Quelques jours plus tard, le samedi de la Saint Valentin pour être précise, Gilda se réveilla avec un lourd sentiment de mal-être qu'elle ne s'expliqua qu'une fois qu'elle fut attablée au petit déjeuner avec ses enfants, lorsqu'elle aperçut un cœur de papier rose dans la main d'une petite fille de deuxième année qui paraissait surexcitée.

C'est vrai ! Elle avait complètement oublié quel jour on était, toute à sa fatigue et à son affairement. Et bien que l'austérité soit de rigueur depuis qu'Ombrage avait investi le château, l'ambiance était électrique, pleine d'attente et de fébrilité. C'est douloureusement qu'elle-même songea au temps où elle et Yannick flirtaient ensemble, bien des années auparavant.

Une sortie à Pré-au-Lard était de plus prévue durant la journée et Gilda savait qu'elle devrait, comme beaucoup d'autres professeurs, circuler dans les rues pour surveiller les élèves sans trop le laisser voir.

Il ne s'agissait à priori que de simple patrouilles destinées à dissuader les jeunes de déborder, mais Minerva lui avait tout de même avoué que les enseignants se détendaient presque autant que les jeunes gens durant ces journées à Pré-au-Lard et que la surveillance avait même tendance à passer au second plan.

De plus, Dolores Ombrage restait au château, ce qui ajoutait encore à l'attrait que pouvait représenter la sortie pour chacun.

Gilda s'était de son côté mise d'accord avec Albus Dumbledore sur son itinéraire : d'abord chez Madame Piedodu où il y avait fort à parier que de nombreux couples seraient rassemblés, puis dans les rues à sa guise, selon les besoins. Le directeur était très souple là dessus.

Puisqu'elle avait ses deux enfants, Gilda était soulagée d'un tel itinéraire, plus tranquille que si elle avait du stationner au chaudron baveur toute la journée ou tourner sans cesse. Aussi la visite s'annonçait-elle des plus agréables.

Et puis, elle était sûre que le petit salon de thé de Madame Pieddodu plairait bien à Moon et en cela elle ne se trompait pas.

Il bruinait en cette matinée de février, pas vraiment un temps à rester dehors donc. Après une brève balade dans la Grand-Rue qu'ils connaissaient déjà bien tous les trois, et après être allée recharger ses fournitures chez Scribenpennes, elle fit entrer ses enfants dans le dit salon de thé et sourit à la tenancière qu'elle connaissait un peu et qu'elle salua avec plaisir.

Madame Pieddodu en effet était comme elle une ancienne élève de Poufsouffle, qui était préfète à l'époque où Gilda avait commencé ses études et qui avait quitté Poudlard deux années plus tard pour travailler dans la restauration magique. On racontait d'ailleurs qu'elle descendait d'Helga Poufsouffle dont elle avait hérité certains talents.

En tout cas, son caractère n'avait changé en rien après toutes ces années, c'était toujours la même femme aimable et consciencieuse qu'elle avait connue adolescente alors qu'elle organisait les « soirées pour tous » dans la salle commune de leur maison.

Gilda ne put s'empêcher de sourire une fois attablée, même si elle ne tarda pas à se sentir étrangement oppressée par la lourdeur du décor. Moon en effet était parfaitement ravie même si Sebastian semblait l'être un peu moins et fixait les lieux avec plus d'étonnement que de bonheur :

- Cé Joli ! Dit la fillette une fois qu'ils furent tous les trois assis sur une table à l'écart.

Sebastian répondit par une moue indécise qui en disait long et reporta son attention sur la tenancière. Astrid Pieddodu n'avait pas changé pour ainsi dire, et ses goûts déjà un peu criards à l'époque semblaient s'être encore accentués avec l'âge.

Gilda elle-même ne trouvait pas cela véritablement joli même si l'ambiance était sympathique : La salle exiguë et un peu moite du salon de thé croulait sous les décorations : petits nœuds et cœurs volants, roses de papiers et autres fanfreluches diverses qui rappelaient désagréablement à Gilda le bureau de Dolores Ombrage.

Cependant, elle savait parfaitement que la tenancière de ce charmant établissement n'avait rien à voir avec l'horrible inquisitrice sur le plan du caractère. Au contraire, c'était une femme sincèrement aimable, honnête et toujours soucieuse de faire le bonheur des gens.

- Cé mignon ou pa ? Demanda encore Moon à son frère qui se renfrogna cette fois-ci.

- Nous irons dans d'autres magasins ensuite, le rassura Gilda. Après tout, il faudra nous occuper toute la journée.

Moon n'en sourit que de plus belle et Gilda se sentit heureuse, tandis que Sebastian se détendait un peu. Elle lui montra des angelots dorés qui voletaient au-dessus de chacune des petites tables rondes et jetaient de temps à autre sur les clients des poignées de confettis roses.

- Madame Pieddodu en faisait déjà lorsqu'elle était à Poudlard, dit-elle à son fils.

- C'est… Rigolo, concéda t-il.

Gilda s'apprêtait à répondre en riant mais le son de sa réplique mourut entre ses lèvres avant même de les avoir franchies.

Roger Davies venait en effet d'entrer dans le salon en compagnie d'une jolie blonde, à qui il tenait la main et qui semblait émerveillée par tout ce qu'elle voyait ici.

Et il avait semblé surpris, voire un peu gêné en la voyant et tous deux s'assirent le plus loin possible de Gilda et ses enfants. Celle-ci devina que le Capitaine de Serdaigle était mal-à-l'aise d'être vu par un professeur en compagnie de celle qu'il aimait et... qui semblait bien être une moldue.

Si seulement il avait su… Pensa Gilda avec tristesse.

Cette vision lui rappelait Yannick et leur premier rendez-vous dans le monde magique, c'était en France alors qu'il s'était débrouillé pour la rejoindre à Grasse, du côté sorcier. Gilda s'efforça de ne pas dévisager le jeune joueur de Quidditch ni sa compagne, mais elle dut bien avouer que la tentation était forte, tant cela lui rappelait de souvenirs, aussi précieux que douloureux à présent.

