.
Singulier destin que celui de Melania Black.
Saviez-vous qu'elle finit par se cacher derrière le lit ?
Qu'elle écrasa ses oreilles avec ses mains pour ne plus rien entendre ?
Qu'elle fut à nouveau complètement perdue ?
Lorsqu'elle se réveilla seule dans son lit, la porte entrouverte ?
Remarquez, elle commence seulement à comprendre où elle a mis les pieds.
.
Les Black ont toujours cultivé le secret.
Le culte du secret.
Il ne fallait pas dire un mot de trop. Il ne fallait pas parler des personnages gênants de leur famille et de leur arbre généalogique. Et ils en ont, des secrets. Je ne prétends pas en connaître la moitié. Je connais déjà très bien celui d'Arcturus Black, fils de Sirius et Hesper Black, et il n'est pas mince. J'imagine qu'à cause de leur fameux Arbre magique, il n'y a peut-être pas de secret sur leur généalogie, et encore, avec eux, j'en doute.
Melania se réveilla donc seule, dans les draps jaunes et verts de son lit d'épouse. Elle portait toujours la robe de chambre qu'elle avait enfilée en catastrophe plus tôt dans la matinée. Le duvet était remonté jusqu'à ses épaules. La chaleur dans ses draps et dans la pièce était parfaite. Les rideaux étaient tirés et seul un mince rayon de soleil passait entre les tentures vert bouteille aux broderies noires. Le parfum d'Arcturus envahit immédiatement son nez et ses cris revinrent secouer sa mémoire.
Elle ne comprenait plus rien. Et elle avait même un peu peur. Arcturus était si attentionné, tendre et doux avec elle. Et il l'était toujours. Il avait répété continuellement qu'il voulait la protéger, mais… Mais il avait voulu la protéger de personnes qui ne lui voulaient aucun mal. Et sa mère n'en avait pas semblé surprise.
La porte entrouverte grinça légèrement sous un courant d'air quelconque. Elle s'enfonça un peu plus dans les draps. Il lui semblait bien qu'elle l'aimait, surtout lorsqu'elle se rappelait des gestes plein de prévenance et de tendresse d'Arcturus. Surtout lorsqu'elle se rappelait de l'allégresse qui s'était emparée de chaque plus infime morceau d'elle la vieille et les quatre mois qui venaient de passer. Mais qui aimait-elle ? Qui était-il, finalement ?
Quelque chose lui piqua la joue. Elle ouvrit aussitôt les yeux sous le coup de la surprise et découvrit un carré de parchemin plié ensorcelé. Il lui était de toute évidence destiné. Elle sortit une main du lit et s'empara de la lettre dont le sortilège se rompit au même instant. Elle cassa le sceau de cire après avoir lu son prénom.
Melania,
Voulez-vous me rejoindre dans la serre de la cour lorsque vous serez réveillée ? Nous avons à discuter.
Hesper Black
L'écriture noire et régulière de sa belle-mère ne lui avait jamais parue si froide et impersonnelle. Elle eut peur, à nouveau, parce qu'à nouveau elle ne comprit plus rien.
Elle obéit néanmoins, car c'était de cette manière qu'elle avait pris l'habitude de survivre pendant les quatre mois qui avaient suivi la mort de ce Moldu de John Swift. Quand la peur la happait, elle se contentait d'obéir à qui avait un tant soit peu d'ascendance sur elle.
Alors elle s'habilla sans chercher à penser, elle n'y arrivait plus de toute façon. Elle revêtit une de ses robes noires traditionnelles, coiffa ses cheveux dans un chignon simple et élégant de quelques coups de baguette, pinça ses pommettes pour les colorer légèrement, ajouta son parfum à la lavande en deux application discrète dans le cou, et enfila des escarpins à talons carrés. Seule son alliance, à côté de la bague de fiançailles qu'Arcturus lui avait offerte, montrait qu'elle n'était plus la même que la veille.
