Bon le chapitre précédent a été écrit y a trois mois et c'est dur de s'y remettre...surtout après une fin pareille ! Mais bon merci Didy pour tes idées, c'est vrai que dans le domaine de la perversité tu es une reine…
Aubrey est un gros sadique enragé dans le début de ce chapitre mais cette fic est un defoulatoir envers mon propre père qui malheureusement n'a pas la virilité de Jack mais est tout aussi têtu!
Chapitre huit : Fin des négociations.
Diane se leva tellement vite qu'elle sentit ses os craquer. Elle fixa son père avec une expression à mi-chemin entre l'horreur et l'incrédulité. Elle essaya de se remémorer les derniers événements mais son esprit était encore tout ensommeillé – dieu sait si ses nuits avaient été courtes cette semaine-ci.
« Je veux une explication. » La voix de Jack Aubrey était extrêmement froide et calme, ce qui signifiait qu'il bouillonnait intérieurement d'une rage incontrôlable. Il ne parlait fort que lorsque qu'il était de bonne humeur ou que ses matelots ne parvenaient pas à l'entendre à cause du vent.
La jeune fille se sentit brusquement envahie par une grande lassitude et elle lui répondit d'une voix tout aussi calme : « J'ai besoin de partir, papa. Toi et moi c'est…enfin on ne peut plus se supporter, tu l'as bien vu. » Elle serra la mâchoire de toutes ses forces et sentit ses yeux picoter. Elle baissa les yeux.
Elle eut pour toute réponse un soupir de consternation. « Diane… »
Celle-ci releva la tête. Elle vit son père, d'habitude montagne de graisse et de muscles inébranlable, cacher son visage dans ses mains, premier signe de faiblesse qu'elle n'ait jamais vu chez lui. Durant un instant, il lui sembla qu'enfin le dialogue allait être possible et elle se rapprocha, posant sa main sur le bras de son géniteur.
Lequel la repoussa aussitôt avec un grognement d'exaspération – presque de dégoût. Diane se sentit humiliée jusqu'au plus profond d'elle –même et à nouveau une boule dans sa gorge se forma.
« Tout compte fait, je ne veux aucune explication. Tu vas te rhabiller correctement, et me suivre jusqu'au bateau. »
L'adolescente ferma les yeux, bien que consciente qu'ils étaient déjà mouillés de toute façon. Son père haïssait les gens qui pleuraient.
« Je vais t'attendre en dehors de la chambre. Je te laisse trois minutes. »
« Et quand je serais de nouveau sur cette barque, qu'est-ce que tu feras ! » explosa Diane.
« Je ne te permets pas de me tutoyer. Et lorsque tu seras de retour sur le Surprise, je t'enfermerai dans ma chambre jusqu'à ce que nous arrivions à Londres où je t'emmènerai à l'amiral Rickman, point à la ligne. »
« Mais papa...merde ! » gémit la jeune fille avec désespoir, se demandant si son père allait un jour finir par l'écouter. « Je n'en veux pas de ton amiral, je ne veux pas me marier et je ne veux surtout pas aller à Londres… » Elle renifla bruyamment, se forçant à articuler, mais la
boule de sa gorge et ses larmes l'empêchaient de s'exprimer correctement.
Aubrey se rapprocha, gagnant plusieurs centimètres. Il vit les habits d'aspirant posés sur la chaise et les attrapa, les tendant à sa fille. « Je te laisse deux minutes pour t'habiller et me suivre. »
« Non. »
« Diane - »
« NON ! » s'écria-t-elle en lui envoyant les habits à la figure et en se précipitant vers la porte. Le capitaine de la Surprise fut plus rapide qu'elle et lui attrapa le bras, la forçant à lui faire face.
La jeune fille avait encore trop mal à la gorge, aussi ses cris se rapprochèrent-ils plus des vagissements du nouveau-né, mais elle se débattit de toutes ses forces – en vain. Brusquement, la tension exercée sur sa poitrine se relâcha et elle crut pendant une seconde horrible que son père avait tenté de la déshabiller, mais les lacets que Lilly avait serrés à l'extrême avait tout simplement cédé sous les effets de ses contorsions pour échapper à l'emprise de son aîné.
