Doloris
Par Maria Ferrari
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Base : Harry Potter tomes 1 à 5
Disclaimer : Les personnages de Harry Potter ne m'appartiennent pas, ils sont la propriété de J.K. Rowling . Je ne tire aucun profit financier de leur utilisation.
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—Chapitre 13—
Il ne suffisait manifestement pas de dire « Je n'ai pas besoin de lui » pour s'en convaincre : Arthur ne parvenait pas à se guérir de Lucius. Ce n'était pas faute d'essayer : il s'appliquait à penser à autre chose et restait souvent quelques heures sans qu'une seule fois l'image de Lucius ne lui vienne à l'esprit ; mais elle revenait alors en force dans ses rêves, le laissant frustré et honteux au réveil.
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Molly ne comprenait pas l'attitude de son mari. Non qu'elle s'en plaigne, Arthur était plus souvent à la maison, plus gentil et attentionné que jamais. Quand elle lui signalait un objet qui ne fonctionnait pas, il s'empressait de se pencher dessus. Il lui faisait plus souvent l'amour ; elle devait même le calmer dans ses ardeurs ! Mais il était tellement bizarre. Pendant des années, il avait détesté Lucius Malefoy ; du jour au lendemain, il s'en était fait son sauveur, l'avait fait entrer dans l'Ordre, avait été attentionné, prévenant ; pendant des mois, il avait été le voir tous les jours à Poudlard ; puis un jour, il avait cessé d'y aller et de parler de lui.
Arthur ne l'avait pas habituée à être lunatique.
Elle regarda son mari à la dérobée ; il tentait de comprendre le fonctionnement d'une brosse à dents à piles offerte par Hermione. Lorsqu'il se consacrait à l'étude des objets Moldus, il avait l'air fasciné et intrigué ; aujourd'hui, contrairement à son habitude, il paraissait soucieux et peu concentré. Elle haussa les épaules et reprit sa vaisselle ; il était idiot de s'inquiéter pour rien.
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Il devait se rendre à l'évidence : Lucius lui manquait, il en était torturé. Il le cachait mais cela devait commencer à se voir ; Molly le regardait d'un air inquiet de temps en temps. Il la regarda qui lui tournait le dos, les mains plongées dans l'évier ; ne serait-ce pas une trahison que de retourner voir Lucius après ce qui avait failli se passer ? Après la promesse qu'il s'était fait ?
C'était inévitable. Il finirait par aller le voir, il ne pourrait pas s'en empêcher. Mieux valait ne pas trop tarder : plus il attendait, plus son manque s'aggraverait, moins il serait en bonne condition pour affronter Lucius, pour s'expliquer avec lui, pour se guérir de lui.
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Suite à cette résolution, Arthur s'était longuement préparé ; il lui faudrait avoir la tête froide le jour où il se présenterait à Lucius et des mots réfléchis qu'il se répéta cent fois pour s'en imprégner et s'en convaincre lui-même.
Il pénétra dans l'enceinte de Poudlard un lundi à quinze heures, profitant d'un après-midi de congés. Il prit son temps, se cachant derrière un arbre à l'abri des regards distraits des élèves plus intéressés par le vent dans les feuilles que par les cours. Quelques profondes inspirations lui permirent d'affermir sa volonté avant de s'avancer d'un pas assuré vers la grande porte de Poudlard.
Il marcha la tête haute dans les couloirs ; il n'avait pas à avoir honte de sa visite, il ne venait pas pour voir Lucius, mais pour s'en guérir. La nuance était d'importance et s'il croisait Albus, il pourrait le regarder droit dans les yeux.
Il ne le croisa pas et le regretta presque, il aurait aimé que le directeur lise sa décision et sa volonté sur son visage. Il se posta droit comme un "i" devant l'entrée des appartements de Lucius et choisit de s'annoncer, donnant ainsi un ton formel à sa visite, avant de dire le mot de passe – seule manière d'ouvrir la porte car l'occupant était dans l'impossibilité de l'ouvrir de l'intérieur.
Arthur frappa au panneau de manière autoritaire ; il n'eut pas de réponse. Il recommença et n'obtint pas plus d'effet. Haussant les épaules, il récita le mot de passe et entra.
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Arthur s'attendait à ce que Lucius soit en train de dormir dans sa chambre – il n'avait pas répondu à ses cognements insistants –, il se trouvait pourtant dans la pièce principale. Il était assis, les coudes posés sur la table à côté d'un verre à moitié vide et d'une bouteille de vin. Ses yeux regardaient d'un air vague une petite fiole qu'il tournait rêveusement entre ses doigts.
