Premiere partie - Aube

Alicia Spinnet

Ce n'était pas une rentrée comme les autres, malgré les assurances du Ministère. Nous avions tous passé un été inquiet. Même ceux dont les parents, confiants dans la parole de Cornelius Fudge, refusaient de croire au retour de Voldemort, ne pouvaient oublier les événements qui avaient terminé la précédente année scolaire. Ne pouvaient oublier la mort de Cedric Diggory.
Même la traditionnelle Cérémonie de Répartition paraissait différente, cette fois..
D'abord, les première années étaient moins nombreux qu'à l'ordinaire. On disait que certains parents avaient refusé l'inscription. Pour la première fois peut-être de son histoire, Poudlard n'était plus considéré comme un endroit sûr. Pas vraiment la première fois, en fait, il y avait eu la Chambre des Secrets. Mais le danger qui planait sur nous à présent était plus redoutable que cent Basilics..
Ensuite, un malaise tombait sur le Grand Hall chaque fois que le Choixpeau envoyait un élève à Serpentard. L'enfant se levait, avec crainte ou soulagement, selon les cas, parfois même avec une sorte de joie, et rejoignait la table tendue de vert dans un silence pesant. Les Serpentard eux-mêmes avaient le triomphe discret, ce qui ne leur ressemblait pas..
La dernière petite fille ("Valeron, Helena") a été expédiée à Serdaigle, et nous avons attendu le signal du banquet avec moins d'appétit que les autres années. A la table des professeurs, Albus Dumbledore — plus voûté, plus las qu'auparavant — s'est levé..
« La Cérémonie de Répartition n'est pas tout à fait terminée. ».
Le professeur McGonagall n'avait pas encore rejoint sa place. Elle se tenait debout près d'une jeune fille qui portait la robe noire réglementaire mais n'entrait certainement pas en première année. Elle était aussi grande que McGonagall, pourtant de haute taille, et ne ressemblait guère à une enfant..
« Miss Cassilda Sorgel nous arrive d'Irlande, poursuivait Dumbledore, et elle va terminer ses études à Poudlard. Bien qu'elle entre en septième et dernière année, il est juste que le Choixpeau décide de la Maison dans laquelle elle passera ce temps. Je compte sur vous tous pour faire en sorte que Miss Sorgel se sente rapidement des nôtres. ».
La jeune fille s'est avancée dans l'allée centrale. Ses cheveux, plus dorés que les flammes magiques du Hall, répandaient leur propre lumière. Elle ne semblait pas intimidée par nos regards qui convergeaient vers elle et ses pas étaient souples, assurés..
« Je suis volontaire pour l'aider à s'intégrer », souffla Lee Jordan à l'oreille des jumeaux Weasley, et s'il n'était visiblement pas le seul à penser ainsi, nul autre que lui ne risqua un commentaire. Parmi les filles, j'entendais un discret murmure de réprobation..
Cassilda Sorgel souleva le vieux couvre-chef élimé et le posa sur sa tête..
Presqu'immédiatement, le Choixpeau clama : « Gryffondor ! ».
Et pour la première fois de la soirée, des applaudissements enthousiastes crépitèrent dans le Grand Hall. Même si c'étaient presque uniquement ceux des garçons..
Et puis, pendant la nuit, je me suis éveillée sans savoir pourquoi. A cause de la lumière, peut-être. Je me suis assise dans mon lit. Mais personne n'avait allumé de chandelle. Simplement, on avait tiré les rideaux d'une des hautes fenêtres, et la lueur de la lune et des étoiles pénétrait dans la pièce, tombant sur la jeune fille assise dans la profonde embrasure, les bras entourant ses genoux. La nouvelle, bien sûr. Il faut comprendre que je n'avais pas un préjugé très favorable envers Cassilda Sorgel. Trop de beauté, trop d'aisance. Je n'étais pas une fille envieuse, mais j'avais vu comment la table des Gryffondor s'était métamorphosée, à son arrivée, comment les garçons avaient perdu tout naturel, les uns haussant la voix, rivalisant d'esprit, les autres silencieux, comme intimidés. Cassilda Sorgel était une fille intimidante. Elle ne s'était pas comportée comme une nouvelle venue, elle avait souri aux plaisanteries de Lee, Fred et George, avait essayé de parler à tout le monde..
Mais elle paraissait très différente, à présent, dans la lumière pâle de la lune, en chemise de nuit. Echappant au sommeil, regardant au dehors, pour la première fois elle avait l'air d'une étrangère. Plus jeune, plus fragile. Ce n'était peut-être qu'une contenance qu'elle se donnait, ai-je pensé, une armure pour dissimuler sa peur. Et je me suis approchée d'elle doucement, presque tendrement. Vous ne pouvez pas comprendre, mais…Cassilda Sorgel produisait toujours cet effet-là..
« Tu n'arrives pas à dormir ? ».
La nouvelle sursauta légèrement, me sourit, plus timidement qu'au banquet..
« Je suis désolée, je t'ai réveillée ? ».
Sa voix était très belle aussi, haute et un peu voilée. Elles vont la détester, ai-je pensé — je ne m'incluais déjà plus dans ce pluriel. « Non, ne t'inquiète pas. » ai-je dit. Et je ne savais pas quoi ajouter. Vous savez, je suis une fille simple. Pas spécialement intelligente, ni quoi que ce soit. Je n'avais jamais eu à réconforter quelqu'un dont j'ignorais tout, dont j'ignorais même la souffrance. Et à ce moment-là, je n'avais aucune idée de ce à quoi elle pensait..
« Je n'ai jamais très bien dormi. » a murmuré Cassilda d'une petite voix, et pendant une seconde je me suis demandé à quoi elle avait pu ressembler enfant. A cela non plus je n'ai jamais eu de réponse. J'ai toujours fait partie de ces natures heureuses qui trouvent le sommeil en quelques minutes..
Déjà Cassilda changeait de sujet : « C'est un bel endroit, Poudlard. J'ai hâte de pouvoir me promener dans le parc. » Elle se retourna pour me regarder bien en face : « C'est une belle école. Je — je suis heureuse d'être ici. ».
Elle a pris ma main et nous avons regardé ensemble les étoiles qui brillaient au-dessus de la Forêt Interdite avant de regagner nos lits. Et pendant quelques minutes, tout était comme si j'avais reçu soudain tout ce que je désirais. Et même ce que je n'aurais jamais osé désirer. Et j'ai mis un peu de temps à retrouver le sommeil..
J'ai su depuis, évidemment, pourquoi elle craignait tant la nuit, et le sommeil. Parce qu'elle savait qu'elle ne se rappellerait pas ses rêves.