Ce matin-là c'était la grande confusion et Merry la regardait d'un air honteux et triste. Sa blessure l'avait empêché de pouvoir faire partie de cette dernière bataille. Il se tenait aux côtés de Pippin qui était paré tel un soldat du Gondor et Gandalf qui illuminait à lui seul toute la cour.

Il soupira:

- J'aurais espéré moi aussi partir avec vous, pour l'honneur des miens...

C'est à ce moment qu'Aragiliath passait devant eux. A ses talons, comme toujours, telles des sentinelles silencieuses, Elladan et Elrohir la suivaient.

Elle avait entendu la remarque de Merry et, les yeux pleins d'admiration, elle s'arrêta et se mit à sa hauteur.

- Meriadoc, vous avez fait un long chemin depuis la Comté et, croyez-moi, la Comté et les Brandebouc peuvent être fiers d'avoir un tel fils. Votre blessure ne vous laisse malheureusement pas en état de voyager et surtout de vous battre. Mais n'ayez surtout pas honte. Vous avez acquis déjà beaucoup d'honneur. Pippin ira et il représentera votre peuple. Mais nous sommes tous face à un grand danger, autant ceux qui sont restés derrière et ceux qui iront jusqu'aux Portes Noires. Car si notre maigre espoir ne se réalise pas, vous ferez partie de l'ultime résistance. Bien qu'elle n'aura pas lieue aux portes du pays des ombres. Adieu...

Et elle lui sourit tendrement. Comme on sourit à un ami que l'on ne va pas voir avant longtemps. Car c'était vrai, Grands Pas s'en allait définitivement. Qu'ils gagnent ou perdent, la rôdeuse allait les quitter. Ils avaient effectivement parcouru un long chemin depuis Bree et elle s'était attachée à ces enfants d'Eru. C'était en quelque sorte pour eux qu'elle se battait.

Puis, se relevant, elle continua sa route jusqu'aux écuries. Son coeur était lourd à présent, car elle pensait à Frodon et Sam. Elle espérait qu'ils tenaient bon.

Ses frères gardaient le silence, mais dans ce silence il y avait tellement d'admiration et d'amour. Elle ne pouvait pas encore les remercier d'avoir toujours été à ses côtés. Car pour l'instant toute son âme était dirigée vers ce test final.

Elle prépara Roheryn avec calme, comme si elle allait seulement à Mordor pour continuer à traquer les servants de l'Ennemi. Autour d'elle c'était le chaos. Tous les hommes se préparaient: dúnedain, gondoriens et rohirrims. Mais elle restait calme. Presque trop calme. Comme si toute la journée se déroulait lentement.

Elle flatta une dernière fois Roheryn avant de grimper sur son dos. Une grande partie de la troupe s'était déjà mise en place devant la Cité des Rois. Aragiliath jeta un regard derrière son dos comme pour dire à sa Cité qu'elle reviendrait. Puis, elle alla rejoindre Imrahil et Eomer. Ils se trouvaient déjà à la tête des hommes. Imrahil de Dol Amroth inclina la tête en direction d'Aragiliath et dit:

- Bientôt, ils seront tous là et nous pourrons demander aux hérauts d'annoncer notre départ.

Elle ne fit qu'hocher la tête. Puis, arrivèrent Legolas et Gimli. L'elfe ne prononça pas de mots, mais son regard était très éloquent. Pendant un bref instant, ils se rappelèrent tous deux comment elfe et rôdeuse ils s'étaient battus côte à côte tant de fois. Gimli, à sa manière, à l'image des nains, déclara d'une voix portante:

- Et bien petite, nous voilà. Les trois chasseurs réunis, prêts pour une nouvelle chasse sans espoir.

Aragilliath eut un sourire amusé, mais ne dit rien. Elle ne pouvait pas parler tellement le moment était fort. Elladan, qui se trouvait très près d'elle, se pencha pour ajuster une des lanières qui retenait la sorte d'armure que portait Roheryn. Ce geste anodin pour les autres, était aussi éloquent que le regard de Legolas. Il voulait dire tant de chose... Mais Estel ne pensait qu'à une chose: Il était là... Il avait toujours été là et elle l'aimait plus que tout...