Il ne paraissait pas s'être rendu compte de la présence d'Arthur qui se manifesta par un bruyant éclaircissement de voix. Lucius tourna lentement la tête, regarda Arthur sans le voir et se consacra de nouveau à l'observation de la fiole. Arthur n'avait pas été habitué à susciter beaucoup d'intérêt de la part de Lucius ; néanmoins, cette fois, cela dépassait tout : il n'était même plus un meuble, il n'existait plus !
Il se rassura en se disant que Lucius était saoul et souleva la bouteille pour en regarder le niveau tout en se demandant ce qui avait pu susciter cette beuverie.
« Je n'ai bu que deux verres et demi », le renseigna Lucius.
Tiens, il l'avait remarqué ; il surveillait même ses gestes. Il avait fait exprès de ne pas lui accorder d'importance… pour le blesser sûrement. Cela irrita Arthur et le consolida dans sa future guérison.
« J'avais l'intention de vider la bouteille, mais je ne tiens pas l'alcool. Habituellement, je déguste plus que je ne bois, une gorgée ou deux suffisent à me satisfaire.
— Pourquoi aviez-vous prévu de boire ? demanda Arthur, intrigué.
— Pour me donner du courage. Le problème, c'est qu'il faut que je reste à peu près lucide, pour ne pas perdre de vue la raison pour laquelle je dois m'en donner.
— Et qui est ? »
Le sourire facétieux – signe qu'effectivement peu d'alcool suffisait à l'émécher –, Lucius lui présenta la fiole entre le pouce et l'index ; l'étiquette arborait l'éternelle tête de mort signalant un contenu empoisonné.
« Que comptez-vous faire avec ça ? questionna Arthur d'une voix blanche.
— En finir ! » s'exclama Lucius théâtralement. Il n'en pouvait plus de ces souffrances qu'il affrontait seul et dont il ne voyait pas la fin.
Arthur resta paralysé pendant quelques secondes avant de présenter la paume de sa main droite.
« Donnez-moi ça », ordonna-t-il, la voix autoritaire. La dernière fois où il avait usé de ce ton était lorsqu'il avait ordonné à Charlie de s'éloigner du bord d'une falaise qu'il avait jugé susceptible de s'écrouler à tout moment ; de plus, un faux pas, un déséquilibre et l'enfant finissait au fond de la mer sans même avoir besoin d'une chute de pierres.
Contrairement à son fils qui avait obéi immédiatement, Lucius enfermait la fiole dans sa main et prenait un air buté. Arthur regretta de n'avoir pas opté pour un Accio plutôt que pour un ordre ; il était trop tard pour adopter cette tactique à présent que Lucius cramponnait fermement son poison.
Les yeux de Lucius n'étaient plus que deux fentes. Il était bien décidé à aller au bout de son geste désespéré, à mettre définitivement fin à ses souffrances. Il sentait qu'Arthur ne le lâcherait pas tant qu'il ne serait pas sûr qu'il laisse tomber ses idées suicidaires. Il allait donc devoir lui faire comprendre que sa mort était la meilleure des solutions… ou qu'il était un Malefoy, un homme détestable, que la vie d'un Malefoy n'avait aucun intérêt pour un Weasley.
« Pourquoi voulez-vous en finir ?
— Vous trouvez ma situation enviable ? Vous croyez que c'est agréable de passer son temps à souffrir ? » demanda Lucius dans un regard égaré.
Arthur comprit que c'était le début d'une joute verbale. Il n'était pas sûr d'exceller dans ce genre de sports, surtout face à un Serpentard bien entraîné à cet exercice. Ceci dit, le Serpentard en question était ivre… et Arthur était certain de ne pas manquer d'arguments et de rester ferme sur ses positions.
« Vous êtes égoïste ! Avez-vous pensé à votre fils ? »
Mettre Drago dans la balance était la première chose à faire ; Lucius tenait beaucoup à son fils, Arthur en était persuadé.
« Mon fils sera plus en sécurité une fois que je serai mort.
— Cessez de dire des sottises ! Votre fils vous aime, il sera brisé si vous faites ça, vous n'en avez pas le droit.
— Drago ne supporte pas de me voir souffrir, et il a raison car c'est intolérable. Comprenez-vous à quel point j'ai mal ? Comprenez-vous que je souffrirai éternellement ? J'ai subi trop de Doloris. Je serai toujours malade, il n'y a que la mort pour me libérer.
