3. La vengeance

Après être sorti du cimetière, Riff se dirigea vers le manoir de son bien-aimé comte, fermement décidé à le venger quel qu'en soit le prix. Quelques servantes sanglotaient en silence dans un coin, d'autres vaquaient à la occupation. Sans leur prêter un regard, le majordome se dirigea à l'étage... Dans la pièce où Cain mourut dans ses bras : la chambre du comte. Fermant soigneusement la porte à clé derrière lui, Riff souffla un instant.

La petite fiole de poison extraite du sang de son jeune maître clapotait doucement dans sa poche et il la sortit de celle-ci pour l'observer à la lumière. La couleur du liquide était peu commune, un vert d'eau très clair... Avec soin, le majordome ouvrit le grand placard qui renfermait tous les poisons qu'affectionnait tant Cain et chercha un long moment...

Riff était persuadé de trouver le même poison dans l'impressionnante collection de son maître et il ne tarda pas à y arriver. Prenant avec un luxe de précaution la fiole venant du placard et celle qui contenait le poison qui avait tué son maître, Riff les positionna à côté. Ressemblance parfaite.

Tournant légèrement la fiole venant de la collection, une étiquette lui apparut sur laquelle était inscrit un nom étrange de l'écriture légèrement penchée et régulière caractéristique de Cain : Lithium Flower (1)

Il ne restait plus à Riff qu'à fouiller dans le registre que son maître tenait avec soin, répertoriant tous les poisons de sa collection, leur provenance, leurs effets et surtout... Où s'en procurer. Le Lithium Flower faisait parti apparemment des poisons rarissimes que l'on ne trouve que chez un seul marchand dans tout Londres... Edgar Orias, un apothicaire connu dans la capitale pour ses remèdes mais aussi pour être l'un des plus grands vendeurs de produits illégaux... Une grande amitié avec des personnes de hauts rangs lui permettaient de bénéficier d'une immunité et d'exercer ses fonctions sans encombre.

Refermant doucement le registre, Riff le reposa à sa place et ferma le placard sans oublier de reprendre la fiole contenant le poison qui lui vola à jamais celui qu'il aimait. Lentement, la vengeance s'insinua en lui... Les yeux vides, le majordome alla s'asseoir sur le lit du Comte. Il savait pertinemment que le comte gardait un revolver sous son oreiller par sécurité. Avec des gestes lents et prudent, Riff alla sortir l'objet de sa cachette. Le canon brillant lui apparut. Reposé entre ses mains, il observa longuement l'arme, le regard triste.

En le manipulant, il vit qu'il restait cinq balles dans celui-ci... Cela serait suffisant pour se venger... Ou pour en finir rapidement si ses nerfs ne sont pas assez forts. La taille parfaite pour se tirer une balle dans la tête... (2) Cachant l'arme dans la poche intérieure de sa veste au niveau du cœur, Riff sortit de la chambre puis du manoir, sous le regard interloqué de quelques servantes.

Mais tout cela n'avait plus d'importance, son esprit était entièrement accaparé par la vengeance...

Vengeance, Vengeance, Vengeance...

Après une marche de quelques minutes dans les quartiers de Londres, Riff arriva devant la fameuse boutique de l'apothicaire... Il commençait à faire nuit mais peu importait. Frappant bruyamment à la porte de l'établissement, il attendit une réponse... Qui arriva quelques secondes plus tard.

« La boutique est fermée » marmonna une voix à l'intérieur, visiblement embêtée d'être dérangée à une heure si tardive.

« Ce que je cherche n'est pas forcément très... Légal » répondit posément... « J'ai de quoi payer » rajouta-t-il pour attirer l'esprit quelque peu vénal du marchand.

La réponse ne se fit pas attendre, le bruit d'une clé tournant dans une serrure se fit entendre et Riff fut accueilli par un homme d'un âge respectable aux cheveux châtains légèrement grisonnants sur les tempes. Ses habits montraient qu'il ne faisait pas parti de la société de bas étage et quelques bagues de grandes valeurs ornaient ses doigts fins souffrant de signes visibles de veillesse... Laissant entrer le jeune homme, l'apothicaire referma la porte derrière lui, affichant un grand sourire.

