Résumé: Lucius a enfin dit à Harry qu'une délégation de vampires devait venir séjourner au Manoir, mais celui-ci n'arrive à réaliser la nouvelle. Sa seule réaction est de se disputer avec Severus, ce qui provoque une discussion importante entre eux sur leur lien, les contraintes que cela fait subir à Severus et la façon dont il le vit. Et malgré ces difficultés, il finit par partir quelques jours en Australie pour une expertise; l'occasion pour Harry et Lucius de passer un peu de temps ensemble.

Bonne lecture!

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– Tu ne te lèves pas ?

Lucius sortit du dressing en boutonnant une belle chemise gris clair qui faisait magnifiquement ressortir la couleur de ses yeux. Harry se tourna sur le dos pour l'observer tout à son aise et esquissa un petit sourire en voyant que son amant avait noué ses cheveux en une longue tresse. Lucius était toujours splendide ainsi.

– Non. J'essaie de te séduire pour que tu reviennes au lit, fit-il en caressant son ventre et son torse d'une main aguicheuse.

Lucius éclata d'un rire léger. Avant qu'il ne se lève pour aller prendre sa douche et s'habiller, ils avaient fait l'amour, à demi réveillés, les yeux dans les yeux. L'aristocrate au-dessus de lui tandis que Harry offrait son corps à la pénétration, les mains puissantes de son amant posées sur ses cuisses jusqu'à ce que ses genoux touchent les draps. En contractant son bas-ventre, il sentait encore cette légère palpitation de son anus gonflé, et cette humidité persistante, mélange de sueur, de lubrifiant et de sperme. Il serra les fesses une seconde, il voulait garder en lui cette semence précieuse.

Lucius s'approcha, vint s'asseoir près de lui et embrasser ses lèvres.

– J'adorerais... mais je dois aller travailler.

Les longs doigts fins parcoururent son torse avant de pincer un de ses tétons avec un sourire narquois. Harry laissa échapper un gémissement puis un mouvement de hanches et retomba sur les draps en soupirant de frustration. Il était d'humeur charnelle ce matin. Une fois ne lui avait pas suffi...

– Et pour qui est-ce que tu t'es fait si beau ?

Le sourire de Lucius le nargua à nouveau mais il ne répondit pas. Il se contenta de se lever pour aller enfiler son pantalon et le reste de son costume. La veste était longue, presque une redingote, cintrée à la taille et ornée de broderies et de passementerie. Devant le miroir de la chambre, il prit le temps de nouer et d'arranger sa lavallière à son goût, et alors que ses manches étaient légèrement remontées, Harry vit que Lucius avait même sorti les boutons de manchettes aux armoiries des Malfoy. Le rendez-vous devait être d'importance...

– Serais-tu jaloux ? s'amusa Lucius en croisant son regard dans le miroir.

– Parfaitement !... Je n'appartiens qu'à toi et à Severus, mais l'inverse est vrai également...

Lucius sourit tout en réajustant ses manches et les pans de sa veste puis se tourna vers lui en écartant les bras.

– Comment tu me trouves ?

La question incongrue fit glousser Harry, mais son murmure étouffé était empli de sincérité.

– Magnifique...

Avant de quitter la chambre, Lucius s'approcha pour un dernier baiser.

– Je n'irai pas voir ailleurs, même si j'en avais le temps ou l'opportunité... J'espère que tu le sais, murmura-t-il à son tour avec un sourire tendre. Tu ne veux même pas descendre prendre ton petit-déjeuner avec moi ?

– Severus devrait rentrer d'ici une petite heure... Après cette absence, j'imagine qu'il voudra... marquer son territoire, ricana Harry. J'aime autant que ça se passe dans un endroit confortable !

Le regard de Lucius devint soucieux quelques secondes. L'un et l'autre redoutaient quelque peu la réaction à venir de Severus après cet éloignement. Il n'était parti que l'avant-veille au soir, à peine plus de trente-six heures, mais étant donné ce qu'il avouait déjà comme difficultés quand Harry s'en allait à Poudlard, ils craignaient le contrecoup. La magie de l'union allait sûrement pousser Severus à réaffirmer son « autorité » et sa « domination »... Mais jusqu'où ? Harry était de taille à se défendre, sauf si Severus lui imposait sa volonté à travers le lien. Mais tout pouvait aussi très bien se passer et Severus parvenir à dominer ses pulsions.

– Si ça ne va pas, tu me fais appeler, fit malgré tout Lucius depuis l'embrasure de la porte. Et si tu as besoin, Clay est toujours dans les parages.

Harry n'en avait rien dit à Lucius, mais il espérait aussi pouvoir se rendormir un peu avant le retour de Severus. Malgré la présence de l'aristocrate, il avait peu et mal dormi et même fait un ou deux cauchemars dont il ne se souvenait pas mais qui lui avaient laissé des impressions désagréables. Peut-être un effet du lien, vide et muet depuis trop longtemps... Harry se tourna sur le côté, attrapa un oreiller qu'il colla contre lui comme s'il s'agissait du corps d'un de ses amants et ferma les yeux.

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La présence de Severus le tira de son demi-sommeil avec un gémissement. Il n'était pas encore avec lui mais il était revenu, il le savait, il le sentait, il venait de transplaner sur le perron du Manoir, d'entrer, de retirer ses chaussures d'un coup de talon, de laisser tomber son manteau en grimpant le vaste escalier du Hall. Le lien bouillonnait à nouveau de sensations, de sentiments entremêlés : de l'impatience, du soulagement, une folle envie de se retrouver mais aussi la volonté de réaffirmer leur union...

Son cœur battait la chamade mais Harry tenta de se détendre dans le lit. Il lâcha son oreiller, il n'en avait plus besoin. Bientôt ce serait Severus qu'il tiendrait entre ses bras...

La porte qui s'ouvrit sur son amant à demi dévêtu le fit malgré tout sursauter. En chemin, Severus avait dû égrener son pull, son pantalon, déboutonner ou faire sauter les boutons de sa chemise. Son regard était sombre, presque fiévreux. Le boxer tomba comme le reste et il ne s'embarrassa d'aucune parole avant de le rejoindre entre les draps. D'une poigne ferme sur son épaule, Severus lui imposa de s'allonger à plat ventre et il s'allongea sur lui. En une fraction de seconde, Harry sentit le sexe dur de son amant sur ses fesses, puis un mouvement de hanches, une violente pression et Severus s'enfonça en lui le plus loin qu'il pouvait.

L'intrusion brutale le fit gémir. C'était aussi pour cela que Harry n'avait pas voulu se laver avec Lucius : il n'avait pas eu le temps d'un sortilège de lubrification, le sperme de l'aristocrate servait au moins à cela et d'avoir fait l'amour avant l'avait assoupli et préparé à cette pénétration trop brusque.

– Sev..., geignit-il.

La puissance des coups de reins le secouait tout entier comme un pantin. Maladroitement, il tenta d'apaiser Severus par des caresses sur ce qu'il pouvait toucher de lui : ses hanches, ses cuisses... sans grand résultat. Au contraire, Severus attrapa ses poignets et les lui bloqua dans le dos en les remontant vers sa nuque. Harry sentit ses épaules crier leur douleur, ses ligaments, ses muscles, étirés dans une position à peine normale. Il gémit à nouveau alors que Severus, après quelques coups de reins virulents, semblait se calmer un peu.

Dans le lien, Harry perçut un changement, un soupçon de cette sérénité qu'ils ressentaient après un accouplement, mais ils étaient encore loin du compte. Le corps de Severus s'affaissa un peu sur lui, ajoutant à la pression exercée sur ses épaules, puis il posa son front au milieu de ses cheveux épars.

– Sev, s'il-te-plaît... Tout va bien... Je te promets que je ne suis pas sorti du Manoir. Je suis resté ici tout le temps. Seul ou avec Lucius. Je n'ai même pas parlé à Mark depuis ton départ...

Ses propres paroles le choquaient presque mais Harry sentait que c'était ce que Severus avait besoin d'entendre. Être rassuré sur leur union... sur son emprise, sur sa possession. Et si c'était ce qu'il fallait à son compagnon, il était prêt à le faire... Mais ce ne devait pas être suffisant du point de vue de la magie car Severus reprit ses violents coups de reins en lui arrachant un nouveau gémissement.

– Sev... Doucement...

Un instant, Harry repensa aux réticences de Lucius au sujet de leur union... à ces femmes qui autrefois, s'étaient mariées contre leur gré sous le même sortilège, et qui avaient subi ce qu'il subissait dans un tout autre état d'esprit... Il avait choisi Severus, il avait choisi ce sortilège, et pour apaiser les craintes de son compagnon, parce qu'il s'agissait bien de cela, il se laissait faire bien volontiers.

Une douleur plus aiguë dans son ventre l'arracha à ses pensées. Harry serra les dents et enfouit son visage dans l'oreiller avant de relâcher un cri étouffé. La douleur était profonde et violente. L'espace d'un battement de cœur, il fut ailleurs, quand une autre douleur vive fouillait son ventre au milieu des rires, et il paniqua. Severus s'immobilisa aussitôt. Il relâcha ses poignets meurtris et vint glisser ses bras sous son torse pour l'enlacer presque aussi violemment qu'il venait de le baiser.

Ils restèrent ainsi quelques instants sans bouger. La douleur disparut lentement et Harry reprit son souffle en tournant le visage sur le côté pour chercher un peu d'air frais. Il s'y était attendu. Aussi bien à cette virulence de la part de Severus qu'à cette résurgence, un jour, de souvenirs traumatiques... Cela ferait partie de lui jusqu'à la fin de ses jours. Ce n'était pas grave...

Severus donna à nouveau quelques coups de reins, un peu moins forts que les précédents, puis s'arrêta en resserrant son étreinte.

– Pardon... Je suis désolé...

Les premiers mots de Severus depuis son arrivée... Fugacement, Harry eut un sourire douloureux. Peut-être que son amant allait maintenant se calmer réellement. Le poids de son corps reposait sur son dos, presque à l'empêcher de respirer mais il n'allait pas protester. Contre son cou, dans ses cheveux, le visage de Severus reposait, les paupières closes. Le lien s'apaisait doucement.

Bientôt, la respiration de Severus se fit plus lente et il semblait s'endormir peu à peu. Harry remua légèrement pour l'inciter à descendre de son dos. Jamais il ne pourrait supporter son poids si Severus venait à s'endormir dans cette position ! Son mouvement lui valut quelques coups de reins supplémentaires mais Severus se laissa glisser sur le côté en l'entraînant avec lui. Son sexe dur était toujours enfoui à l'intérieur de son ventre mais au moins, Harry respirait un peu plus facilement. Severus marmonna encore un mot d'excuse, se pressa contre lui puis posa sa tête sur l'oreiller. Quelques secondes plus tard, il dormait.

En respirant profondément, Harry s'autorisa enfin à se relâcher. Maintenant que Severus était endormi, il s'apercevait que tout le temps de ce rapport étrange, il était resté crispé et tendu. Inquiet de ce qui pouvait advenir. Severus avait été particulièrement virulent, mais étant donné sa tension sous-jacente, la douleur que Harry avait ressentie n'était pas étonnante... Au final, il l'avait juste baisé. Violemment, et pas forcément à un moment où il l'aurait souhaité... mais ça n'avait été que du sexe. Dans ses angoisses nocturnes, il avait imaginé pire.

Évidemment, il aurait préféré d'autres retrouvailles, plus tendres, plus douces, une étreinte plus affectueuse, parce que, même si Lucius avait été là et qu'ils avaient passé des moments très agréables tous les deux, Severus lui avait manqué... Mais c'était ainsi. Severus avait eu besoin d'un accouplement, l'union avait eu besoin de domination. Il s'en tirerait avec un inconfort de quelques heures et des marques sur ses poignets... En attendant, il pouvait enfin savourer le bonheur d'être à nouveau dans les bras de son amant.

Harry dut somnoler un petit moment et bouger sans le vouloir car un sursaut dans l'étreinte de Severus le réveilla brusquement. Le sexe de son amant était toujours en lui, légèrement gênant, mais quand il voulut s'en défaire, Severus grogna dans son sommeil. Harry renonça pour le moment.

Severus devait être épuisé. Ils avaient organisé son départ en tenant compte du décalage horaire avec l'Australie, pour qu'il soit absent le moins longtemps possible. Il était parti un peu avant l'heure du dîner l'avant-veille, arrivant à Sidney au moment où c'était là-bas le petit déjeuner et il s'était sûrement mis au travail très rapidement sur son expertise, pendant qu'avec Lucius, ils dormaient paisiblement. Severus avait à son tour dormi quelques heures pendant leur journée, et ce matin, alors qu'ils avaient passé une nuit tranquille et qu'il était quasiment l'heure du thé du milieu de matinée, pour Severus, il était tard le soir. Et Severus n'était pas du soir.

Harry sourit avec tendresse en songeant que son amant avait quasiment deux nuits de retard sur eux, mais il avait tout de même diablement envie d'aller uriner. Et aussi légèrement faim. Il remua doucement d'abord, puis plus franchement, jusqu'à ce que Severus réagisse en grognant un peu plus fort.

– Chéri... je dois aller aux toilettes...

Severus se redressa sur un coude, secoua la tête pour s'éclaircir les idées et retira le bras qui le retenait serré contre lui. Puis il dut s'apercevoir d'autre chose car il baissa les yeux avant de faire un mouvement brusque des hanches.

– Oh. Excuse-moi.

