June :

Je ne peux pas quitter Gilead sans Hannah, c'est inconcevable. Quelle mère pourrait laisse sa fille dans un tel environnement. Bien que cela me brise le cœur de voir la fourgonnette où Serena et Nichole se trouvent disparaître au loin, j'ai la certitude qu'elles seront en sécurité une fois arrivées au Canada. Je n'avais pas d'autre choix. Je sais que Serena comprend. Maintenant, ma priorité est de récupérer ma fille !

Je cours le long de la route avec un objectif en tête. Aller récupérer Hannah !

Contre toute attente, le commandant Lawrence me rejoint dans ma folie. Il accepte de me déposer chez les MacKenzie, en me demandant malgré tout de ne rien faire de stupide. Il ne pourra pas arranger de nouveau voyage pour le Canada avant le mois prochain. Je comprends que je ne peux pas prendre Hannah avec moi aujourd'hui mais le besoin de la voir est plus fort que tout. Je descends de la voiture, m'approche de l'énorme portail en fer forgé qui barre l'accès à la propriété et colle mon visage entre les barreaux. J'observe rapidement les alentours et ne repère qu'un seul garde armé qui semble faire le tour de la maison. Je parviens à me glisser entre les barreaux et m'approche de l'entrée de service de la cuisine. Toutes les maisons de Gilead possèdent une entrée de service. Il ne serait pas correct, ni admis, que les « sous hommes » entrent dans la maison par l'entrée principale. Encore une façon de remettre les pendules à l'heure et les de ramener les gens à leurs conditions. J'observe la Martha de la maison finir de ranger la cuisine et en profite pour me glisser à l'intérieur de la maison.

Je profite qu'elle me tourne le dos pour emprunter l'escalier qui mène à l'étage où se trouvent les chambres. La chambre d'Hannah… Je suis si près d'elle que j'en ai le cœur qui bat la chamade. Ce n'est pas difficile de repérer la chambre en question, la porte est légèrement entrouverte et j'aperçois le visage de ma fille qui dort paisiblement.

La panique commence à me gagner, j'entends des bruits de sirène à l'extérieur et voit les gyrophares bleus qui encerclent la maison. Quelqu'un à dû me voir pénétrer dans la maison et aura prévenu les forces de l'ordre. Je dois faire vite, je ne dois pas perdre de temps. J'entre dans la chambre d'Hannah et m'accroupit près de son lit en étouffant mes larmes pour ne pas la réveiller. Elle est si belle.

- Ma chérie… Je suis là… Je ne te laisserai plus jamais… Je te le promets. Je t'aime Hannah… Je t'aime tellement… Je serai toujours là…

Je caresse doucement les bracelets sur son si petit poignet et l'émotion me gagne davantage. Comment lui faire savoir que je l'aime, que je ne l'oublie pas et que je reviendrai la chercher. J'arrache un fil de ma robe rouge et l'entoure autour de son poignet. C'est le seul distinctif qui pourra lui faire savoir que je suis venue la voir. Alors que les sirènes se rapproche, je quitte la chambre en me demandant comment je vais pouvoir me sortir de ce pétrin. J'imagine que le commandant Lawrence a dû prendre la poudre d'escampette, et je me retrouve livrée à moi-même.

Je n'ai pas le temps de me poser beaucoup plus de questions… J'entends des bottes monter l'escalier rapidement, et je comprends que je suis foutue. Je dois me résigner pour le moment. Je m'agenouille sur le sol et pose mes mains derrière ma tête en signe de reddition. Gilead gagne encore une fois aujourd'hui… Mais ce que Gilead ne sait pas, c'est que moi aussi j'ai gagné aujourd'hui… j'ai réussi à mettre en sécurité ma précieuse Nichole, et cela n'a pas de prix. Un point partout Gilead ! Balle au centre ! Un nouveau match commence.

Je suis menottée et emmener dans le salon où m'attend Mme MacKenzie elle-même. On m'assoit sur une chaise sans ménagement et je m'apprête à passer un des pires moments de ma vie. Elle me toise du regard et j'ai le sentiment que les paroles qui vont sortir de sa bouche vont créer un trou béant dans mon cœur.