« Que vous faut-il cher client ? » demanda-t-il d'une voix très –trop- accueillante... Riff sortit la fiole de sa poche et la mit sous le nez du marchand.

« Un renseignement... Avez-vous récemment vendu du Lithium Flower à quelqu'un ?... » murmura le jeune homme aux yeux azurés, fixant l'apothicaire. Celui-ci observa le liquide un court instant

« Je suis désolé mais je ne dévoile jamais l'identité de mes clients. Je suis tenu au 'Secret Professionnel' voyez-vous... » répliqua-t-il une mine désolée. La colère bouillonna alors en Riff et il sortit lentement le revolver de sa cachette.

Pointant le canon sur le front du marchand, Riff souffla doucement d'une voix où la colère et l'agacement transparaissaient nettement.

« Secret Professionnel où non, je désire savoir à qui vous avez vendu ceci récemment. Ce poison m'a enlevé un être cher... Je ferais n'importe quoi pour avoir ma vengeance. Si vous tenez tant que cela au silence, je vous y condamnerai pour toujours »

Les jambes du vieil homme flageolaient alors que ses yeux étaient fixés sur le tube de fer brillant et froid qui menaçait son front. Des sueurs froides gouttaient dans son dos lorsqu'il comprit dans le regard bleu ciel du jeune homme que celui-ci ne blaguait pas. Ravalant difficilement sa salive, il prononça doucement en tremblant de peur.

« Un jeune homme est venu récemment en acheter. Il... Il a payé un très bon prix. C'était un aristocrate, Lord... Lord Ian Durclay. Mais je doute qu'il ait pu... »

« C'est tout ?... » demanda Riff menaçant...

« Non ! Un... Un autre est venu... Un docteur ! Il avait les cheveux longs et blancs. Un client régulier, Disraeli. »

L'esprit du majordome s'illumina alors... Ce Jézabel, ce ne pouvait que venir de lui. Satisfait des réponses du vieil apothicaire, il détacha lentement le canon de l'arme du front de celui-ci. Le rangeant à sa place, il se dirigea vers la porte. Le vieil homme soupira doucement.

Riff prit alors la clé qui fermait la porte principale et sortit en fermant la porte derrière lui. Passant derrière le bâtiment grâce à une petite rue sale et étroite, le majordome trouva une torche qui éclairait faiblement le passage. Attrapant l'objet, il mit le feu aux bases de la boutique qui se transforma rapidement en brasier ardent. Une petite foule, contenant Riff, se massa devant le bâtiment en feu. Ouvrant sa paume gauche, la clé du magasin apparut.

« Quel malheur... » souffla-t-il doucement en tournant sa main de manière à ce que l'objet tombe.

Il disparut ensuite dans les ruelles afin de rejoindre sa prochaine cible... Jezabel Dirsraeli... Riff était persuadé de l'avoir vu à l'enterrement du Comte. Même masqué par une large capuchede couleur sombre, il l'avait reconnu. Ce visage angélique encadré par des cheveux blancs légèrement ondulés, les yeux vides trahissant sa véritable nature.

Le majordome marcha dans les rues de Londres et se dirigea vers le cimetière. Il lui avait vaguement semblé que cette silhouette n'avait pas quitté cet endroit... Du moins, Riff l'espérait avec ardeur...

-- Au cimetière –

Jezabel avait assisté à toute la cérémonie et devait être le seul à être resté aussi longtemps dans le cimetière... Plus longtemps même que ce majordome à qui son petit frère faisait tellement confiance. Lorsque tous les invités s'étaient éclipsés et que le silence revint, le médecin était sorti de sa cachette. S'approchant lentement, il alla se placer juste en face du bloc de granite taillé qui indiquait où se cachait le corps du Comte Hargreaves.

Ses yeux se fixèrent sur la tombe et une brise vint caresser son visage pâle. D'un coup, la rafale s'intensifia et enleva la capuche qui le cachait. Cependant, il ne cilla pas et resta sans bouger. Un large sourire s'afficha néanmoins sur son visage mais aucune joie n'y transparaissait. C'était un sourire triste. Peut-être qu'il tenait au final à Cain... L'aimait-il comme il aurait toujours du ? Ou était-ce la tristesse d'avoir perdu son seul et unique rival qui l'affectait ?