Fort heureusement l'animation ne tarda pas à la distraire de ces sombres états d'âmes (de plus en plus fréquents). Bientôt, le salon commença à se remplir et Gilda ne vit plus que des couples qui se tenaient la main.

- Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? Demanda soudain Astrid Pieddodu juste à sa gauche et Gilda sursauta en s'apercevant qu'elle n'avait même pas jeté un œil à la carte :

- Heu… Souffla t-elle gênée en sortant de ses pensées. Voyons…

Elle jeta un rapide coup d'oeil et proposa à Sebastian et Moon un choix de collation. Tous les deux choisirent un gâteau différents et une tasse de chocolat. Elle-même prit un simple café au lait. Voir Roger Davies et son amoureuse lui avait en effet noué l'estomac et lui rappelait tous les sacrifices que pouvait coûter un choix de vie comme le sien.

Le souvenir de l'agression dont elle avait été victime quelques jours plus tôt lui revint également en mémoire et elle déglutit en y repensant. L'insulte et la menace gravées ensemble sur le sol prenait à présent tout son sens :

« Dégage traîtresse, ou on te fera subir le même sort... »

L'avait-on véritablement menacée de mort ? Et pourquoi d'une telle manière ?

Cependant, Gilda n'eut guère le temps d'y réfléchir davantage. Un couple bien particulier entra soudain et s'installa à la dernière table de libre dans le petit salon de thé… Là encore elle dut faire un effort pour ne pas les dévisager.

Si Cho Chang paraissait très à l'aise ici et ravie de la décoration, Gilda remarqua aussitôt que Harry Potter semblait beaucoup plus sceptique, à peut près autant que Sebastian pour tout dire. Elle contint un sourire à sa mine presque déprimée, mais ressentit pour lui un brin de compassion. L'adolescent semblait si peu à son aise que sa propre tristesse disparaissait un peu rien qu'à regarder le duo comique qu'il formait avec sa petite amie.

Astrid Pieddodu revint à cet instant et les servit. A la grande joie des deux enfants qui attaquèrent immédiatement. Rien qu'à l'odeur en effet, on pouvait deviner que c'était très bon.

Quand-même, pensa Gilda tout en dégustant son café au lait tandis que ses deux enfants avaient presque terminé leur gâteau, quel couple curieux… Sans avoir envie de se montrer critique, elle ne pouvait nier en elle-même qu'elle les trouvait particulièrement mal assortis.

S'efforçant de se faire plus discrète que jamais, elle termina sa tasse au moment où Madame Pieddodu prenait la commande des deux adolescents. Moon observait toujours avec fascination la décoration du salon tandis qu'elle-même s'efforçait de l'imiter, mais une de ses oreilles traînait irrésistiblement en direction des deux jeunes gens dont la conversation, d'abord maladroite et empruntée, devint soudain terriblement animée.

Il était visiblement question d'écourter leur journée à deux, et le jeune Potter n'était guère adroit pour présenter la chose, même s'il était clair qu'il pêchait par honnêteté. Gilda essaya de se faire toute petite à l'autre bout du salon de thé lorsque la dispute éclata vivement entre les deux tourtereaux

- Allez, va-t'en ! dit Cho Chang qui pleurait à présent dans la serviette. Je ne sais pas pourquoi tu m'as demandé de sortir avec toi si tu t'organises des petits rendez-vous pour aller voir d'autres filles après moi… Tu en vois combien d'autres, après Hermione ?

- Ce n'est pas du tout ce que tu crois ! répliqua Harry Potter et, à la consternation de Gilda, il sourit bêtement.

Mais qu'il était bête ! Songea t-elle horrifiée lorsqu'il éclata de rire et parut se rendre compte une fraction de seconde trop tard qu'il venait de commettre une erreur de plus.

Cho Chang se leva d'un bond, incapable de tolérer l'affront plus longtemps. La salle était devenue silencieuse et tout le monde les observait.

- À un de ces jours, Harry, dit-elle d'un ton théâtral tandis que sa voix partait désagréablement dans les aigus.

Avec un léger hoquet, elle se précipita vers la porte, l'ouvrit à la volée et se hâta de sortir sous la pluie battante, prise de sanglots.

- Cho ! appela Harry Potter à présent plus penaud.

Mais la porte s'était déjà refermée derrière elle avec le tintement musical habituel. Le silence était total dans le salon de thé à présent. Tous les yeux s'étaient fixés sur Harry Potter, y compris ceux de Gilda qui se sentait à présent à nouveau triste. Le jeune homme jeta un Gallion sur la table, secoua la tête pour faire tomber les confettis roses qu'il avait dans les cheveux et sortit à son tour à la suite de sa belle tandis que Roger Davies murmurait quelque-chose à l'adresse de la sienne.

- Ils ne sont plus amoureux maman ? Demanda Moon sur un ton très sérieux lorsque la porte se fut refermée.

- Je ne sais pas, répondit Gilda en soupirant avec tristesse et consternation. À cet âge ça arrive souvent tu sais.

Elle en avait la certitude à présent, Harry Potter n'était pas le moins du monde dans son assiette. Elle paya rapidement puisque ses enfants avaient également terminé, salua la tenancière et sortit à son tour sous la pluie qui tombait dru à présent, juste à temps pour entendre le jeune homme pester :

- Ah, les femmes ! marmonnait-il avec colère un peu plus loin, les mains enfoncées dans les poches et pataugeant dans l'eau qui ruisselait sur le trottoir. Et d'abord, pourquoi voulait-elle parler de Cedric ? Pourquoi faut-il toujours qu'elle amène des sujets de conversation qui la transforment en tuyau d'arrosage ?

