Sally-Anne connaissait la résilience.
Elle avait été sa plus fidèle amie, quand le lendemain de la mort de sa tante, on avait arraché son cadavre démembré et encore sanguinolent de ses bras.
Elle s'était sentie comme enrobée dans du coton épais mais rugueux, peut-être plus comme de la laine en fait, qui grattait et qui retenait la chaleur au point d'en suer et d'en suffoquer. Ses parents l'avaient fait avancer jusqu'au portail de la maison et ils avaient ensuite transplané jusque chez eux. Sally-Anne avait lavé ses mains. Elle s'était couchée, comme si de rien n'était et en se réveillant, elle s'était rappelée de façon très calme et sereine, que sa tante n'était plus de ce monde et que c'était la première fois qu'elle allait vivre une journée sans la partager avec sa tante.
Peut-être avait-elle trop crié la veille.
Peut-être avait-elle trop pleuré la nuit.
Sa gorge était aussi sèche que son cœur.
Alors oui, la résilience, elle connaissait.
Sally-Anne n'avait pas pleuré, pas versé une larme quand on avait fait brûler lors d'une cérémonie funéraire très intime, le corps de sa tante. La honte de la famille. Celle qui faisait ombrage aux principes, qui souillait son Sang-pur de ses idées qui n'étaient nobles que pour ceux qui avaient un peu de coeur.
– Sally-Anne.
– Humm ?
Elle pivota sur elle-même et ramena ses cheveux blonds sur une épaule.
– Je vous ai vu.
Milicent lui avait répété cette phrase au moins trois fois durant le petit-déjeuner, quatre lors du repas, et six fois au moins depuis là.
– Tu n'as rien vu.
– Ta bouche sur celle de Nott.
– Plaît-il ?
Elle jouait les innocentes. C'était stupide.
– Tu n'as rien vu, siffla-t-elle alors.
Elle était un serpent elle aussi, il ne fallait pas l'oublier. Il ne fallait pas qu'elle, elle l'oublie. Après tout, elle n'avait de compte à rendre à personne.
– Des mensonges et des bêtises.
Ca n'avait peut-être duré que quelques secondes.
Cataclysmiques.
Traumatiques.
Éternelles dans ses souvenirs.
Il avait laisser une trace en elle, ce baiser.
Un baiser si frais, si fort d'une haleine encore alcoolisée, maladroit parce qu'ils n'étaient que deux enfants qui ne savaient pas comment s'y prendre, et si beau à la fois…
Sally-Anne aurait voulu retenir ses lèvres contre les siennes un peu plus longtemps. Mais Zabini avait grogné, s'était réveillé et ils s'étaient tout deux séparés sans rien ajouter.
Une semaine s'était écoulée depuis et Théodore Nott avait évité Sally-Anne comme la peste, comme une question à laquelle il n'avait pas de réponse. Théodore Nott aimait autant qu'il détestait les mystères. Ils les dérangeaient, le titillaient, l'agaçaient, le passionnaient, le déraisonnaient.
Théodore Nott voulait tout savoir.
Il ne savait pas, ne connaissait pas Sally-Anne.
C'était sûrement pour ça, qu'il avait accepté de l'embrasser.
Pour ça et pour rien d'autre.
– Cela te rassure sûrement de faire comme si rien n'était arrivé, commença Milicent.
Oui.
– Mais c'est arrivé. Et il en avait autant envie que toi.
Vraiment ?
– Qu'est-ce que vous allez faire maintenant ?
Devaient-ils faire quelque chose ? Devaient-elles changer pour un baiser ? Pour un sentiment étrange qu'aucun d'eux deux ne comprenait ?
– Il m'évite, termina-t-elle.
Sally-Anne n'y connaissait rien à tout ça. Les garçons, les hommes, ça ne l'avait jamais fasciné ou simplement intéressé. Elle n'avait jamais aimé qu'une seule personne dans sa vie. Deux en fait. Sa tante et elle-même, qui lui avait dit un jour qu'elle-même n'avait jamais connu que deux véritables amour : sa propre personne, et sa nièce adorée.
Alors aimer quelqu'un d'autre…
Y'avait-il assez de place dans son coeur pour quelqu'un d'autre ? Pourrait-elle le partager, le déchirer un peu pour en donner une partie à une autre personne qui pourrait s'en aller avec et lui faire si mal ?
Sa tante ne lui avait jamais rendu le morceau de son cœur, celui qu'elle lui avait donné depuis toute petite. Il était mort avec elle et elle ne l'avait jamais retrouvé, n'avait même jamais à le faire en vérité.
Elle ne prendrait pas ce risque quand bien même quelque chose l'appelait à le faire, la pressait urgemment, l'enjoignait, lui ordonnait et l'implorait de céder.
Un baiser traumatique.
Un baiser de résilience.
– Sally-Anne… Tu pleures.
Elle baissa la tête et regarda ses pieds.
Théodore Nott apparut au détour d'un couloir.
Ils se croisèrent, leurs yeux s'accrochèrent et ils se statufièrent. Milicent s'éclipsa.
Elle ouvrit la bouche.
Théodore remarqua qu'aujourd'hui encore, elle s'était maquillée trop vite, et qu'elle avait un sourire en coin violet foncé, un trait à gauche, qui allongeait le bord de ses lèvres.
Il n'avait pas aimé le goût de son rouge-à-lèvre.
Il avait détesté ça, en réalité.
Mais ça l'obsédait.
Il y pensait jour et nuit.
Il en voulait encore un. Juste un. Rien qu'un. Un deuxième. Sans troisième.
Sally-Anne ne le lui permettrait pas, il le savait. Elle fuyait autant qu'il fuyait, parce qu'il connaissait sa résilience, il connaissait ses peurs, il savait qu'elle n'aimait qu'elle et le souvenir de sa tante, qu'il n'y aurait jamais personne d'autre.
Théodore Nott ne comprenait pas. Il ne comprenait rien. Il ne comprenait plus.
Il ne comprenait pas qu'une journée sans lui parler était une mauvaise journée. Il ne comprenait pas que leurs disputes, qui l'iritaient, le bousculaient, lui manquaient quand ils n'en avaient pas. Il ne comprenait pas que ses mots, ses sourires, ses rires trop hauts perchés, étaient les seuls qu'il avait envie d'entendre et de voir. Il ne comprenait pas qu'une personne aussi bruyante, aussi lunaire, aussi solaire, l'attire autant qu'une énigme à résoudre.
Sally-Anne était un problème insoluble.
Théodore, lui, ne savait pas comment aimer.
Il aurait voulu avoir se savoir, cette connaissance. Il aurait voulu avoir la formule. Mais il ne connaissait que le devoir, que l'éducation froide et pragmatique de son père et le sens des responsabilités qui découlait d'un nom si noble et si grand que celui des Nott.
Théodore connaissait la résilience.
Sally-Anne aussi.
Mais ils ne voulaient plus d'elle.
Ils voulaient un peu d'eux, sans savoir ce que cela pouvait signifier.
Et peut-être qu'ils auraient dû s'en moquer.
