Après la victoire vint l'Heure du jugement. Aragiliath assuma sa première fonction de reine.

Assise sur le trône, elle jugea, un à un, chaque cas. Il était étrange d'observer ce visage qui rappelait à la fois le passé du Gondor, mais aussi un renouveau.

Envinyatar

Il y avait les vaincus à pardonner et renvoyer, les soldats qui méritaient des récompenses...

Et finalement, Eomer du Rohan entra dans la salle.

Il n'y avait que les impassibles gardes ainsi qu'Estel et cette dernière se leva pour aller le rejoindre.

Ils étaient à présent tout deux souverains, du moins le couronnement d'Eomer était aussi pour bientôt. Elle se souvenait encore du regard qu'il lui avait porté. Toutefois, ce fut la reine qui prit la parole et non la femme:

- Entre nous il n'y aura aucune concession ou récompense, Seigneur de la Marche. Vous êtes comme un frère pour moi. Mais au sujet du Seigneur Theoden le Renommé: il a été allongé parmi les défunts rois du Gondor et il pourra s'y reposer éternellement si tel est votre désir. Ou bien, voulez vous le ramener à Edoras?

Et Eomer plongea son transperçant regard dans celui d'Aragiliath. Sans pudeur et sans honte il dit d'une voix très basse:

- Je vous ai aimé dès le jour où vous vous êtes levée devant moi de l'herbe verte du Rohan. Vous ne m'avez adressé qu'amitié, compréhension et camaraderie. Et j'ai compris plus tard où se tournait votre coeur. Pardonnez moi. Je ne suis pas un homme à laisser mes sentiments s'échapper d'entre mes lèvres.

Elle hocha la tête:

- Pardonnez moi de vous avoir parlé rudement.

Il sourit presque:

- Vous avez bien fait, ma noble dame. Car j'ai réalisé que ces sentiments que j'avais pour vous n'étaient pas tels que je les comprenais. Vous êtes la première femme forte, hormis ma soeur, que j'ai vu. Je n'ai pas l'habitude de réfléchir à mes sentiments et j'ai agi trop vite avant de savoir que finalement mon admiration pour vous s'est muée en l'admiration qu'à un capitaine pour un autre capitaine. Un frère d'armes ou plutôt dans cette situation, une soeur d'armes.

Elle inclina la tête: elle savait combien il coûtait à un homme aussi fier qu'Eomer de dévoiler ses sentiments. Il reprit sa voix de maréchal et bientôt roi:

- Je dois retourner dans mon Royaume, m'assurer que tout va bien et préparer le retour de Celui qui est tombé. Merci pour cet honneur, Dame du Gondor. Il restera en votre protection jusqu'à mon retour.

Elle acquiesça.

Ainsi quelques jours plus tard, les cavaliers rohirrims, Eomer et Eowyn s'en allèrent rejoindre leur pays.

Ce même jour, Elladan et Elrohir décidèrent d'aller au devant de leur père et de revenir en sa compagnie.

Ils tenaient conseil avec Estel dans ses appartements privés avant leur départ.

- ... Tout ce qui devait être dit a été dit avant notre départ pour Minas Tirith. Nous restons avec toi.

Elle secoua la tête:

- Vous ne devriez pas. Ils partent tous rejoindre Valinor. Que pensera... Que pensera votre mère quand elle verra que ses fils sont demeurés en Terre du Milieu?

Une lueur moqueuse s'alluma dans les yeux d'Elrohir:

- Elle sera bien contente, après tout le raffut que nous faisions en sa présence. Elle sera contente d'être débarrassée pour de bon de notre présence bruyante et incontrôlable.

Estel haussa les épaules ; elle ne riait pas:

- Elrohir, ne peux-tu être sérieux?

Elle marcha jusqu'à la grande fenêtre qui donnait sur la cité. Après quelques instants de réflexion, elle se retourna et d'une petite voix dit:

- Mais si vous décidez de rester... Personne ne vous oblige de rester après monmon... mon départ. Non? Vous pourriez partir?

Elladan hocha la tête:

- C'est ce qu'on essaye de te dire.

Mais sa voix ne semblait pas convaincante et elle haussa la voix:

- Vous allez m'expliquer ce qui se passe dans vos têtes? Je ne vous comprends plus! Arrêtez d'être évasifs!

Elrohir et Elladan la regardaient en silence. Et pendant un instant, elle eut l'impression d'être devant des statues de glorieux elfes du passé. Elladan finit par secouer la tête et brisa cette étrange vision. Mais ce fut Elrohir qui prit la parole:

- Rien n'est sûr Estel, rien. Nous avons décidé de rester quelques temps ici. Avant de faire notre choix. En ce qui me concerne, j'ai décidé de rester à Imladris après le départ d'Ada.