Derrière lui, Gilda soupira devant un tel manque de délicatesse (même si elle ne pouvait pas prétendre qu'elle était un exemple à suivre) mais elle ne l'en suivit pas moins avec Sebastian et Moon, l'air de rien tout en faisant mine de rentrer vers le château. L'averse était désagréable et elle espéra qu'il n'allait pas tarder lui-même à se trouver un abri.

Elle n'y croyait pas : elle pistait Harry Potter tout simplement parce qu'elle était curieuse de voir où il allait se rendre à présent. Bientôt, l'adolescent tourna à droite et se mit à courir dans des gerbes d'eau qui inondaient le village. Quelques minutes plus tard, Gilda le voyait avec soulagement pousser la porte des Trois Balais.

Accélérant le pas avec Sebastian et Moon, elle y entra trente seconde après lui, sa fille toujours dans les bras et un peu haletante. L'établissement était étrangement presque vide. Là, elle s'assit avec bonheur sur une chaise dans un coin un peu à l'écart et prit le temps de secouer ses cheveux trempés avant d'aller commander tandis que Sebastian gardait leurs places et sa petite sœur.

C'était un peu tôt pour manger mais tant pis. De toute manière, il fallait qu'elle consomme si elle souhaitait rester là. Ce faisant, elle jetait également un regard inquisiteur à l'adolescent qui était resté planté quelques instants au centre de la salle. A présent Harry Potter hésitait et Gilda qui avait écouté sa conversation pour le moins maladroite savait qu'il était beaucoup trop tôt pour son rendez-vous avec Hermione Granger.

Aussi elle ne fut guère étonnée de le voir essayer de trouver quelqu'un avec qui passer le temps en attendant.

L'adolescent secoua les cheveux mouillés qui lui tombaient devant les yeux tout en frissonnant et en jetant un coup d'œil un peu perdu dans la salle. Gilda se rappela combien elle-même avait froid dans ses vêtements humides et se maudit avant de se rappeler qu'avec Moon et Sebastian ils étaient installés justement non loin d'une des cheminées de la salle.

Enfin, Harry Potter repéra une connaissance et elle suivit son regard. De l'autre côté de la pièce en effet, non loin de l'endroit où Sebastian s'était assis, Rubeus Hagrid, l'air morose, était assis tout seul dans un coin et elle éprouva pour lui une certaine peine. Lui aussi avait beaucoup souffert depuis le début d'année.

Gilda regarda non sans un peu de tristesse Harry Potter qui se faufilait entre les tables serrées les unes contre les autres et tirait une chaise pour s'asseoir à côté du demi-géant.

- Bonjour, Hagrid ! Dit-il d'une voix pleine d'espoir.

Rubeus Hagrid sursauta et baissa les yeux vers Harry Potter, visiblement perdu et comme s'il le reconnaissait à peine. Depuis la veille où Gilda l'avait croisé, il avait deux nouvelles coupures et plusieurs autres contusions au visage. Et bien qu'elle n'ait rien dit, elle avait sa propre idée de comment il avait pu se les faire.

En effet, dès son arrivée au château, elle avait immédiatement fait le lien entre ses blessures et le compte-rendu qu'il avait donné aux autres lors de son retour auprès de l'Ordre du Phénix.

- Ah, c'est toi, Harry, dit le demi-géant de sa grosse voix au moment où le serveur revenait au comptoir avec la commande de Gilda : à savoir un plateau de sandwiches et trois jus de citrouille. Alors, ça va ?

- Oh oui, très bien, mentit le jeune homme sans parvenir toutefois à éviter de rougir, tandis que Gilda remerciait le barman et sortait son porte-monnaie. Heu… et vous ?

- Moi ? Oh oui, ça va à merveille, Harry, à merveille.

Gilda comprit que Rubeus Hagrid avait déjà abusé de la boisson lorsqu'il contempla les profondeurs de sa chope d'étain qui avait la taille d'un seau et qu'il soupira avec accablement. A côté de lui, Harry Potter semblait désemparé, ne sachant visiblement pas quoi dire et ils restèrent un bon moment assis côte à côte sans prononcer un seul mot.

Gilda qui avait payé tout en les écoutant retourna auprès de ses deux enfants et les servit tout en guettant le moment où la conversation reprendrait :

Enfin, Rubeus Hagrid rompit le silence pesant qui s'était installé entre eux :

- On est dans le même bateau, toi et moi, pas vrai, Harry ? Dit-il avec accablement.

- Heu…

- Ouais… je te l'ai déjà dit… on est des marginaux, reprit Rubeus Hagrid en hochant la tête avec une sagesse qui ne pouvait pas être due seulement à la bière qu'il buvait. Et orphelins tous les deux… Oui… orphelins tous les deux.

Il reprit sa chope et but une longue gorgée.

- Ça fait une différence d'avoir une famille convenable, dit-il. Mon père était quelqu'un de bien. Et ta mère et ton père, eux aussi, étaient des gens bien. S'ils avaient vécu plus longtemps, la vie n'aurait pas été la même, tu ne crois pas ?

- Si… J'imagine, répondit Harry Potter avec prudence, visiblement de plus en plus mal à l'aise.

Gilda savait qu'elle n'aurait pas du laisser son collègue étaler ses états d'âme alcoolisés ainssi devant un adolescent, mais à présent elle n'avait plus la moindre envie d'agir. En effet, loin d'être dénués de sens, les propos de Rubeus Hagrid résonnaient également en elle, faisant écho à sa propre douleur et, un instant, elle éprouva l'envie presque irrésistible de se joindre à eux pour bavarder.

Sauf qu'il fallait absolument qu'elle garde les pieds sur terre. La vie était peut-être dure, ce n'était pas pour autant une raison pour se morfondre sans cesse.

- La famille, ajouta le demi-géant d'un air sombre en contemplant encore sa chope. On peut dire ce qu'on veut, le sang, c'est important…

Et il essuya une goutte qui coulait au coin de sa paupière, Gilda eut alors l'intime conviction qu'elle avait visé juste.