Il était déjà treize heures lorsqu'elle passa la porte de sa nouvelle chambre. Elle avait vaguement conscience d'avoir faim et soif, mais ceci n'attira pas assez son attention. Elle devait descendre les deux étages sombres et effrayants de ce 12, Square Grimmaurd, avant d'espérer pouvoir gagner la cour. Et une fois dans la cour carrée, il lui restait encore à remonter l'allée de cailloux uniformes et à pousser la porte vitrée de la serre de Mrs Hesper Black.
Elle ne pensa même pas à respirer durant la descente des escaliers. Elle était trop occupée à sursauter au moindre bruit. Elle n'avait pas envie de voir quelqu'un. Elle ne voulait voir personne. Mrs Hesper Black savait quelque chose pour expliquer l'attitude d'Arcturus, son père aussi devait le savoir, et même sûrement tous les habitants de cette maison. Et Irma, qu'en savait-elle ? Pourquoi avait-elle l'impression qu'ils savaient tous ce quelque chose et qu'elle était la seule à l'ignorer ? Alors qu'elle avait épousé Arcturus ! Ses frères et son père lui avaient dit, au début, qu'Arcturus était cinglé, mais… Mais il était seulement un peu timide et incertain, c'était tout, n'est-ce pas ?
Elle ne croisa personne dans la maison, elle ne croisa personne dans le jardin.
Mais elle distingua nettement le dos d'Arcturus derrière les vitres de la serre, ainsi que la silhouette de sa belle-mère, Mrs Hesper Black. Elle entendit ensuite leurs voix, un peu étouffées, mais tout à fait compréhensibles.
Elle voulait comprendre. Elle avait peur, mais le désir de comprendre la tenait bien plus. Elle était terrifiée. Elle avait l'impression de ne plus connaître Arcturus. L'homme qu'elle avait eu devant elle ce matin n'était pas celui avec lequel elle avait passé des journées douces et paisibles depuis des semaines. Elle ne voulait pas le voir, elle ne voulait pas…
« Je lui fais peur », entendit-elle distinctement.
C'était la voix rauque, cassée et tremblante d'Arcturus. Elle resta derrière la porte, incertaine. Devait-elle s'annoncer ? Devait-elle s'en aller et revenir quand Mrs Hesper Black serait seule ? Elle voulait bien retourner s'isoler encore un peu et repousser le moment inévitable où elle se retrouverait à nouveau face à Arcturus. À son époux. L'homme auquel elle avait choisi de lier sa vie pour le restant de ses jours.
« Mais non, vous ne lui faites pas peur, Arcturus », réfuta patiemment la voix de Mrs Hesper Black.
Elle vit vaguement que sa belle-mère était en train de rempoter une plante et qu'Arcturus l'aidait plus ou moins. Elle attendit son tour, elle ne bougea pas. Elle écouta un peu aussi, une boule dans la gorge.
« Je vois encore ses grands yeux noirs s'emplirent de terreur sans réussir à la rassurer parce que… parce que c'était de moi dont elle avait peur », insista Arcturus.
Elle comprit à cet instant, en le voyant lâcher la petite pelle, qu'il pleurait. Arcturus pleurait parce qu'il lui avait fait peur. Il s'en voulait. Mrs Hesper Black posa elle aussi ce qu'elle était en train de faire pour s'approcher de lui mais il fit un pas en arrière. Melania sauta derrière le cerisier. Comme elle était mince, elle pria pour que l'arbre la cache parce qu'à présent, elle pleurait, elle aussi.
Elle pleurait parce qu'elle aimait cet Arcturus qu'elle avait découvert pendant quatre mois. Son caractère contemplatif, calme, apaisant. Elle aimait quand il lui racontait ce qu'il savait, en Astronomie, en Histoire du monde magique, en Histoire de la magie, en Sortilège, en littérature et en peinture. Mais elle avait l'impression de n'avoir aimé qu'une partie de lui, une façade, celle qu'il avait acceptée de lui montrer. Elle se sentait un peu trahie et humiliée en comprenant qu'elle ne le connaissait plus, ou pas vraiment : qu'il lui avait menti.
