PAR DELA LE TEMPS ET L'ESPACE 6

Retour dans le passé

Faith était étendue dans l'herbe, à l'abri d'un arbre. Le pardessus de Bosco faisait office d'oreiller. On pouvait lire sur son visage stigmatisé par la chute l'épuisement et la douleur.

Dès sa perte de connaissance, Bosco et Doc, d'un commun accord, lui avaient prodigués les premiers soins sur place. Doc ne se séparant jamais d'une sacoche de secours, il avait ainsi pu refaire son attelle au bras, et nettoyer les plaies du visage et des bras. Bosco avait ainsi découvert qu'elle avait du être très amochée par la chute, et il en était encore plus admiratif du courage dont elle avait fait preuve malgré la douleur. Alors que d'autres femmes auraient gémies, pleurées, Faith ne s'était quasiment pas plainte.

Alors qu'elle se reposait et pendant que Doc rangeait son matériel, Bosco ne pouvait s'empêcher de la dévisageait. Les sentiments qu'il éprouvait en sa présence l'intriguait : de l'admiration, de l'exaspération aussi en rapport à la façon dont elle l'avait traité, et un sentiment de bien-être tout à fait nouveau pour lui. Sans même la connaître, il ne pouvait s'empêcher de vouloir la protéger. Le fait qu'elle souffre actuellement lui faisait mal au cœur. L'attention dont il avait fait preuve lorsqu'il avait aidé Doc à la soigner l'avait surpris. Il ne se souvenait pas d'avoir fait preuve d'autant de délicatesse pour qui que ce soit dans le passé. Même pas pour sa mère, tout du moins différemment.

Il avait également était surpris par le respect que Doc semblait avoir pour elle, comme il l'avait été lorsque quelques minutes plus tôt, c'était elle qui l'avait défendu. Jamais, il n'avait vu un propriétaire défendre ainsi celui qui devait être son esclave. Intrigué, il se décida à interrogé Doc.

Doc ? Je peux vous appeler ainsi ?

Doc arrêta de ranger sa sacoche et acquiesça. Il s'attendait à ce que l'homme s'interroge.

J'avoue que je suis intrigué par le comportement de Mademoiselle Faith à votre égard !

Je peux le comprendre, vous n'êtes pas de la région n'est ce pas ?

En effet.

Donc vous n'avez pas entendu parler de la famille Mitchell ?

Non, pourquoi, j'aurais dû ?

Disons que c'est une famille qui n'est pas très populaire. Leur conception de la vie et des valeurs humaines va à l'encontre de ce que pense tous les gens d'ici.

C'est à dire ?

La plantation Mitchell est la seule plantation de la région où il n'y a pas d'esclavage.

Cette révélation stupéfia Bosco. Doc s'en aperçu et se mit à sourire faiblement. Etonnamment, il sentait qu'il pouvait faire confiance à cet homme.

L'esclavage n'a jamais été accepté par la famille Mitchell. Pour eux, la valeur d'un homme se juge à son action et sa personnalité, et non à la couleur de sa peau. C'est pourquoi, toutes les personnes qui travaillent à la plantation sont libres. Nous percevons tous un salaire, nous avons des droits et des devoirs, et nous sommes respectées en tant que personne. Oh, il est vrai que lorsque l'on sort en ville, les gens nous regardent comme si nous étions de la vermine, mais nous sommes fiers de notre condition. Le respect dont fait preuve à notre égard Monsieur Mitchell est réciproque. Mademoiselle Faith n'a elle non plus jamais fait de différence. Elle nous a toujours soutenue, elle a grandie avec ma fille qu'elle semble considérer comme sa sœur. Je ne peux que lui en être reconnaissant. C'est quelqu'un de très important pour moi. Cela vous choque n'est ce pas ?

Pas dans le sens où vous semblait l'entendre.

Vraiment ?

Oui. Moi-même je ne supporte pas l'esclavage. Alors je suis agréablement surpris. Alors permettez : Doc, je suis ravi de faire votre connaissance.

Et sur cette phrase, Bosco tendit la main à Doc en souriant. Etonné qu'un homme veuille lui serrer la main, Doc resta stoïque durant quelques secondes avant de lui serrer la main en souriant.