L'inconfort du retrait un peu sec de Severus lui arracha une exclamation étouffée. L'endroit était quand même diablement sensible.

– Merlin ! Harry ! Tu saignes ! Je t'ai fait mal ?! Pourquoi tu n'as rien dit ?!

Harry se retourna brusquement, inquiet devant la voix affolée de Severus. Il aurait bien répondu qu'il avait un peu protesté, ou tenté de lui faire comprendre qu'il y allait trop fort, mais Severus n'était pour l'instant pas capable d'entendre ça.

Effectivement, il vit... quelques traces de sang séché à la base du sexe de Severus, un filet un peu plus rouge sur son gland et un autre sur les draps... Rien d'extraordinaire par rapport à... d'autres fois. Une pénétration un peu trop sèche, un rapport trop prolongé... il devait bien avoir quelques éraillures au niveau de l'anus, ou même une petite fissure. Avec un peu d'onguent, ce serait cicatrisé ce soir. Si Severus n'y revenait pas d'ici là !

Mais pour l'instant, Severus était toujours figé, paniqué en réalisant ce qu'il avait fait.

– Harry... Je suis désolé...

– Ça va. C'est rien... Tout va bien. C'est juste une petite déchirure, rien de méchant. La prochaine fois, tu prendras le temps d'un sortilège de lubrification, le taquina Harry en souriant.

Mais Severus n'était pas d'humeur à sourire, et si ses sourcils étaient froncés en lui donnant cet air sévère d'ancien professeur, une inquiétude folle transparaissait encore dans son regard. Harry lança un sortilège de nettoyage pour effacer les traces de leurs ébats puis se pencha vers Severus et l'embrassa doucement.

– Tout va bien... Rendors-toi, je vais prendre une douche.

Dans le lien, Harry perçut fugacement la désapprobation de son amant à l'idée qu'il s'éloigne quelques minutes. Severus ouvrit même la bouche dans l'intention de protester, puis se ravisa et se laissa retomber sur les draps en fermant douloureusement les yeux. Cela ne lui plaisait pas mais il n'allait certainement pas interdire quoi que ce soit à Harry après ça !

Une fois seul dans la salle de bains, Harry soupira. Severus n'était pas prêt de se pardonner ce qui venait de se passer ! Il le comprenait, pourtant; il ne lui en voulait même pas... Certes, il avait eu mal, il avait même eu peur pendant quelques secondes, mais Severus n'avait pas été aussi loin, aussi intransigeant qu'il l'avait imaginé. Il pouvait vivre avec le souvenir de ce rapport sexuel un peu trop vif et pas très romantique... Il était bien passé outre le souvenir de leur tout premier rapport sexuel au Manoir, où Severus l'avait baisé comme un vulgaire morceau de viande, sans aucune considération pour son plaisir, ni même sa douleur.

Après avoir enfin vidé sa vessie, Harry s'essuya avec un peu de papier toilette. Il y avait bien quelques traces de sang rouge vif mais rien d'assez abondant pour l'inquiéter... Sous la douche, il prit le temps de se laver correctement tandis que l'eau massait ses épaules et ses muscles endoloris. Cela faisait un bien fou et il y aurait bien passé plus de temps, mais il sentait dans le lien une tension grandissante face à son éloignement, même de quelques mètres, presque pire que le mutisme complet lorsque Severus était en Australie.

Il sortit de la douche, s'essuya rapidement puis, dans un murmure, appela Clay à qui il demanda de lui monter un pot d'onguent et un petit déjeuner pour combler sa faim. Si Severus avait déjà du mal à supporter qu'il soit dans la salle de bains, il n'allait pas descendre jusqu'aux cuisines pour manger !

Avant de retourner dans la chambre, Harry s'enduisit soigneusement de l'onguent que Clay venait de lui ramener, y compris sur les parois internes et aussi loin qu'il le pouvait. Il n'était pas sûr que Severus soit complètement rassuré sur sa « fidélité » et qu'il ne veuille pas encore s'accoupler ou s'assurer de sa soumission... Mais pour ne pas lui faciliter la tâche, il enfila un boxer avant de sortir.

Dans la chambre, Severus somnolait, étalé de tout son long, occupant à lui seul la moitié du lit. Harry s'approcha immédiatement de lui pour l'embrasser et lui réaffirmer que tout allait bien, puis il s'installa sur le canapé sous la fenêtre, près du plateau que Clay venait de faire apparaître et qui lui mettait l'eau à la bouche. Il avala sa tasse de champurrado avant de dévorer un toast sans même prendre la peine d'y mettre de la confiture. Il avait une faim de loup.

Severus n'ouvrit même pas les yeux pendant tout le temps de son petit-déjeuner. Il sommeillait, malgré la lumière du jour qui filtrait allègrement à travers les rideaux mal tirés. Une fois sa faim calmée, Harry le regarda dormir en buvant sa tasse de thé. Qu'allait-il faire maintenant ? Sa présence dans la pièce semblait suffire à combler les exigences de la magie, et le lien restait calme et apaisé. Malgré tout, il hésitait à descendre pour chercher un livre ou du travail. Il lui paraissait plus judicieux d'attendre que Severus soit réveillé et qu'il puisse juger de sa réaction avant de pouvoir s'éloigner de lui...

Par des moyens qui lui étaient propres, Clay devait surveiller ce qui se passait dans la chambre, car, à peine sa tasse de thé vide reposée sur le plateau, il transplana en silence pour débarrasser.

– Clay, demande à Mark de me monter un peu de travail, s'il-te-plaît. Du courrier à traiter, à écrire, n'importe quoi...

L'elfe le dévisagea avec un regard pesant puis hocha la tête avant de disparaître. Déjà, dans la salle de bains, quand il lui avait demandé l'onguent, Clay avait eu ce même regard insistant. Il avait sans doute reçu des consignes de la part de Lucius pour surveiller la façon dont Severus se comportait après leur séparation...

Quelques minutes plus tard, des coups légers résonnèrent dans le silence. Avec empressement et tout sourire, Harry se dirigea vers la porte. Il n'avait pas vu Mark depuis deux jours et il était toujours ravi de le revoir !

Il ouvrit la porte sur des boucles blondes en désordre et un sourire rayonnant. Sous le bras, Mark tenait une série de dossiers et du bout de son index, il faisait tournoyer une chemise blanche qui ne lui appartenait visiblement pas.

– Salut, chéri ! J'ai trouvé ça qui traînait dans le couloir... Une idée de à qui ça appartient ?

Harry gloussa en attrapant la chemise au vol et la fit disparaître dans la chambre. Severus était arrivé à demi déshabillé et il avait de toute évidence laissé des vêtements en chemin !

Ils s'étreignirent avec une joie partagée, s'embrassèrent sur la joue puis Mark le regarda avec un sourire amusé.

– Clay m'a passé le message, fit-il en montrant les dossiers qu'il avait montés. Tu oses t'ennuyer pendant ta lune de miel ?

Pour justifier son absence la veille et ce matin, Harry avait dû expliquer à Mark les nouvelles obligations auxquelles le lien le contraignait. Ils en avaient plaisanté en tournant ça à la dérision, mais il aurait eu du mal à qualifier ça de lune de miel...

– Severus dort..., se justifia-t-il. Je n'ai rien à faire; autant que je me rende utile.

– Les vieux, c'est plus ce que c'était, pouffa Mark. Une partie de jambes en l'air et ça a besoin de faire une sieste !

Brusquement, un bras nerveux et musclé vint se mettre en travers de son torse et tira légèrement Harry en arrière. Surpris et presque déséquilibré, il se retrouva appuyé contre son amant, ses bras puissants autour de lui.

– Un commentaire à faire, Monsieur Aubin ? grogna Severus.

– Aucun ! gloussa Mark en reculant d'un pas. Fais-moi savoir si tu n'as pas assez de travail. Ceci dit, maintenant qu'il est réveillé, vous allez trouver à vous occuper !

En riant, Harry attrapa les dossiers que Mark lui abandonnait, juste avant que Severus ne fasse claquer la porte en grognant. Il eut à peine le temps de les poser sur un fauteuil que son amant le plaqua face au mur, lui baissa son boxer d'une main puis le pénétra sèchement. Bon. Severus n'avait pas l'air d'avoir apprécié ses plaisanteries avec Mark. À moins que ce ne soit en raison de leur étreinte trop complice... Harry grimaça devant la douleur qui se réveillait un peu. Au moins, l'onguent avait servi de lubrifiant ! Il en serait quitte pour en remettre une fois que Severus l'aurait lâché.

Lequel Severus, une fois en lui, ne donnait pas de coups de reins pour autant. Au contraire, sans se retirer, il posa son front sur sa nuque et murmura « Excuse-moi ». Contre le mur de la chambre, Harry esquissa un sourire contrit. Il commençait à s'habituer à ces accouplements un peu sauvages tant qu'ils n'avaient pas lieu en public, mais il avait envie de vraies retrouvailles avec Severus. Ces pénétrations comblaient le lien et la magie de leur union, mais pas son besoin d'amour et de tendresse.

En douceur, Harry se dégagea sans brusquer son amant et se retourna pour lui faire face. Severus baissait la tête, encore honteux de ce qu'il venait de faire sans parvenir à maîtriser ses pulsions. Les bras appuyés sur le mur de part et d'autre de ses épaules, il vint nicher son visage dans son cou, comme si se cacher pouvait effacer l'irrespect de sa réaction. C'était surprenant. Severus avait rarement ce genre de comportement avec lui... Jamais, pour ainsi dire. Seul Lucius en était parfois le dépositaire, et cela lui rappela brusquement leur dernière séance dans l'antichambre pendant laquelle Severus avait laissé tomber ses barrières et lui avait préféré étouffer le lien plutôt que d'être témoin des états d'âme profonds de son compagnon.

Mais là, il n'était pas question de ça. Le lien était agité mais présent. Et Harry avait envie de partager plutôt que de séparer.

D'une main, il releva le menton de Severus jusqu'à rencontrer son regard, puis ses lèvres, et lentement, il le fit reculer jusqu'au lit.

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Était-ce d'avoir réellement fait l'amour qui avait tranquillisé et le lien, et Severus ?... Toujours est-il qu'à présent, il dormait profondément. Harry était resté dans le lit, assis en tailleur à ses côtés, mais il avait étalé autour de lui les dossiers que lui avait confiés Mark et il travaillait paisiblement. Sur sa table de chevet, une tasse de thé refroidissait doucement pendant qu'il écrivait une réponse à une demande de subvention. De temps à autre, dans son sommeil, la main de Severus venait le toucher, son genou, son pied, s'assurait qu'il était toujours là puis se posait à nouveau sur les draps... Mais Harry était à présent certain qu'à son réveil, après avoir fait le plein de sommeil et de sa présence, Severus serait capable de lui laisser un peu plus de liberté et de distance.

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Severus grogna devant la lumière trop vive. La chambre était pourtant toujours plongée dans la pénombre, mais à travers les rideaux, on devinait qu'il faisait grand soleil au dehors, et sans doute joliment chaud. Il tourna son visage à l'opposé de la lumière, grogna à nouveau, puis s'étira de tout son long, aussi voluptueusement que pouvait le faire Orion. Puis en quelques secondes, il fut debout, dans le dressing, puis ressortit en nouant la ceinture d'un de ses nombreux kimonos.

Harry rassemblait encore ses papiers éparpillés par le réveil soudain de son amant et il sursauta à le voir ainsi habillé. Il l'avait cru parti dans la salle de bains pour prendre sa douche... alors que Severus se dirigeait vers la porte de leur chambre.

– Où vas-tu ? fit-il, surpris.

Severus roula des yeux puis le regarda d'un air navré.

– Où vais-je, chaque matin, juste après mon réveil ?

Le « Potter ?! » manquait de peu à la fin de sa phrase tant le ton de sa voix était sarcastique. Un instant, Harry crut être revenu aux temps anciens de son adolescence, ou aux premiers temps de leur relation, et cela le fit sourire plus qu'autre chose. Aujourd'hui, il ne se privait plus pour être aussi ironique que son amant.

– C'est-à-dire qu'en réalité, ce n'est plus tout à fait le matin ! Il est au moins quinze heures, si ce n'est plus !

Severus était rentré vers neuf heures du matin, et malgré son sommeil entrecoupé, il semblait en pleine forme. Ceci dit, pour lui, cela correspondait à une nuit normale.

Il grommela pour toute réponse, se détourna pour enfiler une paire de sandales puis ouvrit la porte.

– Viens avec moi... S'il-te-plaît.

Harry releva la tête, surpris par la voix sourde, presque douloureuse. Severus lui tournait le dos, debout dans l'encadrement de la porte, les épaules légèrement enroulées sur lui-même, comme pour se protéger de sa réaction... de ses moqueries. Severus avait encore visiblement besoin de le sentir près de lui.

– Je viens avec toi, sourit-il, si on va à la piscine sur la terrasse. Tu nages, je bronze !

L'immobilité de Severus qui l'attendait devait être un acquiescement. Harry s'empressa de se lever et d'enfiler à son tour un kimono, puis rejoignit son amant et l'enlaça en le poussant dans le couloir. Il rangerait les dossiers de Lucius plus tard.

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Sous le soleil radieux, garder les yeux ouverts et surtout en direction de la piscine était difficile mais Harry ne pouvait s'en empêcher. Il devait plisser les paupières, tant les reflets et le miroitement de l'eau l'aveuglaient. Malgré tout, le spectacle de Severus en train de nager était si fascinant qu'il était prêt à se brûler la rétine si l'image de son amant pouvait y rester imprimée pour toujours.