— Un remède finira par être trouvé, assura Arthur, catégorique.
— Severus, malgré tout son génie, n'a rien trouvé pour l'instant et je crains fort qu'il ne trouve jamais rien. Arthur, allez-vous-en et laissez-moi mourir.
— Non. »
Lucius se mordit la lèvre ; l'argument de l'euthanasie ne paraissait pas émouvoir Arthur.
« J'ai le droit de mourir, je souffre trop. Faites preuve d'un peu d'humanité, insista-t-il une dernière fois.
— Je ne vous laisserai pas faire cette bêtise. Si vous étiez condamné à mourir à courte échéance, ou si vos souffrances étaient vraiment permanentes, ou encore si personne ne comptait sur vous, ne tenait à vous ou n'avait besoin de vous, je comprendrais que vous ayez envie de mourir et je vous laisserais faire. Seulement voilà : les souffrances que vous subissez n'amoindrissent pas la durée de votre vie ; vous ne souffrez pas tout le temps, c'est abominable quand vous souffrez mais quatre vingt dix pour cent du temps, vous êtes bien et en pleine possession de vos capacités ; et puis, il y a votre fils qui vous aime et qui a besoin de vous, la lutte contre Voldemort a besoin de vous, je… j'ai… besoin de vous. »
Quelques secondes s'échappèrent dans un silence total. Arthur était un peu gêné, cette déclaration n'entrait pas dans son plan de guérison ; cependant, il fallait parer au plus pressé. Il serait toujours temps de revenir à sa résolution première une fois que Lucius aurait retrouvé la raison.
« J'avais oublié combien mon cul vous intéressait », fit l'aristocrate dans une grimace méprisante.
Arthur fut choqué par la crudité de cette phrase.
« Vous vous trompez, rétorqua-t-il.
— Vous avez profité d'un moment de faiblesse pour vous jeter sur moi !
— Ne déformez pas ce qui s'est passé ! C'est vrai, j'ai profité d'un moment de faiblesse… mais je me suis arrêté à temps ! Et même si j'avais été au bout : vous étiez consentant… et vous en aviez besoin. Je croyais que vous étiez un homme froid, sans cœur, parfaitement calculateur… et je n'avais pas tort de croire ça ! Mais, de temps en temps, vous avez besoin qu'on s'occupe de vous, qu'on vous dorlote ; vous avez besoin de vous sentir aimé. C'est dans ces moments de faiblesse que vous prouvez que vous êtes un être humain à part entière, quand vous n'avez plus la force de vous maîtriser, soit parce que vous êtes faible, ou parce que vous êtes très énervé ou en colère ; par exemple, à présent que vous êtes furieux contre moi – pour une très mauvaise raison ! –, on peut voir de l'humidité dans vos yeux, certainement les prémices de larmes de rage. La vérité, c'est que vous usez vos nerfs à trop vouloir vous maîtriser, c'est pour cela que vous vous énervez tellement facilement dès que vous êtes fatigué ou qu'une contrariété trop forte se présente, c'est pour cela que vous avez tant besoin de tendresse dès que vous sentez que ça ne va pas. »
Il y avait des propos que Lucius ne pouvait admettre, même s'ils reflétaient l'exacte vérité, surtout s'ils reflétaient l'exacte vérité. Weasley voulait la guerre, il l'aurait !
« Vous devez vous croire intelligent… détrompez-vous ! Un cerveau rempli de vide, le charisme d'une huître et une tignasse rougeâtre pour couronner dignement ce chef d'œuvre de la nature, et voilà un Weasley, un de plus !
— Crachez votre venin si ça peut vous soulager. »
Arthur restait indifférent à cette insulte, Lucius ne pouvait l'admettre.
« Vous m'avez forcé à vivre pendant deux interminables mois dans votre infâme taudis en compagnie de votre misérable et médiocre famille : vos enfants stupides et laids et votre grosse bonne femme attifée comme un sac ! »
Arthur se mordit la lèvre ; cela faisait mal d'entendre ce genre de propos, c'était même très difficile à avaler et il avait soudainement des fourmis dans les mains. Cependant, il pouvait facilement se raisonner : il fallait excuser Lucius, il était hors de lui, il ne pensait pas forcément ce qu'il disait.