Appelez-moi Doc Parker !

Maurice Boscorelli, mais appelez-moi Bosco. Je pense maintenant qu'il faudrait lui faire reprendre connaissance et la ramener chez elle, non ?

Oui en effet. Mademoiselle Faith ? Mademoiselle Faith ! Est ce que vous m'entendez ? Réveillez-vous !

Doucement, Doc secoua Faith qui commença à émerger lentement. La douleur qui lui vrillait les tempes lui donnait l'impression d'avoir un orchestre dans la tête. Elle ne sentait plus son bras droit, et elle avait l'impression d'avoir été traînée à terre sur plusieurs mètres tellement elle avait mal partout. Faith ouvrit les yeux pour les refermer aussitôt, la lumière étant trop forte. Tentant de prendre appui sur son bras valide pour se redresser, elle se sentit soudain soulever délicatement pour l'aider à s'asseoir.

Merci Doc. Dit-elle les yeux toujours fermés.

Remerciez plutôt Monsieur Boscorelli.

Quoi ? dit-elle en se redressant brutalement et en ouvrant les yeux.

La brutalité du mouvement lui arracha une grimace de douleur avant de se retourner partiellement pour se rendre compte qu'elle était presque dans les bras de Bosco. Les battements de son cœur se mirent soudain à accélérer. Bosco se tenait à ses cotés, un bras en travers de son dos et l'autre lui tenant le bras gauche, lui permettant ainsi de la maintenir en position assise. Troublée, elle tenta de se redresser toute seule avant de s'apercevoir qu'elle était à bout de forces.

Cessez donc de faire l'enfant gâtée, je ne vais pas vous manger, mais simplement vous aider à vous relever !

Je fais l'enfant gâtée ? Non mais pour qui vous vous prenez ! Et puis d'abord, je n'ai pas besoin de votre aide.

S'écartant de Bosco, elle se releva péniblement. Mais même Faith, aussi forte qu'elle pouvait l'être, était épuisée. Ses jambes la supportaient à peine, et la fatigue se lisait sur son visage.

Le fait de voir la surprise sur son visage lorsque Doc avait dit que c'était lui qui la tenait et le fait qu'elle refuse son aide pour se lever avait exaspéré Bosco. Décidément, cette femme était une vraie girouette ! Tantôt douce et fragile, et l'instant d'après elle se montrait méfiante et presque sarcastique. Il avait encore du chemin à faire avant de pouvoir comprendre les femmes !

Renonçant à parlementer avec elle, et voyant qu'elle était au bord du vertige, Bosco passa son bras derrière son dos et la fit basculer de manière à ce qu'elle atterrisse dans ses bras puis plaçant son autre bras au niveau de ses jambes, il la souleva de terre. Faith voulut protester.

Mais….

Je ne veux rien entendre !

Mais….

Encore un mot, et je vous fais taire ! la menaça Bosco.

Non mais….

Je vous aurai prévenue !

Reposant soudain Faith sur le sol, et sans pour autant la lacher, Bosco l'embrassa.

Prise au dépourvue, Faith ne put réagir. Mais la délicatesse de se baiser lui donna des papillons dans le ventre. Jamais elle n'avait ressentie autant d'émotions. Elle avait froid et chaud en même temps, et ellle avait l'impression de flotter dans les airs. Des frissons lui parcoururent dans tout le corps et ses jambes étaient en coton. Mais aussi soudainement qu'il avait commencé, le baiser cessa.

Bosco, par un effort surhumain, mit fin au baiser. C'était la première fois qu'il était aussi touché par un baiser. Il avait eu tellement envie de l'embrasser et saisissant par là même l'occassion de la faire taire, il avait agit sans réfléchir. Lorsque ses lèvres touchèrent celles de Faith, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Jamais il n'avait gouté à des lèvres aussi douces. Alors qu'il se sentait partir dans ce baiser, un soupçon de lucidité vint s'incruster dans son esprit et il mit fin au baiser.

