La réaction de Dolorès Ombrage à la parution du chicaneur ne se fit pas attendre. Même si l'article lui-même n'avait pas été immédiatement publié après que Skeeter ait interviewé Harry, elle réagit à la minute même où elle en prit connaissance.
L'Inquisitrice était folle de rage, cela ne faisait aucun doute et elle avait d'ailleurs fait savoir à tous les enseignants qu'une seule insubordination de leur part les mènerait directement au renvoi. Une menace de plus qui venait s'ajouter à celles qui s'accumulaient depuis le début de l'année et commençaient à rendre l'ambiance franchement pesante pour tout le monde.
Beaucoup de professeur ne semblaient pas moins décidés à braver l'interdit d'une manière ou d'une autre même si un étau enserrait la poitrine de la plupart d'entre eux.
Dans la Salle des Professeurs, il ne faisait aucun doute que Dolores Ombrage savait bien avant sa parution que l'article en question allait sortir, et qu'elle avait anticipé la chose. Cela expliquait qu'elle ait si vite réagi malgré sa surprise feinte au petit déjeuner.
Pourquoi avoir paru surprise ? Gilda comme Minerva supposaient que le Ministère avait craint de se mettre en faute s'il avait du censurer l'article. Car on n'intimidait pas si facilement le chicaneur et la chose se serait forcément sue. Mieux valait sans doute laisser l'affaire se produire et jouer l'indignation. Personne ne savait encore si le Ministre ou son entourage réagirait à cette publication. Gilda, elle, en doutait franchement.
Encore plus préoccupant : Dolores Ombrage avait encore collé Harry Potter. Aussi Minerva était aussi tendue que furieuse mais pourtant Gilda sentait poindre en elle comme une jubilation intérieure qu'elle n'arrivait pas à exprimer à cause de la gravité de la situation. Guère étonnant au fond, puisque Minerva McGonagall s'inquiétait autant pour son élève qu'elle n'approuvait sa résistance dans le fond. Et elle qui avait si longtemps servi fidèlement le Ministère devait à présent se trouver totalement déchirée.
- Tout ira bien, lui avait chuchoté Gilda durant la pause qu'elles partageaient à neuf heure. Harry Potter est solide, il va s'en tirer, et puis… Dolores Ombrage n'est peut-être pas aussi puissante qu'elle n'y paraît. Après tout elle n'a pas pu exiger son renvoi alors qu'elle l'aurait sans doute fait au début de l'année.
Minerva n'avait pas répondu, preuve qu'elle nourrissait bien d'autres inquiétudes plus profondes. Et Gilda s'était sentie malheureuse avant de se faire une raison : de toutes manière les dés étaient jetés à présent et il ne restait plus qu'à observer les développements de la situation tout en essayant de l'empêcher de dégénérer totalement.
Vers le milieu de la matinée, d'énormes écriteaux furent placardés par magie partout dans l'école, pas seulement sur les tableaux d'affichage habituels, mais aussi dans les couloirs et même dans les salles de classe.
En grand et en lettres majuscules, il fut donc bientôt possible de lire jusque dans la salle de Gilda les quelques phrases suivantes :
« PAR ORDRE DE LA GRANDE INQUISITRICE DE POUDLARD TOUT ÉLÈVE SURPRIS EN POSSESSION DU MAGAZINE LE CHICANEUR SERA RENVOYÉ.
CONFORMÉMENT AU DÉCRET D'ÉDUCATION NUMÉRO VINGT-SEPT SIGNÉ : DOLORES JANE OMBRAGE, GRANDE INQUISITRICE »
Gilda supposait très justement que le décret s'appliquait également au professeur (bien que rien ne l'indique), et comme elle n'avait pas la moindre envie de devoir contester un renvoi en s'appuyant sur la forme, elle se garda bien de montrer son exemplaire du journal bien qu'elle ait profité d'un temps dans sa chambre pour le lire avec curiosité, juste avant son cours aux quatrièmes années.
C'était en effet la première fois qu'elle accédait au récit de première main des événements par Harry Potter lui-même. Elle avait entendu un résumé des faits durant les réunions de l'Ordre auxquelles elle participait depuis juillet, mais le récit en entier elle ne l'avait jamais eu, comme pas mal de membres d'ailleurs et notamment Minerva.