L'adolescente se servit de sa main gauche pour ramener l'étoffe de tissu sur ses seins, tant bien que mal mais apparemment son père ne s'en était pas rendu compte car il lui maintenait toujours aussi fort l'autre bras.
« Mais lâchez-moi-bon-dieu ! »
« Jack ? Dites-moi que je rêve ! »
Diane put se retourner car son père venait enfin de la lâcher. Elle aperçut Maturin dans l'entrée de la porte, Lilly juste derrière lui, ses épais sourcils noirs froncés en direction d'Aubrey. La jeune fille vit le regard du docteur passer sur son visage boursouflé et couvert de larmes, sa poitrine à moitié dénudée puis enfin son père. Elle pu presque entendre la conclusion affreuse qui venait de naître dans son cerveau.
« Jack, je…je n'arrive pas à croire ça. » Maturin s'était avancé, son expression exprimant le pur dégoût envers celui qui était jusqu'à peu son meilleur ami.
« Alors ne le croyez pas, docteur. Je dois parler à ma fille et cela ne vous regarde en rien. Nous allions sortir, de toute façon. Je vous laisse la chambre, à vous et votre...amie ». Il jeta un coup d'œil hostile à Lilly, qui semblait sur le point de lui sauter dessus pour lui arracher les yeux à coup de fourchettes. « Viens, mon ange », dit-elle finalement en se rapprochant de Diane.
« Je vous interdis de toucher ma fille, sale putain », dit Jack de sa voix froide et menaçante et attrapant à nouveau le bras de l'adolescente.
« Et moi je vous interdis de la toucher tout court, espèce de sale pervers vicieux ! » lui cracha-t-elle au visage.
Le visage d'Aubrey, blessé dans sa dignité, vira au rouge et Maturin dut s'interposer.
Jamais Diane ne l'avait vu aussi en colère. Elle aurait probablement du le prévenir que son père n'avait jamais eu l'intention de la toucher – mais le comportement du naturaliste la flattait.
« Dégagez-de-là, Stephen ! » gronda Jack, et comme dans beaucoup de scènes du même cas auparavant, dans les tavernes où les marins venaient dépenser leur soldes en pintes, les deux hommes se heurtèrent et finirent par s'empoigner violemment.
« Non ! » cria la jeune fille, mais c'est à peine s'ils le remarquèrent.
«Oh bon Dieu», s'affola Lilly. « Hé, là en bas ! », cria-t-elle en sortant de la chambre. « Matelots de la Surprise, venez aider ! »
Aussitôt, Davies, Bonden et Killick apparurent et entreprirent de séparer leur capitaine et le médecin de bord – qui contre toute attente étant donné leur différence physique, n'était pas le plus amoché des deux.
« Capitaine, calmez-vous, je vous en prie », le supplia Bonden.
Aubrey avait du mal à se ressaisir et toute son autorité naturelle était entièrement sapée par son comportement bestial de poivrot acharné.
« Venez, Diane », lui ordonna Maturin et l'attrapant – plus délicatement que l'autre homme – par le bras. « Mademoiselle Lilly, je vous remercie infiniment. » Ils descendirent tous les deux les escaliers puis Maturin la conduisit en dehors du pub, où elle le suivit, encore sous le choc.
Lorsque enfin Jack Aubrey fut revenu à un comportement plus humain, il se raidit, rajustant son uniforme, et dit d'une voix froide aux trois hommes autour de lui. « 150 coups de fouets à chacun dès que le bateau prend la mer. » Il sortit rapidement de la pièce sous le regard haineux de Lilly, et celui de Bonden, consterné. Killick, quant à lui, fixait la porte d'un air idiot. En 10 ans de loyaux services en tant que cuisinier, jamais il n'avait eu un seul blâme.
« Que le capitaine, il a sacrément abusé sur le whisky, ce soir », grogna-t-il. (Sisi Killick il cause comme ça dans les livres et le film!)
« Espère, mon frère », ajouta Davies en croisant les doigts.
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« Bonsoir, serait-il possible d'avoir une chambre avec deux lits ? »
« Je suis sincèrement désolé, gentleman, je n'en ai plus qu'une avec un seul lit. »
« C'est bon, je la prends. Je n'ai pas besoin de dormir, de toute façon », ajouta Stephen en fouillant dans sa bourse. Il paya l'aubergiste puis le suivit jusque dans la petite chambre douillette, où il entra, suivi de Diane, silencieuse.
