Je ne sais pas le prénom de Hollom…A ce qu'il paraît c'est « Wallace »…
Chapitre trois: rumeurs et rancoeur.
Pour un équipage exclusivement masculin, la rapidité avec laquelle les rumeurs se propageaient était extraordinaire - bien sûr, il fallait tenir compte du fait qu'ils étaient plus de cent hommes sur cent mètres carrés à peine. Toujours est-il que le lendemain de l'incident qui avait causé la honte de sa vie à Diane, les doigts qui étaient jadis sans cesse pointés sur Hollom avait changé de cible.
Bien sûr, les marins restaient discrets et pour rien au monde ils n'auraient osé aborder ce sujet devant elle, mais la jeune fille voyait bien que leurs regards avaient changé. Certains étaient moqueurs, d'autres peinés, voire carrément vicieux ou même méprisants. Au fil des jours, l'histoire avait pris de l'ampleur, et bientôt tous redemandèrent à Nagel comment il avait surpris le docteur et la fille du capitaine dans une position plus que compromettante. Encore une semaine et la rumeur se transformait en partouse générale à l'infirmerie!
Apparemment, les officiers n'avaient rien remarqué et Diane remerciait le ciel pour cela. Pourtant, elle s'était presque pétrifiée sur place lorsque Killick, en servant la soupe, avait glissé à l'oreille de Maturin, la désignant, « Trop jeune, ça ne donnera rien de bon. »
Le médecin avait haussé les sourcils, intrigué, mais Aubrey était lancé dans un discours patriotique et tous l'écoutaient en l'acclamant, ce qui fait qu'il n'avait pu demander à Killick ce qu'il avait voulu dire.
Ce soir-là, Diane n'était pas invitée à la table du capitaine, et elle en était heureuse. Autour d'elle, les aspirants rédigeaient leurs lettres avec application ou s'amusaient avec des fusils sous l'œil irrité de Calamy, tandis qu'elle-même dessinait des monstres marins. Son père était sa seule famille, avec Sophie, mais elle n'avait rien de spécial à raconter à celle-ci - aussi la correspondance n'était pas un domaine qu'elle connaissait.
Au bout d'un moment, Hollom entra avec fracas dans la pièce, complètement chamboulé. « Qu'est-ce qui se passe? » demanda Blackeney avec inquiétude. Calamy lui dit de laisser ce comédien tranquille mais le blondinet lui ordonna de la fermer.
Maturin apparut et vint examiner Hollom, puis sortit de la chambre. Diane l'entendit dire à Aubrey que l'aspirant adulte se croyait maudit. Lorsque son père rétorqua implicitement qu'il prêtait foi lui aussi à cette malédiction, la jeune fille plaqua sa main devant sa bouche. Son père n'était pas un homme stupide, comment pouvait-il croire ça?!
Durant la nuit, elle ne put dormir. Elle observait discrètement Hollom, dont les deux mains jointes en une prière dépassaient de son hamac. Elle ressentit une brusque bouffée d'affection envers lui, surtout à présent qu'elle comprenait ce que cela signifiait d'être au centre des conversations et de se sentir épié. Et elle n'était pas accusée d'être maudite…
Lorsque le jeune homme se leva, chancelant, pour aller prendre son tour de garde, Diane attendit que Jemmy soit revenu et se soit endormi pour se lever à son tour. En arrivant sur le pont, elle trouva Hollom dans l'état qu'elle avait craint. Il était assis sur une barrique, les deux mains sur le front, murmurant des paroles incompréhensibles.
« Wallace? »
Celui-ci sursauta et leva ses grands yeux humides vers elle. Diane se mit à genoux, la gorge brusquement nouée. Voir pleurer un homme était toujours un spectacle difficile. « Ne faites pas attention à eux », commença-t-elle maladroitement au bout d'un petit temps.
« Que voulez-vous dire, miss? » répondit-il en feignant un sourire.
« Hollom. » La voix de l'adolescente était froide et réprobatrice. « Je sais ce que vous vivez alors n'essaie pas de jouer au dur devant moi. Je sais que…que vous êtes l'un des rares sur ce bateau à avoir un tant soit peu de sensibilité. » Avant de lui laisser une chance de répondre, elle ajouta. « Et c'est une grande qualité. C'est ce qui fait…que je vous apprécie énormément. »
La jeune fille décida qu'après tout, ce n'était pas vraiment un mensonge. Le brun la regarda, bouche entrouverte, avant de se frotter vigoureusement le visage. « Vous êtes comme votre père », dit-il. « Vous prétendez donner des conseils, mais en réalité vous ne faites que m'enfoncer un peu plus le poignard dans le ventre. »
« Ne me comparez pas à lui », fit-elle d'un air sombre. « J'ai en cœur ce qu'il a en autorité. »
« Dans ce cas je possède en malchance ce que vous avez en cœur… »
« Ne faites pas l'imbécile. Vous savez aussi bien que moi que cette histoire de Jonas est ridicule… » Diane parlait à présent d'une voix calme et peu assurée, consciente qu'un homme ayant le double de son âge puisse se sentir insulter de se voir ainsi critiquer par une gamine.