Lorsqu'elle sortit dans les couloirs, elle croisa d'ailleurs le trio infernal qui était en pleine conversation et les salua en souriant :
- Tu ne comprends donc pas ? Murmurait Hermione Granger à Harry Potter tout en jubilant. La meilleure chose qu'elle pouvait faire pour que tout le monde lise ton interview, c'était de l'interdire !
Gilda approuva instinctivement de la tête. Le mécanisme était en effet bien connu et la jeune fille avait parfaitement raison, surtout dans une école où le plus gros de l'effectif se composait d'adolescents en pleine période d'opposition. Ils allaient se ruer sur la chose.
Elle se demanda vaguement ce que les Serpentard allaient penser de l'article de leur côté mais se garda bien du moindre commentaire. A n'en pas douter, ce serait sûrement un sujet des plus sensibles.
À la fin de la journée, lorsque Gilda ramena ses enfants au château après leur journée d'école, Poudlard bouillonnait encore d'une ambiance à la fois feutrée, tendue et fébrile. Bien que l'on n'ait vu nulle part la moindre trace des journaux-pirates qui avaient circulé, tous les élèves ne parlaient plus que de l'interview, citations à l'appui.
Gilda les entendait en discuter à voix basse depuis le déjeuner, par petits groupes et depuis leurs dortoirs jusqu'à la Grande Salle : y compris dans les files d'attente, juste avant le début des cours, assis dans la Grande Salle et même au fond des salles de classes bien plus bruyantes aujourd'hui que d'habitude.
Bien qu'elle déteste le bruit elle n'avait pas eu le cœur à sévir et laissa couler, d'autant que l'Inquisitrice était trop prise pour assister à ses cours.
Pendant ce temps en effet, Dolores Ombrage rôdait dans les couloirs comme un chacal cherchant sa proie, arrêtant les élèves au hasard pour exiger qu'ils vident leurs poches et leurs sacs sous ses yeux. Gilda était terrifiée à l'idée qu'elle trouve un exemplaire sur un élève mais ceux-ci avaient pris de l'avance sur elle.
Les plus grands ensorcelaient les pages de l'interview qui se transformaient en banales pages de manuel lorsque quiconque d'autre y posait les yeux, ou devenaient totalement blanches dès qu'ils en interrompaient eux-mêmes la lecture comme s'il s'était agi d'un jeu de copies doubles. Le seul moyen de deviner qu'ils le possédaient était de constater en classe l'apparition d'un manuel ou d'un cahier supplémentaire dans leurs sacs. Et encore, certains avaient poussé le vice jusqu'à imiter parfaitement le cahier ou surtout le manuel d'une matière ou d'une autre, ce qui rendait la supercherie totalement indétectable.
Le sortilège s'était si vite répandu que pas un seul cas ne fut relevé dans l'école et Gilda supposa même que les élèves s'étaient entraidés pour cacher leurs exemplaires (après les avoir probablement dédoublés vu l'ampleur de l'affaire).
L'Inquisitrice ne triompha pas et, à cinq heure, il semblait bien que tout le monde dans l'école avait lu l'article, professeurs, personnels et fantômes compris.
Comment cela était-il possible et comment ce journal si marginal s'était-il si rapidement répandu ? Il fallait croire qu'il possédait déjà une audience de base dans l'école et Gilda avait même une autre hypothèse : les sacs de Luna Lovegood, Colin Crivey et Ginny Weasley lui avaient paru bien lourds et volumineux pour ne contenir que des manuels ce jour-là…
D'ailleurs, il lui semblait bien que son hypothèse s'était confirmée lorsque, à la pause de midi, elle avait vu Minerva McGonagall retenir Dennis Crivey et lui demander d'une voix exaspérée :
- Expliquez-moi donc… Comment se fait-il que vous possédiez dans votre sac encore trois manuels de métamorphose et quatre de sortilèges après avoir donné plusieurs de vos exemplaires dans mon propre cours ?