« Ici vous serez en sécurité », lui dit-il avant de s'avancer vers l'armoire du fond de la pièce. La jeune fille s'allongea sur le lit, fermant les yeux. Elle avait envie de dormir. Pas réellement par besoin physique, non. Elle voulait se réveiller et réaliser que tout ceci n'avait été qu'un cauchemar. Elle fut sortit de sa douce torpeur par un bruit d'eau.
Elle se redressa et vit Maturin qui versait l'eau de la carafe dans un bassin, se frottant le front. Diane se mit de bout et s'approcha. « Oh mon dieu », murmura-t-elle en voyant l'immense ecchymose qui s'étendait sur la tempe du médecin.
Le docteur eut un petit rire. « Ce n'est rien, comparé à ce que Jack serait capable de faire au mieux de sa forme. » Son sourire s'effaça aussi vite. Il observa son bleu dans le miroir accroché au mur, le frottant doucement. « Diane, soyez un ange, pourriez-vous me donnez le petite bouteille qui se trouve dans la poche droite de mon manteau s'il vous plait ? »
La blonde s'approcha du manteau posé sur la chaise et en sortit une petite fiole qu'elle vint apporter au naturaliste. « Du laudanum ? »
« Hm. »
« Vous en transportez toujours sur vous ? Au cas où vous devriez opérez quelqu'un ? »
Maturin la fixa avec un regard étrange mais ne répondit rien. Il avala une longue gorgée de sa mixture puis vint la remettre dans la poche interne de sa veste.
« Merci, au fait », déclara Diane après un moment, pour dissiper le silence gênant qui s'était installé entre eux – gênant pour elle, jamais pour Maturin. Celui-ci lui fit signe de s'approcher et lui indiqua de s'asseoir sur le lit. Il prit une chaise et s'assit à côté d'elle, avant de se détourner brusquement.
« Oh, désolée », bafouilla la jeune fille en remontant son corset. « J'ai oublié de prendre mon uniforme. » Elle enleva la couverture du lit et s'emmitoufla dedans.
« Bien », fit Maturin en se retournant vers elle. « Maintenant, Diane, dites-moi ce qui s'est passé exactement. »
Un silence.
« Diane, je peux vous aider mais - »
« Bon dieu, vous avez toujours réponse à tout… » murmura-t-elle avec rancœur. Puis, à voix haute : « Docteur, il ne s'est rien passé, j'ai juste eu une petite dispute avec mon père parce qu'il veut me marier à un vieil édenté que je n'ai jamais vu. »
Maturin fronça les sourcils, semblant chercher ses mots. « Lorsque je suis entré, Jack vous tenait par les bras et vous étiez à moitié déshabillée. »
Il plongea ses yeux pâles, reptiliens, dans ceux de la jeune fille. Celle-ci prit enfin conscience de ce que tout cela signifiait réellement. « Ce n'est pas ce que vous croyez…je vous le jure ! »
L'expression dure, peu convaincue du médecin l'horrifia. Elle se précipita à ses pieds : « Je vous jure, docteur, mon corset a lâché parce que j'ai perdu le contrôle de moi-même et je me suis débattue, et mon père a voulu me calmer mais jamais il ne m'aurait touchée ! »
L'homme fixa les mains qu'elle avait posées sur ses cuisses, s'y cramponnant presque, et finit par secouer la tête. « Je vais donc devoir vous croire, mon cher lieutenant. De toute façon, même en mettant de côté mon amitié pour lui, je dois admettre que Jack n'est pas ce genre d'homme. Et il vous aime, peu importe ce qu'il a pu vous dire sous le coup de la colère. »
Il leva les yeux vers ceux de l'adolescente et se permit un petit sourire confiant. « Je lui parlerai », dit-il avec gentillesse. « Enfin, pas tout de suite. Quand il sera calmé. »
« Merci », murmura-t-elle sans trop y croire.
