Chapitre 9 : De l'autre côté
"La mort n'est rien
Je suis simplement passé dans la pièce à côté.
(…)
La vie signifie ce qu'elle a toujours signifié.
Elle reste ce qu'elle a toujours été.
Le fil n'est pas coupé.
Pourquoi serais-je hors de ta pensée,
Simplement parce que je suis hors de ta vue ?
Je t'attends. Je ne suis pas loin.
Juste de l'autre côté du chemin.
Tu vois, tout est bien."
Charles Péguy
d'après un texte de Saint Augustin
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Harry resta toute une semaine à l'infirmerie. Son état paraissait stable, mais ses rêves chroniques préoccupaient Madame Pomfresh.
Quant à son moral, jamais il ne lui avait semblé plus bas. Revivre la mort de Sirius par l'intermédiaire des Détraqueurs l'avait anéanti, mais ce n'était rien comparé à ce qu'il subissait durant ses cauchemars…Il ressentait la terrifiante impression, chaque fois plus saisissante, qu'il allait périr, lui aussi.
Ron et Hermione passaient la plupart de leur temps libre à son chevet, délaissant quelque peu leurs tâches de préfets. Le professeur Lupin, lui aussi, rendait de longues visites au jeune Gryffondor, apportant avec lui du chocolat par tablettes entières.
Harry aurait aimé leur parler, leur exposer ses craintes, ses angoisses et ses peines, mais chaque fois qu'il sentait monter en lui le courage de le faire, Madame Pomfresh ordonnait à ses visiteurs de le laisser en paix. Pourtant, c'était dans ces moments de repos qu'il se sentait le plus vulnérable et le plus démuni face à son chagrin. Il savait au fond de lui que pendant des mois, il avait refusé d'admettre totalement la mort de son parrain…A présent qu'Halloween approchait, il se rendait bien compte que Sirius ne reviendrait pas. Des larmes brûlèrent ses yeux fatigués et glissèrent le long de ses joues. Il ne se sentait plus la force de les retenir.
Il possédait une terrible destinée : tuer ou être tué et celui dont il avait le plus besoin n'était plus là pour le réconforter et lui apporter ses précieux conseils. Maintenant, sur qui pourrait-il s'appuyer ?. Il lui fallait parler à ses amis, Miss Snake avait au moins raison sur ce point là !
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Enfin, le jour arriva où il put s'adresser aisément à eux sans être dérangé. Madame Pomfresh s'affairait en effet à soigner Neville et Drago qui occupaient deux autres lits de l'infirmerie.
Harry n'avait pas tout saisi de l'incident, mais il semblait que Drago ait attaqué Neville qui s'était défendu à coup de puissants contre-sorts. Le résultat offrait un spectacle des plus pitoyables.
-Il faut que je vous parle, s'exclama soudain Harry tout en observant les cheveux de Drago, dressés sur sa tête, d'où s'échappait une forte odeur de brûler.
Ron, Hermione et le professeur Lupin se rapprochèrent un peu du lit où Harry se trouvait allongé.
-Il y a certaines choses que je ne vous ai pas dites, commença-t-il. L'année dernière, juste après la disparition de Sirius, Dumbledore m'a convoqué dans son bureau…
Et il leur raconta tout : son désarroi face au calme du directeur de Poudlard, la longue tirade que lui avait faite Dumbledore, et surtout, le contenu de la fameuse prophétie.
Une fois le récit terminé, personne ne prononça un mot. Hermione plaquait ses mains devant ses lèvres en signe de stupéfaction, le professeur Lupin semblait soudainement trouver le sol de l'infirmerie très attractif et Ron gardait la bouche grande ouverte comme un poisson tiré hors de l'eau.
-J'aurais aimé que Sirius soit là…Il m'aurait dit quoi faire ! fit remarquer Harry pour couper court à ce lourd silence.
-Tu souffres beaucoup de sa mort, n'est-ce pas ? demanda le professeur Lupin.
Harry voulut répondre mais sa gorge se noua et il ne put que hocher la tête avec chagrin.
-Je voudrais tant le revoir…rien qu'une dernière fois !
Remus Lupin baissa ses yeux remplis de peine.
-Il y a un moyen, murmura-t-il, le regard toujours rivé vers le sol.
Harry l'observa, dubitatif. Il avait durant ses derniers jours à Poudlard, l'année précédente, recherché toutes les solutions possibles pour contacter Sirius et aucune n'avait fonctionné.
