Doloris

Par Maria Ferrari

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Base : Harry Potter tomes 1 à 5

Disclaimer : Les personnages de Harry Potter ne m'appartiennent pas, ils sont la propriété de J.K. Rowling . Je ne tire aucun profit financier de leur utilisation.

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—Chapitre 12—

« Il m'a bien eu. »

Le ton était amer, le nez froncé, la bouche dégoûtée.

« Vous n'êtes pas dans sa tête ; même si vous le connaissez bien, vous ne pouvez pas tout prévoir dans les moindres détails. »

Albus était tenté de lui poser une main sur l'épaule pour réconfort et soutien. Il s'abstint : Lucius le prendrait mal et se braquerait. Il n'était pas encore assez proche de lui pour se permettre ce geste.

« Rodolphus est mort, Severus est à Sainte Mangouste. Le Seigneur Ténébreux a vite compris la manœuvre, il sait à présent que je m'applique à penser comme lui ; il a pu tout déjouer. J'aurais dû prévoir qu'il trouverait la solution à ma trahison. Je ne vous servirai plus à rien désormais, je ne ferai que vous induire en erreur. »

Lucius se comportait comme si seul l'échec lui cuisait, Albus comprenait cependant qu'il se sentait coupable de ce qui s'était passé, de la mort de Rodolphus Lestrange, et qu'il s'inquiétait pour l'état de santé de Severus.

« On m'a assuré que Severus se porterait bien, le rassura-t-il. Quant à Rodolphus, il n'est pas le premier sacrifié pour notre cause. »

Lucius leva des yeux ronds, soufflé par ce que venait de dire le fondateur de l'Ordre.

« Vous n'est pas un être humain, finit-il par déclarer abruptement. Ce ne serait qu'un de plus ? La vie ne vaudrait pas plus à vos yeux qu'à ceux du Seigneur des Ténèbres ? »

Albus venait de commettre une maladresse impardonnable et s'en voulut de cette parole malheureuse. Les années passant, il avait appris à vivre avec les pertes humaines ; d'habitude, il s'appliquait à démontrer plus de tact que cela, mais la réputation des Malefoy étant ce qu'elle était, le tact avait été laissé au placard. Il avait pourtant appris à connaître Lucius ces derniers mois et avait pu s'apercevoir qu'il faillait à la réputation des siens ; il en était cependant resté à la croyance que Lucius, tout comme ses ancêtres avant lui, accordait peu d'importance à la vie humaine, tant qu'il ne s'agissait pas de la sienne ou de celle d'êtres vraiment chers.

Eugenius n'aurait pas frémi, il aurait jugé ces pertes nécessaires.

Dumbledore avait tort de comparer Lucius à son père. Il ne fallait pas oublier qu'Eugenius, sans le renier tout à fait, avait honte de son fils qu'il avait toujours jugé lâche, sensible et fragile ; Albus avait même entendu dire qu'il avait un jour employé le terme "sentimental" en parlant de son fils, ce qui, dans la bouche d'Eugenius, était l'insulte suprême. Il ne serait jamais venu à l'idée du directeur de "traiter" Lucius de sentimental, mais son échelle de valeur n'était pas tout à fait la même que celle de ce bon vieil Eugenius.

Quoi qu'il en était, dans la scène présente, les rôles se trouvaient inversés par rapport à l'historique : le Gryffondor accordait peu d'importance à la vie humaine quand le Serpentard faisait preuve de sensiblerie. Cela avait quelque chose d'incongru, d'inattendu, de surprenant.

« Sans doute ai-je fini par être anesthésié ; je ne ressens plus la mort comme les autres personnes. Excusez-moi si je vous ai fait de la peine.

— Je me contrefiche de votre cause. Et Rodolphus aussi. S'il a accepté de faire ça, c'est uniquement par amour », expliqua Lucius froidement. Albus ne s'attendait pas à une telle révélation. Il s'humecta la bouche, prit son temps avant de parler.

« Il vous aimait ?

— Oui.

— Et vous l'aimiez ?

— Non. C'était un ami et je lui étais reconnaissant de son aide.

— C'est tout ?

— Oui. Je n'aime que moi Dumbledore, vous ne l'avez pas encore compris ?

— Vous mentez. Vous aimez votre fils.

— C'est vrai, concéda Lucius après réflexion. Cependant, mon fils n'est qu'un autre moi plus jeune, c'est une prolongation de ma vie. Pourquoi croyez-vous que les hommes et les femmes s'évertuent à se reproduire depuis des milliers d'années si ce n'est pour pouvoir continuer à vivre par personne interposée ? C'est un pied de nez envers la mort. En tout cas, c'est ainsi que je conçois les choses.

— Pourquoi êtes-vous incapable d'avouer que vous puissiez tenir à quelqu'un autrement que par intérêt personnel ? »

Albus posait cette question pour la forme, l'éducation qu'avait reçue Lucius de son père était directement en cause, il ne l'ignorait pas. Eugenius avait réussi à apposer sa marque sur son fils, bon gré mal gré.

« Je ne suis pas incapable d'avouer que j'aime, je suis incapable d'aimer tout court.

