Le début de mon épopée.
Le lendemain sembla s'annoncer comme étant une journée des plus maussades. Il faisait beau, certes et le soleil semblait rayonner comme s'il s'agissait là de la plus belle journée de l'année, mais je n'étais pas d'humeur à en admirer les bienfaits. J'étais triste et frustrée à la fois de devoir constater que malheureusement, personne n'avait tenté de m'appeler pendant le reste de la journée et, pire encore, que le Saint-Esprit n'avait pas réussi à me faire obtenir un emploi. Ma grand-mère pour sa part était partie dans la matinée -m'assurant qu'elle reviendrait pour diner- pour retrouver une amie mannequin à Port Angeles. C'était bientôt la rentrée dans son agence et apparemment, elle semblait très occupée. La savoir ainsi en vadrouille à son âge m'inquiétait quelque peu, mais comme elle avait toujours été une femme très dynamique, je ne pouvais pas concevoir qu'elle reste assise dans un fauteuil toute la journée. Ainsi, comme je n'avais pas la moindre occupation pour m'aider à faire passer le temps, je restais jusqu'à une heure avancée enfoncée dans un fauteuil du salon, enveloppée dans ce fameux plaid qui m'avait tant fait envie deux jours auparavant.
Néanmoins, comme il n'était pas dans mes habitudes de ne rien faire et comme j'avais la réelle intention de ne pas flâner dans une grande maison vide, j'abandonnais très vite le confort de la couverture moelleuse pour explorer la maison. C'est ainsi que finalement, je tombais sur le jardin à l'arrière de la maison -justement. J'avais bien conscience que le jardin faisait tout le tour puisqu'il n'y avait jamais eu de clôture et que la rivière s'écoulait non loin de là, je fus toutefois surprise de constater que tout avait été aménagé ici pour accueillir quelques personnes afin de profiter du soleil. Une piscine trônait également, presque fièrement, sous le soleil de l'été. Il était toutefois curieux de voir une piscine dans un Etat ou il pleuvait aussi souvent, toutefois, je décidais de ne pas m'attarder sur ce détail : ma grand-mère seule pouvait avoir les réponses à une chose aussi loufoque. Ne m'attardant pas davantage sur l'eau claire, je contournais les lieux pour admirer les bosquets de fleurs qui avaient été plantés. Certains, en piteux états, donnaient l'impression que le jardin était très mal entretenu. Heureusement, comme j'avais quelques connaissances en jardinage, je savais comment remettre les plantes d'aplombs pour leur permettre de profiter à nouveau du soleil.
Heureusement, la remise était juste à côté et ma grand-mère ne la fermait jamais à clef. A l'intérieur, je trouvais tout ce dont j'avais besoin et même une paire de gants pour pouvoir retourner la terre en toute tranquillité. Ce n'était pas une grande occupation, mais si ça pouvait me permettre de me rendre utile et surtout d'aider ma grand-mère, je n'allais pas rechigner à la tâche. Je retournais donc m'asseoir à même le sol prêt des fameuses plantes et entrepris de commencer à nettoyer le tout. J'étais d'ailleurs toujours occupée lorsque mon téléphone, coincé dans la poche arrière de mon jeans se mit à vibrer avec insistance. C'était curieux de recevoir un appel au beau milieu de la journée, car je n'avais que très peu d'amis et ils n'étaient pas du genre à appeler sans raison. Il ne pouvait pas non plus s'agir de mon frère ou de ma sœur, qui ne devaient se souvenir de mon existence que lorsque c'était leur anniversaire. Les lèvres pincées, j'abandonnais la terre et retirais mes gants pour saisir mon portable. Le numéro affiché m'était totalement inconnu. Méfiante, je décidais tout de même de décrocher. Juste au cas où.
« Oui allô ?
- Mademoiselle Lacroix ? Ici le lycée de la Push, pardonnez-moi de vous déranger. Voilà je me permets de vous appeler après avoir entendu dire que vous recherchiez un emploi. Je suis tombé sur votre CV et il est assez fournis. Est-ce que vous recherchez encore ? »
Je ne pu m'empêcher de battre des cils dans le vide pendant un bref instant. Est-ce que j'étais en train de rêver ou on me jouait une bien affreuse farce ? L'homme à l'autre bout du fil, pourtant, semblait tout à fait sérieux avec sa grosse voix grave. Je déglutis. Comment avait-il eu mon CV et comment pouvait-il savoir que j'étais à la recherche d'un emploi puisque je n'avais même pas cherché à me renseigner auprès de l'établissement ? L'idée du bouche à oreille ne me traversa pas le moins du monde l'esprit dans l'instant. De l'autre côté j'entendis quelqu'un toussoter, l'homme au bout du fil commençait visiblement à s'impatienter.
« - Pardon. Oui bien sûr ! Oui oui, je recherche bien un travail !
- Parfait, répondit l'autre presque immédiatement. Vous pourriez vous présenter demain matin avant dix heures au lycée ? Ca me permettrait de vous rencontrer et de discuter avec vous des attentes du lycée.