Gilda qui passait juste devant la classe s'était bien gardée de s'arrêter, de peur d'éclater de rire face aux facéties des élèves. Elle approuvait et elle était sûre que Minerva également même si elle affichait une très nette exaspération… Cependant, elle ne devait pas faire d'écarts.
Pourtant, Gilda brûlait de discuter de l'article avec un collègue, mais elle ne savait pas à qui se confier. Le décret d'éducation numéro vingt-six interdisait aux professeurs d'aborder le sujet, à part entre eux bien sûr, mais ils n'étaient même pas sensés avoir lu l'article. De plus, l'ambiance à la suspicion qui régnait au sein des professeurs rendait tous les échanges difficiles.
Gilda comprit rapidement que tous craignaient une mystification destinée à les mettre en faute, il lui faudrait donc attendre que cela se soit dissipé et, pour l'heure, se résigner à trépigner d'impatience et de curiosité.
L'atmosphère de méfiance qui s'était installée parmi le personnel du château ne s'était toujours pas dissipée lorsque Gilda se mit à table avec ses enfants pour le repas ce soir-là. Bien que des sourires un brin satisfaits flottent sur les lèvres de chacun, il n'y avait pas beaucoup de discussion à table et chacun s'observait un peu en chien de faïence. Quant-à Dolores Ombrage, elle semblait d'humeur à la fois féroce et massacrante.
Moon mangea sans faire d'histoire mais il était clair que sa curiosité était piquée car elle regardait attentivement chaque adulte présent, tout comme Sebastian.
Severus Rogue de son côté paraissait extrêmement tendu et presque mal-à-l'aise. Durant toute la journée il était d'ailleurs resté encore plus mutique de d'habitude, et le repas du soir semblait ne rien arranger au point qu'on ne l'entendit pas prononcer un mot tout le temps qu'il demeura à table.
Gilda qui se trouvait juste à côté de lui en ce début de soirée s'était d'ailleurs attendue à le voir désapprobateur et même à devoir faire les frais de ses remarques sarcastiques…
Mais non, il ne fit aucun commentaire désagréable et se contenta de se murer dans le silence, le visage plus pâle que jamais. Cela en devenait même déprimant même si sa compagnie lui était toujours agréable.
- Tout va bien Severus ? S'inquiéta Gilda lorsque ils se retrouvèrent seuls peu après le dîner, alors qu'elle l'aidait au sous-sol, puisque Sebastian voulait ranger la réserve avec lui depuis plusieurs jours, tandis que Moon s'amusait un peu plus loin dans le couloir avec la pelle et la balayette. Vous semblez terriblement soucieux…
L'expression du sorcier se ferma encore plus. Un instant, Gilda craignit qu'il ne l'envoie sur les roses mais il se contenta de lui répondre d'une voix sombre tout en étiquetant les pots qu'elle lui tendait après les avoir essuyés :
- Surtout, ne publiez pas votre avis sur cette interview.
La phrase était laconique, le ton aussi fermé que bourru.
- Je n'en ai pas l'intention, répondit-elle un peu étonnée d'une telle entrée en matière.
- Et, surtout, ajouta t-il comme si elle n'avait rien dit. Ne dîtes pas que vous étiez présente lorsqu'elle a été donnée.
Gilda se sentit brusquement mal-à-l'aise, lui poursuivit sur sa lancée comme si ce qu'il s'apprêtait à lui révéler était d'une importance capitale :
- Ombrage est au courant mais tant qu'elle pense que personne d'autre ne sait, elle ne fera pas de scandale. Autrement elle devrait avouer qu'elle n'a pas su empêcher la chose à temps puisque Harry Potter a livré sa version des faits au beau milieu d'un lieu public.
La chose était aussi effrayante que tirée par les cheveux mais Gilda n'osa rien répondre. Elle ne savait pas ce que dire pour être franche et redoutait de commettre un impair alors qu'il semblait justement essayer de la protéger. Pour le reste, il n'y avait pas vraiment de réprobation dans la voix de Severus Rogue et pourtant elle sentait la tension profonde qui l'habitait alors qu'ils rangeaient tous les deux sa réserve avec Sebastian.
