Philtra Temporis - Souvenirs d'enfance
- "Peut-être que si tu fais encore un petit effort?"
Godric renifla aux paroles de sa mère, et agita à nouveau
la baguette qu'il avait en mains. Vingt-et-un centimètres, hêtre,
lamelle de ventricule de coeur de dragon. Et pas une étincelle, quelque
soit la force et la concentration qu'il employait à la secouer.
D'ailleurs, la composition et la longueur de la baguette
semblaient ne pas réellement importer: il n'avait pas eu plus de
résultat avec celle de seize centimètres, en peuplier, avec un crin de
licorne. Ni avec celle de dix-huit centimètres en saule et dotée de
poudre d'écailles de dragon en guise de composant magique. Ni avec
aucune des baguettes du magasin, à vrai dire.
Thomas Ollivander, propriétaire du seul et unique magasin
de baguettes de Pré-au-Lard, une grande boutique remplie de boites
poussiéreuses contenant exclusivement des baguettes, et dont l'enseigne
affichait fièrement "Fabriquant de baguettes depuis 385 BC", secoua
lentement la tête en regardant Godric.
Ysane Gryffondor, qui s'était accroupie aux côtés de son fils, releva les yeux pour croiser le regard du marchand.
- "Il est encore trop jeune", affirma ce dernier. "Il
faudrait attendre quelques années de plus, le temps que son potentiel
magique s'accroisse..."
Godric renifla. Profondément, ce qui produisit un son
visqueux et révulsant du plus bel effet. Il avait réussi à retenir ses
larmes de rage et de frustration, mais il ne parvenait pas à empêcher
son nez de couler.
- "Six ans, c'est très tôt, pour une première baguette...
La plupart des enfants doivent attendre dix ou onze ans pour avoir
leurs premiers résultats. Je vous conseille d'attendre au moins ses
neuf ans", ajouta le vendeur.
La lèvre inférieure de Godric se mit à trembler, et ses
reniflements se firent de plus en plus fréquents. Il croisa obstinément
les bras sur ses robes de velours rouge vif, et serra les dents pour ne
pas laisser échapper le moindre son.
Il n'était pas question d'attendre d'avoir neuf ans,
d'abord! Si Salazar pouvait utiliser une baguette, alors il pouvait
AUSSI. Puis, il était un Gryffondor, pas une sorte de cracmol sans
aucun pouvoir! Bien sûr que si, il avait du "pot en ciel magique", il
était même TRES puissant. C'était juste cet imbécile de marchand qui
était un incapable et ses baguettes qui ne marchaient pas.
- "Ne soyez pas si abattu, messire Godric", continua
Ollivander. "Ce n'est qu'une question de patience, dans très peu de
temps, vous..."
Le jeune Gryffondor renifla longuement, et dédia un regard
assassin au vieillard. Bien entendu, l'effet d'un tel regard était peu
concluant lorsque votre angle de vue naturel vous destinait plutôt à
étudier en profondeur le fond des narines de vos interlocuteurs
adultes.
Il serra un instant, d'une main tremblante, la baguette
qu'il tenait encore, puis la jeta au sol d'un geste rageur, et fila
vers la sortie de la boutique. Il dut se pendre à la poignée et se
jeter deux fois en arrière pour parvenir à ouvrir la lourde porte de
bois, qui grinçait et dont le fond raclait le sol, et répéter le
mouvement dans l'autre sens pour la refermer, un "humph" lui échappant
au dernier mouvement. Son but avait été de sortir en claquant la porte,
mais tout le monde avait ses limites.
Une fois dans la rue, il déchargea ses foudres sur un
caillou innocent qui, propulsé par une rencontre inattendue avec une
botte de cuir, apprit à voler sur la respectable distance de trois
mètres et un rebond. Puis, comme il était toujours furieux, Godric se
mit à bourrer le mur du magasin d'Ollivander de coups de pied.
- 'GODRIC! Veux-tu bien cesser immédiatement et venir t'excuser auprès de Monsieur Ollivander?"
Godric releva le nez vers sa mère, dont le ton aurait sans
doute terrorisé une meute de loup-garous à la pleine lune.
- "Nan", répondit le garçonnet, qui se remit immédiatement
à cogner dans le mur, avec un enthousiasme tout de même amoindri. Il
renifla.
- "Godric Gryffondor! Je ne me rappelle pas vous avoir appris de telles manières!"