Puis l'arrivée de Gandalf ajouta la cerise sur le gâteau. La lumière qui émanait de sous sa cape grise redonnait courage aux hommes.

Et ils en avaient besoin.

Estel se retourna pour voir si tous les hommes étaient prêts: ils se tenaient droit, mais leur regard était plein d'ombre. Elle fit signe aux hérauts de sonner les trompettes.

Puis, elle s'avança et derrière elle, elle put entendre tel un violent torrent, le pas de ses hommes qui suivaient. Son coeur battait avec le rythme de leurs bottes.

Leur première étape était Osgiliath.

Ils l'atteignirent à midi. Des artisans et des ouvriers s'occupaient à reconstruire les défenses que l'Ennemi avait réduites à néant.

Les cavaliers, ainsi que l'avant-garde, prirent de l'avance pour atteindre le carrefour du roi tombé avant le crépuscule.

Ils atteignirent le cercle des arbres dans un grand silence. La nature environnante les écoutait et aucun ennemi n'était visible. Alors Aragiliath fit poster les hérauts à chacune des routes qui formaient ce carrefour. Avec une grande fanfare ils crièrent:

-Les seigneurs du Gondor sont de retour et ils reprennent toute cette terre qui leur appartient.

Estel mit pied à terre avec Legolas, Gimli et les fils d'Elrond.

Elle pensait à Boromir: les seigneurs du Gondor et regretta son absence.

Fier fils du Gondor, ce jour est aussi le tien....

Avec dégoût, tous les hommes observaient là où s'était élevée la statue du vieux roi. Sa tête avait été ôtée et à sa place il y avait un visage grotesque, fait par des orcs sans doute. En son centre, il y avait un grand oeil rouge peint grassement sur l'ignoble parodie.

La dúnadan ôta la hideuse tête de la forme sculptée. Elle la laissa tomber par terre et ne remarqua même pas Gimli qui lui donna un grand coup de hache et l'envoya en morceaux plus loin. Avec respect et lenteur, elle la remplaça avec la tête du vieux roi. Pendant un instant, elle sourit en regardant la couronne de fleurs blanches et or, puis son visage redevint impassible et grave.

Ces fleurs qui avaient poussé pour former cette délicate et éphémère couronne était un signe d'espoir. Mais leur fragilité rappelait celle de l'espoir fou qui poussait ces hommes à se battre.

Cela fait alors qu'elle rejoignait Roheryn, Elladan et Elrohir commencèrent à nettoyer et gratter la sculpture de tous les immondes gribouillages d'orc. D'autres hommes vinrent les aider.

Après avoir rétabli l'ordre sur le carrefour, l'avant-garde reprit sa route.

Ils avancèrent jusqu' à l'entrée de la vallée de Morgul d'où ils contemplèrent la Cité des Morts.

Elle était sombre, très sombre. Il n'y avait personne. Les nazgûl avait été appelés plus loin et les orcs et autres créatures qui avait été postés ici, étaient tombés dans la bataille du Pelennor.

Cette fois, Estel ne descendit pas de sa monture, mais elle donna l'ordre de brûler le pont et le réduire à néant. Les flammes rouges le léchèrent jusqu'à le réduire en cendres. Mais l'atmosphère restait toujours aussi lourde et pleine d'hostilité.

Ils brûlèrent aussi leur champs nocifs, fruit de Sauron.

Puis, il se retirèrent pour trouver un abri où passer la nuit.

La journée avait été longue. Et très étrange.

Aragiliath l'avait vécue comme dans un rêve.

Assise devant le feu de camp, elle ne tentait plus de faire croire qu'elle se trouvait à un habituel camp de rôdeur, bien qu'elle fût entourée de ses fidèles compagnons.

Il fallait se rendre à l'évidence. Le moment tant attendu était là.

Elle pouvait entendre Gimli poser des questions à Legolas au sujet de la région. Sa voix bien gutturale, la voix grave et posée des dúnedain et le silence de ses frères; plus loin d'autres hommes échangeaient leurs peurs et leurs espoirs. Tout cela créait un paisible brouhaha.