« A présent, Diane, je crois que vous pouvez me lâcher. »
« Oh…excusez-moi ! » Elle retira rapidement ses mains et regrimpa sur son lit, se retenant de jurer en s'apercevant que durant sa plaidoirie passionnée, son corset avait glissé jusqu'à atteindre des profondeurs abyssales. Doublement rouge de honte – complexée comme on peut l'être à son âge – elle se glissa dans le lit, tandis que Maturin déplaçait sa chaise vers le bureau et diminuait la lanterne.
La jeune fille ne fut pas longue à s'endormir.
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« Hé, matelot, tu vas la bouger ta carcasse flottante ! »
« Va donc lécher le cul de Bonaparte, fils de pute ! »
« Monsieur Hollar, prenez le nom de cet homme », ordonna Pullings au bosco en désignant le marin qui venait d'insulter le pécheur américain qui longeait les flancs de la Surprise. Même s'il s'agissait d'une période de trêve, les Anglais et les Américains n'étaient pas capables de se supporter et les marins qui étaient revenus de leur permission avec le crâne ouvert par des débris de bouteilles étaient nombreux. Malheureusement pour eux, ils avaient du attendre car le médecin n'était pas apparu de la nuit.
« Allons, Tom, laissez passer pour une fois », suggéra Jack Aubrey en arrivant en haut de l'échelle menant au pont. Il paraissait de bonne humeur et les matelots présents saluèrent, peu rassurés – en tout cas, il était en meilleur état que lorsqu'il était rentré cette nuit, dans une humeur furibonde selon les rares personnes à être restées sur le bateau.
La silhouette dégingandée du docteur Maturin apparut à sa suite et les deux hommes se dirigèrent vers le gaillard d'arrière. Au début, les marins qui travaillaient sur le pont n'osèrent s'approcher, mais lorsqu'ils virent que leur capitaine était réellement de meilleure disposition, ils consentirent à venir laver le pont jusque près du gouvernail.
« Je suis ravi que nous ayons eu cette discussion, Jack. »
« Et moi donc, Stephen. Même si elle m'a fait manqué le petit déjeuner. Désirez-vous manger avec moi ? Il y a une petite auberge qui sert un bacon délicieux juste en face du port. »
« Non, je vous remercie. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais aller chercher votre fille. Elle dormait encore quand je me suis réveillé et je lui ai laissé un mot lui indiquant de ne pas bouger. »
Le naturaliste vit les sourcils de son ami se froncer et il supposa que celui-ci se demandait s'ils avaient dormi ensemble. Mais apparemment, ce n'était pas ça qui le tracassait. « Stephen…vous lui expliquerez tout ça pour moi, n'est-ce pas ? Je ne suis pas très à l'aise avec ce genre de choses. »
« Bien sûr. » Le docteur lui sourit, conscient qu'il valait mieux ne pas aborder un tel sujet au beau milieu d'un groupe de matelots. Leur capitaine devait rester l'homme infaillible et omniscient qui mènerait leur navire vers la victoire.
« Et encore désolé pour votre…enfin. » Jack désigna la belle ecchymose violette sur le visage de Maturin, qui fit signe que ça n'était rien, juste avant d'essayer de passer par-dessus bord pour atteindre l'échelle. Aussitôt, cinq matelots se précipitèrent pour aider ce véritable terrien qui n'était toujours pas capable d'avoir le moindre équilibre sur un bateau – même au port – et ce depuis dix ans !
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Diane finit sa toilette et renfila sa robe, qu'elle essaya de renfermer pendant dix bonnes minutes avant de s'avouer vaincue. Elle s'assit en soupirant et regarda le petit bout de papier que lui avait laissé Maturin de son écriture mince et serrée.
Diane,
Je vais essayer d'aller parler avec votre père. Ne sortez surtout pas d'ici.
Je reviendrai vous chercher avant midi.
S. Maturin.
Tellement chaleureux…Elle regarda dehors. Le soleil brillait, mais il ne devait pas être plus de dix heures du matin. Un gargouillement confirma l'heure. Ne sachant pas si le docteur parlait de la chambre ou de l'hôtel dans son message, elle ouvrit la fenêtre et attrapa une pomme accrochée à une des branches de l'arbre planté juste à côté de sa chambre.