A le voir ainsi, il ressemblait au blondinet effronté et colérique qui lui tenait tête lorsqu'ils étaient scolarisés, sauf qu'à cette époque, Lucius faisait trois têtes de moins que lui et qu'il avait le droit de lui donner des retenues quand il le surprenait à traîner dans les couloirs à des heures où les enfants de onze ans bien élevés se trouvent au chaud au fond de leur lit.
« C'est sûr que se retrouver à coucher à quelques chambres d'un corps comme le mien alors que vous êtes allongé à côté d'un tas de graisse a de quoi rendre infidèle ! »
Arthur serra les dents et les poings ; si Lucius continuait sur cette voie, il n'était pas convaincu de réussir jusqu'au bout à ne pas réagir.
« Je n'aurais jamais cru que vous aviez ce genre de penchants, continuait-il d'un ton curieux. Vous pensiez à moi quand vous baisiez votre rouquine ? L'avez-vous sodomisée en m'imaginant à sa place ? Par pitié, dites que non, parvenir à imaginer que ses fesses adipeuses puissent être mon superbe derrière est parfaitement insultant. »
Autant Arthur n'avait jamais trouvé Lucius véritablement beau avant de le voir malade et sans défense, autant il n'aurait jamais prétendu qu'il était laid, pourtant Lucius était laid à présent, laid et vulgaire.
« Dommage que le Seigneur des Ténèbres n'ait pas tué votre fille ! » cracha-t-il soudainement.
C'en était trop. Une claque retentissante percuta la joue de Lucius qui tomba sous le choc.
« Vous voir gerber au-dessus de la cuvette m'avait donné à penser que vous étiez une victime, j'avais oublié que vous étiez aussi un bourreau, j'avais oublié l'ordure que vous étiez ; merci de m'avoir rafraîchi la mémoire. Fichez-vous en l'air si vous y tenez ; je n'en ai plus rien à faire, ça ne me concerne plus », déclama Arthur en toisant durement Lucius au sol.
Il tourna les talons et rebroussa chemin. Il se retourna une dernière fois, le regarda de haut pour une dernière réplique.
« Vous êtes pitoyable. »
Il s'apprêta à sortir ; un « désolé » s'échappa des lèvres de Lucius, presque involontairement ; Arthur se retourna, étonné.
Lucius n'était pas habitué à s'excuser ; ce n'était pas réfléchi, pas voulu, c'était sorti comme un réflexe quand il l'avait vu partir, pour ne pas qu'il referme la porte derrière lui, pour ne pas qu'il le laisse tout seul. Pourtant, c'était le but qu'il poursuivait : il voulait qu'il s'en aille pour pouvoir en finir avec l'existence débilitante qu'il s'était créée.
Peut-être n'avait-il finalement pas si envie que ça d'en finir, peut-être la gifle reçue lui avait-elle remise les idées en place, peut-être les mots d'Arthur avaient-ils fait mouche… Oui, c'était cela, c'étaient les propos d'Arthur : il n'en avait plus rien à faire de lui, il l'avait dit, il le pensait ! Et il l'avait regardé de haut. Un de plus ! Cela faisait un de plus qu'il décevait.
Quand il pensait à ce qu'il était, qu'il se regardait dans un miroir, qu'il sondait le fond de son intellect, il se donnait l'impression d'être supérieur aux autres, d'être parmi les meilleurs, et il s'appliquait à le faire savoir à tout le monde par son attitude. Pourtant, parfois, le regard des autres le faisait se sentir le dernier des hommes.
Arthur n'était pas habitué à le voir s'excuser, pas plus qu'il n'était habitué à le voir les yeux baissés, rivés sur le sol. Il ne savait pas trop à quoi attribuer ce retournement. La cause exacte n'avait pas d'importance de toute façon, seul le résultat importait… même si, à partir de ce qu'il avait dit sur Ginny, il n'avait plus agi pour l'empêcher de se suicider. C'était peut-être justement la sincérité violente dont il avait fait soudainement preuve en lui disant de se suicider qui avait convaincu Lucius de ne pas le faire.
Faire le contraire de ce qu'on leur dit est une loi à laquelle obéissent les orgueilleux ; ce qui était en revanche contraire à son caractère, c'était de le voir dans cette attitude humble, presque soumise. Il y avait là quelque chose de bouleversant. Les propos insultants et cruels qu'il avait tenus étaient oubliés, tout comme sa laideur et sa vulgarité au moment de les dire.
Arthur s'approcha.
« Donnez-moi la fiole », ordonna-t-il.
Lucius la lui tendit docilement.