Sa longueur achevée, Severus roula sur lui-même puis repartit en sens inverse, sans presque soulever d'éclaboussures. Comme à chaque fois, la précision exemplaire de ses gestes, sa puissance et sa régularité digne d'un métronome, le firent sourire. Un jour, il devrait songer à extraire une photo de ce qu'il voyait et à lui trouver une place sur les murs de la salle de billard...

– Crois-tu que je puisse m'asseoir et rester à côté de toi sans qu'il me jette un sort ? gloussa Mark.

Surpris, Harry sursauta en apercevant la longue silhouette sombre dans le contre-jour puis sourit.

– Il n'a pas sa baguette sur lui !

– Exceptée celle qu'il a dans son maillot de bains ?!... Ah. Non. Autant pour moi ! Il n'a pas de maillot de bains...

Le rire de Harry s'éleva devant l'évidence de la nudité de son amant. Le matin à l'aube, Severus ne risquait pas de rencontrer âme qui vive dans le Manoir, même quand Draco et sa famille y séjournaient. Lui, il avait enfilé un boxer à la va-vite, mais Severus, décalé dans ses horaires, n'avait même pas songé à modifier ses habitudes.

– Arrête donc de le reluquer !

– On m'a appris à toujours apprécier les belles choses, protesta Mark en s'asseyant avec un sourire alléché sur le transat voisin du sien.

– Mais c'est de mon mari qu'il s'agit ! gloussa Harry.

– Ouais, ouais, j'entends bien. Mais faut avouer que malgré son âge, il est pas dégueulasse du tout ! La natation, ça a du bon...

En riant, Harry se fendit d'un coup de coude qui fit gémir le jeune homme lorsqu'il atteignit son but. Mark se massa la cuisse en marmonnant des protestations étouffées tandis que Harry se redressait en appui sur ses coudes. Il sentit une goutte de sueur rouler dans le creux de ses reins, rafraîchissant à peine sa peau dorée par la lumière. La chaleur était accablante mais lui, il se sentait revivre sous ce soleil brûlant. Et puis tout à l'heure, il plongerait pour rejoindre Severus...

– Comment ça s'est passé, vos retrouvailles ? demanda Mark avec un sourire moqueur. Il t'a enchaîné au lit pour que tu ne puisses plus t'éloigner de lui ?

Harry leva les yeux au ciel. Ce qu'ils faisaient tous les trois dans l'antichambre avait le don de piquer la curiosité du jeune homme, et surtout d'émoustiller son imagination.

– Il me semble que j'ai été capable de sortir du lit pour venir t'ouvrir la porte, tout à l'heure ! protesta-t-il en riant.

– Peut-être qu'il s'est vengé ensuite ! gloussa Mark. Il n'avait pas l'air ravi de ma présence !

Vengé...Harry tourna légèrement la tête pour suivre son amant du regard et haussa les épaules. D'une certaine façon, oui, Severus lui avait fait comprendre qu'il n'appréciait pas sa familiarité avec le jeune homme. Mais ce n'était rien comparé à la façon dont il l'avait baisé un peu plus tôt. Heureusement, il savait, il comprenait que ce n'était que les effets du lien après leur séparation de deux jours.

– Ç'aurait pu être pire, finit-il par confesser à demi-mots.

Mark tourna brusquement les yeux vers lui, comprit et hocha simplement la tête. Tout était dit. Ç'aurait pu être pire, mais ça n'avait pas été simple pour autant... Et les détails n'appartenaient qu'à lui.

Là-bas, Severus venait de se renverser et de changer de sens, remontant la longueur de la piscine à la force des bras. Entre l'eau et les rayons de soleil, ses cheveux noirs d'encre et ses mèches blanches brillaient à la surface de l'eau. Il semblait ne jamais tourner la tête sur le côté, ne jamais respirer, aussi à l'aise, aussi fluide qu'un poisson dans l'eau.

– C'était la première fois que vous étiez séparés par une aussi grande distance, reprit Mark. C'est normal que ce soit difficile... Avec le temps et l'habitude, vous vous y ferez. Enfin, surtout lui...

Harry ne répondit pas. Il n'était pas du tout persuadé de ce que disait Mark, au contraire... Les effets de l'union semblaient se renforcer au fur et à mesure du temps. Tant qu'il ne s'éloignait pas du Manoir, Severus était capable de maîtriser les exigences du lien mais si Harry voulait se déplacer plus loin... il craignait que ce ne soit de plus en plus difficile.

– Je suis sûr qu'il fera des efforts. On en parlait tout à l'heure avec Lucius : tant que vous arrivez à communiquer et à en parler, je...

Tout à l'heure ?! s'exclama Harry en dévisageant Mark.

– Hum. Oui... Lucius est repassé au Manoir, vers l'heure du déjeuner, mais les elfes ont dit que vous dormiez... Il n'a pas voulu vous déranger...

Mark avait eu la décence de rougir légèrement puis sa voix s'éteignit sur un murmure. Harry posa son front sur ses bras croisés pour étouffer un grognement amer. Il ne savait pas ce qui le dérangeait le plus : que Lucius soit passé juste pour s'assurer que tout allait bien, ou bien qu'il ait parlé de ça, d'eux, avec Mark... Sans compter qu'il n'était même pas monté pour saluer son propre mari. Harry releva la tête pour fixer à nouveau son regard sur la piscine. Cela ne lui plaisait pas beaucoup. Il avait hâte que Lucius rentre ce soir pour qu'ils se retrouvent tous les trois ensemble et qu'ils reprennent leurs habitudes. Et que cette expérience de séparation soit derrière eux.

Une exclamation admirative ramena Harry à la présence de Mark à côté de lui et il fronça les sourcils sans comprendre.

Fichtre ! Severus est bien foutu et ce n'est pas que de corps ! Je comprends que tu aies eu du mal, parfois... Merlin, quel engin !

Harry voyait sans voir, le regard perdu dans le vague, puis il se rendit compte que Severus s'était retourné pour nager sur le dos. Nu. Exposant certaines parties plutôt intimes à leur vue. Vue plutôt agréable, somme toute.

– Et une fois les deux en même temps ?! gloussa Mark. Merlin, je ne sais pas comment tu as fait ! Je te voue une admiration sans bornes, maintenant ! Je connais celle de Lucius pour l'avoir assez pratiquée, mais ça plus ça... !

Certes. Harry avait fait des confidences pour le moins intimes à Mark... Une conversation frivole, des plaisanteries, un mot de trop et voilà ! Il grimaça en retenant sa langue.

Severus nageait tranquillement, à présent, comme pour se détendre et s'étirer après l'effort. Et malgré les légères éclaboussures, son sexe au repos sur son ventre restait parfaitement visible.

– Et donc ? marmonna Harry. Tu avais quelque chose à me dire ou bien tu es venu jusqu'ici pour l'admirer et risquer un sortilège si sa jalousie se réveille ? J'ai peut-être oublié de te dire qu'il en maîtrise certains sans baguette, d'ailleurs...

– Ta compagnie si agréable me manquait ! gloussa Mark. Et je ne sais pas qui est le plus jaloux des deux...

Il laissa filer un silence pendant lequel son sourire s'effaça peu à peu.

– Non, je... En réalité, je voulais te poser une question.

– Vas-y, soupira Harry en craignant le pire.

Il n'était pas dans les habitudes de Mark de prendre des gants pour quoi que ce soit, et encore moins avec lui.

– Qui s'occupe de ton courrier, ici ? Je veux dire... Tu dois bien recevoir des tas de lettres... Avec ton nom, ta réputation... Je n'ai jamais vu...

– Oui, bien sûr, fit Harry, surpris. Une certaine partie arrive chez mon éditeur où un secrétaire fait le tri... Ici, c'est Sky, la chef des cuisines, qui s'en occupe. Mais elle ne me transmet que les courriers importants, les lettres des administrations, des hôpitaux... les invitations aux congrès éventuellement... Tout le reste part... je ne sais pas. Au feu, j'imagine.

– Et tu n'as rien remarqué d'inhabituel, ces derniers jours ?

Harry fronça un peu plus les sourcils. Il ne se souvenait même pas si Sky lui avait transmis quoi que ce soit depuis quelques jours. Il secoua la tête.

– Tu es allé te promener sur le Chemin de Traverse, il y a peu, reprit Mark.

Le jour où il s'était disputé avec Severus à propos de cette expertise en Australie, de leur relation, du lien... Où il l'avait même menacé de partir. Harry grimaça au souvenir de ces paroles malheureuses. Il avait rejoint Severus à la Librairie, et il était également passé chez l'herboriste pour quelques ingrédients de potion...

– On t'y a vu, évidemment...

Difficile de prétendre le contraire.

– … ce ne serait rien si tu n'avais pas eu Aria avec toi.

Harry laissa tomber sa tête sur ses bras en soupirant. Il avait su sur le moment que cela poserait problème et puis... il avait oublié. Ce que pensait ou supposait le monde extérieur comptait tellement peu pour lui.

– Je suppose que tu as dû recevoir une masse de courrier inhabituelle, reprit Mark. Mais Sky ne t'a peut-être rien fait parvenir si elle filtre tout.

Ce dont Harry lui était infiniment reconnaissant !

– Vu que tu n'as pas donné suite, les sollicitations arrivent maintenant auprès de Lucius... Je viens de finir de trier le courrier : il y au moins une vingtaine de lettres de journalistes qui le supplient d'intercéder en leur faveur, pour obtenir une interview, une photo, des éléments de réponse... Les elfes m'ont même dit que certains faisaient le pied de grue devant les grilles du Manoir en espérant te voir sortir... Ils en éconduisent au moins un ou deux par jour.

– Que veux-tu que je fasse ? soupira Harry. Que je publie un communiqué pour que tu aies moins de travail ?

Il se cacha un peu plus entre ses bras pour étouffer sa honte. Il était injuste. Il se défoulait sur Mark qui n'y était pour rien...

– Je ne veux rien. Tu fais ce que tu veux. Je voulais simplement te prévenir que ta prochaine sortie hors du Manoir risque de ne pas être de tout repos... Tu es attendu, là dehors.

Mark posa sa main sur son épaule, la pressa affectueusement puis se leva et partit.

Harry resta un moment à tourner le problème dans tous les sens. La perspective de ce qu'il allait devoir affronter le faisait frémir, malgré la chaleur. Il pouvait toujours fuir les journalistes, esquiver les photos, les interviews le plus longtemps possible, mais cela finirait toujours par le rattraper. Ou bien il pouvait prendre le problème à bras le corps, faire face et puis se terrer en attendant que les réactions se tassent... En tout état de cause, il ne pouvait pas revenir en arrière. Et puis, en réalité, cela faisait déjà longtemps qu'il avait assumé l'existence de sa fille puisqu'il avait fait d'elle l'héritière de sa fortune et de son nom. Mademoiselle Aria Black-Potter si elle choisissait un jour de s'appeler ainsi. Cela ne sonnait pas si mal...

Il se leva d'un bond et plongea dans la piscine pour rejoindre Severus. La présence physique de son amant lui manquait.

.

.

Lucius rentra un peu tard ce soir-là, plus qu'ils ne l'auraient tous voulu... Ils étaient en train de dîner quand il traversa le couloir depuis son bureau et entra dans la Salle à Manger. Un instant immobile dans le dos de Severus, il jeta vers Harry un regard soucieux, auquel celui-ci répondit par un grand sourire. Il ne partageait pas de lien avec l'aristocrate, par lequel il puisse communiquer de manière implicite ou faire passer des émotions, mais il espérait que la sincérité de son sourire était éloquente.

Le visage de Lucius se détendit imperceptiblement et il posa ses mains sur les épaules de Severus qui ne s'était même pas retourné. Étrangement, Harry eut l'impression que celui-ci se relâchait légèrement lui aussi, comme si la présence de son mari l'apaisait. Le geste était pourtant plutôt autoritaire, même si Lucius l'adoucissait d'une caresse qui remontait sur la nuque de Severus puis il se pencha pour l'embrasser tandis que Severus rejetait la tête en arrière, et l'instant fut passé. Cela ne tenait à rien, et pourtant Harry était persuadé qu'une certaine tension était retombée et que Severus était plus serein à présent qu'il ne l'avait été de toute la journée.

Avant de monter se coucher, ils finirent la soirée autour d'un cognac, dans la véranda qui donnait sur l'ouest. Chacun avait pris un fauteuil, sans doute parce que le canapé n'était pas assez grand pour les accueillir tous les trois et qu'aucun ne souhaitait privilégier l'un par rapport à l'autre. Harry avait tiré le sien près des immenses plantes grimpantes qui noyaient le mur de verdure, à demi tourné vers la baie vitrée où flamboyaient les derniers rayons du soleil.

Autant l'automne et l'hiver, il aimait l'atmosphère intime, chaleureuse, presque confinée du Petit Salon, autant à la fin du printemps et pendant l'été, il préférait passer ses soirées dans cette véranda, à la chaleur presque étouffante, mais qui donnait sur des couchers de soleil somptueux. Tandis que Lucius et Severus poursuivaient une conversation à laquelle il ne participait plus, qu'il n'entendait même plus, il admirait ce ciel rouge, orange, cet horizon qu'on aurait dit pris dans un incendie, embrasé de couleurs vives et chatoyantes.

Il sentait Lucius désireux d'aborder certains sujets délicats mais ce ne serait pas pour ce soir.

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oooooo

.

