Chapitre 21 : Rédemption
« Je ne mange plus, je ne dors plus…les sourires depuis longtemps ont déserté mes lèvres marquées par l'amertume… les larmes refoulées n'embuent plus mon regard désabusé, je ne pleure pas…je n'en suis plus capable…
Le monde pour moi, est devenu vide et noir… Un abîme profond dans lequel ma vie semble sombrer chaque jour davantage… Tout a basculé si rapidement… Il a suffit de quelques fractions de secondes pour que tout disparaisse dans l'obscurité.
Je voudrais crier, hurler la tristesse et la souffrance qui rongent si intensément mon âme tel un poison mortel, mais je n'en ai plus la force…et je me tais, je m'enferme dans ce tombeau de silence tellement doux et confortable, qui m'évite d'affronter en face la terrible réalité…
A présent que tout est fini, que l'espoir s'est échappé de moi, je me sens plus seule que jamais…
Seule, je ne le suis pourtant pas. Remus est encore à mes côtés… mais je sais que bientôt il me quittera, lui aussi…Ses blessures sont profondes et les mages anglais disent qu'ils ne peuvent plus rien pour lui. J'ignore combien de temps il restera encore conscient. J'espère seulement que nous arriverons avant qu'il ne perde à tout jamais connaissance.
Il souffre beaucoup, et pas seulement à cause de ses plaies. Il voit ma détresse comme nul autre ne peut la voir et en connaît mieux que quiconque la cause…J'aurais aimé lui cacher mes sentiments, pour l'épargner un peu… mais cela également m'est impossible. Je ne peux lui mentir…
La brise souffle sur mon visage, tandis que quelques vagues viennent bercer la barque dans laquelle Rémus et moi avons pris place. Elle vogue vers mon dernier espoir, m'emmenant loin de ce chagrin qui m'envahit plus encore à chaque minute…Il ne s'agit là que d'une fuite vouée à l'échec, j'en suis consciente…car c'est moi-même que je tente de fuir à travers cet ultime voyage. Je sais que cela ne me sauvera plus… qu'il est trop tard pour ma rédemption, comme il est trop tard pour sauver la vie de mon deuxième amour… Mais j'ai besoin, plus que tout à présent, de ce dernier retour aux sources… J'entends Remus gémir à mes côtés… Une épaisse couverture réchauffe ses membres endoloris mais il grelotte de froid. Il ne finira pas le trajet, j'en suis certaine…C'est ainsi qu'il a choisi de quitter son corps… avec moi, allongé sur une barque, perdue dans la brume, guidée seulement par le vent et l'ancienne magie, au beau milieu de nulle part, voguant sur l'océan… Je respecte ce choix, je ne me sens pas le droit de le lui refuser.
Il y a deux semaines seulement que la terrible bataille contre les mangemorts s'est déroulée à Poudlard, mais il me semble pourtant que plusieurs mois se sont déjà écoulés depuis. Deux semaines que Tom Jedusor a perdu la vie…
Je savais malgré moi que ce jour arriverait… que le trépas de Lord Voldemort semblait inévitable, que sa mort était le seul moyen de rétablir la paix… et même après avoir rejoint ses rangs, contre mon gré, je n'ai jamais vu d'autre issue à cette guerre stupide.
Pourtant je refusais d'accepter l'évidence tant elle me paraissait insupportable, tout comme je refuse à présent la mort de celui que j'aimais tant…
Je l'aimais oui… plus que tout au monde, plus peut-être même que ma propre vie… et j'étais la seule… sans doute les choses se seraient déroulées différemment si l'amour et l'affection avaient été au centre de sa vie dès son enfance, remplaçant ainsi la haine et le rejet… mais il est de toute façon bien trop tard pour refaire le passé… et malgré tous mes espoirs, mes sentiments à son égard ne l'ont pas sauvé de lui-même et de sa folie… J'aimerais être capable de dire que je ressens pour Remus un amour tout aussi puissant que celui que j'éprouvais pour Tom, mais ce serait, une fois de plus, me mentir à moi-même. Je tiens pourtant énormément à Remus, je ne m'en cache pas, mais jamais rien ne pourra remplacer ce que je percevais dans les bras de Tom… et je crois, telle une évidence, que cette terre, à présent, n'a plus rien à m'apporter que je n'ai déjà eu…
Maintenant toutes les choses qui m'entourent semblent avoir perdu leurs saveurs d'antan. Tom est mort devant mes yeux, et je n'ai rien pu faire pour empêcher l'inévitable. Je ne fus que spectatrice de cet affrontement dénué de sens qui opposait l'amour de ma vie à un garçon vers lequel allait tant de mon affection.