Se retrouvant tous les deux face à face, les yeux dans les yeux, ils ne purent échanger une parole. Mais dans leurs yeux, on pouvait y lire une foule d'émotions. Mais Bosco mit fin à cette soudaine tension lorsqu'il reprit Faith dans ses bras pour la conduire jusqu'à son cheval. Faith, elle, ne disait rien. Trop bouleversée par le baiser, elle en avait perdu l'envie de protester.

Doc, lui, était resté près des chevaux. Il n'avait pas perdu une miette de ce qui venait de se passer. Il avait compris depuis qu'ils étaient remontés du ravin que quelque chose se passait entre ces deux là. Et secrètement, il espérait que cette fois-ci, Faith trouve enfin celui qu'elle attendait depuis si longtemps.

Lorsque Bosco mit Faith sur son cheval et qu'il se plaça derrière elle, celle-ci se raidit. Dos contre le torse de Bosco, ses bras l'entourant, Faith était mal à l'aise. Jamais elle n'avait été aussi proche d'un homme de cette manière. Et cela la troublait profondément. Ils se mirent en route sans plus tarder en direction de la plantation, Bosco et Faith en avant, Doc juste derrière. Ils n'échangèrent aucuns mots durant tout le trajet. Le silence était pesant.

Chacun était plongé dans ses pensées et revivait le baiser qui s'était déroulait quelques minutes plus tôt. Par conséquent, ils ne virent pas le cavalier qui s'avançait vers eux. Doc lui, l'avait vu. Et une bouffée de colère monta en lui. C'était à cause de lui que Mademoiselle Faith avait faillit mourir aujourd'hui. Et il n'allait pas le laisser s'approcher d'elle encore une fois ! Forçant soudain l'allure, il arriva à la hauteur du couple.

Mademoiselle Faith, Monsieur Yokas arrive droit sur nous ! Et il n'a pas l'air heureux.

Cette soudaine interruption les ramena à la réalité. Et tandis que Faith se raidissait à la mention de ce nom, Bosco fut prit de curiosité. Apparemment, Fred Yokas n'était pas très populaire. Il n'avait pas oublié la brève rencontre qui avait eu lieu quelques jours plus tôt et l'impression désagréable qu'il avait ressenti en sa présence. Maintenant, restait à savoir pourquoi Faith semblait avoir peur de lui.

Faith ne se sentait pas capable de l'affronter à nouveau. Au bord de l'épuisement, la douleur présente dans tout le corps, elle ne put retenir les faibles tremblements qui la saisir. Bosco s'en était aperçu car il la serra un peu plus contre lui comme pour la protéger. Rassurée par sa présence, mais à bout de forces, elle posa sa main sur son bras et ferma les yeux comme pour exaucer une prière.

S'il vous plait, ne vous arrêtez pas. Je vous en prie.

Troublé par cette soudaine promiscuité entre eux et par la soudaine fragilité qu'elle dégageait, Bosco ne discuta pas. Il se mit à forcer l'allure et dépassa Fred Yokas alors que celui-ci s'apprêtait à les rejoindre et les interpellait. Les deux hommes se dévisagèrent d'un regard meurtrier puis Bosco continua sa route tandis que Yokas les regardait partir au loin.

La vue de Faith ainsi dans les bras de l'homme qui l'avait humilié en public le fit enrager. Cette femme était à lui, et personne ne pouvait la toucher. Surtout pas lui. Il se promit de tout faire pour se débarrasser de l'inconnu.

Dans un état de rage, il empoigna la monture de Doc qui arrivait à sa hauteur.

Qu'est ce que fait Mitchell avec cet homme ?

Elle a eu un accident de cheval, et il est venu la secourir.

Un accident de cheval ? Alors c'est un héros, c'est ça ?

Il lui a sauvé la vie Monsieur.

Eh bien soit. Mais qu'a l'avenir, il n'approche plus ma fiancée, sinon il aura affaire à moi !

Elle n'est pas votre fiancée Monsieur.

Ne me manque pas de respect ! Elle le sera bientôt, et toi, tu redeviendras ce que tu es destiné à être : un esclave ! Je vais mettre fin à cette folie des Mitchell de libérer les nègres !