Quelqu'un frappa à sa porte. « Enfrez », lâcha-t-elle en s'étouffant presque aussi vite. La tête de Maturin apparut puis il entra dans la pièce, l'air neutre. Diane avala rapidement son morceau de pomme, se mettant intérieurement à paniquer. Elle se rapprocha de l'homme à lunettes.
« Il n'a pas voulu vous écouter. »
Le docteur la regarda un moment puis sembla comprendre. « Oh, votre père. Si. Si, nous avons eu une longue discussion et il est disposé à vous reprendre. » Pourtant, il gardait une expression sombre. La jeune fille s'avança encore un peu, le cœur battant la chamade.
« Bien sûr que c'est ce qu'il veut. Mais…je dois encore épouser ce vieil homme ? »
« Non, Diane. Je lui ai parlé, je lui ai dit que votre jeune âge ne signifiait pas que vous étiez incapable de prendre des décisions. » Il se permit un léger sourire, de peu de poids comparé au ravissement sur le visage de l'adolescente. « Donc je peux rester sur la Surprise ? Comme aspirant lieutenant je veux dire ? »
Le sourire du docteur d'élargit malgré lui mais il n'eut pas le temps de répondre. Il rattrapa tant bien que mal la fille de son vieil ami, qui s'était jetée dans ses bras en riant. Maturin fut extrêmement mal à l'aise, de un parce qu'il n'était pas habitué aux effusions de joie, lui-même étant assez réservé, de deux parce que la dernière femme qu'il ait tenu dans ses bras était Diana, sa propre épouse, il y a un peu plus de deux ans lorsqu'ils pouvaient encore prétendre à une certaine attirance mutuelle – encore que la jeune femme n'ait jamais eu pour lui qu'une profonde affection.
Diane se recula, rougissante mais heureuse. « On retourne au bateau tout de suite ? » demanda-t-elle, soudainement angoissée. Elle avait encore peur de la réaction de son père, évidemment.
« Et bien, je suggère que vous alliez jusqu'à votre auberge récupérer votre uniforme. Bonden vous accompagnera, il est venu avec moi jusqu'ici. Pour ma part, je dois aller acheter deux trois médicaments qui me font défaut. » Ca, c'était la couverture officielle. En réalité, le naturaliste avait rendez-vous avec l'un des membres du réseau d'espionnage anglais implanté aux USA – étant lui-même un agent secret.
« Je vous ai apporté ceci, au fait », dit-il en lui tendant un châle. « Pour votre robe. »
« Merci, » fit la jeune fille avec reconnaissance. « Mais ce n'est pas à moi. »
« Non, je vous l'ai acheté », dit Maturin du ton le plus naturel du monde. « Bien, je vais devoir y aller. J'ai déjà réglé la note, et Bonden vous attend en bas. » Il salua brièvement, l'air préoccupé, puis sortir rapidement de la pièce. Diane posa un instant sa pomme, pour poser le châle sur ses épaules afin de cacher sa poitrine. Dommage, elle aurait peut-être pu demander au médecin de l'aider à fermer son corset…
Elle chassa rapidement ces pensées de sa tête, ressentant brusquement une sensation étrange dans le ventre. Ce n'était vraiment pas le moment de penser à ça…et Maturin, en plus! Il y avait quand même des hommes bien plus attirants…
Comme celui qui l'accueillit en bas des escaliers en souriant. « Bonjour, miss », fit Bonden en retirant son chapeau. Diane se sentit rougir et lui rendit son salut en bafouillant. Apparemment, il ne lui tenait pas rigueur pour la scène qu'elle lui avait faite hier soir. D'ailleurs, à l'instant même où ils sortaient de l'auberge, tout lui revint en mémoire et elle se retint de ne pas s'enfuir à toute vitesse.
« Il faudra se dépêcher, miss. Votre père a eu des nouvelles du Fantôme par un bateau qui est arrivé très tôt ce matin au port, et il a décidé que nous appareillions juste après le dîner. »
Diane se contenta de hocher la tête, incapable de trouver une réponse appropriée. Elle était plutôt concentrée sur l'homme à côté d'elle. Le soleil, la perspective de retrouver la Surprise sans être obligée de marier un vieux pervers, et surtout, se réconcilier avec son père, tout cela le mettait de bonne humeur. En fait, ses soucis disparus, elle se sentait presque...frivole.
