douceur et verve, il chanta le rôle d'Eurydice également. La seconde chanson finit par s'achever et il en joua encore quelques unes en essayant toujours de préserver un sens d'absurdité. Finalement, on sentait qu'il se forçait à jouer et il arrêta.

Un silence inconfortable s'abattit et après quelques minutes, Erik se raccrocha à la seule chose à laquelle il put penser.

"Et si vous choisissiez un livre, Christine ? Je suis sûr d'avoir dans ma collection des histoires qui pourraient vous plaire."

Il désigna la porte et ils allèrent dans le salon. La jeune fille fut ravie de faire comme il suggérait, et se mit à fouiller sa collection du regard, en lui demandant de quoi parlaient certains livres, ou si certains dont elle avait entendu parler valaient le temps de lecture. Ce fut une conversation agréable, et après en avoir choisi un, elle s'installa dans le fauteuil pour lire. Elle n'alla pas dans sa chambre pour s'enfermer ! Peut-être voulait-elle être avec lui dans la même pièce, comme un couple normal. Erik choisit également un livre mais ne lut pas. Il pensait à son bonheur et à la maison de ses rêves. L'intérieur serait magnifique, un monde à eux qu'ils n'auraient jamais besoin de quitter. Et à l'étage, pas de cercueil, pas de dies irae sur les tentures du mur, pas de chambre des tortures, mais rien qu'une chambre et un grand lit.

Le jour se passa pendant qu'il fantasmait, et Christine finit par interrompre le cours de ses pensées en posant son livre et en se levant.

"J'ai faim Erik. Pourrions-nous manger bientôt ?"

"Bien sûr, ma chérie. Voulez-vous aller vous allonger ? La journée a dû être fatigante pour vous."

"Non", sourit-elle. "Je suis fatiguée de me reposer. Je préfèrerais rester et aider. Si ça ne vous dérange pas."

M'aider, pensa-t-il, comme une vraie épouse. Il imagina frôler sa main en lui passant quelque chose ou sentir son parfum quand elle passait près de lui. Et ensemble, ils quittèrent le salon, et en parlant et en riant, comme tout couple normal, ils se firent à dîner. Mais en s'asseyant, le rêve s'évanouit.

"N'oubliez pas mon vin.", dit elle avec un emphase.

Ce ne semblait absolument pas naturel de l'entendre réclamer son sédatif après une si belle journée. Néanmoins, Erik quitta la table, prépara son mélange comme à l'accoutumée, bien qu'il réduit un peu la dose de laudanum et le plaça près de son assiette. Elle ne fit aucun commentaire et finit joyeusement son repas avant de le boire.

"Merci pour les chansons", dit-elle en se levant. "Ce fut amusant." (Elle rit et se couvrit la bouche en baillant) "Mais je suis fatiguée tout d'un coup. Je pense que je vais aller m'allonger, après tout."

Elle traversa la pièce, le laissant seul à table, mais avant de rentrer dans sa chambre, elle se retourna et se balança d'un pied à l'autre avant de dire :

"J'espère que vous passerez une bonne nuit, Erik."

Et elle partit.

Qu'est-ce que ça voulait dire ? Invitation subtile ou refus ? Il débarrassa la table tout en méditant sur ce qu'il devait faire, se demandant s'il y avait un espoir pour le futur. Mais une heure plus tard, quand il entra dans la chambre de Christine pour s'assurer que tout allait bien, elle ne dormait pas comme il s'y était attendu mais était assise dans le lit. Elle le regarda avec des yeux vagues, le corps détendu, de nouveau la femme qu'il voulait tant, et quand elle parla, sa voix était basse et rauque.

"Je t'attendais", bouda-t-elle.

Avec un soulagement infini, Erik courut à ses côtés, l'embrassa passionnément, renouvelant les explorations de la nuit précédente.

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RAR :

Miliem : Ouais un morceau de pain rassis ! J'avais faim justement ! part en courant pour aller le béqueter C'est mon bout de pain ! tu le touches, je te tape ! Non mais ! Ta fin est pas mal... Un peu tristounette cependant...

Titus de mystique : alors toi ! T'as interet à me prendre tous les chapitres et à foutre une review pour tous ! GRRRRRRRRRRRRR

Siryanne : Tu sais quoi ? J'ai beau t'avoir imaginé des centaines de fois, te voir en majorette en train de crier "allez lire des corps sur la rive" et en balançant un baton, ça me fait péter de rire à chaque fois !