Qu'Ombrage sache déjà tout ne l'étonnait guère au fond, mais c'était plutôt l'attitude de son collègue qui la surprenait. Pensive, elle remit plusieurs bocaux étiquetés sur l'étagère et attrapa un chiffon pour nettoyer celle dont c'était le tour.
C'était la première fois qu'elle aidait Severus et elle devait reconnaître que cette tâche n'était pas désagréable, même pour elle qui n'aimait pas particulièrement faire du rangement. Elle aurait presque souri de la minutie de son collègue mais, ce soir, l'ambiance n'était clairement pas à la rigolade. Aussi elle s'abstint du moindre écart.
Ce manège dura longtemps sans qu'ils n'échangent un seul mot, tous les deux aussi gênés l'un que l'autre par la situation et chacun également un peu accablé, jusqu'au moment où le Maître des Potions reprit soudain la parole, comme s'il avait soudain souhaité se confier à elle :
- Potter a cité plusieurs parents de mes élèves comme des mangemorts, dit-il d'une voix qu'il semblait s'efforcer de conserver calme. Ceux-là sont fous de rage et leurs enfants, dont certains ne sont même pas au courant de l'implication de leurs pères, pensent à de la diffamation. Si Théodore Nott s'écoutait, il irait le provoquer en duel là, sur l'instant.
Cette fois-ci, la ton était nettement plus amer et Gilda frémit, un peu mal-à-l'aise mais quelque-part soulagée qu'il parle de nouveau :
- Je suis désolée, souffla t-elle même si elle l'était davantage pour lui que pour les élèves en question.
- Vous n'avez pas à l'être, répondit-il toujours un peu peiné. Vous n'y êtes pour rien. Potter a cruellement manqué de finesse, de prudence et il s'est affiché en dépit de toutes les mesures de sécurité qu'il aurait du prendre. C'est un crétin aussi arrogant qu'immature.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet avis était tranché, pourtant elle-même refusait catégoriquement de le partager. Elle savait la haine qu'éprouvait son collègue vis-à-vis du jeune homme et la trouvait extrêmement dommage :
- Sans vouloir vous offenser Severus, répondit Gilda (il voulut la couper mais elle poursuivit tout de même). Potter n'y est pas pour grand-chose non-plus dans cette histoire. C'est Hermione Granger qui a tout organisé et il s'est retrouvé devant Rita Skeeter sans même l'avoir prévu.
Comme il l'observait d'un air sarcastique, prêt à dégainer une de ses fameuses répliques, elle lui raconta l'intégralité de la scène à laquelle elle avait assisté. Au fur et à mesure qu'elle parlait, elle le voyait perdre une partie de son air buté et le sarcasme disparaissait également de son expression. Pourtant l'amertume restait présente et Severus Rogue sembla bientôt plus troublé que jamais :
- La machine est en train de s'emballer, souffla t-il lorsqu'elle eut terminé son récit, encore plus pâle qu'auparavant.
Il ajouta après un temps d'arrêt :
- La situation va devenir rapidement incontrôlable, alors un conseil : tenez-vous loin de tout cela !
Gilda n'osa pas relever, c'était dit d'un ton si bourru qu'elle sentait que, si elle s'avisait de contester ses mises, elle n'allait pas tarder à se faire sérieusement remettre en place.
Mais d'ailleurs, pourquoi donc Severus tenait-il tant à la prévenir ? Savait-il vraiment des choses qu'elle ignorait ?
Gilda risqua une question en priant Merlin qu'elle soit à propos :
- Vous me dîtes qu'Ombrage ne fera rien si l'histoire ne se répand pas, dit-elle doucement. Mais comment pouvez-vous en être sûr ?
- Consigne de Fudge, répondit le Maître des Potions. Je l'ai entendue en discuter avec lui. La porte de son bureau était ouverte et je passais dans le couloir… Visiblement, il cherche à étouffer la chose au maximum et craint des remous si, en plus, une enseignante de Poudlard était prise dans l'affaire. Mais gardez-vous bien de faire preuve d'imprudence.