Malgré sa gêne, il lui vint à l'esprit de demander à Bonden s'il se rappelait leur baiser de cette nuit, mais étant donné que cela avait été un ordre officiel, l'acte en question n'avait peut-être pas été aussi plaisant pour lui que pour elle.
Ils arrivèrent enfin à l'hôtel où Bonden prit une pinte en attendant la jeune fille. Celle-ci demanda où était Lilly et on lui dit qu'elle était dans sa chambre. Elle grimpa les marches quatre à quatre et frappa timidement à la porte.
"Bonjour mon coeur", s'exclama la Mexicaine. "Comment ça va depuis hier soir?"
"Ca ne pourrait pas aller mieux", répondit l'adolescente avec une expression de joie qui convainquit la prostituée. "Je suis venue vous rapporter votre robe."
"Oui, et surtout reprendre tes vilaines frusques d'homme, hein? Tiens, je les ai données à laver ce matin à la première heure. Elles sont peut-être encore un peu humides."
Le temps que Diane se change, elle et sa nouvelle amie discutèrent comme s'il elles se connaissaient depuis des années, et lorsque la fille du capitaine voulut expliquer la situation de la veille, la brune lui apprit que le docteur était passé ce matin mettre les choses au clair.
"Un homme extrêmement plaisant, je dois dire. Certes pas très agréable à l'oeil, mais d'une gentillesse incomparable. Et bien souvent, c'est suffisant pour conquérir le coeur d'une femme", ajouta la Mexicaine avec un sourire affectueux. Pourtant, l'adolescente eut comme l'impression qu'elle songeait à Mowett.
"Voilà, je vais y aller. Mon père a décidé qu'on partait plus tôt, pour retrouver leur "fantôme", comme les hommes l'appellent."
Son aînée eut pour toute réponse un clin d'oeil. "En tout cas, je suis contente de t'avoir rencontrée et de t'avoir aidée à réviser ton jugement sur les filles de joie."
L'adolescente haussa les épaules, un peu embrassée. Elle le fut encore plus lorsque la Mexicaine l'attira à elle et la serra très fort dans ses bras. Bon dieu, Maturin n'avait quand même pas du se sentir aussi gêné que ça...C'est pas vrai, elle avait vraiment pris Maturin dans ses bras! Elle qui avait toujours vécu sur des bateaux ou les seules marques de sympathie tolérées étaient les gentilles petites tapes dans le dos qui vous laissaient des bleus pendant une semaine au moins...
A sa grande surprise, elle aperçut des larmes perler au coin des yeux de l'autre. Lilly lui sourit à nouveau. "Je te souhaite bonne chance, ma grande. Bon, moi je vais préparer mes affaires puis je pars chez ma soeur pour la journée. La prochaine fois que tu viens en Amérique, fais-le moi savoir."
Elles se saluèrent encore puis Diane descendit finalement les escaliers, heureuse et physiquement soulagée d'avoir retrouvé son uniforme raide et large. D'autant plus qu'il sentait bon la lavande à présent, même si, comme l'avait prédit son amie, il était encore un peu humide par endroit. Arrivée en bas des escaliers, elle se figea.
Roberts. En train de draguer Bonden, y avait pas d'autre mot possible. Penchée sur la table, exhibant le peu de poitrine qu'elle avait. A nouveau, Diane se sentit bouillir de rage, sa bonne humeur totalement envolée. Elle ne se reposait jamais, cette pute-là?
A ce moment, Barret se leva, ôtant son chapeau. Il prit une expression dure que la jeune fille n'avait jamais vu sur son visage si sympathique et chaleureux. "Dans la marine, miss, il nous arrive aussi de tromper l'ennemi, c'est d'ailleurs une coutume navale. Néanmoins, les deux camps connaissent les règles, aussi n'y a-t-il rien de déloyal là-dedans. Ce que vous avez fait hier soir à notre capitaine et au lieutenant Aubrey ne porte pas de nom et est indigne d'une femme qui se respecte. D'ailleurs, si vous étiez un homme, je ne me serais vu dans l'obligation de vous affronter en duel pour venger l'honneur de mon capitaine. Sur ce, miss, je vous souhaite une bonne journée."