- Oui bien entendu ! »
Il voulait me rencontrer aussi rapidement que cela, en pleine période de vacances scolaire ? Ça sonnait comme quelque chose d'étrange dans mon esprit et je me dépêchais d'ajouter
« - Mais vous savez, je ne suis pas native de la réserve. Est-ce que ça ira ? »
Je cru percevoir un léger rire à l'autre bout du fil et je me senti subitement un peu bête. Pourtant, bien loin de se moquer, l'homme répondit simplement
« - Ca ira. Demandez monsieur Young quand vous vous présenterez. A demain mademoiselle Lacroix. »
L'instant d'après il avait raccroché. Le cœur battant, je fixais mon téléphone dans ma main comme s'il s'agissait là du Saint-Graal. Je venais d'être bénie par les dieux, il n'y avait pas d'autre explication. Dans un soupir, j'exultais un léger sourire de victoire. Mon premier vrai sourire depuis mon arrivée chez ma grand-mère. Cette dernière ne tarderait probablement pas à rentrer d'ailleurs, mais pour l'heure et comme je ne me sentais plus d'humeur à jardiner, je décidais de ranger mes outils et mes gants dans la remise avant de monter dans ma chambre avec empressement. Demain, j'avais mon premier entretien d'embauche et je voulais à tout prit faire bonne impression. L'idée était donc de choisir des vêtements simples, par trop exubérants, mais qui laissaient deviner une bonne hygiène de vie et quelque chose de saint d'esprit. Rien d'aguicheur mais à contrario rien de trop prude non plus. L'idée était de rester dans la simplicité en portant quelque chose de tout aussi simple.
Cependant, la tâche s'avéra plus compliquée que je ne l'avais envisagé et c'est ainsi que ma grand-mère me trouva, pas loin de deux heures plus tard, assise au milieu d'une pile de vêtements, totalement dépitée. Rien ne me convenait, j'avais toujours l'impression d'être habillée comme une idiote. Pire encore, j'avais l'impression d'être idiote tout court.
« - Eh bien alors, que fais-tu par terre ? Me questionna ma grand-mère. Tu as décidé de créer un nouveau concept de vêtements rangés-dérangés ? »
Pour toute réponse, je lui adressais un soupir las. Je me sentais fatiguée et usée alors que quelques dizaines de minutes plus tôt, j'avais l'euphorique sensation de pouvoir soulever des montagnes. Mais mon esprit s'amusait à faire le yo-yo, jonglant simplement entre le bonheur pur et un autre sentiment qui je connaissais bien et qui ne cessait de me tourmenter celui d'être une empotée. Ma grand-mère vint s'asseoir au bout du lit, m'observant avec une pointe d'inquiétude
« - Que se passe-t-il ?
- J'ai un entretien d'embauche demain matin, lui avouais-je en me tournant doucement vers elle. Au lycée de LaPush.
- Mais c'est une bonne nouvelle ! Pourquoi fais-tu une tête aussi tr-… »
Elle s'arrêta subitement et posa un doigt sur ses lèvres pour se faire taire. Avec un sourire malin, elle m'adressa un regard complice. Ce regard-là, je l'appréciais énormément. Il était synonyme de bons souvenirs à mes yeux. Après tout, la dernière fois qu'elle m'avait regardé ainsi, elle m'avait emmené faire du poney pour la première fois de ma vie. Nous n'avions jamais rien dit à mes parents, car c'était notre petit secret. Toutefois, cette fois-ci, je doutais sérieusement qu'un poney puisse m'être d'une quelconque aide.
L'instant d'après, ma grand-mère avait quitté la pièce avec une rapidité déconcertante au vu de son âge avancé. Et sans le vouloir, l'idée qu'elle m'abandonne à ce cruel dilemme qui ne me laissait aucune option envisageable avait vraiment eu raison de moi. Je me laissais donc aller sur ma pile de vêtements, enfonçant la tête dans le linge, dans l'espoir qu'en faisant l'autruche, tous mes problèmes soient subitement résolu. Alors, lorsque ma grand-mère revint après quelques minutes, elle ne put s'empêcher de rire légèrement
« - C'est une ancienne collection, mais je pense que tu pourrais porter ça, pour ton futur job !.. »
Je me redressais et l'observais avec curiosité. Entre ces mains, un pantalon en jean noir et un chemisier blanc. Le haut attira d'ailleurs mon attention. Il était fait dans une matière fluide qui me donnait presque envie de la caresser. C'était simple, bien qu'un peu chic et surtout, je n'avais pas le sentiment que j'aurais l'air bête en portant ça. Et pourtant, c'était tout simple, voir même totalement ordinaire : un simple haut blanc et un bas noir. Mais c'était ma grand-mère qui en était à l'origine et cette idée acheva de me convaincre. Je me levais doucement pour la serrer dans mes bras.
« C'est toi la meilleure des grands-mères tu sais !... »
Je soupirais d'aise puis prit finalement les vêtements pour les poser sur ma commode. Voilà un poids qui s'enlevait subitement de mes épaules ! Je l'entendis rire doucement, comme pour se moquer gentiment de moi. Mais c'était normal dans un sens, je devais avoir l'air totalement stupide à raisonner ainsi, à m'effrayer de ne pas avoir une tenue satisfaisante ou à la complimenter subitement parce qu'elle trouvait une solution à un problème totalement superficiel. Elle passa une main dans mon dos pendant un bref instant.
« - J'ai ramené traiteur, j'espère que tu as faim. »
Je souris doucement. La cuisine de ma grand-mère était divine, mais dans mes souvenirs, le traiteur chez qui elle allait en revenant de Port Angeles était d'un tel délice que j'en pleurais presque de bonheur. J'abandonnais finalement ses bras pour hocher la tête lentement
« - Je range tout ça et je te rejoins. »
Elle s'en alla et, tandis que je rangeais lentement mes affaires, je songeais avec douceur que les choses commençaient doucement à s'arranger pour moi. Bien sûr, je n'étais pas à l'abris que demain soit une journée exécrable, mais, pour la première fois depuis longtemps, j'avais l'impression de voir la lumière au bout du tunnel. Je ne me sentais pas mal à l'aise, ni même fautive du sort de la planète entière et surtout, j'arrivais peu à peu à oublier la douleur des années passées auprès de ma mère.