Les choses n'ont guère évolué par la suite : le ministre de la magie, Percy Weasley, fut destitué et accusé de collaboration avec les mangemorts. Le bruit court que le ministère sera à nouveau entièrement remanié.
Les rescapés de cette affreuse bataille ont été transportés à Sainte Mangouste pour y recevoir les meilleurs soins. Beaucoup pleuraient la mort de leurs amis, peu se souciaient de celle de Voldemort…Sans doute, dans d'autres circonstances, les membres de l'Ordre auraient souhaité faire la fête, mais les pertes étaient trop lourdes pour se réjouir d'une telle victoire.
Je pense que le monde de la sorcellerie ne sortira pas de son deuil avant de nombreux mois… peut-être même leur faudra-t-il plusieurs années pour oublier l'inoubliable… Presque chaque famille a perdu dans l'attaque de Poudlard l'un de ses enfants et je sais, par expérience, que la mort de ceux à qui l'on a donné la vie est celle qui nous affecte le plus.
Je crois que ce qui a également perturbé les survivants de l'assaut de Poudlard a été la disparition de Harry. Après sa victoire sur Lord Voldemort, plus personne ne l'a revu. Certains pensent qu'il avait été blessé, qu'il a succombé à ses plaies et que son corps n'a simplement pas été retrouvé sous les gravas, d'autres croient qu'il se cache, sûrement perturbé par le geste qu'il venait d'accomplir…
Quant à moi… j'ai une autre théorie, bien plus alarmante que toutes celles que les membres du monde de la magie ne pourraient jamais échafauder. Il faut savoir avant tout que l'art divinatoire est un don très fort dans ma famille… Un don que l'on enseigne de mère en fille, de générations en générations, depuis la nuit des temps ; et même si cela fait des années que je ne pratique plus cet art, il m'arrive encore parfois, pendant mon sommeil, lorsque mes sens s'éveillent aux mystères, de faire des rêves prémonitoires. Or, peu de temps après la bataille finale, j'ai eu une vision… La plus terrifiante et la plus effroyable de toutes.
Un endroit sombre, inconnu, apparut à moi. L'ambiance qui y régnait me rappela immédiatement le Quartier Général des Mangemorts mais le lieu en lui-même était différent, et sur les murs, aucun blason à l'effigie de la famille Serpentard ne trônait. J'entrevis ensuite une pièce…vaste, toute aussi sombre que le reste des lieux, faiblement éclairée,remplie de dizaine d'hommes et de femmes tous vêtus du même costume noir et rouge. Au centre de la salle dominait un siège de velours grenat sur lequel un adolescent était assis dans une pénombre cachant les traits de son visage…Les membres de l'assemblée s'inclinaient devant lui. Il ne se leva qu'un instant avant que je ne rompe, malgré moi, le lien de voyance, mais jamais je n'oublierai les deux yeux vert émeraude que j'aperçus. Je ne peux affirmer avec certitude qu'il s'agissait bien là de Harry, ni si cette vision représente un avenir immédiat ou un futur lointain, mais ne serait-ce pas, en fin de compte, logique que la vie ne soit qu'un long recommencement et que celui qui terrassa le Diable devienne à son tour démon ?…
Finalement, si mes pires craintes s'avèrent un jour vérifiées, au vue du résultat si peu glorieux que toute cette guerre nous aura apporté, je doute plus que jamais de toutes ces belles convictions qui m'animaient autrefois…
Poudlard n'existe plus à présent que dans nos souvenirs embrumés d'un passé trop présent encore aux esprits. Pourtant, il fallait que je retourne, une dernière fois, sur ce lieu si emprunt de sentiments personnels. Je crois que j'avais besoin de cela pour commencer à faire mon deuil, pour tenter vainement de me convaincre moi-même que tout était à jamais fini. C'est pourquoi j'ai refait le voyage depuis Londres il y a de cela deux jours. Le château n'était plus qu'un amas de gravas, la neige tombée, abondante, recouvrant les ruines d'un épais linceul blanc. Le silence mélancolique qui régnait dans cette vieille école pesait lourd sur ma conscience… Je suis responsable de cette tuerie… Jamais je ne pourrai l'oublier et même Remus, qui ne cesse de me répéter que les choses auraient été pareilles sans moi et que j'ai évité le pire, ne