Il fallut deux jours et la soirée paisible du dimanche avant que l'aristocrate ne trouve un moment propice pour aborder le sujet qui lui tenait à cœur. Harry venait de coucher Aria et de redescendre dans le Petit Salon. Ils avaient déjeuné chez Draco, puis passé l'après-midi à se promener dans le grand parc près de sa maison, tandis qu'Aria faisait sa sieste contre lui. Ils étaient rentrés en fin de journée, satisfaits et tranquilles, Harry avait donné son bain à sa fille, puis ils avaient dîné tous les quatre ensemble, Aria goûtant leurs plats avant de finir par avaler son biberon avec ravissement.

À présent, elle dormait, épuisée par cette journée au grand air, pleine de rires, de gens et de paroles, et il rejoignait Severus sur le canapé tandis que Lucius gardait un regard songeur sur le feu tiède dans la cheminée.

– Elle dort ? fit Severus en levant les yeux de son livre.

– Comme un loir, sourit-il. Essayer de tenir debout en tenant la main d'Iris et Minerva l'a achevée !

– Elle fait des progrès rapides. Dans quelques semaines, tu ne l'arrêteras plus !

Harry sourit encore davantage. Aria était vive, elle tenait assise sans problème, elle avait trouvé le moyen de se déplacer plus ou moins en rampant pour atteindre les objets qu'elle convoitait, et depuis peu, elle s'essayait à la position debout avec un plaisir non dissimulé. La marche était encore loin, mais elle était en tout cas drôlement motivée !

– En parlant d'Aria, commença Lucius.

Il ne fallait pas plus que ces trois mots pour que Harry sente tomber un couperet sur sa bonne humeur. À la simple façon dont Lucius venait de parler, il sentait poindre une légère migraine et l'ébauche d'une conversation qu'il préférerait sans doute ne pas avoir.

– … est-ce que tu as songé à la façon dont tu allais t'organiser quand nous recevrons la délégation ?

Le sujet était bien emmené, le mot fatidique de « vampire » n'était pas prononcé... Harry relâcha le souffle qu'il n'avait même pas conscience d'avoir retenu.

– C'est quand déjà ? lâcha-t-il en même temps sans réfléchir.

– Dans une semaine. À partir du lundi soir...

Harry réfléchit rapidement. En temps normal, il allait chercher Aria le samedi soir et il la ramenait le mardi soir à ses mères. Il fallait juste décaler son retour d'une journée...

– Je vais m'arranger avec Luna et Padma pour changer mes jours de garde...

Harry venait sans doute de faire l'aveu qu'il n'avait rien anticipé pour s'organiser mais Lucius ne releva pas, hormis un regard fugacement réprobateur.

– … Mais Aria ne sera pas présente au Manoir en même temps que ces... que ces gens. C'est juste quelque chose que je ne peux pas faire.

L'aristocrate pouvait lui assurer que ces gens-là étaient pacifiques ou respectueux, laisser sa fille en présence d'un vampire était tout simplement inconcevable.

Lucius leva la main dans un geste apaisant.

– Je t'ai dit que tu étais libre de faire comme tu le souhaitais... Et je comprends tes réticences.

Harry se renfonça dans le coin du canapé. S'il avait eu l'envie de se lover contre Severus en s'installant, elle avait disparu en un clin d'œil et il se sentait légèrement mal à l'aise sous leurs regards observateurs.

– Et toi ? fit Lucius.

– Moi quoi ?

– Est-ce que tu seras présent pendant leur séjour ?

Harry haussa les épaules. Lucius lui avait effectivement laissé le choix à lui aussi, mais il se refusait à partir ailleurs. En premier lieu parce qu'en raison du lien, il lui serait compliqué de s'éloigner de Severus, alors que, lui, en tant qu'époux de Lucius, était tenu d'être présent. Et puis surtout parce que, viscéralement, il était hors de question qu'il fuie sa maison, sa vie, sous prétexte de leur présence. Il n'était pas question d'abdiquer quoi que ce soit.

– Oui, je serai là, maugréa-t-il. Comment ça va se passer ?

– Eh bien, le premier jour, après la réception des délégations, il y aura une cérémonie d'ouverture du Sommet, suivie d'un dîner de gala... Tu es bien entendu convié, mais je ne sais pas si tu voudras venir...

En plus de côtoyer des vampires, assister à des mondanités... Avec l'existence de sa fille qui agitait les journalistes.

– Je ne préfère pas, marmonna Harry en détournant le regard vers la cheminée. Si jamais... je panique ou quelque chose du genre... je ne veux pas risquer de faire une crise d'angoisse devant des centaines de personnes.

L'aveu lui coûtait mais il ne pouvait passer sous silence cette inquiétude-là. Il ne savait pas quelle serait sa réaction, il craignait un réflexe instinctif, épidermique. Il n'en avait pas reparlé avec ses amants, mais sa dispute avec Severus le jour où Lucius lui avait annoncé leur venue était sans doute symptomatique de son angoisse latente.

– J'aime autant que tu restes ici, grommela Severus.

Harry tourna brièvement la tête vers lui. Les raisons de son compagnon n'étaient sans doute pas les siennes. Severus craignait certainement ses propres réactions si quelqu'un l'approchait de trop près ou s'il venait à se sentir mal. Leur union lui imposerait de le protéger envers et contre tout et ce, quelle que soit la manière. Pour leur sérénité à tous les deux, il était nettement préférable qu'il reste au Manoir pendant que Severus accompagnait Lucius au dîner de gala...

– Après le dîner, nous reviendrons ici avec les membres de la délégation, reprit Lucius. Ils ne devraient dormir ici que quatre nuits et repartir le vendredi, juste après la cérémonie de clôture... Je pense qu'un soir dans la semaine, je les inviterai à sortir pour voir un concert de musique classique, ou un ballet... Il ne devrait réellement y avoir que deux soirées qu'ils partageront avec nous. Et les petits-déjeuners...

– Ils vont manger avec nous ?! s'exclama Harry avec un soupçon d'horreur.

Il imaginait déjà des vampires, autour de la table de la Salle à Manger, avaler un verre de sang rouge grenat, le reposer sur la nappe blanche immaculée, puis se pourlécher les babines avec ravissement. Son cœur s'accéléra alors qu'il sentait presque l'odeur lourde du sang. Il était au bord de la nausée.

– Ce n'est pas ce que tu penses ! fit précipitamment Severus. Les vampires ne mangeront pas réellement mais les humains qui les accompagnent, oui. Ils n'ont rien de différent de nous, et...

– Les humains ?!

Il devait être blanc comme un linge et il sentait dans le lien toute la réassurance et le réconfort que Severus essayait de lui apporter.

– Les vampires de Colibita vivent en symbiose avec un peuple d'humains, sorciers et non-sorciers, expliqua Lucius. Il s'agit d'une sorte de cohabitation pacifique, les humains fournissent leur sang, volontairement, et les vampires les protègent des autres peuples des environs... Chacun y trouve son compte. Ceux qui viendront emmèneront certainement quelques humains avec eux pour... subvenir à leurs besoins.

Du bétail. C'était la seule chose qui lui venait à l'esprit. Les vampires emmèneraient des humains avec eux comme du bétail, pour se nourrir de leur sang comme le faisaient les Masaï au cou de leurs vaches. Ils allaient venir au Manoir et les saigner vivants. Sa vue se troubla un instant, illuminée de points blancs tremblotants. Du bétail. Et cet acte, ce sang qui viendrait souiller le Manoir, sa maison... Le goût de la bile dans sa gorge était amer mais cela lui permit de reprendre pied dans la réalité. Harry déglutit péniblement et étouffa le lien pour camoufler sa réaction à Severus.

Lucius avait dû percevoir que ses derniers mots étaient malheureux car il s'était perdu en explications que Harry n'écoutait même pas. Il ne percevait qu'un brouhaha de mots pendant que ses pensées restaient figées sur cette idée d'humains présents pour rassasier la soif des vampires.

– Je ne veux rien savoir de tout ça ! trancha-t-il un peu sèchement. Combien seront-ils ?

– Je ne sais pas encore, répondit Lucius un peu interloqué. Pour des raisons de sécurité, ils ne communiqueront sur leur nombre et leur heure d'arrivée qu'au dernier moment. Ceux de Colibita sont au cœur du traité d'alliance depuis le début et ils sont une cible privilégiée pour des représailles... Sans doute deux ou trois vampires, et à peu près autant d'humains qui les accompagneront.

– Bien.

C'était tout ce qu'il avait besoin de savoir. Environ six « personnes », quatre nuits, deux dîners et quatre petits-déjeuners... Il ferait acte de présence, il ferait preuve d'un minimum de politesse et de savoir-vivre, et dès que la possibilité se présenterait, il s'échapperait dans sa chambre, ou dans son bureau, si le besoin de sérénité se faisait sentir. Avec un ricanement, il songea que pendant ces quelques jours, ce serait peut-être bien lui qui solliciterait Severus pour s'accoupler.

– Harry ?

L'appel de son nom le fit tressaillir et il fixa son regard sur Lucius. Les yeux gris inquisiteurs de l'aristocrate ne l'avaient pas quitté et semblaient guetter la moindre de ses réactions.

– Comment tu te sens par rapport à tout ça ? Je me doute que ça ne doit pas être simple pour toi...

Harry respira profondément puis soupira. Comment il se sentait ? Il n'en savait rien, et pourtant sa réaction devait être plus explicite que n'importe quelle pensée qu'il aurait pu formuler. Il n'arrivait pas à penser à tout ça de manière cohérente. À tel point que depuis que Lucius lui avait annoncé cela la semaine précédente, il n'y avait plus repensé, enfouissant cette information dans un coin de son esprit sans vouloir se pencher dessus. Il y avait eu sa dispute avec Severus, son départ pour l'Australie, son absence puis son retour à gérer... Il avait remis ce problème-là à plus tard, mais la date fatidique ne faisait qu'approcher.

Tandis que la question de Lucius restait en suspens dans le silence, Harry sentit Severus qui commençait à s'agiter imperceptiblement. Il avait étouffé le lien depuis trop longtemps pour que son amant n'y réagisse pas, surtout étant donné leur sujet de conversation. Il ordonna son esprit, maîtrisa ses émotions, puis libéra prudemment le lien entre eux. Severus ne devait pas savoir à quel point il se sentait peu confiant.

– Je ne sais pas, répondit-il enfin en affrontant Lucius du regard. Je ne sais pas quelle sera ma réaction... En apparence et plus profondément... Mais de prime abord, je ne me sens pas menacé, ni en danger du fait de leur présence.

Quel mensonge !...

– Il y aura peut-être des souvenirs qui referont surface, reprit-il, mais je ne peux pas le savoir pour l'instant. Tant qu'Aria n'est pas là... eh bien... je me débrouillerai pour faire face au reste.

– Je peux te promettre que tu ne resteras jamais seul avec l'un d'entre eux, assura Lucius avec un regard confiant.

.

ooOOoo

.

Harry frappa sur la lourde porte de bois deux coups sourds qui résonnèrent dans le silence et la pénombre du couloir. Il était plus de vingt-et-une heures et le couvre-feu était déjà en fonction. Aucun élève dans les parages, aucun bruit hormis ceux qu'il faisait : sa respiration, sa main qui lissait machinalement sa chemise puis qui passait dans ses cheveux pour se recoiffer. Il n'était pas nerveux mais il n'était pas serein pour autant. L'appréhension de ce qu'il venait chercher... De revoir Charlie après ce qui s'était passé entre eux la dernière fois... Et pourtant il était le seul qui pouvait répondre à ses questions.

La porte s'ouvrit sur le large sourire du dragonnier et sa voix joviale. Son étreinte d'ours et son parfum musqué. Sa queue de cheval rousse qui ondulait au gré de ses mouvements et son regard bleu limpide.

– Harry ! Entre ! Comment tu vas ?

Charlie paraissait en meilleure forme que lorsqu'il l'avait vu le lendemain matin de cet esclandre au dîner. Harry se souvenait de son regard hagard, cerné, des regrets dans sa voix et de son attitude hésitante. Aujourd'hui, il voyait le Charlie qu'il connaissait : une masse puissante et tendre, sûr de lui et avec toujours ce petit air moqueur dans les yeux.

– Viens. Installe-toi.

Le salon des appartements de Charlie n'avait pas changé. La même chaleur confortable. Les plaids sur les canapés, le feu ronflant dans la cheminée, surplombée par les deux chandeliers qui dataient de la Roumanie et la pendule ancienne aux rouages immobilisés. L'autre horloge, celle qu'il avait offerte à Charlie pour Noël, était dans les appartements de Matthieu, là où les deux hommes vivaient le plus souvent. Ainsi que le tapis de fourrure que Harry avait connu en Roumanie. Charlie s'était installé chez Matthieu en emmenant quelques unes de ses affaires... Mais jusqu'à quand allait-il garder ses propres appartements ?

– Je ne te dérange pas ? fit Harry en apercevant sur la table basse des parchemins couverts d'écritures enfantines maintenus par une plume à l'encre rouge.

– Je corrigeais quelques copies en t'attendant...

Le dragonnier le rejoignit dans le canapé, légèrement tourné et adossé contre l'accoudoir pour lui faire face. La veille, Harry lui avait envoyé un message pour demander s'il pouvait passer le voir, auquel Charlie avait répondu immédiatement par l'affirmative. Disponible, accueillant. Harry s'en voulut de paraître aussi froid et distant mais il n'arrivait pas à se relâcher.

– Tu viens de ramener Aria ?

– Oui. Après le dîner... Le temps de prendre un café avec les filles et je suis monté.