« Melania a dû être surprise, elle ne vous avait jamais vu dans cet état », répondit la voix de Mrs Hesper Black.
Melania, le souffle court, compta les battements désordonnés de son cœur, les yeux écarquillés sur la façade de ce 12, Square Grimmaurd. La façade était d'un gris sombre, carré, parcourue de rainures droites et rectilignes, en pierre dure, inébranlable et intransigeante. L'encadrement des fenêtres et des portes était en angles droits, régulier et inflexible. Les deux piliers qui soutenaient le très petit balcon du Grand Salon du premier étage, étaient la seule fantaisie dans cette rigidité symétrique et rectangulaire. Deux colonnes doriques étaient éloignées d'un mètre de la façade, sur un perron dont on descendait en franchissant trois marches, qui ne parvenaient même pas à être accueillantes. Ce perron n'était pas un espace de transition entre l'intérieur et l'extérieur, entre la bâtisse et le jardin. C'était l'ultime rappel que la Maison était toujours là, qu'elle ne partait jamais et ne laissait personne lui échapper. La Maison était partout, dedans et dehors, dans la ville et dans la nature. Le 12, Square Grimmaurd n'était ni une maison de famille, ni un refuge. Peut-être un quartier général, déjà à cette époque. C'était le lieu de pouvoir des Black, le lieu des décisions pour la Noble et Très Ancienne Maison des Black.
C'était la propriété des Black.
Et leur propriétaire.
Toute la Maison des Black dépendait de cette maison au cœur de Londres : le 12, Square Grimmaurd.
Melania enfonça dans sa bouche sa main, là où le pouce se rattache à la paume, pour se concentrer sur la douleur et refouler l'angoisse qui engourdissait lentement ses membres.
« Je n'aurais pas dû vous écouter, Mère, j'aurais dû lui en parler, j'aurais dû le lui dire et ne pas attendre que…
— Vous aviez espéré que sa présence vous soignerait et…
— Vous, c'est vous qui m'avez fait espérer cela, la coupa Arcturus. Vous m'avez dit qu'il valait mieux attendre un peu, et que…
— Arcturus, il vous suffit de parler avec Melania et de…
— Que ne comprenez-vous pas dans le fait que je lui fais peur ? s'exclama-t-il et Melania sursauta contre l'écorce irrégulière du cerisier. Je… Ne dites rien, s'il vous plaît, et laissez-moi faire les choses à ma manière, voulez-vous. Je vais regagner sa confiance et… et son amour aussi, j'espère. Je…
— Elle vous aime, Arcturus, ne…
— Mère, elle ne peut plus m'aimer, reprit la voix sourde d'Arcturus. Je… Je lui ai fait des hématomes, sur les poignets et les bras, dit-il plus bas. Je…
— Vous n'étiez plus vous-même, Arcturus, vous…
— Mais Melania était toujours la même. Si je l'avais prévenue, elle… »
Les voix ne parvinrent plus à ses oreilles lorsqu'elle enleva sa main de sa bouche pour regarder ses poignets et ses bras, marqués çà et là de traces de doigts mauves. Elle en avait remarqué aussi sur ses cuisses, et au vu de l'emplacement, elle les avait pris pour des marques dues à l'amour. Mais ce n'était pas possible, Arcturus avait été bien trop tendre et hésitant.
Elle sursauta en entendant la porte de la serre grincer et releva la tête pour regarder la silhouette alourdie par la culpabilité et le malheur d'Arcturus remonter jusqu'à la maison. Elle ne put en détacher ses yeux et ce fut la porte du 12, Square Grimmaurd se refermant derrière lui qui la sortit de son observation.
Elle fit le tour de l'arbre, le papier de sa belle-mère toujours dans sa main gauche.
La porte de la serre était entrouverte et elle eut seulement à la tirer vers elle pour se glisser dans l'entrebâillement.
Elle tomba aussitôt sur le regard rougi de Mrs Hesper Black. Sa bouche était si pincée qu'aucun mot n'aurait dû pouvoir en sortir.