-Lequel ? interrogea-t-il, une nouvelle lueur d'espoir perçant dans le timbre de sa voix.
Lupin ne répondit pas, mais deux jours plus tard, alors que Harry sortait enfin de l'infirmerie, il lui demanda de le rejoindre dans son bureau.
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-Je refuse ! rétorquait Eilane Snake dont la voix résonnait derrière la porte.
Harry frappa et le professeur Lupin l'invita à rentrer dans le bureau.
C'était un endroit exigu, juxtaposé à la classe de Défense Contre les Forces du Mal, où s'entremêlaient toutes sortes de livres et d'objets étranges. Une agréable odeur de vieux grenier se dégageait de la pièce et deux fauteuils aux allures miteuses trônaient devant une vieille table en bois de chêne. Harry se sentait en sécurité en ce lieu qui lui rappelait beaucoup le Terrier.
Lupin se tenait debout, accoudé au mur tandis qu'Eilane faisait les cent pas dans la pièce.
En voyant Harry entrer, elle s'arrêta brusquement.
-Excusez-moi, marmonna l'adolescent.
Miss Snake lui sourit puis se retourna vers le professeur Lupin.
-Je ne peux pas faire ça! s'exclama-t-elle.
-Nous savons tous les deux que tu en es certainement capable…Maintenant, acceptes-tu de nous aider, ou pas ? C'est aussi simple que ça ! rétorqua Lupin, la voix amplifiée par la colère.
-Te rends-tu au moins compte de ce que tu me demandes ? s'emporta Eilane, qui avait recommencé à marcher de long en large dans la salle. Ce n'est pas quelque chose d'anodin ! Tu veux utiliser des pouvoirs qui te dépassent !
La peur se lisait dans les yeux clairs de la jeune femme. Jamais encore Harry ne l'avait vue dans un état pareil.
-Je te demande un service…Je sais très bien ce que cela te coûte, mais j'ai besoin de toi ! la supplia le professeur Lupin.
Eilane le regarda un instant, puis tourna la tête vers Harry.
-D'accord, murmura-t-elle, résignée, tout en fermant les yeux. Je le ferai…
-De quoi parlez-vous ? interrogea alors Harry qui n'avait pas osé prendre la parole auparavant.
-D'un moyen de revoir Sirius. Tu as déjà entendu parler du puits aux âmes, n'est-ce pas ? Nous allons l'utiliser pour communiquer avec ton parrain.
Harry observa un moment le professeur Lupin, les yeux écarquillés, puis se tourna vers Eilane Snake.
-Et elle ? Qu'est-ce qu'elle a à faire dans tout ça? demanda-t-il dédaigneusement.
Depuis sa dernière vision, Harry n'accordait plus qu'une confiance très limitée à son professeur de Défense Contre les Forces du Mal…Elle portait en elle un lourd secret et ce qu'il avait commencé à percer ne lui plaisait pas du tout.
-J'ignore si le pouvoir de ce puits n'est qu'une légende ou non, mais il faut une immense magie pour activer les portes entre les mondes, commenta Eilane sur le ton de la conversation.
-Oh oui…Je vois…la vôtre, c'est bien ça ? demanda Harry avec méfiance.
Eilane acquiesça mais le jeune Gryffondor reprenait déjà la parole sur un ton de défi.
-Et pourrait-on savoir d'où vous viennent ces si fabuleux pouvoirs ?
-Harry… ! commença Lupin tout en lançant un regard noir à l'adolescent.
-Laisse-le Remus… Il est en droit de poser la question ! Tu te méfies de moi, Harry, n'est-ce pas ?
Harry hocha la tête.
-Et tu as sans doute tes raisons… Mais en l'occurrence, je ne souhaite que t'aider !
Harry regarda hargneusement Eilane Snake. Il restait persuadé que cette femme lui cachait quelque chose, quelque chose qu'il n'aimerait certainement pas découvrir, mais son désir de revoir Sirius l'emporta sur sa raison et il accepta son aide. Après tout, si le professeur Lupin lui faisait confiance, elle ne devait pas être si dangereuse.
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Harry endura la dernière semaine d'octobre avec plus de mal encore qu'à l'accoutumé. Etrangement, l'idée de revoir Sirius ne l'aidait en rien à supporter les sarcasmes de Rogue et les quolibets de Drago Malefoy qui ne perdait pas une seconde pour s'en prendre aux membres de l'A.D. En revanche, cela lui avait permis d'échapper à ses sinistres cauchemars dont il se passait sans aucuns regrets.