Il fit une pause et ajouta :
- Dolores Ombrage éprouve pour vous une véritable haine, mais Fudge semble pourtant réticent à l'idée de s'en prendre à vous… On dirait bien qu'il craint certaines… Réactions ?
Il avait dit cela comme s'il se posait de sérieuses questions sur elle et Gilda rougit sous l'effet de la gêne.
- Des réactions ? Lui demanda t-elle. Que voulez-vous dire par là ?
- Fudge, répondit Severus. Il agit vis-à-vis de vous comme si vous étiez… Disons protégée par plus fort que lui.
Sous l'effet de la stupeur, Gilda écarquilla les yeux :
- Cela n'a aucun sens, souffla t-elle.
- En êtes-vous sûre ?
- Mais par qui voulez-vous donc que je sois protégée ? Répondit-elle.
- Je ne sais pas, répondit-il. Mais je ne peux m'empêcher de me poser quelques questions quant-à cela.
- Auxquelles je serais bien en peine de vous répondre Severus, souffla t-elle à présent mal-à l'aise. Je dois ce poste à Dumbledore et, à part lui, personne dans le monde magique ne m'a apporté son appui.
Severus pensait-il qu'elle leur mentait et jouait un double jeu ? La perspective était clairement effrayante.
Lorsqu'elle repartit avec Sebastian et Moon un peu plus tard, elle se sentait triste et troublée. La conversation qu'elle avait eue avec Severus tout en rangeant l'avait ébranlée et elle se sentait coupable à l'idée de le mettre dans l'embarras.
C'est un peu accablée mais s'efforçant de le cacher qu'elle alla trouver Minerva McGonagall en salle des professeurs pour lui remettre deux travaux à donner à ses élèves.
Elle savait en effet que la vieille femme était de garde cette nuit-là. Autant en profiter pour aller la voir puisqu'elle avait l'habitude d'effectuer sa ronde environ un quart d'heure après le retour aux dortoirs.
Gilda ne s'était pas trompée et le constata avec soulagement en entrant dans la Salle des Professeurs où elle trouva Minerva, pensive et penchée au dessus d'un journal de la Gazette du Sorcier étalé en pages qu'elle avait disposé sur son bureau et que la jeune femme aurait pu reconnaître entre mille.
La Une de journal était en effet on ne peut plus évocatrice : dix photographies en noir et blanc en occupaient la plus grande partie. Neuf d'entre elles représentaient des sorciers aux visages plus ou moins creusés, la dixième une sorcière guère en meilleur état mais à la physionomie des plus arrogantes.
Comme cela se devait dans le monde magique, toutes les photos étaient animées et pourtant les bustes restaient étrangement statiques, et Gilda savait qu'elles avaient été prises alors que leurs sujets étaient soumis à divers sortilèges coercitifs.
Malgré tout, certains des condamnés affichaient une expression narquoise qui en disait long sur leur puissance magique, voire même un rictus inquiétant, comme s'ils se moquaient d'eux en silence, d'autres pianotaient d'un air insolent sur le bord du cadre. Certains aussi avaient le regard fermé, comme Rabastan Lestrange ou son frère aîné.
Gilda frissonna : chaque portrait s'accompagnait de la légende précisant le nom du sorcier et le crime pour lequel il avait été envoyé à Azkaban. Cependant, celle-ci était très incomplète aux yeux de Gilda qui faisait partie de l'Ordre depuis l'année 1981. Cela dit, elle tout de même effrayante. « Antonin Dolohov », disait la légende sous la photo du sorcier au long visage pâle et tordu qui regardait le photographe d'un air sarcastique n'ayant rien à envier à celui de Severus Rogue, « condamné pour les meurtres particulièrement brutaux de Gideon et Fabian Prewett».
Gilda frissonna en lisant, elle ne connaissait cet homme que trop bien puisqu'elle lui avait été promise un temps et qu'il ne l'avait délaissée (à son grand soulagement) que parce que ses facultés magiques l'inquiétaient. A l'époque elle n'avait que seize ans et elle avait eu véritablement peur pour sa vie lorsque ses parents lui avaient annoncé la chose.