Sur ces paroles, Fred Yokas quitta Doc dans une colère noire. Parker le regarda s'éloigner sans réussir à calmer la crainte qui commençait à s'emparer de lui. Il lui faudrait prévenir Swersky Mitchell des intentions de Yokas, et surveiller discrètement Faith pour la protéger. Il se remit en route vers la plantation en se demandant ce que l'avenir lui réservait.

Un peu plus haut sur la route, à l'approche de la plantation, Faith commença à se détendre. Grâce à Bosco, elle avait évitée une confrontation pénible qui lui aurait coûtait le peu de forces qu'il lui restait.

Merci

De quoi ?

De ne pas vous être arrêté.

…..

Vous ne me demandez pas pourquoi ?

Je ne suis pas sûr que vous me répondriez.

Peut-être.

Alors ?

Quoi ?

Décidément, je ne vous comprendrez jamais ! Vous êtes une vraie girouette vous savez ? Est ce quelqu'un peut avoir une conversation normale avec vous sans en perdre le fil ?

Non mais dites donc ! C'est pas parce que vous m'avez sauvé la vie que vous pouvez me parler sur ce ton !

Tiens donc ! Vous le reconnaissez ?

Je n'ai jamais dit le contraire.

Permettez-moi d'en douter ! Je ne sais jamais sur quel pied danser avec vous.

Pourquoi ? Vous voulez danser une sérénade ? Je ne suis pas vraiment en état vous savez !

Là, Bosco ne sut plus quoi dire. Cette femme lui avait cloué le bec une deuxième fois en si peu de temps. C'était la deuxième femme qu'il rencontrait dans la région et qui avait autant de répartie. Et si ça continuait comme ça, s'en serait fini de lui. D'abord Cruz, maintenant Faith, elles mettaient à mal son orgueil de male. Le fait de penser à Cruz ne lui inspira rien : ni émotion, ni sentiments. Alors que serrer Faith contre lui comme ils l'étaient tous deux en ce moment lui procurait d'étranges sentiments. Il se sentait attiré par elle comme il ne l'avait jamais été. Et le baiser qu'ils avaient échangés un peu plus tôt semblait gravé au fer rouge sur ses lèvres.

Faith regretta d'avoir été si dure avec lui. Le fait d'être en sa présence lui faisait perdre tout contrôle. Alors que cet homme lui avait sauvé la vie, elle se montrait désagréable. Ça ne lui ressemblait pas. Pourquoi agissait-elle ainsi ? Qu'est ce qui n'allait pas chez elle ? Poussant un soupir, Faith se demandait comment elle pourrait bien se racheter une conduite. Mettre sa fierté de coté n'était décidément pas chose aisée.

Je suis désolée, je ne voulais pas paraître désagréable.

Vraiment ?

Oui. Je voulais juste vous remercier de m'avoir sauvée.

Vous avez une drôle de façon de remercier les gens !

Ouhhh ! Que cet homme l'exaspérait !

Pardonnez-moi. Dit-elle faiblement.

Bosco n'en revenait pas : elle lui présentait des excuses ! Peut-être avait-elle trop mal pour être aussi gentille soudainement. Ou alors, elle était tombée sous son charme ! Cette pensée le fit sourire. « Ca m'étonnerait beaucoup ! A mon avis, elle doit avoir un beau fiancé qui l'attend à la maison ! » Quoique.

C'est bon. De toute façon, je crois que je vous en dois aussi.

Comment ça ?

Le baiser tout à l'heure. Je n'avais aucun droit de faire ça.

Oh !

Le fait que Bosco s'excuse à propos du baiser la déçue. Cela voulait dire qu'il ne l'avait pas trouvé agréable. Bien sûre, qu'elle idiote elle était ! C'était juste pour la faire taire, rien d'autre ! Une soudaine bouffée de colère s'insinua dans son être, réveillant ainsi la douleur. Elle se mit à gémir.

Est ce que ça va ? s'inquiéta Bosco

Je crois que je ne tiendrais plus longtemps. J'ai mal partout et je ne sens plus mon bras.

Ça va s'arranger, on arrive.

En effet, ils venaient de franchir les grilles de la plantation.