- Hagrid, répondit Harry Potter, incapable de retenir sa curiosité et son inquiétude. D'où viennent toutes ces blessures ?

- Quoi ? répondit Hagrid d'un air surpris. Quelles blessures ?

- Celles-ci ! dit le jeune homme en haussant la voix sur un ton désespéré et en montrant le visage de Hagrid.

- Oh, ça, c'est normal, simplement des bleus et des bosses, dit Hagrid avec un dédain bourru qui ne lui ressemblait pas tout à fait. Mon travail est un peu rude, parfois.

Visiblement soucieux de préserver ce que Gilda devinait être un secret aussi lourd que dangereux, Rubeus Hagrid vida sa chope, la reposa sur la table et se leva.

- À un de ces jours, Harry… dit-il. Prends bien soin de toi.

L'air accablé, il sortit du pub d'un pas pesant et disparut sous la pluie torrentielle. Le cœur de Gilda se serra en le regardant partir. Son collègue était terriblement malheureux. Il cachait quelque chose qui le mettait profondément en danger mais paraissait décidé à n'accepter aucune aide. Que se passait-il ?

Ou plutôt, se passait-il véritablement ce qu'elle craignait ? Et si oui, quelqu'un était-il seulement au courant ?

Alors que le regard de Gilda allait de la porte à Harry Potter, elle entendit soudain une voix qu'elle connaissait appeler le jeune homme :

- Harry ! Harry, par ici !

Hermione Granger faisait des signes de la main à l'autre bout de la salle et Gilda se trouvait exactement à mi-chemin entre elle et le jeune homme qui paraissait à présent à la fois surpris et soulagé. D'ailleurs il se leva immédiatement et se fraya un chemin dans le pub presque vide pour aller la rejoindre.

Gilda s'aperçut seulement à ce moment-là qu'Hermione Granger n'était pas seule.

Elle était assise en compagnie des deux personnes les moins susceptibles de boire un verre avec elle : Luna Lovegood et une femme qui n'était autre que Rita Skeeter, ex-journaliste à La Gazette du sorcier et l'un des êtres que la jeune fille détestait le plus au monde, Gilda le savait parfaitement.

- Tu es en avance ! dit la jeune fille également surprise en se poussant pour lui laisser la place de s'asseoir. Je pensais que tu étais avec Cho, je ne t'attendais pas avant une bonne demi-heure !

- Cho ? dit aussitôt Rita en pivotant sur son siège pour dévisager Harry d'un regard avide. Une fille ? Elle attrapa son sac en crocodile et fouilla à l'intérieur.

- Même si Harry sortait avec une centaine de filles, cela ne vous regarderait pas, dit Hermione Granger à Rita d'un ton glacial. Alors vous pouvez tout de suite ranger votre petit matériel.

Gilda étouffa le rire qui menaçait de franchir ses lèvres. Rita Skeeter était en effet sur le point de sortir sa plume d'un vert criard qu'elle remit aussitôt dans son sac avec l'air de quelqu'un qu'on vient d'obliger à avaler un remède amer et nauséabond. Sa tête à elle seule aurait plié de rire les jumeaux Weasley.

- Qu'est-ce que vous fabriquez là ? demanda Harry Potter à la fois interloqué et furieux, après être resté muet quelques instants, probablement sous l'effet de la surprise et de l'incompréhension.

Il s'assit pourtant et regarda successivement les trois comparses parfaitement dépareillées qui se regardaient elles-mêmes en chien de faïence, de ce que Gilda pouvait en juger par les coups d'oeil discrets qu'elle leur lançait.

Pendant ce temps, ses enfants mangeaient en silence, beaucoup plus intéressés par la perspective de calmer leur faim que par celle d'écouter ce qui se passait autour d'eux. Mais où mettaient-ils donc tout cela puisqu'ils avaient à peine avalé un morceau de gâteau chez Madame Pieddodu ? Pour l'appétit, ils ne tenaient sûrement pas d'elle mais plutôt de leur père ! Il n'y avait aucun doute possible là-dessus.

- C'est ce que la petite Miss Parfaite s'apprêtait à me dire quand tu es arrivé, répondit Rita Skeeter à Harry Potter en buvant bruyamment une longue gorgée de son verre de Whisky.

Gilda ne put contenir un frisson de dégoût face aux manières de la journaliste :

- J'espère quand même que j'ai le droit de lui parler ? Lança d'ailleurs celle-ci à Hermione Granger d'une voix étrangement amère.

- En effet, vous avez le droit, répliqua la jeune fille avec froideur tout en lui renvoyant un regard menaçant.

Tout en surveillant ses enfants qui dévoraient les sandwiches à une vitesse étonnante, Gilda les observait en coin, à la fois inquiète et intriguée par un tel manège. Et il n'y avait pas à dire : le chômage ne convenait guère à Rita Skeeter maintenant qu'elle la voyait de plus près et l'observait avec attention. Ses cheveux autrefois soigneusement bouclés et d'un blod tape-à-l'œil étaient à présent ternes, négligés et pendaient tristement autour de son visage un peu pâle. Il est vrai que la potion capillaire des sorciers, si elle était efficace, coûtait une petite fortune et d'ailleurs c'était à un aïeul du jeune homme assis avec la journaliste que l'on devait cette invention plutôt fameuse.

Pour revenir à Rita, rien dans le reste de son apparence ne lui rendait honneur : le vernis écarlate qui recouvrait ses ongles trop longs et acérés était écaillé, deux ou trois strasses manquaient à ses lunettes en amande et le maquillage qu'elle portait était incontestablement bas de gamme.

Quant-à ses vêtements, ils n'avaient pas du voir le pressing depuis longtemps et auraient mérité un bon coup de fer.