La légende disait que le puits aux âmes ne permettait aux morts de revenir sur terre que lors de la veillée d'Halloween, aussi les professeurs Lupin et Snake avaient-ils décidés d'un commun accord de pratiquer le rituel précisément le 31 octobre à minuit.
Ce soir-là, Harry, Ron et Hermione se rendirent jusqu'à la cabane de Hagrid qui devait ensuite les guider dans la forêt interdite. A leur grande stupéfaction, ils aperçurent Neville, Ginny et Luna qui attendaient déjà à côté du demi-géant.
-Qu'est-ce que vous faites là ? demanda Ron.
-Moi aussi j'aimerais beaucoup revoir Sirius…, expliqua Ginny, tout en tentant d'empêcher Salem de sauter de ses bras.
-Je ne le connaissais pas, mais nous étions là quand ça s'est passé…, commenta Luna, l'air rêveur.
-Nous sommes venus te soutenir Harry ! ajouta Neville.
Harry leur sourit. Il n'aurait su comment l'exprimer mais les voir réunis avec lui le rassura un peu sur ce qui risquait de se produire, car même s'il pouvait un instant revoir Sirius, ce serait sans doute pour mieux le reperdre ensuite et cette idée lui était insupportable…
-Allons-y ! annonça Hagrid, et tous les sept pénétrèrent dans la forêt.
Il faisait encore tiède pour la saison. Les feuilles des arbres commençaient tout juste à tomber, recouvrant le chemin d'un doux tapis végétal. La nuit et un dense brouillard enveloppaient les lieux et sans la baguette d' Hermione qu'elle avait allumée à l'aide d'une formule magique, ils se seraient retrouvés plongés dans l'obscurité. Jamais encore Harry n'avait remarqué à quel point la forêt interdite pouvait être silencieuse et cela produisit en lui une inquiétude grandissante. Il pressa le pas, imité par ses camarades et déboucha bientôt sur la petite clairière où Remus Lupin attendait, assis près du ruisseau, sa baguette allumée.
A nouveau, Harry entendit les murmures d'une complainte mais il tenta de ne pas y prêter attention et ceux-ci s'éloignèrent, sans toutefois totalement disparaître de son esprit.
-Eilane ne va pas tarder ! assura le professeur Lupin.
Quelques instants plus tard, en effet, Miss Snake apparaissait à l'orée du bois.
Elle portait pour l'occasion un robe bleue sombre qui lui tombait jusqu'aux chevilles. Ses cheveux noirs, parsemés de mèches argentées, flottaient derrière elle et ses pieds nus effleuraient le sol dans un bruissement gracieux. Elle paraissait enveloppée par la brume tel un manteau de fumée mais au fur et à mesure qu'elle avançait, il sembla à Harry que le brouillard se dissipait autour d'elle et lorsqu'elle arriva dans la lumière des baguettes d' Hermione et Lupin, il avait totalement disparu.
Durant un instant, personne n'osa ni parler, ni même bouger et seul les miaulement indignés du chat de Ginny résonnèrent dans la clairière. Puis Harry se tourna vers Hagrid et le professeur Lupin et remarqua que tous deux observaient Eilane dans une attitude béate. La jeune femme prit alors la parole.
-Nous n'avons pas toute la nuit…Si vous êtes toujours sûrs de vous, nous devons commencer !
Elle leur demanda ensuite de se placer en cercle autour du puits et de faire silence. Tous obéirent et Ginny dû lâcher Salem pour le faire taire. Le chat se coucha en boule à ses pieds et se mit à ronronner. Quelques instant plus tard, Harry entendait de nouveau plus distinctement le murmure continuel qu'il percevait toujours à proximité du puits.
Eilane s'approcha elle aussi du monument et leva les mains au ciel.
-Que les voies qui séparent le monde des morts de celui des vivants soient en cet instant ouvertes…Que nos âmes soient à nouveau réunies…Que ma volonté soit réalisée.
La voix de la jeune femme, dont les tonalités mélodieuses s'étaient échappées, avait pris un ton froid et grave. Une aura de puissance inimaginable émana à nouveau d'elle tandis que la bille rouge de son pendentif se mettait à briller dans les ténèbres. Harry sentit sa cicatrice le brûler mais l'excitation de revoir Sirius atténua la douleur.