Il lança un rapide regard à Diane, qui le suivit hors de l'auberge, lançant un regard victorieux et arrogant à Kelly, qui semblait avoir avalé une casserole pleine de vinaigre périmé. Alors comme ça c'était la faute de cette grognasse, hein? Ca ne l'étonnait pas...
"Bonden?" lança-t-elle à l'homme pour qu'il l'attende. Mais il patientait sagement au pied de la porte. Après tout, maintenant que la jeune fille portait à nouveau son uniforme, elle redevenait aspirant lieutenant, et par conséquent son supérieur hiérarchique. Elle espéra seulement que leur baiser de la veille n'était pas aussi dans sa mémoire que dans la sienne. Elle se rappelait encore ses lèvres si douces et...
"Savez-vous où se trouve le bateau? Je ne reconnais plus l'endroit", dit-elle d'une voix qui avait presque instinctivement retrouvé la juste note d'autorité.
"Oui, lieutenant, par ici", fit-il en portant sa main à son chapeau. Dieu du ciel, tout ces rituels, auxquels elle avait été habituée durant des années, semblaient aujourd'hui étranges. Tout redeviendrait probablement normal dès qu'elle serait à nouveau en mer.
"Bonjour, miss!" Diane se retourna vers l'homme qui venait de l'interpeller. Il se trouvait sur le ponton d'un bateau de taille moyenne amarré au quai. Un matelot, même pas de première classe à en juger par ses habits. La jeune fille salua son manque de respect par un regard glacial. "Vous devriez faire attention, si vous allez à un bal habillée comme ça; il vaudrait mieux enfiler un uniforme de la marine américaine."
L'adolescente allait lui répondre que de un, elle n'allait pas à un bal masqué, et de deux, elle était plus que fière d'être anglaise, lorsque plusieurs choses attirèrent son attention. Il semblait y avoir beaucoup de remue-ménage sur les quais et le bateau en face d'elle n'était pas là hier soir; il avait du arriver durant la nuit ou ce matin.
"Eloignez-vous et n'intervenez pas", ordonna-t-elle à Bonden, à voix basse. Puis, prenant une voix de ravissante idiote, elle se tourna vers le matelot américain. "Ceci n'est pas un de vos uniformes? Je l'ai loué assez cher, pourtant."
"Oh que non, mam'zelle", fit le marin en se rapprochant, voyant qu'une occasion se présentait peut-être. "Ca c'est un uniforme anglais, dieu vous bénisse."
"Oh, ce n'est que ça. J'ai cru que c'était un habit français ou d'un autre pays ennemi", répliqua-t-elle avec l'un de ces rires idiots et faussement flatteurs que les femmes de la haute société appréciaient tant.
"Et bien c'est le cas, mam'zelle, depuis cinq jours au moins. Notre navire a croisé des Espagnols la semaine dernière qui nous ont appris que les USA et l'Angleterre étaient à nouveau en guerre. Ils ont coulé un de nos bateaux de marchandises il y a de cela quelques semaines, sans aucune sommation. On ne peut pas dire que le trêve aura duré bien longtemps. Ca ne m'étonne pas d'eux, ces bâtards de fourbes et -oh, 'scusez-moi, m'dame."
"Ce n'est rien", répondit-elle avec un sourire néanmoins crispé. "Je l'ignorais. Et bien je vais aller changer d'uniforme dans ce cas."
"Vous partez déjà? Vous ne souhaitez pas visiter le navire? Normalement c'est interdit, mais pour vos beaux yeux je peux faire une exception -"
"Non, non je vous remercie." Elle jeta un coup d'oeil à Bonden, mais il n'avait pas entendu la conversation et comprit mal son message et se rapprocha d'elle en portant la main à son chapeau. Diane paniqua et voulut lui faire signe de s'éloigner. Il le comprit mais c'était trop tard. La jeune fille se retourna brièvement, et aperçut la matelot américain qui observait le timonier en fronçant des sourcils. En effet, celui-ci, avec son foulard et ses habits, avait tout de l'homme de mer. Dieu merci, il n'avait pas cette longue tresse de cheveux typique des marins anglais.