Mais qu'à cela ne tienne, elle but une nouvelle gorgée tout aussi bruyante et demanda du coin des lèvres :

- Elle est jolie, Harry ?

Gilda soupira discrètement.

- Un mot de plus sur la vie sentimentale de Harry et le marché ne tient plus, je vous le garantis, répondit Hermione Granger d'un ton irrité.

- Quel marché ? interrogea Rita avec morgue en s'essuyant la bouche d'un revers de main étudié. Tu ne m'as pas encore parlé de marché, Miss Bégueule, tu m'as simplement dit de venir te retrouver ici.

« Miss Bégueule » ? Elle y allait fort !

Le regard de Hermione Granger se fit encore un peu plus menaçant et la journaliste ajouta d'une voix excédée :

- Oh, toi, un de ces jours…

Cela suffisait à en dire très long sur le sort qu'elle souhaitait à l'adolescente. Pourtant Rita prit une profonde inspiration qui la fit frissonner de la tête aux pieds et Gilda se sentit étrangement troublée par cette marque de vulnérabilité. Quelque-chose ne tournait clairement pas rond dans toute cette histoire !

- C'est ça, répliqua Hermione Granger avec indifférence et un rictus narquois. Un de ces jours, vous écrirez d'autres articles horribles sur Harry et sur moi. Allez-y, trouvez donc quelqu'un que ça intéresse.

- Cette année, ils n'ont pas eu besoin de moi pour écrire des articles horribles sur Harry, fit remarquer Rita en retour.

Elle jeta au jeune homme un regard en biais par-dessus son verre et ajouta dans un murmure rauque :

- Comment as-tu réagi en lisant ça, Harry ? Tu t'es senti trahi ? Désemparé ? Incompris ?

- Il est en colère, bien sûr, répondit Hermione Granger d'une voix dure et distincte. Parce qu'il a dit la vérité au ministre de la Magie et que le ministre est trop bête pour le croire.

- Alors, tu t'en tiens à ton histoire selon laquelle Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom est de retour ? L'interrogea Rita à présent nettement dubitative.

Elle abaissa ses lunettes et soumit Harry Potter à un regard perçant, comme si elle avait espéré le sonder jusqu'au plus profond de son âme. La crainte que semblait lui inspirer Hermione Granger, si elle était forte, ne l'empêchait pas tout à fait de revenir à sa nature profonde visiblement.

À table, Moon et Sebastian se mirent à faire des jeux de mains entre eux, ce qui arrangea bien Gilda qui les laissa faire tout en poursuivant son écoute de la conversation Lavoisine :

- Tu maintiens toutes ces salades que Dumbledore a racontées à tout le monde ? Demandait à présent Rita à Harry Potter. Au sujet du retour de Tu-Sais-Qui dont tu serais le seul témoin ?

- Je n'étais pas du tout le seul témoin, gronda Harry Potter d'une voix pleine de colère. Il y avait une douzaine de Mangemorts également présents. Vous voulez leurs noms ?

- J'aimerais beaucoup, confia Rita dans un souffle.

Souriante et calculatrice, elle fouillait à nouveau dans son sac à présent et regardait Harry comme s'il offrait le plus beau spectacle qu'elle eût jamais vu.

- J'imagine le titre en grand, dit-elle, soudain jubilante. « Potter accuse…» avec en sous-titre : « Harry Potter révèle les noms de Mangemorts qui se cachent parmi nous ». Et puis, en légende d'une belle grande photo de toi : « Harry Potter, quinze ans, l'adolescent perturbé qui a survécu à l'attaque de Vous-Savez-Qui, a provoqué un scandale hier en accusant d'éminents et respectables membres de la communauté magique d'être des Mangemorts…»

La Plume à Papote était maintenant dans sa main et à mi-chemin de sa bouche lorsque l'expression d'extase de son visage s'évanouit.

- Mais bien sûr, dit-elle en baissant la voix et en fusillant Hermione Granger du regard, la petite Miss Parfaite ne veut surtout pas que je raconte cette histoire, n'est-ce pas ?

- Eh bien, en réalité, répondit Hermione avec une douceur qui ne pouvait tromper Gilda. C'est au contraire ce que veut la petite Miss Parfaite.

Rita l'observa avec des yeux ronds. Harry Potter également. De son côté, Luna Lovegood chantonnait Weasley est notre roi d'une voix rêveuse et remuait le contenu de son verre à l'aide d'un bâtonnet sur lequel était piqué un oignon mariné.

- Tu veux que je rapporte dans un article ce qu'il a dit au sujet de Celui-Dont-On-Ne-Doit-PasPrononcer-Le-Nom ? demanda Rita à Hermione Granger d'une voix étouffée dans laquelle Gilda décela autant de peur que d'étonnement.

- Oui, c'est ça, répondit la jeune fille avec le plus grand sérieux. La véritable histoire. Tous les faits. Exactement comme les raconte Harry. Il vous donnera tous les détails, il vous révélera les noms des Mangemorts clandestins qu'il a vus là-bas, il vous dira à quoi ressemble Voldemort maintenant... Oh, je vous en prie, ressaisissez-vous, ajouta-t-elle avec mépris en lui jetant une serviette.

Au nom de Voldemort, Rita avait tellement sursauté qu'elle avait renversé sur elle la moitié de son whisky Pur Feu (Gilda elle-même n'avait pu contenir un léger sursaut également et celui-ci avait attiré le regard de Luna Lovegood qui lui adressa un léger sourire). Bouleversée, la journaliste épongea le devant de son imperméable vert un peu crasseux sans quitter Hermione Granger du regard.

Et aux yeux de Gilda, cette attitude soudain aussi craintive ne pouvait s'expliquer simplement par le fait qu'une adolescente ait prononcé le nom du Seigneur des Ténèbres devant elle.

Rita Skeeter avait bien plus à risquer dans cette entreprise qu'elle ne voulait bien l'avouer.