« Mrs Hesper Black, la salua rapidement Melania s'assurant distraitement qu'elle avait bien essuyé ses joues.
— Vous avez entendu, Melania, non ? lui demanda simplement sa belle-mère en occupant ses mains avec le petit arrosoir.
— Je crois, reconnut prudemment à demi-mot Melania en jetant un coup d'œil nerveux derrière elle.
— Il faut être sûre de soi », reprit abruptement Mrs Hesper Black et l'arrosoir glissa de sa main un bref moment.
Melania, gentil cœur tendre et généreux, excusa le ton brusque de sa belle-mère parce qu'elle comprit combien elle était abattue, inquiète et désemparée. Je ne sais si j'en aurais fait de même.
« Arcturus pense que j'ai peur de lui, répondit-elle en venant prendre l'arrosoir des mains de sa belle-mère pour y remettre l'eau tombée d'un coup de baguette et arroser la plante en pot en répartissant mieux l'eau.
— Est-ce le cas ? » demanda calmement sa belle-mère en lui cédant l'ustensile sans aucune résistance.
Elle avait peur. Mais c'était compliqué. Elle n'avait pas peur d'Arcturus, elle l'aimait, du moins lui semblait-il. Elle avait peur de ce qu'il lui avait caché. Elle avait peur de ne plus pouvoir lui faire confiance comme elle l'avait fait pendant quatre mois. Elle avait peur aussi de ne pas le connaître. Elle avait peur de comprendre qu'elle ne savait rien de lui finalement, rien de cette peur sourde qui semblait l'étouffer en permanence et exploser au moment où il s'y attendait le moins. Et puis elle avait peur que la stabilité et la main de pouvoir sous lesquelles elle s'était rangée ne soient pas si sûres, finalement.
Elle avait peur que la peur la broie à nouveau.
L'absence de réponse de Melania dut confirmer les pires craintes de Mrs Hesper Black puisqu'un sanglot traître et vite étranglé franchit sa bouche. Elle posa ses deux mains fines et ridées à plat sur son établi et respira lentement.
« J'ai diagnostiqué Arcturus quand il a eu sept ans », souffla Mrs Hesper Black.
La femme si sûre d'elle et pleine de prestance que Melania pensait avoir connu s'effondrait devait elle.
« Vous l'avez…
— J'ai une formation de Guérisseuse, la coupa Mrs Hesper Black en relevant des yeux humides de larmes contenues. Et je pratiquais jusqu'à ce diagnostic.
— Vous… vous travailliez ? » s'étonna Melania.
Dire que Myrina Greengrass, la fiancée de Tomas, avait dû batailler contre Sileas Macmillan pour qu'il la laisse ne serait-ce que finir sa formation.
« Mon père ne l'aurait pas admis autrement, reprit-elle avec une crispation évidente. Il était lui aussi Guérisseur, tout comme ma mère, et j'étais leur fille unique, la dernière des Gamp. »
Elle releva la tête vers le plafond transparent de la serre comme si elle essayait de respirer l'air du ciel.
« Mais quand j'ai compris qu'Arcturus avait des troubles du comportement je… j'ai quitté Ste-Mangouste pour m'occuper de lui, reprit piteusement Mrs Hesper Black. Mon père en a fait tout un scandale et… et il a fini par me dire que tout était de ma faute.
— De votre faute ? s'étonna Melania.
— Il me reprochait d'avoir continué mes activités de Guérisseuse, de ne pas m'être occupée de mes enfants alors qu'il était à l'origine de cette exigence », avoua-t-elle avec amertume.
Son nez se plissait de manière disgracieuse lorsqu'elle parlait de son père, comme si elle ne savait pas s'il la répugnait ou si elle devait se moquer de lui.
« En privé, il me reprochait de quitter Ste-Mangouste et en public, de ne pas l'avoir fait plus tôt. Il a dit à Sirius et mon beau-père que si Arcturus avait des troubles du comportement, c'était parce que j'étais insensible.
— Mais… mais c'est cruel, ne trouva qu'à bafouiller Melania.