Et ces mots, aussi normaux qu'ils pussent paraître firent sursauter la reine. Pour la première fois, Elrohir parlait de lui-même comme une entité séparée d'Elladan. Que disait-il à travers ces mots? Qu'ils allaient mener leur destins respectifs séparés l'un de l'autre? Mais c'était impossible... La Mort d'Elrohir avait prouvé cela ; tout bonnement impossible!

Elrohir sortit sans un bruit, laissant Elladan en face d'Estel. Elle ne le regardait pas, elle gardait les yeux fixés dans le vide. Avait-elle déchiré les inséparables jumeaux?

- Non Estel, vraiment pas. Ce... ce n'est que pour quelques temps. Nous pensions que... Estel, tu nous accuses d'être évasifs, de ne pas nous expliquer clairement. Mais toi tu fais de même!

Elle recula, comme frappée par la foudre. Puis elle se reprit:

- Comment veux-tu que je sois plus claire si vous ne vous expliquez pas? Et je ne pense pas avoir été évasive.

Le visage de marbre, il murmura:

- Donc, tu veux que je m'en aille? Parce que tu reviens sur ta décision à Cerin Amroth.

Elle secoua la tête, le regard paniqué.

- Tu veux que je m'en aille parce que tu t'es rendue compte que je n'étais pas important pour toi à présent que tu as tout ce dont tu rêvais.

Il avait un terrible regard, celui du guerrier sans pitié. Et sous ce regard presque elrohirien, se cachait une déchirante peine.

- Non! Ne dis pas cela! Je n'ai jamais une seconde pensé cela... Non! Au contraire! Elladan me crois-tu si superficielle?

Elle était furieuse, bouillante de rage. Son visage à présent royal s'était mué en celui de la jeune Estel à qui Elrond faisait des remontrances.

- Cerin Amroth, parlons z'en! Là-bas tu pensais aussi que mes promesses étaient en l'air? Et... et que j'ai menti chaque instant que nous avons été ensemble?

Des larmes embuaient ses yeux.

Où était la terrible capitaine?

Et le regard d'Elladan se refit doux. Il s'avança vers elle mais elle détourna le regard. Après un instant elle reporta ses yeux sur lui et expliqua le plus calmement possible:

- Tu doutes de mes sentiments. A quoi me servirait cette Victoire si elle n'était pas pour toi? Et en ce qui concerne tout ce dont je rêvais... TOUT CE DONT JE RÊVAIS! C'est de toi que je rêvais nuit après nuit, bataille après bataille... C'est toi qui était le coeur de mon rêve! Elladan... comment, toi qui as toujours été mon plus grand confident, comment peux-tu ignorer quel était mon rêve le plus chéri?

Ses yeux blessés ne lâchaient pas ceux d'Elladan.

- Je n'ai jamais douté de tes sentiments Estel. Jusqu'au jour où tu m'as dis que tu voulais que je m'en aille, que l'on se sépare... Je t'aime Estel. Je t'aime... Et je ne cherche pas à t'emprisonner, si tu veux t'en aller... Alors je ne peux rien faire. Mais ne crois pas que je réussirais à cesser de t'aimer.

Elle se souvenait de ses gestes tendres alors qu'il l'aidait à endosser ses vêtements de reine. Que leur arrivait il?

- Si je t'ai dis de partir c'est parce que j'ai vu ce qui est arrivé quand on a cru qu'Elrohir nous avait quitté. Je ne veux pas te voir ainsi Elladan. Jamais. C'est tout.
Je ne veux pas que tu sacrifies ton immortalité pour moi. Je ne veux pas qu'Elrohir te voit devenir l'ombre de toi-même à cause de moi...

Un léger sourire passa sur le visage d'Elladan:

- Et crois-tu que tu pourrais prévenir cela en m'envoyant à Valinor? Cette fois c'est toi qui me sous estime. Que je m'en aille ou pas, je t'aimerai Estel.

Elle ferma les yeux et s'adossa contre le mur. Elle murmurait sans le regarder:

- Je n'ai jamais voulu faire du mal à Ada, à Arwen ou à ta Mère. Et surtout pas à Elrohir ou à toi.

D'une voix tremblante, elle continua:

- Tu sais ce qu'est mon rêve le plus cher? Ne jamais te quitter... Et voir à tes côtés nos enfants grandir tout en faisant mon devoir. Je n'ai jamais vraiment voulu être reine, tu le sais bien. Tuer n'est non plus quelque chose que j'apprécie. Mais pourquoi ai-je besoin de le dire à toi? A toi qui me comprenais sans que j'eusse à dire un seul mot.

Il se rapprocha d'elle et la serra dans ses bras. Et elle se laissa faire, posant sa tête sur son épaule.

- Je crois que toute cette victoire nous a submergé... Mais seulement momentanément, mon Estel. Pardonne moi, j'avais juste tellement peur de te perdre dans le monde des hommes. Tu fais une si bonne reine, si parfaite.

Il lui baisa le front, les paupières et les lèvres.