D'ailleurs, elle répliqua d'une voix sèche quoique un peu fébrile :

- La Gazette n'imprimera jamais ça. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, personne ne croit ces histoires à dormir debout. Tout le monde pense qu'il a des hallucinations. Maintenant, si tu veux bien me laisser écrire quelque chose sous cet angle…

Pour faire diversion, éviter d'être remarquée et occuper sa fille qui commençait à se lasser des jeux de mains afin de pouvoir écouter la conversation, Gilda fit mine de vouloir amuser ses enfants. Elle sortit sa baguette pour transformer une des serviettes de table en oiseau de papier (un des rares sorts qu'elle sait pratiquer car c'était un jeu lorsqu'elle était en classe). Puis ceci ayant réussi, elle en créa un second et tous les deux se mirent bientôt à voler un peu lourdement devant Moon et Sebastian.

Ce dernier sourit largement tandis que sa petite sœur laissait le plus joli des deux se poser sur son bras avec un cri de ravissement.

Pendant ce temps, Gilda observait toujours discrètement le manège des adolescents et de la journaliste, leur jetant fréquemment des regards à la dérobée. Elle remarqua que Rita semblait terrifiée bien qu'elle essaie de ne pas le montrer et ressentit un peu de peine pour elle.

Elle savait que, que depuis de nombreuses années, la journaliste à scandales la plus connue du monde magique flirtait avec des milieux pas nets et devinait sans peine qu'aujourd'hui on l'avait coincée.

Derrière le sarcasme qui maquillait son manque d'assurance, Gilda sentait à présent une véritable terreur chez cette cousine éloignée qu'elle n'avait jamais vraiment côtoyée mais qu'elle connaissait de vue et de réputation :

- Nous n'avons pas besoin d'un nouvel article pour dire que Harry a perdu la boule ! Répliqua Hermione Granger avec colère et froideur. Nous avons déjà ce qu'il nous faut, merci ! Je veux qu'il ait la possibilité de dire la vérité !

- Il n'y a pas de marché pour une histoire comme ça, dit Rita d'un ton froid.

- Vous voulez plutôt dire que La Gazette ne la publierait pas parce que Fudge s'y opposerait, rectifia la jeune fille, agacée.

Il n'y avait pas à dire, Hermione Granger avait tout compris. Rita fixa longuement l'adolescente d'un regard dur et Gilda fut intimement persuadée qu'elle ne saisissait pas tout. Puis elle se pencha en avant par-dessus la table et dit, sur un ton de femme d'affaires digne du Diable s'habille en Prada :

- D'accord, Fudge fait pression sur La Gazette, mais ça revient au même. Ils ne publieront jamais un article qui montre Harry sous un jour favorable. Personne n'a envie de lire ça. C'est contraire à l'état d'esprit de l'opinion. La dernière évasion d'Azkaban a suffisamment inquiété les gens. Ils ne veulent tout simplement pas croire que Tu-Sais-Qui est de retour.

- Alors, La Gazette du sorcier a pour ambition de ne dire aux gens que ce qu'ils ont envie d'entendre, c'est ça ? répliqua Hermione Granger d'une voix cinglante.

Rita se redressa, les sourcils levés, et vida son verre de whisky Pur Feu.

- La Gazette a pour ambition de se vendre, espèce de petite sotte, dit-elle froidement.

- Mon père trouve que c'est un horrible journal, dit alors Luna Lovegood en se mêlant soudain à la conversation, ce qu'elle n'avait pas fait jusque là.

Gilda n'en pensait pas beaucoup moins et rien de ce qu'avait dit Rita Skeeter ne la surprenait. Elle avait depuis longtemps perdu toute naïveté devant la Presse sorcière de toute manière.

Suçant son oignon mariné, Luna fixa Rita de ses immenses yeux protubérants au regard un peu fou et ajouta comme si cela pouvait clore le débat :

- Lui, il publie des articles importants parce qu'il pense que le public a besoin de savoir. Il s'en fiche de gagner de l'argent.

Rita se tourna vers Luna Lovegood d'un air hautain et lui répondit :

- J'imagine que ton père dirige une quelconque feuille de chou locale ? Le genre Vingt-cinq façons de passer inaperçu chez les Moldus avec la date des prochaines braderies de chaudrons ?

- Non, répondit la jeune fille, toujours aussi imperturbable, en trempant son oignon dans son soda de Branchiflore. Il est directeur du Chicaneur.

Rita poussa un grognement de dédain si bruyant que les clients de la table Lavoisine se retournèrent d'un air inquiet et que même Moon leva la tête de son oiseau de papier, le regard réprobateur.

- Pas bo, dit-elle d'un air sévère avant de retourner à son jeu.

- Des articles importants parce qu'il pense que le public a besoin de savoir, hein ? Répétait déjà Rita Skeeter avec le plus profond mépris. Je pourrais me servir de ce torchon comme fumier pour mon jardin.

- Eh bien, voilà une chance de relever un peu le niveau, répliqua Hermione d'un ton aimable, coupant net la pensée de Gilda qui avait failli répliquer que c'était dans le compost et non dans le fumier que l'on pouvait mettre du papier journal. Luna dit que son père est d'accord pour prendre l'interview de Harry. C'est lui qui la publiera.

Rita les regarda toutes les deux pendant un moment, parfaitement interloquée. Puis soudain elle laissa échapper un hurlement de rire.

- Le Chicaneur ! s'exclama-t-elle en gloussant comme une poule. Et tu penses que les gens vont le prendre au sérieux si on publie ça dans Le Chicaneur ?

- Certaines personnes ne le croiront pas, admit Hermione Granger d'une voix égale, sans se laisser le moins du monde affecter par les moqueries de la femme en face d'elle. Mais la version que La Gazette du sorcier a présentée de l'évasion d'Azkaban comporte des lacunes béantes. Je crois que beaucoup de gens vont se demander s'il n'existe pas une meilleure explication de ce qui s'est passé et s'ils voient un autre article disponible, même publié dans un… (elle jeta à Luna un regard en coin) dans un magazine inhabituel, je pense qu'ils auront très envie de le lire.