Cela avait été le bon prétexte pour ne pas déroger à ses habitudes. Severus allait bien s'apercevoir qu'il traînait avant de rentrer, il allait sans doute grogner, râler, voire même vouloir s'accoupler ou le soumettre en le baisant – ils approchaient de la fameuse semaine pendant laquelle Severus aurait aimé le voir sous clef. Peu importe. Harry ne voulait pas y penser. Il aurait tout le temps de voir les conséquences plus tard mais il n'avait pas voulu se justifier par anticipation et répondre aux questions de ses amants. La dernière conversation sur le sujet lui avait suffi.

– Matthieu n'a... rien dit ? hésita-t-il.

L'ombre d'une gêne traversa le regard de Charlie et il esquissa une grimace penaude.

– Heu... Je ne lui ai rien dit, avoua-t-il.

Harry avait demandé à le voir en tête à tête, hors de la présence de son compagnon, pour se sentir plus libre... Ils étaient deux à faire des cachotteries.

– Moi non plus, je ne leur ai rien dit, gloussa-t-il.

Cela fit rire Charlie et détendit l'atmosphère entre eux.

– Tu vas te faire taper sur les doigts par Severus !

Harry haussa les épaules en souriant.

Charlie se releva et partit vers le fond de la pièce, prit deux bières dans le coffre posé par terre, les déboucha rapidement puis revint s'asseoir dans le canapé. Il tendit à Harry une bouteille avant de boire une longue gorgée de la sienne et de la lever brièvement vers lui pour trinquer.

– Désolé... J'avais soif.

– Merci, sourit Harry en levant à son tour sa bière. Elles m'avaient manqué.

– Je t'en ramènerai la prochaine fois que je vais en Roumanie, si tu veux.

– Tu vas y retourner quand même ? demanda-t-il après une gorgée de bière. Même si Lucius n'a plus besoin de toi ?

– C'est là que sont mes dragons, fit Charlie en souriant. Et certains de mes amis...

Harry dut esquisser une grimace dont il ne se rendit même pas compte mais qui effaça le sourire du dragonnier. Sans même prononcer un mot, tous les sujets délicats, presque tabous, défilèrent entre eux : les vampires, sa captivité, ce qu'il avait subi et dont Charlie était au courant depuis peu...

– Pourquoi est-ce que tu voulais me voir exactement ? demanda doucement le dragonnier.

Harry avait bu la moitié de sa bière en silence avant de trouver l'énergie et peut-être le courage de répondre à Charlie. Le feu l'avait hypnotisé quelques minutes, tout autant que ses pensées. Malgré les flammes, il avait froid et il ne savait comment formuler ce qu'il ressentait.

– J'ai besoin de comprendre, murmura-t-il.

Respectant son silence, Charlie lui laissa le temps de préciser ses attentes, d'éclaircir ses idées qui restaient malgré tout engluées dans un magma informe d'inquiétude, d'appréhension, de souvenirs glauques et un vague sentiment d'urgence qui lui tenaillait le ventre.

– Tu sais comme moi que les délégations arrivent dans quelques jours, reprit Harry à mi-voix.

La dernière fois qu'il avait évoqué le sujet avec ses amants, il était resté presque sidéré de se rendre compte qu'il ne lui restait plus que huit jours avant la date fatidique. Depuis, chaque heure qui passait était un lent décompte qui le rapprochait inexorablement de ce moment. Une nuit de sommeil et c'était le tiers d'une journée qui s'envolait. Il avait passé des heures à jouer avec Aria en regardant sans cesse l'horloge. Il ne pouvait rien maîtriser de ce temps qui coulait comme un sablier jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Et au bout, il y aurait ces créatures qui envahiraient le Manoir en ramenant leur garde-manger vivant, leur présence auprès d'eux, dans leurs murs, dans leurs meubles, à leur table... Et il était hors de question qu'ils fréquentent la salle de billard !

– J'ai peur... d'avoir une réaction de rejet. J'ai peur d'avoir un comportement inapproprié, fuyant, voire méprisant. Avec la position de Lucius, je ne peux pas me permettre de faire un faux pas. Malgré... toutes les excuses que je peux avoir, et qui n'en seront pas à leurs yeux. Et pas aux miens. J'ai besoin... Je voudrais que tu me parles de Tobias. Et des vampires que tu as côtoyés...

Étonnamment, Harry vit le sourire de Charlie s'élargir, franc et sincère. Et son regard clair exprimait toute sa certitude lorsqu'il répondit :

– Tu veux me faire croire que toi, Harry Potter, tu serais capable de mépriser et de rejeter n'importe quelle créature magique sans même chercher à la connaître ? Ce serait avoir une bien mauvaise opinion de toi-même !... Et je n'ai pas cette opinion-là.

– J'ai changé, répondit-il en serrant les dents. Ce que j'ai vécu m'a changé.

– Ça n'a pas fait de toi quelqu'un de moins tolérant ou bienveillant. Je t'ai vu ce jour-là, sur le Chemin de Traverse, pendant l'attaque... Tu as soigné un des sorciers qui nous avait attaqués sans faire aucune différence avec les autres victimes.

– Pour ce que ça a servi, marmonna Harry. Il s'est enfui de Sainte-Mangouste sans même que les Aurors puissent l'interroger.

– Peu importe, fit Charlie en haussant les épaules. Tu n'aurais pas pu le laisser mourir... Je t'ai vu te comporter avec ta fille, avec les enfants de Draco, avec les elfes du Manoir... Et avec Severus, même quand tu es en colère après lui. J'ai vu la façon dont tu t'es comporté avec moi, même après les horreurs que je t'ai balancées au dernier dîner au Manoir... Il ne t'a pas fallu plus de quelques heures pour revenir avec ton cœur en bandoulière, prêt à me pardonner... Tu ne feras pas exception face aux vampires qui viendront dans quelques jours... Tu redoutes ce moment, tu crains tes propres réactions, tes propres souvenirs, mais une fois qu'ils seront là, tu seras admirable, comme toujours... Parce que tu es comme ça.

Charlie se tut sur un sourire un peu triste, une note émue dans la voix. Harry baissa les yeux sur sa bière, mal à l'aise devant cette confiance aveugle qu'il ne ressentait pas envers lui-même. Encore une fois, il avait l'impression que Charlie attendait de lui plus qu'il n'était capable de donner.

– Ce n'est pas ce que tu disais il y a quelques jours.

– Je me suis laissé emporter par la colère, admit Charlie. Et puis j'ignorais certaines choses. Ce que tu avais subi pendant ta captivité... Que tu ne pouvais plus te battre comme autrefois... Ça ne rend ce que tu as fait sur le Chemin de Traverse ce jour-là que plus admirable. Tu n'as pas hésité à venir une seule seconde... Je comprends qu'aujourd'hui, tu essayes de fuir la réalité de ce monde, les attaques incessantes, les attentats, la menace... mais tu ne pourras pas y échapper. Que ce soit chez Draco en jouant les baby-sitters ou même au Manoir à cause des activités politiques de Lucius... Les vampires font partie de ce monde, mais je sais que tu arriveras à y faire face... Tu as connu tellement pire qu'un simple dîner avec des convives un peu bizarres !

Harry but une gorgée de bière – la dernière – puis leva les yeux sur les rouages minuscules et si délicats de l'horloge au-dessus de la cheminée. Des convives un peu bizarres... quel euphémisme pour parler de créatures si sombres ! Il ne pouvait détacher leur image de ce rire magnifique et glaçant qui résonnait encore parfois à ses oreilles. Et cette présence si suave qui l'avait fait frissonner bien malgré lui. Il s'était détesté et méprisé d'avoir réagi de la sorte. Cela faisait partie des pouvoirs particuliers aux vampires, il le savait bien, mais ça n'empêchait pas la culpabilité latente.

Et Charlie qui le pensait capable de faire face à tout ça la tête haute et le regard fier ! Cette fois, il allait vraiment le décevoir !

– Je vais faire mieux que de te parler de lui, sourit Charlie. Je vais te le montrer...

Harry fronça les sourcils sans comprendre tandis que le dragonnier se rapprochait de lui sur le canapé.

– Tu es expert en légilimencie, non ? gloussa-t-il. Viens voir de toi-même !

De la légilimencie ? Pénétrer l'esprit et les souvenirs de Charlie ?! Comme ça ? Gratuitement ? Il n'était pas certain de vouloir faire ça.

– Charlie, je...

– Ça va... Je n'ai pas de pensine et je ne tiens pas à aller farfouiller dans le bureau de Neville pour trouver la sienne, gloussa Charlie. Il risquerait de mal le prendre... Et moi, je n'ai rien à te cacher.

– Tu es sûr ?

Sans même répondre, Charlie leva les yeux au ciel puis le fixa avec un regard confiant où perçait l'ébauche d'un sourire. Par précaution, Harry reposa sa bouteille vide sur la table basse, prit la main du dragonnier dans la sienne puis glissa doucement sa magie en lui tout en fermant les yeux.

Il ne lui fallut que quelques secondes pour pénétrer l'esprit de Charlie, grand ouvert pour l'accueillir. Mais le premier souvenir sur lequel il tomba ne lui était peut-être pas destiné. Il sentit Charlie sursauter tandis qu'il apercevait des images emmêlées, brouillées par l'alcool et ensevelies sous la honte et la culpabilité. Même si Harry lui avait pardonné cette humiliation publique en plein dîner de famille, Charlie était loin d'être en paix avec ce qu'il avait fait...

Il laissa quelques instants au dragonnier pour se reprendre, puis Charlie parvint à faire le tri dans son esprit et à mettre en avant ce qu'il souhaitait réellement lui montrer. Harry ne voulait pas lui forcer la main pour trouver ses réponses, il restait simple spectateur tandis que les souvenirs se précisaient peu à peu. Et lentement, défilèrent devant lui les étapes progressives d'une amitié qu'il jalousa presque :

La rencontre fortuite, au détour d'un verre offert dans un bar, d'un Charlie enjôleur et d'un jeune homme, au visage plutôt anodin mais que réchauffaient des yeux noisette pleins de chaleur et de vie. Charlie aussi était jeune dans ces souvenirs-là, comme à l'époque où Harry l'avait connu : un peu plus mince, les cheveux d'un roux plus flamboyant, les traits moins marqués... Tobias avait accepté le verre en riant devant le manque de subtilité du dragonnier, il avait accepté aussi la nuit qui suivait et puis on le revoyait plus tard, à l'infirmerie de la réserve, riant devant un Charlie vaguement gêné de se retrouver devant lui pour soigner une blessure. Tobias avait travaillé quelques mois à la réserve comme guérisseur, croisant Charlie de loin en loin pour un verre au bar ou un repas à la cantine collective. Puis, alors que Charlie semblait se résigner à ne rien obtenir de plus que cette unique nuit, Tobias était parti, attiré comme un aimant par les lumières de la ville...

Au fil des années, ils s'étaient revus, souvent, tandis que naissait entre eux une amitié solide et durable. Quand Tobias était las de l'effervescence de la capitale, de ces multitudes qui couraient en tout sens, pressées par la vie moderne et les obligations, il revenait vers Charlie. Ils partaient alors tous les deux, randonner dans des endroits perdus au milieu de nulle part, à la beauté aussi déchirante que sauvage, des vallées désertes sillonnées de ruisseaux, des montagnes et des forêts de sapins à perte de vue, parfois couvertes de neige, et la solitude des grands espaces. Harry aperçut des soirées au coin du feu, à la belle étoile, des confidences murmurées dans le silence du crépuscule, des nuits sous la tente, serrés l'un contre l'autre pour se tenir chaud, sans qu'aucun geste ne dérape...

Et puis, après quelques jours passés au sein d'une nature aussi vivifiante que pouvait l'être la forêt tropicale pour Harry, Tobias repartait vers la vie foisonnante de la capitale et Charlie vers sa réserve de dragons.

Vint un jour, des années plus tard, où Tobias lui annonça qu'il retournait chez lui, dans sa communauté. Après cette longue expérience à distance de son peuple, avec la maturité et un peu de lassitude aussi, acquises au gré de ses pérégrinations dans le monde moderne, il aspirait à revenir auprès des siens pour retrouver un peu de calme.

Les souvenirs suivants faisaient apparaître Tobias bien plus serein et tranquille, satisfait d'être enfin posé dans un endroit où il se sentait chez lui, et non pas dans une recherche effrénée et illusoire. Comme s'il avait enfin trouvé un sens à sa vie... Tobias amoureux, aussi, au détour d'une confidence une nuit d'été, tandis que le soleil se couchait sur la montagne. Tobias heureux, presque grandi par le bonheur, même si les souvenirs se faisaient moins précis... Un déjeuner au bord d'un lac, où Matthieu était présent. Tobias qui riait de le voir fureter dans les plantes sauvages à la recherche d'ingrédients de potion plutôt que de venir pique-niquer avec eux. Et sa joie sincère devant le bonheur de Charlie, à son tour... Cette impression qu'ils avaient chacun trouvé le juste accomplissement de leur vie... La bonne personne, le bon moment... Le regard comblé qu'il échangeait avec le dragonnier.

Harry sentit la présence de Charlie le quitter, puis qui s'éloignait physiquement, amenant un mouvement d'air et une sensation de fraîcheur, vite comblée par la chaleur des flammes. Quand il rouvrit les yeux, Charlie était accroupi près du coffre au fond de la pièce, un peu plus longtemps qu'il n'en fallait pour prendre deux autres bouteilles de bière. Et quand il revint s'asseoir sur le canapé, ses yeux brillaient un peu trop.