- Il faut que ça cesse ! Tu as mis notre enfant au monde, et le commandant MacKenzie et moi-même t'en sont éternellement reconnaissants… Elle a fait des cauchemars pendant des semaines après votre rencontre dans la maison… N'ayez pas l'air surprise… Bien sûr qu'elle me l'a dit… Je suis sa mère ! C'est cruel de votre part de la perturber ainsi !

Si mes mains n'étaient pas attachées, je pourrais lui arracher les yeux sur le champ ! JE SUIS SA MERE ! Pas elle ! Je suis la mère d'Hannah, je l'ai portée pendant 9 mois, je l'ai mise au monde, je l'ai aimée et protégée jusqu'au moment où on me l'a arrachée des bras lors de mon arrestation i ans, et je l'aimerai jusqu'à la fin des temps. Hannah est MA fille… Je bouillonne intérieurement et ne peux m'empêcher de crier :

- JE SUIS CRUELLE ? C'est moi qui suis cruelle ? BANDE DE TARES !

- Ramenez-là chez elle ! ordonne la maitresse de maison en ne daignant pas croiser mon regard.

Chez moi… Je n'ai pas de chez moi… Et après les événements qui viennent de se produire, c'est le mur qui m'attend ! Alors qu'on m'emmène vers la sortie, je ne peux m'empêcher de demander :

- Comment est-elle ?

- Heureuse… Elle est vraiment heureuse ici… C'est une enfant radieuse et en bonne santé. Elle est pleine de vie.

Je me tourne légèrement vers Mme MacKenzie et la remercie d'un hochement de tête de me parler d'Hannah.

- Elle va bien, je vous assure… Elle est formidable. Elle aime la couture, bien qu'elle ne soit pas vraiment douée pour, elle est persévérante. C'est également une bonne cuisinière.

L'image de Luke nous préparant de bons petits repas me revient en tête et je souris béatement à cette image. Comment ne pas voir qu'Hannah est le parfait mélange de notre amour.

- Elle veut un chien…

- Elle est allergique

- Elle dit qu'elle veut tenter le coup, prendre des injections pour se désensibiliser.

Je souris complètement à cette idée, me rappelant à quel point la moindre piqure l'effraie.

- Elle ne s'y tiendra pas, elle déteste les piqures !

- On pourrait prendre un caniche ou une autre race hypoallergénique. Le commandant n'est pas emballé par l'idée, mais elle tente de le faire changer d'avis. Elle est très douée pour ça.

Les larmes me montent aux yeux et je ne peux que constater que la famille qui l'accueille prend soin de mon petit bébé… mais une rage intérieure persiste… Hannah est mon enfant, et ne sera jamais la leur, peu importe combien ils l'aiment…

- Je suis reconnaissante de la façon dont vous l'accueillez et prenez soin d'elle.

- Merci… Alors s'il vous plaît… Arrêtez… Vous savez que vous finirez probablement par mourir sous ses yeux si vous persistez… Est-ce vraiment cela que vous voulez pour elle ? Si vous l'aimez… Non… Puisque vous l'aimez… Vous devez arrêter !

La maîtresse de maison me dévisage et plonge son regard dans le mien.

- Elle a vos yeux…

- Je suis sa mère ! Et jamais je ne m'arrêterai…

Je n'ai pas le temps de réagir que l'empreinte de sa main est imprimée sur ma joue. Je suis emmenée à l'extérieur, ne sachant pas le sort qui m'est réservé.


Serena :

Je suis déposée à la frontière Canadienne au milieu des bois. Je ne m'attendais pas à être reçue en grande pompe, mais pas non plus à être larguée en pleine nature dans un pays que je ne connais pas et où je ne suis probablement pas la bienvenue. D'ailleurs… je ne suis même pas certaine d'être déjà sur le sol Canadien.

J'erre pendant un moment en tentant de rejoindre un grand axe pour pouvoir me repérer et commence à me dire que je vais probablement mourir dans ce bois sans jamais être retrouvée. J'entends des voix au loin et des lumières percent l'obscurité de la forêt. Instinctivement je me mets à courir pour leur échapper en serrant Nichole contre ma poitrine.