Rita resta silencieuse un long moment mais elle observait son adversaire d'un œil rusé, la tête légèrement penchée de côté.

- Bon, admettons que je le fasse, dit-elle soudain. Je serais payée combien pour ça ?

- Je ne crois pas que mon père paye vraiment les gens pour écrire dans son magazine, répondit Luna d'une voix rêveuse. Ils le font parce que c'est un honneur et puis aussi pour voir leur nom imprimé.

Rita Skeeter se tourna vers Hermione Granger. On aurait dit qu'elle avait encore dans la bouche un goût prononcé de potion vomitive.

- Je suis censée faire ça gratuitement ?

- Eh bien oui, assura la jeune fille d'un ton très calme en buvant une gorgée du contenu de son verre. Sinon, comme vous le savez déjà, j'informerai les autorités que vous êtes un Animagus non déclaré (Gilda se fit violence pour faire mine de ne rien avoir entendu). À ce moment-là, peut-être que La Gazette vous paiera un bon prix pour un reportage en direct sur la vie des prisonniers d'Azkaban.

Rita semblait éprouver une envie irrépressible de prendre le petit parasol en papier qui dépassait du verre d'Hermione Granger et de le lui enfoncer dans le nez. Ses yeux lançaient des éclairs.

D'un côté, pensa Gilda, après tout ce que la journaliste avait écrit sur cette brillante jeune fille l'année précédente, elle aurait pu s'attendre à ce genre de choses.

- J'imagine que je n'ai pas le choix ? Dit Rita d'une voix légèrement tremblante qui montrait bien qu'elle se savait prise au piège.

Elle ouvrit à nouveau son sac en crocodile, en sortit un morceau de parchemin et prit sa Plume à Papote.

- Papa sera très content, déclara Luna Lovegood d'un ton enjoué.

Un muscle tressaillit sur la mâchoire de Rita et son regard foudroya un bref instant l'adolescente blonde.

- D'accord, Harry ? demanda Hermione Granger en se tournant vers lui. Prêt à dire la vérité au public ?

- Oui, je pense, répondit Harry Potter d'une voix à peu près assurée.

Il regarda Rita dont la Plume à Papote frémissait déjà au-dessus du morceau de parchemin.

- Alors, allez-y, Rita, dit Hermione Granger d'un ton serein en repêchant une cerise confite au fond de son verre avec un sourire supérieur.

Pâle et furieuse, la journaliste se tourna vers Harry Potter :

- Je t'écoute Harry, dit-elle d'une voix tremblante.

Gêné, le jeune homme hésita et son regard croisa soudain celui de Gilda, elle comprit aussitôt qu'il était mal à l'aise à l'idée de tout raconter devant elle et ses enfants.

Pourtant, il fallait que cet article sorte et la jeune femme fut soulagée lorsque Hermione Granger, après un temps d'hésitation, pointa discrètement sa baguette par dessous la table dans sa direction et marmonna une incantation qu'elle reconnut comme un assurdiato.

Elle étouffa un rire lorsqu'un léger bourdonnement résonna à ses oreilles et murmura pour elle-même :

- Très discret comme manœuvre.

Puis elle se concentra sur ses oiseaux volants afin de les rendre un peu plus vivants.

- C'est rigolo, lui dit Sebastian qui mangeait encore un sandwich. On a commencé par le dessert aujourd'hui.

- Il y a des jours comme ça, soupira Gilda en en prenant un elle-même avant de regarder discrètement le trio d'adolescents derrière elles qui entouraient Rita Skeeter.

A présent que Harry Potter avait pris la parole, Hermione Granger était elle-aussi un peu pâle et Luna Lovegood avait un air triste qu'on lui voyait assez rarement. Quant-à Rita, elle avait sorti un autre bloc-note pour compléter à la main celles de sa plume à papote et paraissait à la fois tendue et concentrée.

Son expression de réticence avait disparu, sa morgue également et elle semblait à présent si professionnelle et consciencieuse que Gilda songea avec regret qu'elle aurait réellement pu faire une grande journaliste. Bien dommage qu'elle ait choisi de se dévoyer complètement dans sa quête du succès.

Lorsque les adolescents quittèrent enfin les trois balais, les filles emmenant un Harry Potter quelque-peu ébranlé, Gilda ne perdit pas de temps. Elle murmura à Sebastian de garder sa sœur et se leva pour s'installer à table avec la journaliste :

- Bonjour chère cousine, dit-elle d'une voix neutre alors que Rita rangeait plumes et blocs-notes avec des gestes lents.

- Gilda Marty… Répondit la femme avec un sourire désabusé.

Gilda nota aussitôt que Rita Skeeter l'avait appelée par son nom marital sans la moindre hésitation, ce qui n'était pas le cas des sorciers qu'elle rencontrait depuis son retour dans le monde magique. D'ailleurs la journaliste poursuivit :

- J'ai lu vos deux livres, figurez-vous. Ils sont… Plutôt intéressant.

Rita avait dit cela en souriant d'un air provocateur mais Gilda lui répondit calmement :

- Je ne suis pas ici pour que nous nous exercions à une lutte d'influence chère cousine, je voulais simplement m'assurer qu'après ce que vous venez de promettre de publier, et que vous publierez réellement si j'en crois votre air pris au piège d'il y a quelques minutes, vous vous sentez en sécurité.

La journaliste haussa les épaules d'un geste qui se voulait probablement assuré mais qui ne pouvait tromper aucune des deux femmes.

- Pourquoi je ne le serais pas ? Répliqua Rita Skeeter.

- Votre question est un aveu Rita, lui fit remarquer Gilda. Et une journaliste ne laisse pas tomber toutes ses activités du jour au lendemain sans une bonne raison pour cela.