– Excuse-moi, murmura Charlie en se frottant le front et les paupières par la même occasion. Sa mort est encore trop récente...

– Je suis désolé. J'ignorais qu'il comptait autant pour toi...

Charlie eut un geste évasif pour s'en défendre, mais son émotion avait été manifeste.

– Je suis tenu au secret sur un certain nombre d'informations. Ni les vampires, ni le peuple de Colibita n'ont jamais voulu que leur mode de vie soit trop connu. J'espérais que par le biais de mes souvenirs, tu en verrais plus que ce que je peux te dire, mais ce n'était visiblement pas le cas...

Harry prit la bouteille que Charlie lui tendait et but quelques gorgées de bière en silence. De ses souvenirs de Roumanie, Charlie était très sociable, connaissait beaucoup de monde mais il n'était réellement proche de personne. Il gardait toujours une distance un peu méfiante sur ce qui lui était vraiment personnel, il ne se liait jamais complètement, il restait prudent et n'accordait pas volontiers sa confiance. Tobias avait semblé traverser ces réticences avec une facilité déconcertante, comme il avait traversé la vie de Charlie avec une constance remarquable...

– Je suis désolé, répéta Harry en levant son regard vers lui.

Charlie esquissa une grimace contrite, mais l'émotion était passée. Il avait repris le contrôle de lui-même et de son chagrin, du souvenir de cette amitié si précieuse qui avait volé en éclats dans cette époque aux relents de guerre.

– Qu'est-ce que tu aurais voulu me montrer de plus ?

– La façon dont vit sa communauté... La symbiose qu'ils ont avec les vampires. La manière dont ils y trouvent tous leur compte, et parfois, quand des couples se forment, comme pour lui, ce que peut être leur vie et leur bonheur...

– Il avait l'air heureux, en tout cas, affirma doucement Harry.

– Il l'était. Crois-moi... Les vampires là-bas sont plus respectueux de la vie humaine que n'importe quelle personne que je connaisse. Sauf peut-être toi !... Et quand ils aiment, ils aiment pleinement. Tobias était un prince aux yeux de son vampire...

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– Salut, marmonna Harry en pénétrant dans le Petit Salon.

Lucius leva la tête vers lui, les sourcils froncés mais visiblement soulagé de son retour, avant que son visage ne reprenne un air plus impassible. En même temps, ils tournèrent tous les deux leurs regards vers la pendule : presque vingt-trois heures... Harry grimaça malgré lui. Il avait certainement un peu trop traîné pour que ce soit raisonnable.

Lucius, en tout cas, ne lui faisait aucun reproche explicite, et quand Harry se pencha vers lui, il l'embrassa avec la même tendresse que d'habitude.

– Severus est monté se coucher ?

– Non. Il est en bas. Parti nager...

– Nager ?! s'exclama Harry. À cette heure-ci ?!

L'information ne lui disait rien qui vaille et il en frissonna d'appréhension. Dans le lien, il ne sentait rien de plus que la présence lointaine de Severus, et cela non plus ne lui plaisait pas. Il devait ronger son frein en silence, mais pas sans colère.

– Je ne l'ai pas vu remonter, toujours est-il... Il était un peu... contrarié de ton absence prolongée. Il avait besoin de penser à autre chose et de se défouler.

– J'étais à Poudlard ! protesta Harry. On a juste bu une bière et discuté un peu !

Il se faisait l'effet d'un enfant qui cherche à se défendre devant une réprimande et cette idée le révulsait. Mais Lucius ne lui tenait aucune rigueur de son retard et il leva la main dans un geste d'apaisement.

– Je sais. Du moins, c'est ce que je supposais. Je lui ai dit que c'était normal, et même souhaitable, que tu prennes du temps avec Luna et Padma pour échanger au sujet d'Aria, mais ça ne lui suffit pas, tu sais bien...

Le lien imposait à Severus de vouloir contrôler davantage sa vie, et ils approchaient de la semaine où il lui était le plus compliqué de lui laisser sa liberté.

Harry hésita. Il lui semblait important de dire la vérité, pour que Lucius comprenne... mais il ne voulait pas non plus raviver une conversation difficile.

– En fait, je n'étais pas avec elles, mais avec Charlie...

Lucius eut un temps d'arrêt, rapidement maîtrisé, et l'espace d'un silence, Harry put deviner les rouages des réflexions qui se mettaient en branle dans son esprit.

– Mmhh... Et... est-ce que tu as trouvé des réponses à tes questions ?

La délicatesse de son amant le fit presque sourire. Lucius comprenait tout sans qu'il n'ait besoin de rien dire...

– Je ne sais pas... Je ne crois pas, murmura Harry. Je crois que beaucoup de choses vont dépendre de leur comportement ici, de leur façon de... tout.

– Crois-moi, Harry... Je suis désolé de ne pas pouvoir t'épargner cette visite. Si je le pouvais, tu n'aurais pas à subir ça. Et en aucun cas, je ne t'oblige à rester si tu ne le souhaites pas...

La douceur de ces yeux gris était surprenante. Réconfortante.

– Je sais. Je sais que tu ne veux pas m'obliger... Mais ici, c'est chez moi ! protesta-t-il. Et il est hors de question que je doive fuir ou m'échapper ou...

Harry s'interrompit devant le sourire en coin de l'aristocrate. Il avait été un peu trop véhément peut-être. Maladroit, en tout cas.

– Désolé. C'était sans doute assez malvenu...

– Au contraire, fit Lucius avec ce sourire mutin qui s'affirmait lentement. C'est la première fois que je t'entends l'exprimer aussi clairement et j'en suis ravi. J'ai toujours eu peur que tu ne parviennes jamais tout à fait à considérer le Manoir comme ta maison... J'ai rarement été aussi heureux de me tromper !

Harry se surprit à sourire lui aussi. La bienveillance de son amant lui réchauffait le cœur, surtout à cet instant. Il venait de passer un moment éprouvant avec Charlie, de se confronter avec ses peurs, ses doutes, ses souvenirs traumatiques, avec le chagrin déchirant du dragonnier, même s'il le montrait le moins possible, et Lucius, lui, était juste heureux parce qu'il se sentait enfin pleinement chez lui.

Il avait beau vivre là depuis deux ans, posséder deux pièces qu'il avait pu aménager à sa guise – même si la salle de billard servait à tout le monde –, occuper un quart de la garde-robe de ses amants et leur lit toutes les nuits, et même trois pièces, si on comptait la chambre d'Aria !... la réalité de ce qu'il venait de dire le saisit de plein fouet. Il était chez lui – n'en déplaise à qui que ce soit, et même aux vampires – et c'était doux.

Harry se pencha à nouveau vers l'aristocrate, glissa ses bras autour de ses épaules et son visage sous ses cheveux.

– Je t'aime, murmura-t-il avant de l'embrasser dans le petit creux sous l'oreille.

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En descendant les marches de l'escalier en colimaçon, Harry était déjà moins serein. Severus était là, quelque part en bas, contrarié, il le sentait dans le lien, et il redoutait cette confrontation. Il avait préféré descendre seul tandis que Lucius montait se coucher. Il n'avait pas très envie que l'aristocrate voie ce qui pouvait se passer maintenant. Si Severus se montrait un peu brutal comme lorsqu'il l'avait baisé en revenant d'Australie, ce n'était pas la peine que Lucius en soit témoin. Il avait déjà suffisamment de réticences au sujet de leur union pour ne pas en rajouter.

En débouchant dans le couloir du sous-sol, Harry se passa une main nerveuse dans les cheveux. À vrai dire, il craignait même davantage. Severus était revenu d'Australie depuis plusieurs jours, et depuis, ils ne faisaient que progresser vers la semaine la plus difficile... Il avait certes été absent peu de temps, mais il se doutait que Severus pourrait se montrer un peu violent s'il le poussait trop dans ses retranchements à une mauvaise période. Au final, s'il se contentait de s'accoupler, ou même de le baiser comme la dernière fois, cela lui allait.

En approchant du rideau de magie qui filtrait l'accès à la rotonde, Harry s'inquiéta aussi de ce qu'il allait dire. La façon dont il allait présenter les choses allait conditionner une partie de la réaction de Severus. Édulcorer ? Mentir ? Ou bien dire la vérité ?... Qu'est-ce que son amant risquait de prendre le plus mal ?...

Il pensait trouver Severus dans l'eau, en train de nager, et bénéficier de quelques secondes supplémentaires pour trouver une réponse, mais il était juste là, à côté des transats, en train de s'essuyer et de se sécher les cheveux. Son regard était sombre et il était visiblement tendu tandis que Harry approchait lentement.

– Je suis rentré...

– J'ai vu.

Pour un peu, il aurait eu l'impression d'être de retour en Roumanie et de pénétrer à pas feutrés dans l'enclos d'un dragon, mesurant ses mouvements pour ne pas réveiller la colère de la créature. Qu'est-ce que Charlie disait à l'époque ?... Même si tu as peur, sois franc dans tes gestes. Les dragons ne supportent pas les hésitations... De là à comparer Severus avec un dragon !

– Je suis désolé, j'ai un peu traîné et je sais que tu n'apprécies pas trop. J'avais besoin de... J'étais avec Charlie.

– Avec Charlie ?! gronda Severus. Pourquoi...

Une jalousie primaire avait surgi dans sa voix avant qu'il ne s'interrompe quand les mêmes réflexions que Lucius naquirent dans son esprit. Cela eut le don de désarmer sa colère naissante et une pointe d'inquiétude traversa son regard. Les vampires, encore et toujours... Ce qu'il avait vécu... L'inquiétude devint plus franche, et si Harry avait bien calculé, le besoin de le protéger devait primer sur la colère de son amant. Il s'en voulait pour ça aussi, mais ce n'était qu'un moyen d'utiliser la magie de l'union à son avantage et pour s'épargner des moments douloureux. Et puis, c'était aussi la simple réalité. Severus laissa tomber son drap de bain et le prit brutalement dans ses bras. Harry soupira, le front posé contre le torse de son amant. Cette brutalité-là lui allait bien.

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Severus se glissa avec bonheur sous les draps. Il se sentait épuisé. Il était tard, bien trop pour lui, et il avait nagé pour se défouler au point de se sentir vidé de toute énergie. Même monter avec Harry les deux étages depuis la rotonde jusqu'à leur chambre lui avait paru interminable ! Mais à présent, allongé sur le lit, il avait l'impression de s'enfoncer de tout son poids dans un matelas de plumes et il n'était pas sûr d'être encore éveillé quand Harry sortirait de la salle de bains.

– Ça va ? murmura Lucius en se tournant sur le côté vers lui. Il t'a expliqué pourquoi il avait traîné à Poudlard ?

Severus soupira de lassitude. Pas maintenant. Il voulait juste dormir. Pas avoir une conversation avec son mari, pas se justifier sur la réaction qu'il avait eue face à Harry, ni parler des raisons pour lesquelles leur amant était resté tard au château. Il avait bien assez à faire avec ses propres inquiétudes pour ne pas avoir à gérer celle de Lucius. Et il était bien assez agacé pour se risquer à avoir cette conversation maintenant.

Il en avait assez pour ce soir ! Assez que son mari le regarde comme une bête sauvage incapable de maîtriser ses pulsions et susceptible de faire du mal à Harry ! Et assez de voir Harry revenir auprès de lui avec à chaque fois une appréhension grandissante. Le lien ne pouvait pas mentir sur les inquiétudes qu'il percevait ! Harry revenait la queue entre les jambes, littéralement, toujours angoissé de ses réactions, de sa violence potentielle, il essayait par tous les moyens de ne pas le contrarier, de s'adapter aux exigences de l'union, de se plier, de se soumettre, et ça n'était pas ce qu'il voulait ! Ce n'était pas comme ça qu'il aimait Harry !

Severus grogna en guise de réponse et se tourna du côté opposé. Il aimait la soumission de Harry dans l'antichambre, là où lui aussi était capable de lâcher prise; il aimait éventuellement sa soumission dans le sexe, même si la permanence de cette situation commençait sérieusement à l'agacer, mais il n'aimait pas cette soumission dans la vie de tous les jours ! Au contraire. Il avait aimé Harry pour ses fragilités, mais aussi pour sa force morale, pour son obstination, pour cette façon de ne jamais se laisser abattre, de ne jamais s'admettre vaincu, cette faculté à toujours se relever et retrouver le sourire, même devant l'adversité, même devant les épreuves, même devant la mort... cette constance, cette droiture, cette façon de savoir esquiver pour mieux se redresser... pas pour voir un chien rampant à ses pieds ! Il aurait mille fois préféré des engueulades, des portes qui claquent, s'affronter avec Harry plutôt de le voir prendre mille précautions avant d'ouvrir la bouche pour parler. Il préférait quelqu'un qui soit face à lui, debout, fier, plutôt que cette façon de le craindre en permanence. Et pourtant... qu'en serait-il si Harry lui tenait tête en permanence ?

L'impulsivité de ses propres réactions l'inquiétait parfois. La magie de l'union s'agitait de plus en plus, cherchait à le contraindre lui aussi, même s'il était en position de force. Quand Harry agissait contre sa position dans l'union, étouffait le lien, ou cherchait à cacher ses émotions, cela l'obligeait à prendre sur lui de manière phénoménale. Quand il était rentré d'Australie, même si Harry avait respecté son engagement de ne pas sortir du Manoir, il l'avait baisé violemment, jusqu'à lui faire mal, jusqu'à le faire saigner; une partie de lui s'était détestée pour ce qui venait de se passer... et pourtant une autre partie avait été satisfaite du résultat. Et quand Mark s'était présenté à la porte de leur chambre, il n'avait pu s'empêcher de recommencer. Avec la même culpabilité, et avec la même satisfaction.