- Elladan. Meleth nîn. Je ne veux pas te laisser partir, mais je dois... Je ne suis qu'une reine des hommes, pas plus. Mais toi tu es un seigneur elfique, issu d'une lignée...

- De la même lignée que toi Estel.

Elle se redressa.

- Elladan, je ne peux pas...

Elladan la suivit:

- Vas-tu refuser si je demande ta main?

Elle secoua la tête et murmura:

- C'est ce que je désire le plus dans ce monde. Mais réfléchis, réfléchis encore... Tu ne sais pas ce que tu fais.

Ses yeux étaient plein de larmes et son visage ravagé. Elle faisait de son mieux pour rester digne et ferme. Il glissa un doigt sur le visage tant aimé et murmura:

- Je vais partir avec Elrohir, rejoindre Imladris. A mon retour, je te reposerai cette question.

Elle hocha la tête et il baisa son front...

Elle le regarda partir en silence, puis elle entreprit de laver son visage et se préparer à continuer son rôle de reine.

Après avoir assisté à quelques conseils, elle se retrouva seule. Elle ne voulait pas la présence de ses compagnons de route, autant ils étaient des vrais amis pour elle.

Elle s'isola, chose difficile pour une nouvelle reine.

A mon retour, je te reposerai cette question.

Les mots d'Elladan ne la quittaient paset ses déclarations enflammées non plus. Dans sa pudeur elfique il ne lui avait jamais parlé aussi clairement. Et elle sentait son coeur battre plus vite. Elle n'était qu'une mortelle, comment pouvait elle exiger qu'il reste avec elle?

Y avait il un autre moyen sans briser le coeur des autres pour être heureuse?

Elle sortit et alla dans la cour où se trouvait l'Arbre Blanc. Il était sec, comme elle. Il ne donnerait plus de fruits. Sa lignée était-elle ainsi?

Portez votre regard là où tout semblait stérile et vous trouverez votre preuve.

Où Mithrandir? Où?

Elle voulait courir dans ses appartements et le secouer.

Mais non, elle se devait de le faire elle-même.

Alors, machinalement, elle alla se changer.

Elle rangea sa couronne et ses beaux vêtements. Elle s'emmitoufla dans une cape sombre, enleva tout ornement à part la bague de Barahir.

Puis, elle fila vers les écuries, aussi silencieuse qu'une elfe, aussi discrète qu'une rôdeuse.

Le garçon d'écurie somnolait et elle se glissa dans le boxe de sa monture.

Préparant sa jument, elle lui murmura:

- Il nous reste encore une mission à accomplir ma brave et belle Roheryn...

Puis, sans avertir qui que ce soit, elle partit au galop. Longtemps elle laissa sa monture filer avec le vent. Insouciante, elle regarda le paysage défiler. La liberté de pouvoir galoper pour son propre plaisir l'enivrait.

Étrangement, de son propre gré, Roheryn la mena au pied sud du mont Mindolluin.

Où tout semblait stérile...

Laissant sa monture brouter une petite touffe d'herbe verte, Estel s'avança.

Tout était gris...

Les rochers étaient ornés d'un délicat torrent et rien ne poussait ici.

Estel ferma les yeux et inspira profondément.

Elle repensa à Fornost Erain, ruines d'un glorieux royaume. Et Imladris qui allait devenir un mythe...

C'était l'Heure des hommes.

Elle était fille des hommes.

Elle rouvrit les yeux et, abasourdie, elle remarqua une lueur verte. Là où la neige recouvrait encore les rochers, il y avait une pousse. Un très jeune arbre de trois pieds. Ses fragiles feuilles semblaient invincibles à côté de la neige qui l'entourait. Il portait même quelques petites fleurs et Estel resta immobile.

Là où les rochers étaient durs et stériles... Il y avait une pousse, il y avait de la vie!

Il y avait de l'Espoir, même où tout semblait gris et désertique.

- Yé Utúvienyes! Je t'ai trouvé! Toi un rejeton de l'Arbre, l'aîné des Arbres!

Alors que, jour après jour, elle avait enduré l'Ombre, cet arbrisseau avait poussé.

Comment était il arrivé ici?

C'était un miracle! Un signe... Les valar, Eru l'Unique, lui adressait un signe d'Espoir.

Ne désespère pas Estel, ne désespère pas porteuse d'Espoir!

Délicatement, elle le sortit de la terre, elle l'enveloppa soigneusement dans sa cape et reprit le chemin de Minas Tirith. Il faisait nuit quand on la laissa rentrer dans la cité.

Les gardes la reconnurent avec peine, mais l'anneau de Barahir parla en sa faveur.

On ne brûla pas l'ancien Arbre, on le déposa dans Rath Dínen pour qu'il se repose avec les rois. Sa lignée était plus ancienne que celle des rois de Númenor et c'est avec respect qu'on le traitait.

Un signe avait été donné et c'est avec sérénité qu'Aragiliath trouva le sommeil ce soir là.