Troisième fin

Duo regardait le plafond détestablement blanc, uni, sans aucune nuance. Qu'y avait-il de moins vivant ? Ce plafond, il le regardait depuis plus de dix jours. Attaché aux montants du lit, il n'était pas sortit de la chambre depuis plus de dix jours.

Il regarda son bras gauche, la longue estafilade qui serpentait de son poignet à son coude, les marques laissées par les points de suture et sa peau encore jaunâtre à cause de la bétadine. Son bras droit était douloureux, piqués par des perfusions : une pour l'hydrater, puisqu'il refusait de boire, une pour lui injecter des substituts alimentaires, puisqu'il refusait de manger.

Les bleus avaient disparus, les traces de griffures et de lacération commençaient à s'effacer, à la grande joie de ses amis qui disaient que les marques extérieures de son désespoir fileraient avec le temps. Mais les marques intérieures ? Celles qui étaient imprimées sur son cœur et son âme disparaîtraient-elles un jour ?

Il vit soudain le plafond se griser et prendre des nuances de blanc et de noir. Des gouttes d'eau s'écrasaient sur son visage. Ses cheveux collaient à sa peau. Les épaules affaissées, il ne portait aucune attention à ses amis, venus le soutenir et apporter leurs condoléances.

La pluie cessa d'un coup. Heero s'était approché, l'abritant sous son parapluie noir. Le Japonais jeta un coup d'œil à son ami, n'arrivant plus à discerner les perles d'eau salées, des gouttes doucereuses du ciel. Il prit sa main dans la sienne. Duo s'agenouilla pour poser une rose blanche sur la tombe. Son cœur ne put s'empêcher de rater un battement lorsque ses yeux tombèrent sur le nom gravé dans le marbre : Damian Hornig.

Il serra un peu plus la main de Heero, seul lien avec la réalité. Il était attiré vers cette terre fraîchement retournée, imbibée d'eau. IL était sous cette terre. Duo savait que lui aussi était enterré aujourd'hui, qu'il était recouvert d'un voile sombre. La lumière avait abandonnée son cœur. Il se releva lentement, s'éloignant de la mort. Tout était silencieux, chacun attendait qu'il fasse ses adieux. Il ne sentait plus le froid, la pluie qui coulait le long de ses tempes, qui trempait qui son costume noir.

Au bout d'une heure, Heero et Quatre l'encadrèrent : il était temps de partir et Duo le savait. Ses lèvres avaient bleui et ils tremblaient de tout son corps. Il s'était agenouillé une dernière fois pour apposer ses lèvres sur la marbre blanc, puis sans un mot s'était retourné et marcha en direction de sa moto sous le regard de ses amis. État-il raisonnable qu'il rentre seul sous cette pluie ? Wufeï fit quelques pas en sa direction pour l'en empêcher.

Duo ne se rappelle alors que de l'odeur de l'herbe, son corps s'était écroulé sous lui sans qu'il ne puisse rien y faire. Damian était mort depuis trois jours, Depuis trois nuits, il restait assit dans son atelier de peinture à regarder son dernier tableau : son premier portrait. Il avait profité du sommeil de son amant pour le peindre. Il avait finit sa toile à l'hôpital. Trop absorbé par le regard bleu il n'avait pas vu filer le temps avant que l'on vienne le chercher pour l'enterrement.

Lorsqu'il s'était réveillé, il était de retour chez lui, Quatre à son chevet. Tous s'étaient réinstallés à leur ancienne planque. Ils s'étaient dis qu'il ne fallait pas le laisser seul, que leur présence changerait quelque chose. Duo avait sombré dans la dépression, allant à se faire du mal lui-même. Ils le retrouvaient parfois évanoui dans sa chambre, dans l'atelier, dans le laboratoire photo… Les médecins leur avaient proposé de l'interner dans une maison spécialisée mais ils s'y étaient refusés. Ils le regrettèrent amèrement.

Un jour Wufeï le découvrit dans l'atelier, devant le tableau de Damian, le bras ouvert sur toute sa longueur. Duo était resté deux semaines dans le coma et cela faisait dix jours qu'il ouvrait à nouveau les yeux sans qu'il puisse pour autant possible d'affirmer qu'il était à nouveau vivant. Il survivait grâce aux médicaments, à ce qu'on lui forçait à avaler. Mais rien ne pouvait le sortir de cet état. Il s'était résigné à mourir, il voulait le rejoindre dans la mort.

Aujourd'hui Heero et Wufeï étaient venus le voir. Il savait qu'ils étaient restés plus de deux heures mais il ne savait absolument de quoi ils lui avaient parlé. Il ne s'en souvenait pas, n'avait pas écouté. Il ne s'était même pas rendu compte que le médecin aussi était passé et qu'il avait ôté ses liens. Il faudrait bien les enlever un jour, avait-il dit.

Duo marchait dans les couloirs blancs de l'hôpital. Personne ne vit ce jeune homme, grand et frêle. Personne ne le vit sortir dehors et s'engouffrer dans la nuit.

Heero passa ses doigts sur son front pour écarter les mèches châtaines. Agenouillé à ses côtés, il sentait poindre des larmes. Duo ressemblait à ange qui serait tombé sur terre. Sa peau aussi blanche que le marbre. Recroquevillé sur le sol. Il était là, ni plus ni moins, il était mort. Aucune trace de blessure, de sang ou de terre ne venait souiller son corps. Il était mort de sa propre volonté, il était mort pour le rejoindre et parce que rien ne le retenait encore à la vie. Son amour l'avait achevé. Maintenant, il serait heureux à jamais avec lui. Plus rien ne pourrait jamais plus les séparer.

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