Les yeux fermés, elle se remémora sa mère;
Du vague souvenir de la silhouette de son père;
Des dúnedain qu'elle avait connus, ceux qui lui avaient tout appris;
D'Imladris, où elle aurait voulu rester;
D'Elrond qui avait toujours veillé sur elle...

Et ces compagnons qui l'entouraient. Ces amis qui la connaissaient mieux que quiconque. Gandalf qui avait été comme un père, n'avait fait qu'accomplir son devoir.

Elle posa sa main glacée sur celle d'Elladan.

Tout semblait tellement loin de ce moment. Toutes ces années d'errance, de chasse et de secrets avaient abouti à ce soir. Elle avait changé, ces quelques gestes qu'elle avait accomplis cette journée l'avait transformée en la reine du Gondor. Il ne manquait plus que son peuple l'accepte: elle était prête.

Le lendemain, le troisième jour, l'armée commença sa marche vers le nord. C'était une route ouverte aux ennemis. Ils y allaient sans recul, mais en gardant toute leur vigilance. Legolas fixait l'horizon de ses yeux clairs et Gimli lui demandait, aussi discrètement que possible, toutes les vingt minutes au moins, s'il voyait quelque chose.

Cela ne faisait qu'augmenter l'irritation d'Elrohir envers le nain. Mais son visage elfique était aussi lisse qu'à l'habitude. Il devait admettre qu'aussi bruyant et grotesque qu'était ce nain, il avait été fidèle à Estel et si Legolas était attaché à lui c'est qu'il devait y avoir une raison. Elrohir n'avait jamais douté du jugement du prince d'Eryn Lasgalen.

Gandalf semblait très concentré. Ses yeux pétillants étaient voilés et il faisait sonner les trompettes de temps en temps. Et les hérauts criaient:

- Les Seigneurs du Gondor sont arrivés! Que tous quittent ce pays ou se rendent!!

Mais à la troisième fois Gimli ronchonna loyalement:

- Ne devrait-on pas plutôt annoncer l'arrivée de la reine? A mon avis cela ferait plus d'effet.

Avec étonnement, Elrohir regarda le nain. Il venait de dire tout haut ce que les deux frères pensaient et bien d'autres. L'elfe dévisagea cet habitant des mines. Tout ce qu'il avait détesté sur les siens fut oublié pour un instant. Avait-il mal jugé les nains? Ils avaient autant de réflexion et de valeurs que les hommes ou même que les elfes. Ils étaient différents certes, mais les nains n'étaient pas d'aussi viles créatures. Ils semblaient peut-être rustres aux elfes, mais Gimli fils de Gloin valait un bon nombre d'elfes...

Imrahil approuva la remarque de Gimli:

- Il a raison, car c'est la vérité. Même si elle n'est pas encore montée sur le trône. Cette proclamation fera beaucoup plus réfléchir l'Ennemi.

Alors à son ordre les hérauts annoncèrent trois fois par jour l'arrivée de la reine Elessar. Personne ne répondit au défi.

Mais à chaque cri des hérauts, Estel sentait une étrange puissance s'éveiller en elle.

Comme si tout le courage, toute les forces accumulés de ses ancêtres renaissaient en elle.

Mais malgré cette absence de défis et ce semblant de paix, les elfes et les sages pouvaient sentir la peur croître dans les coeurs des hommes. Bien qu'ils marchaient dignement et se tenaient droit et fier.

Leurs coeurs se tordaient sous le pressentiment d'un malheur imminent. Et c'est vers la fin du cinquième jour que leur défi fut relevé par une horde de haradrims et d'orcs.

La tête de la troupe fut prise dans une tentative d'embuscade. Mais c'était sans compter les talents guerriers des hommes.

Mais cette attaque avait été prédite par leurs éclaireurs. Ainsi une compagnie de cavaliers les débordèrent largement par l'ouest et tombèrent sur leur flanc et sur leurs arrières.

Alors que même Imrahil souriait de cette petite victoire et que tous les hommes étaient réconfortés par celle-ci, Estel restait grave.

Quand ils reprirent leur marche, elle déclara à Imrahil:

- Ce n'était qu'une feinte. Tout ce que voulait l'ennemi c'est que nous le sous estimions.