— C'est peut-être vrai lorsqu'on voit mes autres enfants, souffla Mrs Hesper Black avec dépit. Regulus ne supporte pas les étrangers et Lycoris… Lycoris n'a aucune décence. »
Melania pensa vaguement que Lycoris avait seulement des amants, comme elle en avait eu, et non…
« Mes trois enfants sont fous, Melania, conclut Mrs Hesper Black en se mettant à pleurer silencieusement. Regulus est asocial, Lycoris est perverse…
— Lycoris a seulement des amants, essaya-t-elle de relativiser.
— Lycoris est narcissique, elle ne peut pas s'empêcher de faire des avances à quelqu'un lorsqu'elle désire quelque chose, elle fait du chantage affectif constamment, elle a déjà mené un sorcier au suicide, elle… elle n'a aucune limite.
— Au suicide ? » bafouilla Melania.
Elle n'avait jamais apprécié Lycoris, qui avait une année de plus qu'Irma, Pollux et elle à Poudlard, mais…
« Il n'y avait aucune preuve, ajouta péniblement Mrs Hesper Black, Sirius a pu étouffer l'affaire aisément, mais j'ai beau essayer je… je n'arrive pas à la soigner. Elle… Elle a déjà fait des avances à des amis de Sirius, et même à Pollux lorsqu'il nous a annoncé ses fiançailles, elle n'a pas cessé de mettre Arcturus mal à l'aise avec des propos… déplacés pendant vos fiançailles alors qu'elle sait très bien que son frère rencontre des difficultés avec le contact physique.
— Arcturus est seulement pudique », se permit-elle de préciser.
C'était pour nuancer le tableau noir que lui faisait sa belle-mère que Melania avait ajouté cette phrase. Mrs Hesper Black pensa immédiatement à autre chose en entendant cela. Elle tourna brusquement la tête vers Melania.
« Pudique oui mais… Hier soir, vous avez bien consommé le mariage ? » demanda-t-elle avec inquiétude.
Melania écarquilla les yeux, les joues écarlates, mal à l'aise au possible. Même avec sa mère elle n'avait jamais parlé de ces choses-là. Jane Macmillan n'en avait sûrement pas trouvé l'utilité lorsqu'elle avait appris que sa fille était enceinte et avait donc très bien compris l'affaire par elle-même. Elle lui avait seulement donné quelques conseils pour cacher cette absence de virginité à son mari.
« Je vous demande pardon ? bredouilla Melania.
— S'il vous plaît, Melania, j'aimerais vous considérer comme ma fille, je vous dévoile mes secrets, ne soyez pas mal à l'aise avec moi, pour aucun sujet, je vous en prie », reprit Mrs Hesper Black avec empressement.
Il y avait quelque chose de toxique avec Hesper Black. Elle ne pouvait être à l'aise avec quelqu'un et se confier à lui si l'autre n'en faisait pas autant. Elle était perpétuellement sur ses gardes, perpétuellement fausse, avide de pouvoir et de pouvoir maîtriser sa vie et celle de ceux qu'elle considérait comme dépendants d'elle. C'était du donnant-donnant. Rien n'était gratuit. C'était effectivement peut-être d'elle que Lycoris avait si bien appris à manipuler les gens. L'élève avait ensuite dépassé le maître.
« Oui, nous… j'ai…
— Vous avez guidé Arcturus, comprit Mrs Hesper Black avec soulagement. C'est bien, il vous fait confiance, comme il n'a jamais fait confiance à quiconque auparavant. Choyez cette confiance, je vous en prie, il ne voulait pas vous faire de mal hier soir, il a seulement des crises de paranoïa par moments. Le mariage, les invités, devoir quitter le 12, Square Grimmaurd aussi fréquemment depuis quatre mois, tout ceci a été éprouvant pour lui, sans compter cette intimité la plus proche qu'il n'avait jamais pu supporter par le passé. J'aurais dû lui donner un calmant, mais j'avais l'espoir que votre présence suffise à l'apaiser. Vous aviez de l'expérience alors…
— De l'expérience ? » bredouilla Melania de plus en plus mal à l'aise.
