L'Ombre se déplaçait entre les arbres, filant à la vitesse du vent, fuyant Dieu qu'elle avait jadis créé. Dieu qui allait tout détruire. Y compris eux-mêmes.

L'Ombre passa au-dessus de montagnes ensoleillées, s'engouffra dans des canyons obscurcis, traversa les plus denses forêts dans une vitesse jusque-là inégalée. Puis l'Ombre atteignit l'océan, elle s'y plongea, corps et âme, elle s'y plongea, comme la première fois.

Le bleu clair laissa vite place au noir pur, si loin de la surface. Le froid aurait pu tuer quiconque venait jusque-là, mais l'Ombre ne le sentait pas. Elle ne voyait que l'urgence, elle ne savait que la peur et le triste gout de la trahison.

Elle s'enfonça, encore et encore, comme dans un cauchemar.

Soudain, l'Ombre aperçu une lumière, puis une deuxième, toutes petites, rapidement rejointes par d'autres. Encore et encore. Et elle sentit tous ses enfants, ceux qu'elle avait créé, la vie, la mort... L'existence, tout simplement.

L'Ombre aurait pu, comme auparavant, sentir longuement l'existence, l'apprécier, la materner. Mais l'Ombre n'avait pas le temps, alors elle continua sa route. Elle s'enfonça dans cet océan de couleurs qu'elle ne pouvait plus voir. L'Ombre aurait pu pleurer, L'Ombre voulait crier. Mais Dieu allait la rattraper car Dieu voulait la magie.

Mais Dieu ne devait pas l'avoir.

Car sinon, sans même le vouloir, Dieu allait les briser. Magie, puis existence.

L'Ombre avait fait une erreur. L'Ombre avait fait confiance. L'Ombre regrette.

Dieu allait tout détruire. Car Dieu était corrompu. Mais Dieu ne le voyait pas. Dieu était avare. Et avare est aveugle.

Alors, dans le froid de l'eau, au plus profond de l'océan, l'Ombre atteignit un de ses enfants. Ils la regardaient. Ils la comprenaient. Et la nouvelle fit le tour de la mer.

L'Ombre se rassura. Elle ne serait pas oubliée, car son enfant allait conter la Magie.

L'Ombre ressorti de l'eau, peut-être avait-elle le temps.

Plus pressée que jamais, elle se dirigea vers un autre de ses enfants. L'Homme. Elle approcha, silencieusement, un village, battu par le vent et la neige. Elle vit des petits jouer dans la poudreuse blanche et l'Ombre se dit avec un sourire que si elle réussissait, elle aussi pourrait s'amuser ainsi, parmi ses enfants.

Finalement elle s'engouffra dans une maison de bois, là d'où provenait l'entêtant appel. Et, sur un siège de la maison, l'Ombre vit une mère, comme elle. Une humaine en manteau de fourrure, incapable de la voire, mais son bébé, lui, ne sentait que cela. L'Ombre admira le ventre gonflé et l'âme qu'il abritait.

Elle admira l'image, se remémorant l'histoire. Dieu allait la détruire. Dieu le voulait. Mais elle ne pouvait le laisser.

C'était un paris risqué, dangereux, maléfique, la pire idée que l'Ombre n'eut jamais eu, mais, seule cette folie pourrait la sauver.

Elle sentait le doux appel, elle sentait le bonheur de cet enfant de la voire là. Toute l'âme du fœtus la réclamait, comme un enfant devant sa mère.

Alors l'Ombre sourit, balaya se doutes, et, dans un doux chant, fusionna avec l'enfant.