Severus n'était à l'aise avec rien de tout cela. Il en voulait à Harry de se montrer si soumis, et malgré tout, il sentait bien que cela contentait quelque chose en lui, quelque chose qu'il n'avait pas voulu, ni désiré. Il détestait ce besoin de le dominer, de le soumettre, et pourtant c'était si jouissif et excitant. Il ne voulait pas devenir comme ça, et pourtant se réfréner, lutter contre ces envies était difficile, voire impossible. Malgré tout, il n'était pas dupe du coup de poker de Harry tout à l'heure : faire réagir son besoin de le protéger pour effacer son besoin de le soumettre. Mais cela avait été une prise de risque habile. Et judicieuse. C'était peut-être même le seul moyen pour Harry de l'amadouer facilement. Et ce besoin de le protéger allait sans doute prendre des proportions dantesques dans les jours à venir.

Tout autant que son amant, il redoutait l'arrivée des vampires. Les réactions de Harry risquaient de retentir sur lui avec une puissance décuplée. Ses angoisses le tenaillaient déjà quand Harry allait se retrouver en leur présence; Severus craignait sa propre colère face à ceux qui allaient mettre son amant en difficulté, voire lui faire revivre, bien malgré eux, les pires moments de sa captivité. Il voyait déjà Harry regarder avec effarement le temps passer, le nez rivé sur les pendules, sur les horloges, sur la montre qu'il avait offerte à Lucius pour Noël... Lui n'espérait qu'une chose : être le plus rapidement possible à la fin de la semaine suivante et laisser derrière lui ses doutes et ses inquiétudes.

Severus avait déjà exigé de Harry qu'il ne sorte pas du Manoir durant toute la semaine prochaine – la pire pour lui en terme de possessivité; tout cela tombait vraiment bien mal ! À la librairie, il avait aussi affiché un panonceau avertissant de la fermeture pour toute la semaine. Il resterait avec lui le plus souvent possible, mais il ne pourrait se défausser de ses obligations en tant que conjoint de Lucius. La réception des délégations, la cérémonie d'ouverture, le dîner de gala... la sortie à l'opéra que Lucius voulait organiser le troisième soir pour éloigner les vampires du Manoir... Harry resterait seul. En sécurité au Manoir, mais seul. Qui sait ce qui pourrait advenir à ce moment-là ?

Ni Mark, ni Matthieu, tous deux conviés en tant que conjoints, ne pourraient rester avec lui. Ni Draco, convié lui aussi en tant que personnalité publique le soir du gala. Harry resterait seul avec les elfes et avec une angoisse qui monterait petit à petit à l'idée de leur arrivée imminente... Pour un peu, Severus aurait eu envie de l'emmener avec lui et de le mettre à l'abri à Llewellyn, mais il ne pouvait pas s'absenter. Pas dans sa position. Et pour la première fois depuis longtemps, il en venait à regretter son mariage avec Lucius, et ce n'était certainement pas juste pour son mari.

Lucius avait ses propres obligations dont il ne pouvait se défaire, et Severus avait accepté ce mariage en toute connaissance de cause, et avec une certaine fierté mêlée de revanche. Avant que l'aristocrate ne redevienne Ministre, certes, mais il avait toujours su cette éventualité possible. Et il avait accepté cette union avec Harry, il l'avait même souhaitée depuis longtemps, en sachant très bien qu'il risquait de se retrouver un jour tiraillé entre ses deux conjoints. Les circonstances n'étaient pas celles qu'il avait envisagées, mais il allait devoir faire avec. À commencer par ne pas se battre inutilement contre l'un ou l'autre de ses amants.

En grognant à nouveau, Severus se retourna pour faire face à son mari tandis que Harry sortait enfin de la salle de bains. Il n'eut le temps que d'un baiser furtif avant que leur amant ne vienne se faufiler entre les draps et entre eux, mais il espérait Lucius assez perspicace pour comprendre le message : il n'était pas fâché mais fatigué, chacun avait à gérer ses propres soucis et ce n'était pas une mince affaire.

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Une fois encore, Harry entra dans le Petit Salon et s'approcha de lui à pas feutrés, presque de biais et évitant son regard. Severus leva un sourcil suspicieux devant cette attitude fuyante et soupira d'agacement. Son amant avait vraisemblablement quelque chose à dire qui n'allait pas lui plaire et il préféra se concentrer à nouveau sur son ouvrage. Les atermoiements l'avaient toujours rendu nerveux.

Le bruit d'un parchemin froissé lui fit relever les yeux et il vit le message dans la main de Harry, en boule, prêt à être jeté au feu dans un geste de renoncement. Et cette capitulation avant même d'avoir osé dire quoi que ce soit lui fit serrer les dents et soupirer à nouveau.

– Qu'est-ce que tu veux ?! aboya-t-il plus fort qu'il ne l'aurait voulu.

Lucius, qui revenait de son bureau avec un épais dossier sous le bras, en sursauta même de surprise avant de s'asseoir dans son fauteuil. Il aurait pu se sentir visé, mais Harry savait très bien à qui il s'adressait, et il sentait même dans le lien l'irritation que Severus laissait passer.

– Est-ce que..., hésita-t-il. Est-ce que ça t'ennuie si je vais danser avec Alicia demain soir ? Vous avez ce dîner chez les Greengrass... Si je vais voir Alicia, je serai quelque part dans Londres... Ce ne sera pas au Manoir, mais en distance, ce sera plus près... Peut-être que pour toi, ce sera plus confortable, avec le lien...

Harry se tut sur un murmure, gêné d'évoquer devant Lucius les impératifs et les contraintes de leur union. Le regard toujours fuyant. Les épaules basses comme si la défaite était courue d'avance. Et derrière les arguments peu convaincants qu'il avançait, Severus percevait toute son humiliation à devoir demander son assentiment.

Malgré lui, il sentit sa bouche se tordre et sa lèvre se relever dans une grimace pleine de dédain, et il cracha plus qu'il ne répondit :

– Il te faut une autorisation de sortie signée par un tuteur?!

Immédiatement, il vit Harry se raidir, fouetté par le sarcasme. Le mépris avait toujours eu cet effet sur lui, depuis qu'il était arrivé à Poudlard enfant, cette révolte instinctive, viscérale, devant l'injustice, ce sursaut de résistance, cette insoumission. Un grand vent de sentiments mêlés, brassés, traversa le lien, et même son aura. Sa tension était palpable presque physiquement dans la pièce. Et ce fut la colère qui prit le dessus.

– Oh ! Eh bien, tu sais quoi ? Va te faire voir, hein ! Fous-toi ton autorisation où je pense, et je te souhaite bien du plaisir !

Harry avait déjà tourné les talons, quelques volutes de magie palpitant autour de lui, tandis que Severus esquissait un sourire narquois. Puis il ferma les yeux pour mieux sentir dans le lien cette indignation furieuse, si vivante, si saine...

Il rouvrit les yeux juste à temps pour apercevoir le regard glacial de Lucius avant qu'il ne pose son dossier et se dépêche de rattraper Harry dans le couloir. Ce besoin de jouer les justiciers !

La colère de Harry bouillonnait encore quand Lucius le saisit par le bras pour stopper son élan. Severus ne distinguait pas complètement ses paroles, mais dans le lien tout proche, il devinait les mots de son mari.

– Je sais très bien pourquoi tu as fait ça, disait-il. Je sais que tu as besoin de te changer les idées avant la semaine prochaine, et que tu te sens contraint de rester auprès de lui, ou au moins au Manoir... Il le comprendra et il te remerciera plus tard. Excuse-le, il est de mauvaise humeur.

– Qu'est-ce que j'ai fait, encore ?! grogna Harry d'un ton hargneux.

Cette façon de toujours se sentir responsable de tout... Cela aussi, ça l'agaçait.

– Rien du tout. Ce n'est pas de ta faute, mais de la mienne. Nous avons eu une conversation un peu tendue tout à l'heure...

– À quel sujet ?

– Au sujet de l'organisation du Manoir la semaine prochaine... quand la délégation séjournera ici...

La diplomatie de Lucius... Trouver des circonstances atténuantes aux uns et aux autres. Se poser en arbitre. Et atteindre son but puisque la colère refluait chez Harry, laissant place à des émotions plus mesurées : la compréhension, l'abnégation, la volonté de se couler dans le moule pour le contenter.

Comme s'il ne pouvait y avoir qu'une seule raison à son agacement. Comme si la docilité de Harry, capable de s'humilier pour venir demander une autorisation de sortie, n'ulcérait pas autant Severus que cette conversation pour savoir qui allait loger où et comment il pourrait éviter autant que possible à Harry le contact avec les vampires. Comme s'il n'était fait que d'un bloc, d'une seule pensée, d'un seul sentiment, alors qu'il était autant en colère contre l'un que contre l'autre.

Mais ce sursaut d'énergie, même dirigé contre lui, et même si la magie de l'union grondait au fond de lui, était un vrai bonheur. Severus ferma à nouveau les yeux pour retrouver dans le lien les traces de cette révolte salutaire.

Ce soir-là, Harry ne monta se coucher que lorsqu'il dormit profondément, après des heures passées au fond de son laboratoire. Toute la soirée, le lien avait bouillonné de vagues de sentiments successives : la contrariété, la colère à nouveau devant le souvenir de son mépris, puis la compréhension et le pardon. Puis la révolte encore, que Severus savourait avec délectation. Harry ne cherchait même pas à cacher ses émotions ou à étouffer le lien, et cela était aussi une façon de se venger qui le fit sourire en s'endormant.

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Toute la journée, même en peaufinant ses potions, même en travaillant aux côtés de Mark, Harry avait attendu avec impatience cette soirée. Il n'en pouvait plus de rester enfermé au Manoir, il n'en pouvait plus de vivre en surveillant la course des aiguilles sur les horloges, il n'en pouvait plus de cette ambiance pesante avec Severus qui semblait se délecter de ses angoisses, il avait besoin de se changer les idées comme avait dit Lucius, et surtout de se défouler et de lâcher prise pendant toute une nuit. Se vider de toute son énergie et sa nervosité sans prêter attention à rien d'autre qu'à sa fatigue, et au bout de la nuit, à ce soleil qui se lèverait sur des danseurs surpris et hébétés de ce temps qui avait filé en dehors d'eux.

Il avait béni cette proposition d'Alicia, tombée au moment opportun, et ce fut une des premières choses qu'il lui dit quand elle le rejoignit dans le restaurant. Il s'excusa aussi de ne pas l'avoir attendue dehors, mais au bout de trois autographes et autant de photos, après un rhume soigné et des sollicitations dont il n'avait pas envie, il avait préféré rentrer et s'installer dans une alcôve discrète.

Il aurait pu choisir un restaurant dans le monde moldu, comme elle le lui avait proposé, mais il voulait aussi se débarrasser d'autre chose, et il n'eut même pas le temps de lui en parler qu'un journaliste avait déjà fait irruption près de leur table. Celui des serveurs ou du patron qui avait vendu l'information avait dû en tirer un joli billet.

Harry accepta trois questions et il ne fallut pas attendre longtemps pour que surgisse l'interrogation fatidique : qui était le bébé avec qui on l'avait vu sur le Chemin de Traverse, une dizaine de jours auparavant. « Ma fille », répondit-il simplement, déclenchant presque un orgasme spontané chez le journaliste en face d'eux. Sa plume grattait sur le parchemin presque aussi frénétiquement qu'il sautillait sur place, au comble de l'excitation devant ce scoop de première main. Les questions fusèrent aussitôt, bien plus nombreuses que celles que Harry avait acceptées, prenant Alicia à partie pour savoir si elle était la mère, la compagne, la fiancée ou que sais-je encore.

Après un regard interrogateur pour savoir s'il désirait qu'elle le couvre, Alicia éclata de rire et déclara qu'ils étaient juste amis, et que si elle ne voulait pas s'encombrer d'un homme dans sa vie, ce n'était certainement pas pour se coltiner un mouflet ! Avec un sourire amusé, Harry confirma simplement qu'il avait bien une fille mais qu'il ne vivait pas en couple avec sa mère, puis il congédia le journaliste et déploya une bulle de silence autour d'eux. Voilà qui allait nourrir les ragots pour les jours à venir ! Et qui ferait sans doute taire les rumeurs comme quoi il était l'amant presque assumé de Lucius puisqu'il vivait sous son toit...

Ils parlèrent beaucoup durant le dîner. Plus qu'ils ne l'avaient fait depuis bien longtemps, et même Alicia semblait d'humeur moins « hargneuse » que d'habitude. Cela faisait du bien de pouvoir se confier un peu à quelqu'un qui soit plus extérieur à sa vie... Mark passait son temps au Manoir. La moitié de ses repas. Il venait régulièrement dîner avec Håkon... Matthieu et Draco également, et les autres n'étaient pas des amis à qui il se confiait spontanément.

À part pour son anniversaire – et pour le soigner au sortir de sa captivité –, Alicia n'était quasiment jamais venue au Manoir. Elle faisait pourtant complètement partie de sa vie, mais elle avait cette distance salutaire, elle n'évoluait pas dans le cadre de son quotidien, de sa vie de famille, et ce regard extérieur lui faisait le plus grand bien. Elle avait le recul nécessaire pour juger des choses sans avoir le nez enfoncé dedans. Et ses saillies cinglantes agissaient sur lui comme un passage dans l'antichambre avec Lucius : il sursautait comme sous un coup de fouet puis se laissait aller à sourire après quelques secondes. Le plaisir et la connivence étaient les mêmes.

