« N-Non ! S'étrangla Elwen alors qu'elle tombait à genoux. Il est ce que j'ai de plus précieux, je vous en prie ! »
Les tremblements parcourant déjà ses membres. Un frisson glacé avait lentement figé son corps.
« Vous avez passé des siècles à être celle qui arrache aux autres ce qu'ils ont de plus cher. Je ne vois pas de meilleure justice … répondit Perihan d'une voix froide.
- Pas Hélios, pas LUI ! Hurla l'elfe en rampant vers la géant, la suppliant. Je suis prête à tout, mais pas à ça ! Hélios est tout mon monde, vous ne pouvez pas faire ça ! »
Hélios leva les yeux vers sa mère, il pleurait. Perihan lui jeta un regard et sortit de la pièce. Ils se tenaient face à face, mère et fils séparés par la mort, par les erreurs de l'une et le cercueil de l'autre. Elwen détailla son fils à mesure qu'elle s'en approchait à pas lents. Ses cheveux étaient plus clairs qu'elle ne le pensait, sa peau était moins éclatante que dans son souvenir.
« J'ai le sentiment que ce sont des adieux. » murmura le jeune homme.
Le corps se plia en deux, la douleur de ces mot étaient trop grandes. Un gémissement et son fils la prenait dans ses bras, pleurant à l'unisson d'elle.
« J-j'ai tellement peur d'oublier à nouveau ton visage, gémit-elle en caressant les traits de son fils. Elenwë vous a attachés à moi pour me punir sans se douter que cela deviendrait ma bénédiction. Je suis si heureuse de revoir mon fils chaque nuit pour mieux contempler la victoire qu'il est.
- La malédiction de celle qui m'a porté durant neuf lunes nous a empêché de ressentir la perte. Si bien que ni toi, ni moi ne la connaissons. »
Elwen ferma les yeux, une douleur remontant dans sa gorge. Elle déglutit, la pointe acerbe de la crainte demeura.
« Je ne crois pas qu'Elenwë ait cherché à me punir. Je crois qu'elle a eu pitié de moi, de la mère que j'étais. À son dernier souffle, elle avait toujours la certitude de revoir son fils dans la mort. Je suis une elfe, je n'aurai pas cette chance. Cette malédiction était une manière d'apaiser mon supplice, de te retenir auprès de moi encore un peu, le temps que j'accepte de te dire au revoir.
- Et maintenant, es-tu prête ? Murmura Hélios dans un souffle, des larmes perlant au bord de ces cils.
- Jamais personne n'est prêt pour cela. Je pourrai attendre des millénaires, jamais je n'aurai la force de te regarder dans les yeux pour prononcer ces mots qui me font déjà trembler, dit d'une voix vacillante Elwen. Quelque chose en moi refuse d'imaginer l'éternité sans plus jamais te revoir. Cela a quelque chose de véritablement monstrueux, dire adieu à ceux que l'on aime depuis toujours. Je ne sais pas si je trouverais le courage de vous laisser partir …
- Tu ne trouveras jamais le courage d'affronter cela. Cet acte ne demande pas de courage, au contraire. Il n'est que violence. Et tu dois perdre ce combat, Ilestelwen. »
Elwen sursauta à la mention de son nom, jamais Hélios ne l'avait prononcé, se contentant de l'appeler « Mama ». L'entente de son prénom brisa quelque chose en elle, une onde de choc se répandit en elle. Alors on y était, c'était ainsi que tout était destiné à finir, c'était la fin ?
« La perte n'a rien de calme, ce n'est que violence. Personne ne te demande d'être docile, personne n'exige de toi la passivité. Lutte, enrage-toi contre la mort et la douleur, enfant des ténèbres. Maudis, bénis-moi de tes larmes violentes, de tes cris de fureur, du soulèvement de ton âme. Hurle au monde qu'on te prend ton fils, hurle que tu te fiches de la justice et que la mère en toi est la même que celles qui pleurent à travers cette Terre. Je ne te demande pas d'accepter l'inacceptable, je te demande d'être faible, de te laisser faire.
Laisse cet acte monstrueux t'emplir, laisse éclater sa rage et ta peine.
Mais jamais au grand jamais ne laisse le monstre que cette douleur a réveillé prendre le dessus sur toi. Aujourd'hui, je sombre et mon souvenir perdure. Aujourd'hui, Ilestelwen renaît sans ses crimes. »
Hélios pleurait contre son épaule, sa voix n'était un filet de souffle, un murmure venu d'un autre monde. Elwen, elle, était incapable de bouger.