L'enfant renifla. Et renifla à nouveau, les yeux baissés.
Ysane se laissa attendrir.
- "Godric... Ce n'est pas la peine de te mettre dans un
état pareil... Allons, ne pleure pas...", souffla-t-elle en posant une
main sur son épaule.
- "J'pleure pas", protesta-t-il d'une voix rageuse. "Il pleut."
- "Ah. Je vois, c'est vrai, il pleut."
C'était bien sûr une pluie très localisée, et les nuages
semblaient avoir choisi comme cible particulière les joues du garçonnet.
- "Ecoute", reprit-elle en lui essuyant le visage de
quelques coups de mouchoir. "Mouche-toi, et nous réessaierons dans un
autre magasin, dans quelques jours... Il n'y avait sans doute pas la
bonne baguette..."
Godric opina faiblement.
- "Et maintenant, tu vas venir présenter tes excuses à monsieur Ollivander. D'accord?"
Le rouquin s'essuya le nez dans la manche de ses robes.
- "D'accord, maman..."
Godric ramassa une pierre, et la jeta de toutes ses forces dans le lac.
Là!
Avec un peu de chance, elle irait blesser un poisson. Ou un strangulot. Ou mieux, un des calamars géants.
Rien que l'idée de la blessure potentielle d'une des dites créatures faisait des merveilles sur l'humeur de Godric. Il ramassa quelques cailloux, s'assit au bord du lac, et entreprit de les lancer à leur tour dans l'eau. Ploc. Ploc. Ploc. Plouf.
Puis, il trouva un caillou plat et commença à tenter des ricochets.
- "Qu'est-ce que tu fais?"
Godric renifla, plissa le nez, et se tourna vers Salazar, qui arrivait, sa cape noire flottant derrière lui avec une classe normalement inaccessible aux enfants de sept ans.
- "Rien."
- "Oh. Je peux essayer?"
Le roux grommela, et, du menton, désigna quelques cailloux au blond. Ce dernier se pencha, en ramassa un, et le lança dans l'eau. La pierre ricocha une bonne dizaine de fois. Décidant brusquement qu'il en avait ras le bol des ricochets (qui de toute façon ne ricochaient pas), Godric prit le reste de ses propres cailloux à deux mains, et balança le tout dans le lac, sans être le moins du monde détendu par les éclaboussements respectables qui s'élevèrent lorsque les pierres rencontrèrent la surface de l'eau.
- "Alors tu as pas de baguette?"
La réponse de Godric se résuma à un grognement.
- "C'est bizarre, t'as des pouvoirs, pourtant", affirma Salazar.
- "Groumph."
- "Ca aurait dû marcher... Peut-être qu'il y avait pas de bonne baguette?"
- "Mf..."
- "Godric, arrête de bouder..."
- "J'boude pas."
Le blond lui adressa un regard dubitatif.
- "Qu'ess'tu veux?", finit par demander Godric.
- "Pourquoi tu n'essaies pas la magie sans baguette?"
Toute expression renfrognée quitta instantanément le roux. Cinq heures plus tard, il faisait vibrer les cailloux en utilisant des sortilèges d'attraction. Deux jours après, il les faisait se déplacer d'une dizaine de centimètres. A la fin de la semaine, Salazar et lui se mettaient à construire une hutte de briques dans un coin isolé du parc.
Et Godric ne manqua pas de faire une démonstration à ses parents.
- "Accio grimoire de papa!"
Ysane et Frederic observèrent en silence l'épais livre relié de cuir tandis qu'il quittait son étagère pour flotter, lentement et en tremblant beaucoup, certes, vers leur fils de six ans qui s'était contenté de tendre la main. Considérant le fait qu'il était peu fréquent qu'un enfant de cet âge maîtrise les sortilèges d'attraction, et qu'il était franchement rare d'en voir utiliser la magie sans baguette - à part peut-être Salazar Serpentard, mais les avis sur l'appartenance de Salazar Serpentard à la race humaine étaient des plus partagés, au vu de ses origines - ils durent admettre une chose: le problème de Godric avec les baguettes ne venait pas d'une absence de potentiel magique, après tout. A vrai dire, le jeune garçon avait un peu trop de potentiel pour un enfant de six ans turbulent.
Cette réalisation en amena une autre: si le problème ne venait pas de Godric, il venait des baguettes.
Ils échangèrent un regard.
- "Nous retournerons voir monsieur Ollivander", déclarèrent-ils d'une même voix.