Legolas ajouta:

- Et que nous soyons attirés sans crainte dans son pays.

Le soir, ils établirent un maigre camp. Assis autour des feux de camps, ils se concertaient et s'encourageaient. Estel alla faire un tour vers ses hommes. Ils étaient silencieux et leurs yeux pleins d'angoisse. Elle revint s'asseoir aux côtés de ses frères adoptifs et de ses compagnons les plus proches. Puis, après un moment de silence, elle déclara:

- Ils sont effrayés. Ils vont flancher... En tout cas, la plupart d'entre eux.

Elle soupira et ferma les yeux un instant. Elle comprenait leur peur. Elle aussi, intérieurement, avait un peu peur. Mais elle n'avait pas le choix. Tandis qu'eux... Leur destin n'était pas aussi étroitement lié à celui du sombre seigneur.

Elle avait beaucoup de peine pour eux, car pour des hommes aussi valeureux la peur était un terrible fléau et une honte inimaginable.

Alors qu'elle était plongée dans ses pensées, un cri strident déchira le silence. Ils se levèrent et Legolas s'écria:

- Des Ulaíri!!!

Tout le monde se tourna vers Gandalf, mais il secoua négativement la tête.

- Non, pour l'instant le cavalier blanc ne va pas les affronter. Mais ne laissez pas la peur glacer votre coeur.

Ses mots réconfortèrent ceux qui s'étaient recroquevillés à cause de la terreur inspirée par les nazgûl.

Dès ce soir, les nazgûl continuèrent à les suivre et seul Legolas pouvait les voir. Ils ne criaient plus, mais la terreur qui émanait de leur souffle rendait les hommes silencieux et angoissés.

Le sixième jour, ils quittèrent les terres vivantes pour entrer dans le pays désolé précédant l'entrée du Col de Cirith Gorgor. Depuis leur position, ils pouvaient voir au Nord les marais et le désert qui s'étendaient jusqu'à l'Ouest.

Ce passage était aride et inspirait grand dégoût. Pendant un instant, la dúnadan pensa aux deux pauvres hobbits qui, quelque part dans cette région, avaient tenté et peut-être réussi à atteindre le sombre pays.

C'est à ce moment qu'il y eut un grand remous. Une partie de l'armée ne pouvait plus avancer: que cela soit à pied ou à cheval.

Aragiliath prit un peu d'avance et fit volte face. Devant elle, elle pouvait voir des jeunes du Rohan, du lointain Ouestfolde ou des agriculteurs du Lossarnach, pour eux le Mordor était un mot maléfique. On ne pouvait pas attendre d'eux la même chose que des soldats qui avaient suivi un long entraînement. Ils étaient comme perdus dans un cauchemar. Ils ne comprenaient pas les raisons profondes de cette guerre et ne voyaient pas où était leur place. Ils avaient tenté d'imiter les fiers soldats rohirrims ou les gondoriens qui s'étaient longtemps battus contre l'Ombre. Mais, à présent, ils n'en pouvaient plus. Ils ne pouvaient plus fuir la peur qui les étreignait.

C'est avec pitié qu'elle les regardait. Ce n'était vraiment pas de leur faute...

Alors, elle tenta de leur redonner courage ou un moyen de s'en aller avec honneur:

-Partez ! Mais conservez ce qui vous pourrez d'honneur et ne courrez pas! Il y a une tâche à laquelle vous pouvez vous efforcer et ainsi vous sauver de la honte.

Allez vers le sud ouest jusqu'à Cair Andros, et au cas où celle-ci serait encore tenue par les ennemis, reprenez la, si vous le pouvez et tenez la jusqu'au bout pour défendre votre peuple.

Certains sous ce regard plein de pitié se sentirent mortifiés et restèrent à sa suite. D'autres, en voyant un espoir de garder honneur malgré leur peur, s'en allèrent vers Cair Andros. D'autres encore, en voyant une femme parler ainsi avec tant de pitié, se sentirent rabaissés dans leur virilité et se dirent que si une femme pouvait aller là bas, eux aussi.

Ainsi, c'est avec moins de six mille hommes que les capitaines de l'Ouest finirent par arriver pour défier la Porte Noire et la puissance du Mordor.