— Alors, pourquoi avez-vous si mal pris ce que je vous ai dit tout à l'heure à propos des vies sacrifiées ? »

Lucius détourna le regard. Il avait horreur que des étrangers se permettent d'analyser ses sentiments ; il pouvait le tolérer de la part de son fils, de sa femme ou de Severus – et encore : s'ils gardaient leurs réflexions pour eux –, mais de la part d'autres personnes, cela l'insupportait.

« J'ignore pourquoi vous voulez ainsi vous protéger de vos propres sentiments, mentit Albus. J'imagine que vous avez eu des peines ou des déceptions et que vous avez jugé préférable de vous appliquer à ne plus rien ressentir ; c'est votre choix. »

Albus toisa Lucius. Des mèches blondes pendaient, cachant les yeux gris fixés sur le côté, à l'opposé du directeur ; son regard était fuyant et presque baissé, c'était rare chez un Malefoy. Dumbledore posa la main sur la poignée de la porte.

« Cela fait longtemps que je n'ai plus vu Arthur Weasley. Il me semblait qu'il venait régulièrement vous voir ; est-ce toujours le cas ? »

A l'évocation de son livreur de chocolat, Lucius retrouva son assurance et son regard direct. Il avait le moyen de reprendre cette discussion en main et de la terminer d'une façon qui lui seyait.

« Non, il a fui comme un voleur la dernière fois que je l'ai vu. Je crois qu'il a eu peur de ce qu'il allait faire, dit-il, intentionnellement vague.

— Et qu'allait-il faire ? » demanda Albus, soudainement inquiet. Le ton de Lucius ne lui disait rien qui vaille.

« A votre avis ? Je suis sûr que vous vous en doutez. C'était pour cette raison mon départ précipité du Terrier, non ? Pour ma part, j'ai compris seulement lors de cette dernière entrevue ce qu'il me voulait. »

Weasley n'en voulait qu'à son corps ! Il l'avait aidé pendant tous ces mois uniquement pour parvenir jusqu'à son lit ; et il s'était révélé incapable d'aller au bout de ce plan infâme.

Lucius était amer. Il ne l'aurait avoué pour rien au monde, mais il avait besoin qu'on s'occupe de lui ; et par ces petits gestes, cette présence derrière lui quand il allait mal, cette main qui effaçait une partie de la douleur rien qu'en se posant sur son dos, Arthur s'était occupé de lui.

Dorénavant, il ne le ferait plus.

Ce qui faisait encore plus mal à Lucius, c'était retomber après avoir cru que quelqu'un s'intéressait à lui – en dehors de Drago… ou de Severus ; mais ceci était un dû, l'un était son fils, l'autre avait été son protégé. En dehors aussi de Rodolphus qui l'avait aimé, mais qui était définitivement parti.

Il tombait décidément de haut.

Bien sûr il avait fait celui qui s'en fichait ! Il n'avait sciemment guère prêté d'attention à Arthur, pour sauver en partie cette image qu'il s'était évertué à donner de lui et qui avait été suffisamment écornée durant ces derniers mois ; cela ne l'empêchait cependant pas d'être satisfait de cette présence réconfortante. A chaque fois qu'il était venu le soutenir en posant sa main salvatrice sur son dos, Lucius avait ressenti comme une bouffée de bonheur malgré la douleur.

Bien sûr il méconnaissait le bonheur, il avait été très mal servi de ce côté par la vie – on ne peut pas tout avoir ! –, mais il savait que ça ne pouvait être que cela ce qu'Arthur lui offrait.

A présent, c'en était fini du bonheur. Il avait très bien vécu sans pendant de longues années, la différence était qu'il n'y avait pas vraiment goûté auparavant, c'était donc moins difficile de s'en passer. Et qui allait l'aider dorénavant ? Qui le soutiendrait ? Rodolphus était mort, il n'était plus là pour l'aimer et lui apporter jouissance. Arthur ne venait plus, il n'y aurait plus jamais de main salvatrice, plus aucun mot gentil murmuré, plus de présence pour tuer cette solitude pénible dans la douleur, plus de regard tendre et triste qui semblait vouloir prendre une part de son mal pour le soulager, plus l'impression d'être un enfant malade ou meurtri qu'on console et qu'on garde au creux de son bras, le berçant doucement, en attendant que le chagrin passe.

« Mais il n'a rien fait, s'assura Albus d'un ton froid.

— Non.

— Il est parti.

— Oui.

— Et il n'est plus revenu depuis.

— Non.

— Bien, très bien, cela vaut mieux ainsi. »

Lucius eut l'impression qu'on lui tailladait le ventre avec un couteau, mais il se tut.

« Ne faites part à personne de ce qui a failli se passer entre vous et Arthur. Vous avez fait suffisamment de mal dans votre vie, inutile d'en rajouter. »

Albus ne cilla pas devant le regard glacé que lui jeta Lucius. Il était conscient d'exagérer un peu. Oui, Lucius avait fait énormément de mal dans sa vie. Oui, il s'était souvent servi de son charme pour abuser les gens. Cependant, il s'était beaucoup racheté ces derniers mois ; et s'il avait séduit Arthur, c'était tout à fait involontaire.

Il referma la porte derrière lui, un grand fracas retentit : Lucius venait de pulvériser un vase – un objet en verre en tout cas – sur le panneau de la porte. La moue triste, Albus s'éloigna.

Seul, Lucius s'assit par terre, mit sa tête entre ses genoux et pleura.