A l'Aube du Dernier Jour
Un soir de décembre 1997, Godric's Hollow.
Pourquoi suis-je venu ici ? Pourquoi suis-je en train de marcher dans ce champ, mes pieds foulant l'herbe mouillée malgré moi ? Pourquoi mon souffle est-il inhabituellement précipité et difficile, pourquoi la douce brise sur ma nuque me fait frissonner plus que de coutume ? Pourquoi les battements dans ma poitrine sont si violents qu'ils pourraient m'en rompre les côtes ? Pourquoi l'air autour de moi est-il si étouffant, si opaque que je pourrais presque l'attraper à mains nues ? Quel est ce sentiment qui m'étreint le cœur, cette douleur à l'intérieur de mon corps ? Quelle émotion a le pouvoir de faire si mal ?
Je lève mes yeux verts vers le ciel d'encre, et cherche mon étoile. Celle qui me réconforterait dans mon choix, me donnerait une raison de faire ce que je fais Elle est la plus brillante de la constellation du Chien. Sirius. Mais ce matin… la nuit est aveugle.
Chaque bruissement de feuille, chaque brin d'herbe se pliant sous mes pas me parvient aux oreilles qui paraissent pourtant assourdies par le bruit d'une appréhension intérieure que je ne comprend pas.
Cet endroit m'est inconnu, et pourtant j'ai l'impression d'en connaître chaque recoin, chaque couleur composant cette fresque qui défile devant mes yeux, chaque nervure de ces arbres qui ont tant vu, chaque pierres, derniers témoins, derniers vestiges d'une époque bien révolue.
C'est comme si je réussissais à effleurer des doigts un souvenir resté trop longtemps enfoui en moi…
Je peux même apercevoir leurs visages : une magnifique jeune femme rousse qui danse au milieu des feuilles roussies par l'automne, se jouant du destin et du malheur… Les yeux noisette pétillants d'un homme aux cheveux ébène qui réussit encore à goûter à la vie et au bonheur… Et les émeraudes d'un petit enfant, ouvertes sur un monde qu'il ne demande qu'à découvrir…
Ce monde qu'il ne parvient toujours pas à saisir, et dans lequel son cœur d'enfant se meurt désormais au combat.
Peut-être étais-je venu ici par instinct, désireux de connaître un semblant de réconfort, voulant respirer le parfum de cette vie que j'aurais pu avoir, et peut-être tout simplement pour pleurer dans l'étreinte imaginaire d'une mère partie beaucoup trop tôt… pour me recueillir.
A l'Aube du dernier jour, celui qui déterminera qui du soleil ou des ténèbres règneront sur la terre, chacun était parti à la recherche de réponses. En cette funeste matinée, où le temps devenait notre pire ennemi, où l'on redoutait déjà que demain n'arrive jamais, on m'avait déclaré que mes derniers instants m'appartenaient. Pendant quelques heures, j'étais alors maître de mon destin, ma vie.
Seul avec moi-même, dans un dernier élan de courage, j'avais voulu effectuer une introspection, retourner aux racines même des mon existence pour trouver un sens à tout ce que j'avais enduré jusque là.
Apprendre du passé pour construire le futur…
La vue soudaine d'une stèle nacrée, unique source de lumière dans ce paysage de désolation, me frappe alors, et je sais que j'ai atteint ma destination. Je contemple d'un silence presque religieux la demeure éternelle de ces parents que j'ai idolâtrés durant tant d'années…
Mes doigts tremblants effleurent leurs noms gravés à jamais, mes yeux s'imprègnent de la beauté de ce cœur tracé qui les unit et les enlace pour toujours.
« Lily Evans, épouse Potter. 1951-1981. » Cette mère tjs si présente même dans sa mort, symbole pour moi de pureté, la douceur incarnée, le soleil de ces nuits de cauchemars, le goût sucré qui rendait mes pleurs moins amers, la voix dans ma tête qui m'insufflait du réconfort, ce sang qui coulait dans mes veines… Un jour, des paroles que Remus avait dites à son sujet m'avaient particulièrement touché. En plus d'être une sorcière extrêmement douée, c'était une femme merveilleusement bonne… Elle avait un don pour voir la beauté à l'intérieur des gens et les amener à la montrer. Et c'était grâce à elle que j'avais compris ce qu'était l'amour… Je savais que c'était en son sein que j'avais trouvé la force d'endurer 17 ans de vie misérable.