Tout allait beaucoup trop vite pour Melania à cet instant. Mrs Hesper Black racontait tout, tout ce qu'elle n'avait pas bien compris sur Arcturus, beaucoup trop vite, comme si elle voulait se décharger d'un poids pour le donner à Melania, et ce, au plus vite. Elle lui apprenait qu'Arcturus avait toute sa confiance, elle lui apprenait qu'Arcturus faisait des crises de paranoïa, elle lui confirmait qu'elle serait l'unique femme qu'Arcturus aimerait jamais dans sa vie, et elle glissait subrepticement qu'elle savait que Melania ne serait quant à elle, pas uniquement la femme de son fils.
« Miss Selwyn », souffla Hesper Black avec un sourire crispé.
Elle n'était pas gênée de dire à Melania qu'elle savait ceci par quelque biais monétaire. Elle était gênée de lui dire qu'elle était au courant, tout simplement. Ce fut la première erreur d'Hesper Black concernant Melania.
« Et vous… et vous avez accepté qu'Arcturus m'épouse ? » demanda Melania avec stupeur.
C'était la première erreur d'Hesper Black parce qu'elle permit à Melania d'être soulagée sur ce point. Certes, elle gagna un peu plus la confiance de Melania à cet instant, mais Melania fut si à l'aise ensuite, qu'elle se dégagea en partie de la peur qui lui serrait la gorge et les entrailles et put retrouver un brin de perspicacité, de méfiance et de réflexion.
« Nous en avons même été plutôt rassurés avec Sirius, fut forcée d'avouer Mrs Hesper Black.
— Votre époux est au courant ? »
Melania était stupéfaite, apeurée aussi en se demandant s'ils l'avaient dit à Arcturus.
« C'est lui qui avait entendu une rumeur et qui a voulu vérifier, reconnut Mrs Hesper Black. Quelqu'un vous aurait vu dans l'Allée des Embrumes entrer chez Miss Selwyn avec votre mère. J'ai fait taire les mauvaises langues.
— Arcturus le sait aussi ? demanda Melania avec effarement.
— Je ne sais, avoua Mrs Hesper Black en haussant ses épaules osseuses. Il ne souffre qu'on puisse dire le moindre mot contre vous, précisa-t-elle en lui souriant tristement. Vous ne trouverez jamais homme plus amoureux et désireux de votre bonheur, Melania. »
La trahison était moins rude, un peu adoucie par le souci d'Arcturus de la préserver. Elle avait bien vu qu'il n'aimait ni le bruit ni la foule, elle n'en avait seulement pas pris pleinement conscience.
« Donc il fait des crises d'angoisse ? demanda-t-elle avec incertitude.
— Arcturus est plus ou moins paranoïaque, lui dit Mrs Hesper Black du bout des lèvres.
— Plus ou moins ? » insista Melania.
Le visage effrayé aux yeux roulant sur eux-mêmes d'Arcturus se glissa devant Melania. Elle cligna des paupières pour la chasser. Ce n'était pas son Arcturus. Arcturus était doux et tendre, patient et contemplatif.
« C'est entre la paranoïa et l'agoraphobie, souffla Mrs Hesper Black.
— Mrs Black, je… je peux aider Arcturus à porter son fardeau, mais je dois savoir précisément ce qui l'angoisse et ce qui lui permet d'aller bien. »
Elle avait mis toute sa foi et sa conviction, tout son amour et son dévouement dans cette phrase. Parce qu'elle pensa vraiment, sur l'instant, que les tocs et les peurs d'Arcturus n'étaient qu'un détail chez lui, et qu'elle saurait facilement l'aider à vivre avec et même, peut-être, à s'en débarrasser.
« Le bruit et la foule l'angoissent de sorte qu'il n'est pas seulement effrayé ou à faire des crises d'angoisse, mais de sorte à ce qu'il se sente persécuté et je… je n'arrive pas à trouver une potion apte à l'apaiser. J'essaie depuis quinze ans mais pour l'instant, il n'y a qu'un peu de Philtre de Paix qui parvient à… l'apaiser et le calmer.