Je repère des drones au-dessus de ma tête et je cherche un endroit où me cacher afin de ne pas être repérée. Je n'ai aucun moyen de savoir s'il s'agit du gouvernement Canadien ou s'il s'agit des troupes de Gilead qui tentent de récupérer les fuyards. Nous avons toujours su que certaines personnes arrivaient à franchir la frontière, j'ai même entendu Fred une fois affirmer qu'il fallait renforcer les contrôles aux endroits stratégiques. Prudence est mère de sureté après tout.

J'ai raison de me méfier, je comprends que je suis toujours sur les terres de Gilead lorsque j'aperçois la rivière qui me sépare de la terre promise et de la liberté. Je n'ai pas d'autres choix que de tenter de la traverser si je veux survivre. J'avance lentement dans l'eau gelée, Nichole toujours serrée contre ma poitrine, en tentant de ne pas me faire repérer par les drones qui continuent de survoler la zone. Plus je m'approche du milieu de la rivière et plus le courant devient fort, risquant de m'emporter à chaque instant. A peine le temps d'y penser que j'avance dans un trou et que l'eau commence à m'engloutir. Le courant m'emporte et il n'y a rien que je puisse faire pour rester la tête hors de l'eau. C'est la fin… C'est ici que tout s'arrête.

C'est avec l'intime conviction que ma vie est finie que je revois June fermant la porte du fourgon sur moi en me demandant de protéger notre fille. Je ne peux pas abandonner… Pour June… Pour Nichole… je n'ai pas le droit de baisser les bras. Je retrouve un regain d'énergie et arrive à me rapprocher de la rive. Je me hisse sur la terre ferme en priant pour que Nichole respire toujours. Je ne pourrai jamais me pardonner s'il lui arrivait quoi que ce soit, et June aurait fait tout ça pour rien !

Après que la terre se soit arrêtée de tourner pendant quelques secondes, Nichole commence à pleurer. Comme une seconde naissance… J'accueille son cri avec le plus grand soulagement et prends seulement conscience que plusieurs personnes m'entourent en me demandant comment nous allons. Je panique à l'idée d'être de retour sur les terres de Gilead, je n'ai aucune idée de comment la rivière a pu me faire dériver. Je relève la tête et l'homme devant moi doit voir ma panique car il me déclare calmement :

- Tout va bien… Vous êtes en sécurité…

Il pose une couverture de survie sur mes épaules et me demande :

- Madame… si vous retournez dans votre pays, serez-vous persécutée en tant que femme et serez-vous menacée de torture toute votre vie ?

Je hoche la tête pour répondre à sa question, incapable de prononcer le moindre mot.

- En tant que personne en danger… souhaitez-vous demander l'asile au Canada ?

Une explosion dans mon cœur se produit à ce moment-là ! J'ai réussi ! Je suis au Canada ! J'ai réussi June… notre fille est en sécurité ! J'explose de joie et de soulagement en prononçant le OUI si libérateur.

- Bien Madame… je demande tout de suite une ambulance pédiatrique pour vous et votre enfant soyez prises en charge rapidement.

Lorsque nous pénétrons dans l'hôpital, tous les regards se tournent vers nous. On se croirait dans un film où tout tourne au ralenti, ma tête tourne, je n'arrive pas encore à réaliser ce qu'il est en train de se produire. Le monde s'arrête un instant alors que je remonte le hall d'entrée, ma fille toujours serrée contre mon cœur. Je regarde autour de moi et m'aperçois que tout le monde est figé et nous regardent. Je suis une curiosité pour eux, un concept même…

Un groupe de médecin et d'infirmières m'attendent au bout de l'allée, je ne saurais dire si le regard qu'ils portent sur moi est bienveillant ou empli de méfiance. Une femme se présente à moi sous le nom de docteur Chang. Une femme médecin… Une nouvelle certitude que Gilead est bien derrière moi. Comme si cela n'était pas suffisant comme preuve, elle me répète que nous sommes en sécurité maintenant, et qu'ils vont prendre soin de nous. Elle fait un pas pour tenter de prendre Nichole, mais mon instinct reprend le dessus. Je recule et lui fait savoir que je préfère ne pas être séparée d'elle.