Diane hâta le pas puis décida que c'était trop tard, de toute façon. Elle se rapprocha de Bonden. "Accélérez, mais n'ayez pas l'air trop pressé. Où est la Surprise?"
"A peu près à deux cent mètres, lieutenant."
"Shh, ne m'appelez pas comme ça, de grâce." La jeune fille le vit froncer les sourcils et elle sut qu'il avait deviné. "L'Amérique et l'Angleterre sont officiellement en guerre. La trêve est rompue. J'espère seulement que le bateau est toujours là", ajouta-t-elle, plus pour elle-même. Et intérieurement, que tous les matelots qui étaient en permission - ainsi que Maturin - aient eu le temps de remonter à bord.
"Elle est toujours là!" s'exclama Bonden avec soulagement. Sa voisine en ressentit autant et ralentit la cadence pour ne pas éveiller les soupçons. A ce moment-là, une dizaine d'hommes à cheval apparut sur les quais et entourèrent le ponton de la Surprise. L'Ecossais attrapa la jeune fille et la força à se cacher sous le portique d'un marchand de fruits.
"Sur ordre du gouvernement Américain, vous et vos hommes êtes en état d'arrestation. Toute résistance, insultes ou refus d'obtempérer docilement pourra être retenu envers vous et conduire à la peine de mort sans jugement."
"Balivernes!" gronda Jack Aubrey de sa passerelle, sa grosse voix résonnant dans tout le port. "Je suis venu ici en période de trêve, et selon les lois de la mer j'ai plus que le droit -"
"Capitaine, vos lois de la mer, comme vous dites, n'ont aucune valeur à terre", l'interrompit le cavalier moustachu qui avait parlé.
"Bon dieu, ceci est insensé! J'ai encore des hommes à terre, et j'exige que vous les laissiez monter à bord. Une fois que je serai parti de ce port, vous aurez tout à fait le droit de me poursuivre si cela vous chante, mais ce que vous faites ici s'appelle de la traîtrise envers les us et coutumes navals, monsieur!"
Le capitaine de la Surprise, surplombant son assemblée de plusieurs mètres, était véritablement impressionnant dans son uniforme éclatant sur lequel le soleil se reflétait avec intensité. Pourtant, lorsque le cavalier annonça que s'il ne coopérait pas maintenant, il allait être obligé de faire monter la milice à bord, il partit vers l'arrière du navire.
Diane observa les voiles se lever et son coeur se mit à accélérer à toute vitesse. Ils allaient prendre la mer! L'officier moustachu sortit son mousquet et faucha un matelot qui se trouvait à l'avant du navire, mais les ordres d'Aubrey avait déjà été donnés; à peine la Surprise avait-elle viré d'un huitième de cercle que plusieurs canons se tournèrent vers les cavaliers debout sur le port et leur envoyèrent une bonne doses de mitraille dans la figure, les forçant à reculer - pour ceux qui étaient encore vivants.
L'adolescente aperçut Pullings grimper lestement vers l'avant du pont, une hache à la main, et commencer à couper la grosse corde qui reliait encore le navire au quai. A peine y fut-il parvenu que l'un des officiers, qui avait rechargé son mousquet, le pointa vers lui. Le lieutenant s'écroula.
Diane sentit Bonden s'agiter, à côté d'elle. Elle devina son sentiment de rage et de désespoir, car c'était également le sien. Elle observa le navire s'éloigner lentement, ses canons tirant toujours à intervalles irréguliers, les officiers encore debout sur le quai les insultant de toutes leurs forces. Plusieurs d'entre eux se firent piétiner par un cheval fou qui s'était fait arracher une bonne partie du visage par de la mitraille.
"Mais qu'est-ce qu'on va faire...", murmura-t-elle, incapable de détacher les yeux de la scène.
"Ne vous inquiétez pas, lieutenant, on va s'en sortir", essaya de la rassurer Bonden.
Diane le fixa intensément, la respiration haletante. "Mais vous ne comprenez pas -avant cela, nous aurions été de simples prisonniers de guerre, jusqu'à ce que celle-ci se termine. Mais à présent que nous appartenons à l'équipage d'un bateau qui a refusé de se rendre - ils nous pendront s'ils nous trouvent."