« James Potter. 1951-1981 » Ce père si… controversé. Ma fierté, puis ma honte.
Ce frère d'apparence et de caractère. Etant enfant, toutes les allusions à lui étaient pour moi source d'honneur. Peut-être que je me sentais inconsciemment coupable de son sacrifice. En étant comme lui, il pouvait continuer son existence à travers moi. Puis au fil des ans, j'ai grandi, j'ai mûri et je suis entré dans cette période sombre et floue où l'on revendique tout, où la figure parentale est soudain désacralisée. Tout à coup, j'ai ressenti sur mes épaules la présence écrasante de ce père tant idolâtré. J'ai voulu cesser de porter le poids d'une image qui n'existait plus, de payer pour des actes que je n'avais pas commis. J'ai voulu cesser de marcher sur les traces de mon père, et de creuser les miennes. J'ai voulu agir en adolescent, immature, provoquant et inconscient.
Je voulais oublier que j'étais déjà un homme dans le corps d'un enfant.
Mon père et ma mère… Papa et Maman. Ces mots sonnent faux, malgré la douce sensation dont ils m'emplissent. Un agréable frisson d'assouvissement, et… d'inconnu.
Y aura-t-il un jour quelqu'un pour répondre à ces deux mots si simples ? Non. Et voilà le seul regret de ma vie. On pourrait me traiter d'égoïste, m'exposer mes erreurs, les conséquences de mes actes manqués : La mort de Cédric, celle de Sirius, ou de milliers de gens dont je ne connais ni les noms ni les visages… La mort de mes parents.
Mais cette guerre, malgré ce que disait la prophétie, n'était plus un combat individuel, un face-à-face mortel. A présent, c'était avant tout deux camps paradoxaux d'idées et d'ambition qui se battraient pour leurs croyances respectives. Le Héros Solitaire ne serait là que pour faire pencher la balance. Détruire ce fragile équilibre qui porte le poids de la destinée des êtres vivants.
Dans quelques heures, la planète serait à feu et à sang, et je jouerai le futur de mes amis. Alors que venais-je faire ici ? Espérais-je oublier les douleurs d'hier ? Attendais-je que le vent me souffle comment devenir celui qu'ils attendent que je sois ? Ou voulais-je tout simplement être seul avec mes parents, comme dans mes rêves d'enfant…
Réunis pour la dernière fois dans si matinée si longue qu'on en oublie le temps.
J'attrapais dans mes doigts une touffe d'herbe et l'arrachais de ses racines. Je parcourus une nouvelle fois les ruines autour de moi, de ma vie passée, et sans prévenir, comme un coup en traître, un flot d'émotions se déversa en moi et je me surpris à trembler sous la violence du choc. J'enfouis mon visage dans mes mains, ne pouvant plus supporter ces souvenirs, ces regrets, ces pensées qui m'oppressaient le cerveau et le cœur. Ma gorge me brûlait, et mes yeux débordaient de cette eau salée trop lgtps contenue. Recroquevillé devant la tombe de mes parents, les épaules secouées de sanglots silencieux qui se muèrent bientôt en sanglots, je me mis à pleurer.
Comme un petit garçon qui aurait commis une faute et qui savait qu'il avait déçu ses parents… Je sanglotais désespérément, si fort que je doutais de pouvoir m'arrêter.
La première fois en 17 ans. Cela me faisait si mal et tellement de bien en mm tps…
Je restais ainsi de longues minutes qui me parurent des heures, puis relevais enfin la tête. Le vent semblait s'être tu, la chaleur avait disparu, laissant place à une fraîcheur réconfortante, ou peut-être une douceur chaleureuse. Aucun son ne parvenait plus à mes oreilles, et j'avais l'impression que si j'esquissais un geste, tout le paysage allait s'écrouler autour de moi.
Je posais mes yeux sur la pierre nacrée, en face de moi, et mon esprit s'éclaircit quelque peu. Je ressentis soudain un besoin vital de me justifier.
Pour la toute première fois… de leur parler.
Sassy.
http/sweetysarah.