— Mais…
— Mais à forte dose ou à dose trop fréquente, il pourrait en devenir dépendant et son état de santé empirerait, rappela Mrs Hesper Black. C'est pour cette raison que je cherche autre chose et que je réserve cette potion aux situations les plus extrêmes. Arcturus sait les situations qu'il doit éviter pour réguler au maximum ses crises, il se porte déjà beaucoup mieux depuis qu'il a quitté Poudlard. Il administre très bien le foncier de la Maison des Black, c'est ce que Sirius et son grand-père attendent de lui en tant qu'héritier. Le point le plus pénible pour lui, c'est la représentation en public. Nous ne faisons presque plus de réceptions au 12, Square Grimmaurd depuis quinze ans pour limiter ses interactions avec trop de sorciers en même temps.
— Il y a pourtant plus d'une vingtaine de personnes qui vivent ici », rappela Melania.
Ce n'était pas logique.
« Et c'est déjà difficile pour Arcturus, alors imaginez à votre mariage.
— Mais pourquoi ne pas le laisser vivre seul, à la campagne ? » s'étonna Melania.
Le sourire tordu de Mrs Hesper Black lui serra le cœur.
Je pense que le sourire d'Hesper Black était plus condescendant et victorieux que compatissant. La naïveté de Melania devait être délicieuse pour des mains aussi avides de pouvoir que les siennes. Elle déployait son plan pour avoir Melania dans sa poche et pouvoir reprendre la main sur son fils à travers la jeune femme. Elle appréciait Melania, bien sûr, je l'ai dit, mais elle voulait que sa belle-fille soit son émissaire auprès de son fils. Elle appréciait la nature de Melania mais elle appréciait aussi le rôle de sa belle-fille. Elle voulait que Melania Black soit son alliée dans cette ambition de pouvoir de la Maison des Black. Car il ne faisait déjà aucun doute à Hesper et Sirius Black que, si c'était leur fils qui dirigerait leur famille à leur mort, ce serait Melania qui en serait la tête et tirerait les ficelles. Elle guiderait Arcturus, elle lui dirait les décisions à prendre, et elle ferait à nouveau rayonner la Maison des Black. Ils n'avaient plus seulement besoin que Melania prenne soin d'Arcturus et de son frère lorsqu'ils seraient enterrés dans le jardin du 12, Square Grimmaurd, ils avaient envie qu'elle rende son éclat à la Maison des Black. Ils étaient assurés qu'elle suivrait leurs directives, douce, généreuse et obéissante qu'elle était.
Ils ont eu tort. En partie. Mais une chose à la fois.
« Arcturus est l'Héritier de la Maison des Black, Melania, reprit Mrs Hesper Black en venant prendre les mains de sa bru. Il se doit de maintenir notre famille unie et de gérer son patrimoine, et il ne peut le faire que depuis Londres. Et puis, ajouta-t-elle plus bas en se penchant vers Melania, il ne veut pas qu'on apprenne cette faiblesse psychologique. Sans compter que s'il s'isolait constamment, il ne progresserait absolument pas. »
Sur ce dernier point, Mrs Hesper Black n'avait peut-être pas tort. Mais il aurait peut-être fallu demander à son fils son avis sur la question et surtout, le laisser guérir à son rythme, loin des manipulations des membres du 12, Square Grimmaurd, loin de la voix fielleuse de Lycoris, loin du marmonnement renfermé et méprisant de Regulus et loin des moqueries de Pollux. Et pourtant… Pourtant, Arcturus leur pardonnait tout mille fois. Parce qu'il les aimait, tous les trois. Il les adorait, même.
Parce qu'il était persuadé que le problème venait toujours de lui aussi.
Hesper Black avait avancé ses pions. Si Arcturus était le fou de son roi de mari, Melania était la tour qui traçait son chemin selon les directives…
Jusqu'à ce que l'échiquier change de joueur.