Soudain, l'air se fit plus dense, presque palpable. La brume s'évadait du puits comme d'un volcan et s'éparpillait sur le sol, si bien que Harry ne voyait plus ni l'herbe, ni les feuilles roussies, tombées des arbres.
Salem, apeuré par l'étrange phénomène, grogna de mécontentement.
-J'invoque l'esprit de Sirius Black…Par delà l'âme et le corps, entends mon appel.
Eilane baissa les bras. La brume s'élevait à présent au-dessus du puits et prenait doucement la forme d'un être humain. Lentement, le visage se dessina et apparurent les traits légèrement émacié de Sirius.
Harry sentit son cœur battre atrocement fort dans sa poitrine et des larmes chaudes montèrent à ses yeux.
Sirius, sous sa forme vaporeuse, se tourna vers lui et lui sourit.
-Ne sois pas triste, Harry !
Le jeune Gryffondor se frotta les paupières et lui rendit son sourire.
-Ce n'est pas parce que tu ne me vois plus que je ne veille pas sur toi ! rajouta Sirius.
-Mais je me sens si perdu ! commenta Harry. Il y a une prophétie et…
-Je suis au courant pour la prophétie…
-Comment ? demanda Hermione.
-Là où je me trouve, les choses sont différentes… Le passé, le présent et l'avenir deviennent indistincts, nous avons ainsi une vision globale de l'histoire de l'univers ! expliqua Sirius.
-Alors…tu sais ce qui va se passer ? interrogea avidement Harry.
Un instant, il crut voir dans le regard de son parrain une intense détresse mais celle-ci disparut aussitôt.
-En partie, oui…Mais je ne peux interférer sur le futur…
-Donc, vous ne pouvez rien nous dire ?
Hermione paraissait déçue.
-Malheureusement pas grand-chose… Voila tout ce que je suis en mesure de vous apprendre : le monde tourne…il en a toujours été ainsi…quels que soient nos actes, l'histoire se répète inlassablement…Vous vous apprêtez tous à vivre les heures les plus sombres de votre vie…Ce qui doit arriver adviendra, rien ne pourrait l'empêcher…
-Ca ne nous aide pas vraiment ! fit remarquer Lupin.
-Et j'en suis désolé !... Tu n'aurais pas du lui demander de me contacter, rajouta Sirius en se tournant vers Eilane, qui paraissait épuisée par l'effort que lui demandait le fait de maintenir le lien avec l'au-delà.
-Nous n'avions pas tellement d'autre choix, commenta-t-elle.
-Peut-être… mais la magie noire est dangereuse, surtout si c'est toi qui l'utilise ! fit remarquer Sirius.
-Je suis prudente ! se défendit Eilane.
-Mais tu ne fais pas appel qu'à tes propres pouvoirs en ce moment…
Harry ne comprit pas ce que les paroles de son parrain signifiaient mais la douleur de sa cicatrice s'intensifia légèrement.
-Je ne peux rester plus longtemps…, dit alors Sirius.
-Non…, s'écria Harry, mais déjà la brume semblait se troubler.
-Je ne serai jamais très loin, Harry…
L'adolescent sentit à nouveau les larmes perler sur ses joues.
-Te reverrai-je ? demanda-t-il avec espoir.
-Un jour nous nous retrouverons, oui…Mais ce moment n'est pas encore venu…Pour l'instant, tu dois apprendre à vivre par toi-même… Prends soin de toi…
La voix de Sirius se fit lointaine et les dernières volutes de fumée se dissipèrent.
Remus Lupin eut tout juste le temps de rattraper Eilane, éreintée, qui s'écroulait sur le sol.
Harry sentit la douleur de sa cicatrice s'envoler tandis que les murmures revenaient douloureusement à ses oreilles. Mais il ne les écoutait plus, il ne les entendait même plus. Sirius était vraiment parti, cette fois…Il s'assit sur le rebord du puits, le regard vide. Ses amis, debout à ses côtés, n'osaient dire un mot. Même le chat de Ginny, habituellement si bavard, ne faisait plus un bruit.
Mais Harry fut bientôt sorti de sa torpeur. Un cri strident, provenant du château, déchira soudain la nuit. Tous se redressèrent d'un bond et partirent à toute vitesse, sans prendre le temps de réfléchir, en direction de l'école.
Alors, Harry l'entendit plus distinctement…Le murmure qu'il avait refusé d'écouter quelques instants plus tôt s'intensifiait dans sa tête. Une voix étrange, inhumaine, répétait inlassablement les mêmes paroles :
"ça a commencé"