Il y avait des sujets, cependant, qu'il ne voulait pas se risquer à aborder en public, même sous une bulle de silence, et Alicia dut le sentir. À vrai dire, il n'avait pas très envie non plus de quitter cette conversation qu'il appréciait plus qu'une nuit en boîte ou en soirée, et quand elle lui proposa de poursuivre la discussion chez elle, il accepta bien volontiers.

Ils transplanèrent ensemble dans cette petite ruelle près de l'immeuble où habitait Alicia. Plongée dans l'ombre, seulement éclairée par deux réverbères à chaque extrémité, elle avait tout du repère pour chats errants et vagabonds. Mais à eux, elle offrait la discrétion rassurante de l'obscurité, même si, dans la chaleur de la soirée, elle offrait aussi une odeur peu ragoûtante de poubelles en cours de fermentation.

Ils en rirent en rejoignant la rue principale puis l'entrée de son immeuble. Et tandis que l'ascenseur les emmenait en grinçant vers son appartement, Harry plaisanta en arguant que ces odeurs-là ne la changeait pas beaucoup de son travail.

Sur le palier minuscule, Alicia sortit ses clefs, mais lorsqu'elle les introduisit dans la serrure, la porte était déjà déverrouillée. Dans un réflexe inquiet, Harry fronça les sourcils et déploya sa magie pour sonder l'appartement. Mais elle avait déjà ouvert la porte et pénétré dans la pièce.

Du regard, il fouilla rapidement les lieux, mais la magie lui avait déjà donné la réponse la plus évidente qui soit : Blaise, tranquillement assis dans un des fauteuils près de la baie vitrée, en train de feuilleter le catalogue d'une vente d'art. Ni lui, ni Alicia ne semblaient étonnés de la présence l'un de l'autre; en revanche, quand Blaise l'aperçut derrière la jeune femme, il haussa les sourcils et se leva d'un bond pour le saluer.

Encore sous le coup de la surprise, Harry s'avança comme un automate, notant des détails infimes sans parvenir à réagir : le grand cadre sur le mur de briques rouges, derrière Blaise, qui contenait une photo qu'il avait déjà vue quelque part, le verre de whisky, sur la table basse, quasiment vide, les chaussures, que Blaise avait dû retirer en entrant ou pour poser ses pieds sur la table basse, et qu'il ne voyait nulle part...

Derrière lui, Alicia avait refermé la porte de l'appartement, posé son manteau, et elle était partie dans la cuisine leur chercher des verres et de quoi boire. Pas surprise pour deux sous de trouver Blaise chez elle. Et pourtant Harry était persuadé qu'elle ne l'aurait pas invité ici pour poursuivre leur conversation si elle l'avait su dans son appartement... Et elle n'allait même pas saluer son amant occasionnel...

Harry s'approcha encore, plus gêné qu'à l'ordinaire, et s'excusa platement de venir le déranger. Blaise était pourtant aussi son ami, mais à cet instant, il avait l'impression de s'immiscer dans leur vie de « couple », de venir perturber une soirée en tête à tête, d'envahir l'endroit de leur intimité, et il ne savait pas quoi faire avec ça.

Blaise, lui, bien qu'il soit en chaussettes devant lui, malgré sa veste déboutonnée et sa cravate dénouée, semblait le plus assuré d'eux deux et l'étreignit affectueusement.

– C'est moi qui suis désolé, fit-il en souriant. Alicia ne savait pas que je serais là quand elle a dû te proposer de venir ici... Si tu veux, je vais partir pour vous laisser discuter tous les deux tranquillement.

– Blaise, non. Arrête ! murmura Harry précipitamment. Tu es ici chez toi ! Enfin... C'est le cas ?

– Je ne suis que de passage, comme toujours, gloussa le jeune homme. Ici comme dans la vie d'Alicia.

Laquelle Alicia les rejoignait avec deux verres et la bouteille de whisky que Blaise avait dû entamer un peu plus tôt, et elle s'assit dans un fauteuil avec à peine un hochement de tête en direction de son amant.

Il y eut quelques phrases hésitantes, Harry refusa que Blaise s'en aille pour les laisser seuls, Blaise refusa qu'il fasse la même chose, et Alicia les regardait tour à tour sans un mot comme on regarde un match de tennis.

Puis elle les servit copieusement, en proposa à Blaise qui acquiesça volontiers, et la conversation reprit, plus naturelle et feutrée.

Il n'était pas venu là souvent, mais Harry aimait cet endroit. Les murs de briques rouges, le béton nu au sol, cette immense baie vitrée qui occupait tout un côté de l'appartement et le métal sombre qui entourait ces fenêtres... Une impression de force se dégageait toujours de ces matériaux bruts, et le cuir des fauteuils rendait l'atmosphère malgré tout chaleureuse.

Ce soir, la lumière était rare, au point qu'il avait du mal à distinguer le visage de Blaise. Alicia n'allumait souvent qu'une ou deux lampes au sol qui donnaient un éclairage rasant, et derrière eux, une vague lueur dans la cuisine. La pénombre avait quelque chose d'intime, et surtout, elle permettait de profiter de la vue splendide sur la ville et ses lumières nocturnes. Harry comprenait si bien pourquoi Alicia avait tant voulu cet appartement. Lui, il aurait passé des heures devant ce panorama, à observer les bureaux lointains qui s'éteignaient, les lumières qui passaient d'une fenêtre à l'autre dans les appartements, les silhouettes que l'on devinait à peine et les ombres des passants pressés sous les réverbères.

Blaise ne parlait pas beaucoup, effacé dans la noirceur du salon, et leur conversation avait repris là où ils l'avaient laissée au restaurant. La pénombre permettait aussi cela : les confidences, comme en faisait parfois Severus sur l'oreiller, quand l'obscurité ne laissait plus voir les expressions du visage ou les yeux trop brillants... Dans un monologue feutré et haché, il lâchait ses inquiétudes à propos des jours qui allaient venir, ses craintes sur ce qu'il allait vivre ou revivre... Alicia savait tout de lui, elle l'avait vu le premier jour de son retour, les premières minutes, quand il était revenu à moitié mourant. Elle avait vu ses crises d'angoisse, son agressivité, sa douleur physique, elle avait vu même son dénuement le plus complet... Elle comprenait.

Harry finit par se taire, parce qu'il n'y avait plus rien à en dire avant de vivre ce nouveau chapitre. Alicia finit par se lever parce qu'elle avait soif et envie de quelque chose de chaud... Il n'avait même pas remarqué que Blaise s'était levé également, mais il le vit la rejoindre dans la cuisine et poser ses mains sur ses épaules. Elle sembla se relâcher lentement. Et tandis que la bouilloire chantait peu à peu, elle se retourna pour se serrer contre lui et les bras de Blaise vinrent l'enlacer avec douceur.

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Ils burent le thé presque en silence, le regard rivé sur la nuit de plus en plus obscure. Harry, lui, les observait tour à tour, avec l'impression d'empêcher quelque chose. Depuis leur arrivée, ils n'avaient pas dû s'adresser la parole, pas un mot qui ne soit destiné à quelqu'un d'autre que lui... Et pourtant elle s'était laissée aller dans les bras de Blaise. Presque rien, quelques secondes. Mais ils le savaient là. Ils comptaient sur sa pudeur, sur sa discrétion... Ou bien le geste leur avait échappé. Encore plus étonnant puisqu'il était venu d'elle... Blaise avait senti son envie de réconfort et l'avait rejointe. En chaussettes sur le sol de béton... Blaise !

Harry annonça qu'il allait prendre congé, et après quelques minutes supplémentaires grappillées de ce silence confortable, il se leva, un peu raide. Ce n'était que maintenant qu'il percevait les effets de l'alcool. Plusieurs whiskys qui allaient sans doute faire râler Severus, pas assez pour l'empêcher de transplaner. Il allait rentrer tôt, c'était déjà bien. Enfin... bien avant le petit matin, ce qui était mieux que s'il était allé danser.

Alicia s'était levée aussi et l'étreignait avec quelques mots de réconfort qui l'atteignirent avec un peu de retard...

– Dans une semaine, tu reviendras me dire que tout s'est bien passé, assura-t-elle avec un sourire. Mais d'ici là, tu reviens quand tu veux...

Et avant même qu'il n'ait eu le temps de la remercier, elle avait disparu dans la cuisine avec les verres et les tasses de thé, s'affairant pour tout ranger. Alicia n'aimait pas les au revoir.

Ce fut Blaise qui le raccompagna vers la porte. Blaise et sa tenue relâchée, Blaise et ses chaussettes... Harry aurait pu en rire, se moquer, mais il trouvait juste cela profondément émouvant, au point de sentir son ventre se nouer dans un grand élan de tendresse.

Et pourtant, il était désolé. Il avait laissé ses angoisses, derrière lui, sur la table du salon. Il s'en sentait beaucoup plus léger, mais Alicia et Blaise, eux, allaient rester dans cette ambiance pesante et le souvenir de ses paroles. Et ils avaient sans doute envie d'autre chose quand ils étaient ensemble.

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Sur le pas de la porte, dans le courant d'air frais de la cage d'ascenseur, Blaise l'étreignit avec douceur.

– Prends soin de toi, Harry.

– Blaise ?

– Mmhh ?

– Tu vas en parler à Draco ?

Au moment où il prononça ces mots, comme échappés de lui-même, il sentit la crispation nouer son ventre.

– Parler de quoi ?

– D'Alicia.

Le sujet était devenu presque tabou entre les deux hommes. Délicat, tout du moins... Draco était trop souvent dans le jugement sur ses histoires de cœur, Blaise préférait ne plus en parler. Il haussa les épaules d'ailleurs, avant de lâcher :

– Il n'y a rien à dire à propos d'Alicia.

– Blaise ! protesta Harry à mi-voix. Elle est importante dans ta vie. Tu tiens à elle, ça crève les yeux !

– Je m'attache facilement, fit-il avec un sourire résigné.

La porte de l'ascenseur s'ouvrit derrière lui dans un grincement sinistre et Harry frissonna sous le courant d'air glacial.

– Elle ne partage pas tes sentiments ? insista-t-il.

– Alicia ne partage pas ce qu'elle pense, et je ne vais certainement pas aller lui parler de ça ! Je suis là si elle en a envie, c'est tout. Va retrouver tes amants, Harry... Bonne nuit.

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Dans le mouvement saccadé de l'ascenseur qui l'emmenait vers la sortie de l'immeuble et la rue, Harry frissonna à nouveau. Il était fatigué, vidé émotionnellement, et la soirée se terminait avec une sensation d'inachèvement. Elle n'était pas du tout ce à quoi il s'était attendu, et si, quelque part, se confier l'avait soulagé, il repartait avec plus d'interrogations au sujet d'Alicia et Blaise qu'il n'en avait eues en arrivant.

En marchant dans la ruelle sombre où ses pas résonnaient dans le silence, il se demanda aussi ce qu'il faisait là. Il aurait pu transplaner depuis l'appartement d'Alicia, ou au moins depuis le palier, mais il était retourné dans cette rue discrète, là où ils étaient arrivés quelques heures plus tôt, comme s'il fallait partir poliment, et clore cette parenthèse de la même manière qu'elle avait commencé.

À présent, Blaise savait tout de lui. Tout, et jusqu'à l'indicible, jusqu'aux points de suspension qu'il laissait parfois à la fin de ses phrases... Mais il n'était pas sûr que cela le dérange. Blaise avait changé ces derniers mois, en particulier depuis l'attaque sur le Chemin de Traverse. Plus posé, plus profond peut-être... Harry lui faisait confiance pour ne rien dire, ne pas même hausser un sourcil en public si le sujet venait à être abordé mais en privé tous les deux, ou en présence d'Alicia, Blaise n'était pas le même. Il savait entendre, comme il était capable d'entendre ses besoins à elle, et Harry aurait voulu pouvoir faire la même chose pour lui. Pour eux.

Au Manoir, dans la pénombre des couloirs, le silence régnait autant que dans la ruelle près de chez Alicia. Malgré leur dîner en ville, ses amants étaient couchés depuis longtemps. Il était tard. En réalité, on était même déjà demain. Une journée plus près de la date fatidique.

Avant d'entrer dans la chambre, Harry laissa ses chaussures près de la porte, dans le couloir, et se déshabilla rapidement. Il ouvrit la porte à peine quelques secondes, le temps de pénétrer dans la chambre en catimini, laissa ses vêtements sur un fauteuil qu'il savait là et s'approcha doucement du lit. Il ne voulait pas réveiller ses amants, mais quand il se glissa maladroitement entre les draps, il comprit vite que Severus ne dormait pas.

Toute la soirée, il avait dû sentir à travers le lien ses émotions trop sombres, les souvenirs qu'il avait confiés et l'ampleur de ses inquiétudes... À peine allongé, il le prit dans ses bras et le serra contre lui avec une force étonnante. Dans le lien déferlait une vague d'amour tout aussi puissante, presque plus douloureuse que cette étreinte, et qui, l'espace d'un battement de cœur, lui mit les larmes aux yeux. Malgré tout, Severus savait entendre ses besoins à lui.

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Merci à tous de votre présence et de votre fidélité.

La semaine prochaine, la délégation de vampire arrive au Manoir, et ce ne sera pas simple pour Harry.

Au plaisir

La vieille aux chats