Jamais je n'accepterai d'être séparée d'elle… Je ne sais que trop ce qui pourrait arriver. Le médecin doit sentir ma peur et me dit sur un ton rassurant :

- Vous pouvez rester avec votre fille pendant que nous l'auscultons… Nous voulons seulement nous assurer que vous êtes toutes les deux en bonne santé.

J'acquiesce de la tête et consent à la suivre sans la salle qu'elle m'indique sous les applaudissements de tout le personnel présent sur place. Ils félicitent mon courage d'avoir réussi à m'échapper. S'ils savaient… S'ils savaient que le courage dont fait preuve n'est pas le mien… S'ils savaient que je n'aurais jamais dû avoir besoin de m'échapper si je n'avais pas été à l'origine de la création de Gilead. Evidemment, dans mon esprit, Gilead ne ressemblait pas à ce qu'il est devenu aujourd'hui, mais malgré tout, je suis coupable… C'est June qui devrait être ici à ma place… C'est elle qui devrait être libre et moi pendue !

Les autorités canadiennes me demandent mon identité et si j'ai de la famille dans le pays. Je repense à June et à la lettre qu'elle a laissée pour Luke. Instinctivement je donne son nom en référence. C'est que June veut… Elle m'a promis qu'il prendrait soin de Nichole et moi. Il est mon seul espoir dans ce pays.


June :

Je suis embarquée dans un fourgon ne sachant pas où je vais être conduite. Je ne me fais pas trop d'illusions sur l'issue de mon arrestation. Contre toute attente, je suis envoyé au centre rouge pour ma réhabilitation. J'apprends que les MacKenzie, dans leur immense générosité, m'ont pardonné mon intrusion et ne souhaite pas me voir punie. Il me faut malgré tout faire pénitence.

Je préfère n'importe quelle torture au mur ! Je peux tout endurer, je saurai être forte. J'ai un objectif et c'est cela qui me tiendra en vie. Sortir Hannah de Gilead ! Allez-y, battez-moi, fouettez-moi, lacérez-moi les pieds pour que l'envie de m'enfuir disparaisse à tout jamais, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, vous ne pourrez jamais me briser.

C'est déterminée que j'entre dans la salle de torture, de réhabilitation pardon, suivie par une Tante que je n'ai encore jamais rencontrée.

- Nous n'avons pas réussi à joindre Tante Lydia, ni les Waterford, c'est donc moi qui suis chargée de ta réhabilitation… m'informe-t-elle en me toisant.

Je souris intérieurement sachant que rien de ce qu'elle pourra m'infliger ne pourra enlever la satisfaction des jours qui viennent de se dérouler.

Alors que je nettoie le sang laissé par mes blessures, une servante s'approche pour me déposer un seau d'eau et murmure pour que personne ne l'entende :

- Elles vont bien… Serena et l'enfant vont bien et ont réussi à rejoindre le Canada.

Mon cœur explose de joie… Plus rien de peut me séparer de mon objectif maintenant. Je suis libre !

Les autorités n'ayant toujours pas réussi à contacter les Waterford, je suis confiée aux bons soins du commandant Lawrence une fois ma pénitence purgée. Je ne pouvais pas rêver meilleur commandant et allié pour mener à bien ma mission.

- Tu ne me causeras pas de problème n'est-ce pas ? me demande le commandant lorsqu'il m'accueille sur le perron

- Non Monsieur… je réponds en baissant la tête

- Bien… ! Parce que si on veut que tout se passe bien… Il faudra que tu fasses exactement ce que je te dirai de faire ! Fini la tête brulée qui agit avant de réfléchir ! Au moindre écart June, je te renvoie chez un autre commandant ! Me suis-je bien fait comprendre ?

- Oui Monsieur…

Il se décale légèrement et me laisse entrer dans la maison que je connais si bien pour y avoir habiter ces dernières semaines. Le tapis couvert du sang de tante Lydia a disparu, laissant apparaître un parquet parfaitement ciré. J'ai tellement de questions à lui poser que je ne sais même pas par où commencer. Mais pour l'heure, c'est surtout de repos dont j'ai besoin. Martha dépose ma valise dans la chambre qui m'est attribuée et je m'écroule sur le lit, un sourire sur le visage.