Sans comprendre pourquoi, elle repensa aux avertissements que Severus Rogue lui avait donnés quelques instants plus tôt. Elle savait que Dolohov était capable du pire, et à présent qu'il était libre devait-elle craindre pour sa vie ? Sans doute.
À côté de sa photo, une autre lui évoquait de mauvais souvenirs : « Augustus Rookwood », disait la légende sous la photo de cet infâme sorcier au visage marqué par les séquelles d'une éclabouille de l'adolescent qui avait l'air de s'ennuyer ferme, insolemment avachi contre le bord de son cadre, « condamné pour avoir communiqué des secrets du ministère de la Magie à Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom».
Oui, elle se souvenait de cette histoire sordide mais également d'une autre : l'homme en question était, du moins beaucoup le pensaient, responsable de la mort de sa propre épouse qu'il avait malmenée durant des années.
L'attention de Gilda fut cependant attirée par la photo de la seule sorcière du groupe et elle ne put s'empêcher de frissonner car elle connaissait de vue la tristement célèbre Bellatrix Lestrange, faute de l'avoir véritablement côtoyée. Aussi son visage lui avait sauté aux yeux dès l'instant où elle avait vu le journal.
La mangemort avait de longs cheveux bruns totalement négligés, emmêlés et décoiffés sur la photo et son uniforme était trop grand pour elle. La femme lui lançait des regards noirs sous de lourdes paupières et ses lèvres minces esquissaient un sourire plein d'arrogance et de dédain, cependant son visage était creusé, ses yeux caverneux et son visage extrêmement pâle. Comme son cousin Sirius Black, elle conservait un port altier et les vestiges d'une beauté certaine, mais Azkaban lui avait ravi ses attraits pour la réduire à un genre de cadavre animé.
« Bellatrix Lestrange, condamnée pour tortures ayant entraîné une incapacité permanente sur les personnes de Frank et Alice Londubat. » pouvaient lire Gilda et Minerva sous l'image.
- Ce sont pour moi de bien sombres souvenirs, soupira la vieille enseignante.
Gilda n'en doutait pas, en effet elle connaissait quelques détails de la vie de Minerva et savait qu'elle avait perdu de nombreux proches. Elle n'osa rien répondre cependant, la gêne et la peur de se montrer indélicate l'en empêchait.
Elle frissonna de dégoût en apercevant du coin de l'œil un titre plus petit sur la page :
ÉVASION MASSIVE D'AZKABAN LE MINISTÈRE CRAINT QUE BLACK SOIT LE « POINT DE RALLIEMENT » D'ANCIENS MANGEMORTS
« Quelle bande d'imbéciles » songea t-elle en son fort intérieur.
Elle-même n'avait jamais beaucoup apprécié Sirius Black, même si ses sentiments s'étaient modérés avec le temps et qu'elle lui était reconnaissante de veiller sur Sebastian et Moon à Pré-au-Lard. Cela dit, elle trouvait ces accusations si ignominieuses que la simple lecture du titre lui donnait la nausée.