Il n'eut pas le temps d'y réfléchir bien longtemps. Une présence s'insinua derrière lui sans bruit, une aura de vengeance l'entourant. Pas besoin d'être surdoué pour comprendre qui cela pouvait être. Soupirant doucement, Jezabel ne bougea pas. Même lorsqu'il sentit le canon d'une arme quelconque se pointer dans son dos au niveau de la colonne vertébrale.

« Je savais que vous étiez venu... » commença Riff d'un ton très peu accueillant

« Il était mon frère... Je ne pouvais pas ne pas y être. Quoique certains ne pensent comme moi. » répondit le médecin d'un ton étrangement calme « Savez-vous de quoi il est mort ? »

La colère bouillonna en Riff et formait une boule compacte au niveau de sa gorge. Mais il s'efforçait de la contenir. Comment pouvait-il demander cela ?... Lui qui L'avait tué.

« Empoisonnement au Lithium Flower... » avoua Riff en serrant les dents « J'ai d'ailleurs appris récemment que vous vous en êtes procuré... Ai-je faux ? »

Jezabel pensa un instant au vieux croûton qui lui avait vendu cette substance hautement toxique. Il savait au fond de lui que ce vendeur ne tiendrait pas sa langue... Surtout s'il avait été placé devant la même situation... Caressant la légère fiole qui était encore dans la poche, il répondit.

« Effectivement, je m'en suis procuré. Mais pourquoi pensez-vous que j'aurais eu l'idée de l'utiliser contre mon petit frère que j'aime tellement ? »

« La réponse semble évidente non ? Vous l'aimiez tant que cela ?...»

« J'aimais ses yeux » avoua Jezabel, une légère lueur de folie passant dans ses yeux clairs « Vert pailletés d'or, magnifique et ensorcelant. N'importe qui croisait ce regard se faisait envouter. Même vous n'y avait pas été insensible. Cependant, réfléchissez un peu et fouillez dans vos souvenirs. Pourquoi aurais-je eu l'idée d'utiliser un tel poison ? L'un de ses effets secondaires se situe au niveau des yeux. Vous avez sûrement pu le constater. La victime, outre le fait qu'elle soit atteinte d'une fièvre importante, voit sa vue se brouiller lentement sans atteindre la cécité totale. L'iris se voile aussi et la couleur perd de son éclat. Quel intérêt pour moi... » soupira le docteur en détournant le regard.

Riff ne bougea pas, très peu convaincu par l'explication. Tout était clair pour lui et les événements présents ne faisaient que nourrir ses doutes. Jézabel dut le sentir car il soupira de plus belle. Très lentement, celui-ci se retourna afin de dévoiler son visage au majordome.

A la surprise de ce dernier, une grande tristesse s'affichait sur le visage sans défaut du frère de Caïn malgré le fait qu'il gardait un petit demi-sourire. Ses yeux brillaient sous la lumière pâle de la lune, signe qu'il se retenait de pleurer.

« Vous croyez être le seul à vraiment être triste ?... Oui j'avais cette furieuse envie de sentir sa chair se fendre sous mes doigts, d'ajouter ses yeux à ma collection. Mais, maintenant qu'il est mort, je me rends compte que j'y tenais à mon frère. Ne dit-on pas que c'est quelqu'un disparaît que l'on se rend compte à quel point on y tenait ?... » Fouillant nerveusement dans poche, il sortit la fiole de Lithium Flower, pleine à ras bord de ce même liquide qui avait emporté Caïn. Tendant l'objet devant Riff, Jézabel s'écria en le fixant droit dans les yeux

« Pensiez-vous que j'utiliserais un moyen aussi lâche ! »

Cette mince preuve écartait le docteur du banc des accusés. Riff savait de part son maître que certains poisons étaient si rares que les apothicaires refusaient d'en donner plus d'une fiole par personne, ce contre quoi le mouton noir pestait assez souvent... Le Lithium Flower en faisait parti.