Hollom ne répondit rien, fermant les yeux et secouant la tête. La jeune fille inspecta rapidement le sol, qu'elle jugea convenable, et s'assit également.
« Même si cette histoire est fausse », murmura-t-il après un moment, « les marins en sont persuadés. Et je commence à me demander s'ils n'ont pas raison… »
Diane resta silencieuse, secouant légèrement sa chemise. Elle détestait la chaleur, et cette région du pôle était un véritable calvaire pour elle. « Cela passera avec le temps. »
« Je l'espère. »
Un silence lourd s'installa entre les jeunes gens, à peine interrompu par les clapotis de l'eau qui se cognait à la coque.
« Bon, je vais essayer d'aller dormir », fit l'adolescente en se levant. « Prions pour que nous ayons du vent demain. »
Hollom leva les yeux vers elle et hocha la tête. Diane ne put s'empêcher de remarquer qu'il avait un très joli sourire, ce qu'elle n'avait jamais vu auparavant. En effet, lorsqu'il souriait, cela élargissait son visage et atténuait son menton fuyant. (Ndla: regardez « hbs first look » sur le dvd bonus, Lee Ingleby est cra-quant!!)
Elle redescendit rapidement l'échelle afin d'aller changer de linge. Le sang ne coulait déjà presque plus mais elle préférait être rassurée. En arrivant devant les toilettes, qui n'étaient en réalité qu'une pièce constituée d'un trou entouré de murs de bois, elle vit un matelot appuyé contre la cloison, qu'elle reconnut sans peine. Il fit le salut officiel, et elle hocha la tête avec raideur.
« Occupé », expliqua-t-il.
« Je vois. »
Un ange passa. -
« Pensez-vous que nous aurons du vent, demain…lieutenant? »
« Je l'ignore, Nagel », répondit-elle en feignant l'indifférence, mais en réalité elle sentait les coins de sa bouche tressaillir en voyant le petit sourire malicieux du jeune charpentier apparaître sur son visage fin. Elle ne s'en sentait plus offensée, à force; c'était presque…un détail physique du personnage.
« Vous perdez vos bandages », remarqua-t-elle en désignant son torse.
Il baissa la tête et entreprit de les rattacher, sans se laisser démonter: « Je voulais simplement vous rendre la pareille, lieutenant ».
Diane sentit le rouge lui monter aux joues lorsqu'elle se rappela qu'il l'avait surprise quasi en petite culotte. Elle le fusilla du regard, essayant de reprendre contenance, puis elle secoua la tête. « Rha, laissez-moi faire », ordonna-t-elle finalement en attrapant les bandages, étant donné que lui-même semblait s'emmêler.
« Tournez-vous ». Elle les resserra avec douceur, effrayée à l'idée de le blesser, même si les plaies avaient déjà cicatrisé.
« Vous êtes trop bon, lieutenant. L'officier Hollom doit être heureux de l'attention que vous lui portez. »
Diane s'arrêta un instant, fronçant les sourcils. « Qu'est-ce que vous voulez dire? » Il y avait une nuance de menace dans sa voix. L'homme aux longs cheveux bruns ne répondit rien.
Diane l'attrapa par les épaules et le retourna de force. « Écoutez, je sais que vous n'êtes pas à l'origine de toute cette histoire stupide, mais vous avez tout fait pour la relayer. Et cela commence à bien faire. Vous n'avez aucun droit de persécuter cet homme, Nagel, et le harcèlement est lui aussi puni selon les lois de la mer. » Elle jeta un bref regard aux bandes qui traversaient sa poitrine, et soupira.
« Vous le défendez - »
« Bien sûr que je le défends! » Diane se sentit prise d'un désespoir furieux. Elle était la seule à tenir avec Hollom, s'opposant ainsi à la majorité des marins, mais également aux autres officiers, tels que Calamy, et même le capitaine! Pourtant, cela ne faisait qu'accroître la sympathie qu'elle avait pour le soi-disant Jonas, car en tant que femme, elle éprouvait facilement de la compassion.
« Je trouve cela trop facile de s'attaquer à quelqu'un uniquement parce que deux cents d'autres imbéciles le font aussi. »
Nagel resta silencieux, et pour une fois son expression n'était ni malicieuse ni ironique, ni même furieuse, comme il aurait du l'être. On aurait dit qu'il essayait de comprendre ce qui poussait la jeune fille à agir ainsi.
Ils se fixèrent un instant, puis Diane fléchit sous le regard de l'autre. « Je…je n'ai pas fini de tout attacher. » Il se tourna à nouveau et elle serra les dernières bandes.
« Dites-moi, lieutenant, est-ce vous le défendez par pitié ou par amour? »
La fille du capitaine leva les yeux vers la masse de cheveux châtain du jeune homme. « J'ai terminé », annonça-t-elle en faisant un nœud. Tandis que le matelot se tournait vers elle, elle ouvrit la bouche, celle-ci s'étirant en un sourire malicieux, et elle dit: « Pourquoi cette question? Seriez-vous jaloux, Nagel? »
Sans lui laisser le temps de répondre, elle se retourna et partit vers le dortoir, décidant de revenir plus tard. Elle se félicita mentalement. Pour une fois, c'était elle qui avait mouché cette insupportable petit arrogant!
----------------------------------------