réussit qu'à me déstabiliser davantage. Reprenant mes esprits et mon souffle, j'escaladai quelques marches de l'ancien escalier qui menait jusqu'à l'entrée du collège et un spectacle de désolation s'offrit à moi. Les vitres cassées, la moindre pierre tombée, les marques de brûlures sur les murs, les traces de sang maculant le sol… chaque chose que je voyais devenait un poignard me transperçant plus profondément le cœur…Les cris, les sortilèges… tous ses bruits de bataille me revenaient cruellement en mémoire comme si l'édifice avait conservé une partie de l'horreur dont il avait été le théâtre. J'arrivai enfin dans la Grande Salle… Là où tout avait fini et là également, où, pour moi, il y a de cela de trop nombreuses années, tout avait commencé… Les émotions me submergèrent avec tant de violence que les larmes ne purent se retenir de dévaler mes joues, et mes jambes, sans que je le leur ordonne, me forcèrent à quitter cet endroit où la douleur s'emparait trop profondément de moi. Je ressortis du château, et me dirigeai vers le puits aux âmes… Là, moins de deux semaines auparavant, nous avions procédé à l'enterrement. L'endroit avait peu changé depuis la dernière fois… La neige recouvrait à présent la terre fraîche. Je m'agenouillai devant les deux tombes, l'une atrocement petite renfermait mon enfant que jamais je n'aurai eu le plaisir de chérir, l'autre, bien plus grande, avait été édifiée pour son père, Tom Elvis Jedusor. Aucune stèle n'indiquait leurs noms… Cela importe peu d'ailleurs… Tout le monde sait quels terribles évènements l'ancien collège Poudlard a abrité en son sein en cet hiver 1996. Quant au fait que Lord Voldemort y ait été enterré, plus personne, à part moi, ne se soucie de lui. Mes mains balayèrent la neige qui recouvrait la sépulture et se posèrent sur la terre retournée. On m'a enseigné, encore enfant, que tout était toujours lié à la terre, mais ce jour-là, je ne ressentis rien de plus que le contact froid du sol en la touchant. Ce qui m'étonna, en revanche, fut le petit rosier aux épines déjà acérées qui commençait à pousser sur cette étendue stérile. Et plus incroyable encore, ce petit rosier naissait de deux racines, l'une plantée dans la terre qui composait la tombe de mon fils, l'autre dans celle de la tombe de Tom. J'ignore ce que signifie ce phénomène mais, en cet instant, il me redonna une once d'espoir, et la force de décider, enfin, de quitter l'Angleterre.
En effet, à présent que le monde semble avoir retrouvé sa paix intérieur et que j'ai à tout jamais perdu la mienne, je crois qu'il est temps, pour moi, de rentrer auprès des miens.
Sur la barque, Remus pousse un nouveau râle et sors mon esprit de son vagabondage. Il est plus pâle que jamais et mon cœur se sert lorsque je comprends qu'il s'apprête certainement à pousser ses derniers soupirs. Je prends sa main dans les miennes. Elle est aussi glacée que du métal. Il tourne ses yeux vers moi et esquisse un sourire navré, tentant vainement de me cacher la douleur que j'ai déjà lue depuis longtemps en lui. Je le console, comme une mère l'aurait fait avec son enfant. Je sens ses forces vitales baisser, doucement, puis finalement le quitter tandis que mes yeux se remplissent, à nouveau, de pleurs incontrôlés. Cette fois, je suis vraiment seule…
Je me sens soudain vieille alors que jamais l'âge ne m'avait touchée auparavant… Je crois que la fin approche pour moi également mais il me reste une dernière histoire à raconter… celle d'une vie…celle d'une enfant non désirée que le destin, par ses plus chaotiques méandres, a mené jusqu'à cette barque perdue dans la brume… Mais chaque chose en son temps… l'écume des vagues se brise sur les falaises rocheuses d'une île en forme de crabe que j'avais quittée depuis de bien trop longues décennies. Ma barque, guidée par le vent et par l'ancienne magie, me mène jusqu'à un petit port de pêche…J'aperçois au loin le haut clocher de l'église Saint Pol… Un peu de sérénité revient en moi… Je suis enfin chez moi !
Nous sommes le 25 décembre 1996, je m'appelle Eilane Dierna Snake, et en ce jour de Noël si funeste, mon voyage est sur le point de s'achever… »