Sans pour autant bouger son arme, Riff baissa légèrement le regard et réfléchit. L'apothicaire avait nommé une autre personne, Lord Ian Durclay. C'était quelqu'un de relativement éloigné de la famille Hargreaves, pourquoi aurait-il fait une telle chose ?... A son tour Riff sentit quelque chose dans son dos, une arme ?...

« Cassian, tu as ce que je t'ai demandé ? » demanda Jezabel en regardant le jeune garçon aux cheveux noirs corbeau. Celui-ci lui tendit un papier que le docteur prit dans ses mains. Après avoir brièvement lu la missive, il la montra à Riff

« L'adresse de Lord Ian Durclay, je crois que ça pourrait vous intéresser... Vous aussi, vous voulez savoir ce qui a poussé ce noble à tuer Caïn. Si vous enleviez cette arme de devant ma poitrine, Cassian ferait sûrement de même. »

Riff obéit doucement tout en fixant Jezabel d'un regard noir. Il savait que le jeune garçon aurait pu facilement le tuer s'il avait fait du mal au frère de Caïn... Ceci lui était facilement compréhensible, lui même aurait eu la même réaction avec le Lord. Le docteur remit sa capuche noire sur son visage et telle une ombre, se dirigea vers l'entrée du cimetière suivi de près par Cassian. Riff gardait cependant ses distances.

Alors qu'ils passaient le portail, une mélodie douce et triste se fit entendre. Un air, un requiem joué par une chouette caché dans l'ombre d'un arbre... (3) Lorsque le morceau s'arrêta doucement, l'albinos ouvrit doucement les yeux et jeta un œil vers la tombe sculptée du jeune Lord déchu. Soupirant, il reprit son air de violon.

-- Une heure plus tard... --

Owl s'arrêta de jouer. Ils étaient revenu. Le majordome entra en premier suivi de Jezabel et Cassian qui le distançait de quelques mètres.

La démarche de Riff était différente.

Il se tenait le côté droit d'une main et se déplaçait avec difficulté. Il était blessé, la balle lui avait traversé le flanc et son sang se déversait généreusement sur sa main gauche. Peu lui importait de toute façon à présent. Il lui fallait parcourir les derniers mètres. C'était son seul et dernier objectif. Cette distance qui le séparait de lui, de son maître, de son protégé, de la seule personne qu'il ait aimé... Et ce depuis cette rencontre il y a si longtemps...

Enfin arrivé devant la tombe de Caïn, Riff se laissa tomber un sourire heureux tout simplement sur les lèvres. Couché sur le côté, il laissa son sang couler doucement sur la tombe de Caïn. Allait-il être enterré à Ses côtés ?... Non personne ne le voudrait mais peu importait. Soudain une douce chaleur lui effleura la joue... Une plume glissa doucement à terre, d'un blanc immaculé. Tournant la tête vers le ciel, il Lui apparut. Il était là.

Caïn le regardait.

Le jeune Lord portait simplement une chemise blanche cintrée épousant à la perfection les formes de son corps androgyne et un pantalon noir. Volant légèrement au dessus du majordome grâce à une paire d'ailes d'un blanc aussi pur que la plume qui s'en était échappé. Son regard n'était que tendresse et amour pour Riff, un petit sourire fendant le doux visage du comte. Soudain, l'apparition lui tendit la main en souriant de plus belle. Riff ne put empêcher quelques larmes de couler alors que sa main rejoignait celle de Caïn. Mais un doute s'insinua en lui. Avec ces mains maculées de sang, comment pourrait-il atteindre cet ange si pur ?...

Doucement, Caïn prit la main de Riff dans la sienne et le tira à lui. Soudain, l'esprit et le corps du majordome se séparèrent... La main sans vie retombant à terre alors que son esprit se détachait lentement pour rejoindre le Lord. Celui l'enlaça tendrement en pleurant, cachant son visage dans l'épaule de celui qui l'avait sauvé. et tous deux disparurent...

Nom piqué à une musique de la série Ghost in The Shell Stane Alone Complex... J'étais pas inspirée --

(2) Idée piqué de Saiyuki. J'aime beaucoup ce passage lorsque Sanzo choisit le flingue pour arme et pense cette phrase que voilà quoi :3

Je parle bien sur d'Owl...