Pourtant, c'est presque instinctivement qu'elle commença à lire l'article qui l'accompagnait :
« Le ministère de la Magie a annoncé tard dans la nuit qu'une évasion massive avait eu lieu à Azkaban. Recevant les reporters dans son bureau privé, Cornélius Fudge, ministre de la Magie, a confirmé que dix prisonniers sous haute surveillance s'étaient évadés hier en début de soirée et qu'il avait déjà informé le Premier Ministre moldu du caractère dangereux de ces individus. « Nous nous trouvons malheureusement dans la même situation qu'il y a deux ans et demi, au moment de l'évasion de Sirius Black, l'assassin bien connu, nous a déclaré Fudge. Nous pensons d'ailleurs que ces deux affaires ne sont pas sans rapport. Une évasion de cette ampleur laisse supposer l'existence d'un concours extérieur et il faut savoir que Black, qui est la première personne à s'être jamais échappée d'Azkaban, serait idéalement placé pour aider d'autres détenus à suivre ses traces. Il nous semble très probable que ces individus, parmi lesquels figure Bellatrix Lestrange, une cousine de Black, se sont rassemblés autour de Black lui-même qu'ils considèrent comme leur chef. Nous faisons cependant tout ce qui est en notre pouvoir pour retrouver les criminels et nous demandons instamment à l'ensemble de la communauté magique de rester prudente et de manifester la plus grande vigilance. En aucun cas ces individus ne doivent être approchés. »
A côté d'elle, Minerva frissonna. Gilda releva la tête et remarqua alors, découpé avec soin, un autre article de taille plus modeste qui avait également été posé sur la table et titrait :
MORT TRAGIQUE D'UN EMPLOYÉ DU MINISTÈRE DE LA MAGIE
« L'hôpital Ste Mangouste a promis hier soir de mener une enquête approfondie à la suite de la mort de Broderick Moroz, employé au ministère de la Magie, découvert étranglé dans son lit par une plante en pot. Les guérisseurs appelés sur place n'ont pas pu ranimer Mr Moroz qui avait été blessé dans un accident du travail quelques semaines auparavant. La guérisseuse Miriam Strout, responsable de la salle où était soigné Mr Moroz au moment des faits, a été aussitôt suspendue et n'a pas souhaité faire de déclaration. En revanche, un porte-parole de l'hôpital a publié le communiqué suivant : « L'hôpital Ste Mangouste regrette profondément le décès de Mr Moroz dont l'état de santé s'améliorait de jour en jour avant ce tragique accident. « Nous avons une réglementation très stricte en ce qui concerne les décorations autorisées dans nos salles, mais il est apparu que la guérisseuse Strout, surchargée de travail en cette période de Noël, n'avait pas mesuré le danger que représentait la plante posée sur la table de chevet de Mr Moroz – Voyant que sa mobilité et sa capacité à s'exprimer étaient en progrès, la guérisseuse Strout a encouragé Mr Moroz à s'occuper lui-même de la plante, sans se rendre compte qu'il ne s'agissait pas d'un innocent Voltiflor mais d'une bouture de Filet du Diable qui a étranglé le convalescent dès qu'il l'a touchée. « L'hôpital Ste Mangouste n'est pas en mesure d'expliquer pour le moment la présence de cette plante dans la salle et demande à toute sorcière ou sorcier qui pourrait lui fournir des informations à ce sujet de se faire connaître. »
Gilda tremblait à présent : en effet elle ne pouvait douter que tout ceci sentait l'assassinat à plein nez.
- Ils l'ont fait taire, murmura Minerva comme pour conforter son impression. Je ne vois aucune autre explication possible. Albus n'en doute pas non plus.
- Pourquoi ressortez-vous ces articles maintenant ? Demanda Gilda.
Minerva ne répondit pas tout d'abord. A présent, elle semblait terriblement accablée et lasse. Comme Gilda lui renvoyait un regard interrogateur, elle murmura :
- Mon défunt époux était un passionné de botanique et je ne sais que trop bien combien les plantes peuvent être dangereuses… Mais un tel accident n'est pas possible… Une telle confusion est inenvisageable… Elle n'a pas pu se produire sans que l'on n'ait l'intention de tuer ce pauvre Moroz…
- Le tuer après l'avoir soumis à l'imperium… Pour l'empêcher de parler et révéler le danger que courrait la Salle des Prophéties et par extension le retour du Seigneur des Ténèbres.
En face d'elle, Minerva eut une moue indécise :
- Vous craignez autre-chose Minerva ? Demanda Gilda. Quoi donc ?
La vieille femme acquiesça, plus pâle que jamais.
- L'empoisonnement de Moroz cache peut-être autre-chose, à commencer par les complicités dont les mangemorts auraient pu bénéficier au Ministère… Et j'ai peur, car je ne sais pas jusqu'où peut s'étendre leur réseau ni qui peut être mis en danger.
Minerva semblait sur le point de continuer mais à la grande surprise de Gilda, elle se tut. C'était comme si ce qu'elle s'apprêtait à dire était trop effrayant pour elle ou qu'elle ne pouvait pas l'admettre sans que cela ne l'anéantisse.
Or, Gilda craignait de deviner ce qui lui faisait si peur :
- Pensez-vous qu'Ombrage puisse être liée à eux ? Souffla t-elle horrifiée.