Comme l'autre ne répondait rien, elle ajouta encore :

- Vous êtes une animagus non-déclarée Rita, en proie au chantage d'une adolescente bien trop maline pour vous laisser la moindre chance de vous en tirer. Vous vous apprêtez à publier un article contraire au bon-vouloir du Ministère… Sans parler de ce que d'autres personnes de votre connaissance pourraient en penser… Autant vous dire que je pense franchement que ma question a tout son sens.

Rita Skeeter soupira mais répondit :

- Et vous… Chère cousine… Vous êtes-vous toujours sentie en sécurité ces dernières années ? Après avoir également publié des choses contraire au sens du vent ? Après avoir vu votre mari mourir ? Pourtant si je ne m'abuse, personne n'est venu vous chercher des poux dans la tête comme vous le faîtes actuellement avec moi...

Elle disait cela comme si une telle réponse lui permettait incontestablement de gagner un point, et elle ajouta :

- Je n'ai besoin ni de votre pitié, ni de votre inquiétude.

- En revanche, répondit Gilda. Vous avez besoin de protection. C'est une évidence.

Sans le dire, elle espérait amener Rita Skeeter sur le terrain de Dumbledore. Si une de ses adversaires historiques se trouvait dans une telle difficulté, nul doute que le directeur pourrait en tirer parti.

Cependant la journaliste ne semblait pas décidée à lui faciliter la tâche :

- Vous êtes sans doute craintive Gilda, répondit-elle. Et je ne saurais nier que c'est à raison. Mais en ce qui me concerne, j'ai suffisamment de possibilités pour avoir le choix des armes.

- Cela semble incontestable, répondit Gilda sur un ton ironique.

Rita but encore une gorgée de son verre, mais plus discrètement cette fois :

- Et vous Gilda ? Demanda t-elle sur un ton provocateur. Où en êtes-vous donc ? Pensez-vous que la protection d'Albus Dumbledore soit une bénédiction pour vous ?

La jeune femme ne répondit pas et elles se toisèrent en silence quelques minutes. Finalement Rita céda et sortit la première. Gilda attendit qu'elle ait quitté les lieux pour revenir auprès de ses enfants.

Elle avait la réponse à sa question indirectement : Rita n'avait pas manifesté la moindre envie d'écrire sur elle alors qu'elle avait été nommée depuis peu et que son recrutement aurait largement pu faire jaser. Elle avait cependant remarqué que Rita n'avait pas totalement abandonné l'idée de la questionner et, si elle avait répodu, les choses seraient sans doute allées plus loin.

Mais que préparait la journaliste ?

- Maman, on y va maintenant ? Lui demanda soudain Sebastian, non sans une certaine impatience.

- Hum… Oui, tu as raison. Sortons d'ici.

Mais Gilda se sentait encore très troublée. Rien dans l'attitude de Rita ne pouvait s'expliquer de manière rassurante et elle avait l'horrible impression de manquer quelque-chose de capital.

La pluie s'était calmée et c'est avec plaisir qu'ils flânèrent au milieu des boutiques.

Quelques instants plus tard dans la rue centrale, alors qu'elle sortait de chez Zonko avec Sebastian et Moon, elle retrouva Minerva McGonagall qui s'inquiéta profondément à son récit, de peur que Harry Potter ne se soit une fois de plus attiré des ennuis.

- Si cet article sort… Soupira t-elle, avant de changer de sujet : Autrement, est-ce que votre journée a été bonne ?

Ils acquiescèrent tous les trois. Moon avait gardé l'oiseau en papier mais celui-ci peinait à voler à présent et se contentait de tressauter dans sa main. Pourtant, elle le gardait précieusement et n'avait même pas jeté un regard à la grenouille sauteuse que sa mère lui avait achetée.

- Cassé… Dit-elle à Minerva d'un air désolé.

La vieille femme eut un sourire attendri et, d'un simple geste de sa baguette, redonna à la bestiole suffisamment d'énergie pour voler dans la rue. Moon éclata de rire et applaudit.

Gilda murmura d'une voix admirative :

- Tu sais, Minerva serait même capable de le transformer en vrai oiseau.

Moon ouvrit de grands yeux suppliants mais Minerva se contenta de donner des couleurs à l'oiseau de papier et de le faire chanter. Qu'à cela ne tienne, Moon était parfaitement contente, tout comme Sebastian qui jouait avec sa propre grenouille sauteuse, s'entraînant à lui faire exécuter divers tours comme nager la brasse sur sa tête ou faire la ballerine sur sa main. C'était plutôt comique.

Comme l'heure du retour approchait, elles finirent la rue ensemble et vérifièrent que tous les magasins étaient vides d'élèves avant de repartir lentement vers le château. Et tout en marchant elles discutèrent bientôt de Cho Chang et de sa réaction. Aucune des deux n'avait envie de prendre l'état de la jeune fille à la légère.

Minerva révéla à Gilda qu'elle partageait totalement son inquiétude pour la jeune fille, tout comme Filius et Pomona et que celle-ci, à ses yeux, n'arrivait tout simplement pas à remonter la pente après les tragiques événements de l'année précédente.

- Je ne suis d'ailleurs pas particulièrement partisane de son couple avec Harry Potter, dit-elle assez rapidement. Deux personnes qui vont mal, ensemble, cela ne donne jamais rien de bon.

Gilda n'en passait pas moins, pour elle les deux jeunes gens se tiraient mutuellement vers le bas au lieu de vraiment s'entraider.

- Ce n'est pas contre eux, répondit-elle bien qu'elle se sente un peu honteuse. Ce sont deux jeunes de grande valeur. Mais je pense que leur relation est mal à propos et qu'elle ne durera pas.

- Espérons en tout cas que la suite ne soit pas trop douloureuse, répondit sombrement Minerva. Aucun d'eux n'a besoin de davantage de problèmes !