« Je t'ai dit au revoir il y a longtemps, Mama, souffla le jeune homme, la voix tremblante, prête à se briser. Mais je n'aurai pas la force de le refaire encore une fois. »
Les doigts de l'elfe s'agrippaient nerveusement aux vêtements de son fils alors que sa voix finissait bien par sombrer, elle ne cessait de répéter « non, non » sans relâche, refusant de lâcher le garçon dont les Valar lui avaient fait don. Il l'avait sauvée, Hélios l'avait sauvée et il fallait à présent le laisser partir à jamais.
Ils restèrent ainsi de longues heures, se murmurant des mots dont ils seront les seuls témoins. Le monde avait le pouvoir de laisser assez d'intimité à une mère et son fils portant l'un sur l'autre un ultime regard. Ils auraient voulu rester ainsi éternellement, mais la bonté des Valar n'est pas infinie.
« Que deviendrais-je sans vous ? Gémit Elwen, effondrée sur le sol, les yeux fermés.
- Ilestelwen, écoute moi, murmura doucement Elenwë en lui caressant le crâne. Il est temps de laisser mourir les disparus. Il est temps de laisser partir les fantômes. Tu vis avec ces morts dans le coeur depuis trop longtemps, laisse les reposer en paix. Laisse les partir, je t'en prie, Perihan est la seule qui puisse nous délivrer et rompre ma malédiction. »»
Hélios était parti, laissant sa place à Elenwë. L'elfe s'était laissée être faible une fois son fils sorti. Elwen se tourna brusquement sur le dos pour faire face à sa sœur.
« Mais qui suis-je sans vous ! S'écria-t-elle. Je me suis construite avec vous, vous êtes mes gardiens, ceux qui veillent à ce que jamais le monstre ne ressurgisse pour m'engloutir. »
Elle sentait que quelque chose mourait lentement en elle. Ces mots, elle ne les avait jamais prononcés à haute voix, les gardant jalousement dans ses pensées les plus sombres.
« J'ai si peur de cette ombre qui sommeille en moi. Chaque jour, je crains de la voir se réveiller pour trancher à nouveau la gorge de milliers d'enfants. Je tremble à l'idée d'entendre leurs cris de terreur sans pouvoir arrêter mon propre bras ! »
Elenwë l'observait d'un air froid et son regard se fit dur et sévère.
« Elwen, tu es Ilestelwen, tu l'as toujours été, assena-t-elle. Ne va pas croire qu'une ombre prend ta place dans ces instants terribles. Tu as commis ces crimes horribles, tu as abattu ton épée sur les corps recroquevillés des mères qui hurlaient de les épargner, tu as égorgé les pères devant les fils, jeté au feu les nourrissons devant leurs sœurs aux yeux de damnées. Tu es le monstre que tu as choisi de devenir. »
Elwen ne releva même pas la tête, se contentant de sangloter, recroquevillée sur le sol. Il lui semblait que plus jamais elle n'aurait la force de se tenir debout.
« Il y a quelque chose que j'ai toujours voulu t'avouer sans en trouver le courage ni les mots, souffla la jeune femme en regardant distraitement par la fenêtre ouverte sur le vide, ses doigts jouaient avec quelques unes de ses mèches immaculées. L-Le jour où Hélios est mort, j'ai tenu parole, j'ai maudit la terrible fille sans espoir en attachant toutes ses victimes aux terres de son esprit et de ses rêves. La colère ne s'était pas tarie, au contraire, mais j'avais changé en ces vingt ans, j'avais eu le temps de penser longuement. Et la vengeance ne me rongeait pas autant qu'avant. J'avais assisté à un véritable miracle, un miracle suffisant pour me faire changer d'avis. En ces quelques années, j'avais vu la terrible et sanguinaire Ilestelwen se transformer en la plus grande et attentionnée des mères. Je me suis dis qu'enfin tu avais bien fini par vaincre le monstre qui sommeillait en toi. Mais lorsque, à la stupeur de tous, Hélios est mort, en plus de la colère et de la haine, la peur m'a saisie. J'ai craint pour toi, Elwen. J'ai eu peur que la terrible douleur ne fasse ressurgir celle que tu étais. Je connaissais cette douleur, je connaissais ce dont elle était en mesure de faire et je savais aussi de quoi tu étais capable, je t'avais vu à l'oeuvre. J'ai entrevu le monstre que tu allais devenir et l'horreur s'était emparée de moi à cette vision.
- Alors, dans une tentative vaine de me sauver, tu as maudit mes morts, les rattachant éternellement à moi. Retenant Hélios assez de temps pour tenter d'atténuer ma peine, murmura Elwen d'une voix blanche. Je l'ai compris il y a longtemps, je te connais trop bien Elenwë, je t'ai élevée et j'ai grandi à tes côtés.
- Je n'ai fait que retardé ce moment, je savais au fond de moi que le jour viendrait où tu devrais dire adieu à Hélios. » gémit-elle.
Elenwë ne se montrait jamais faible, pleurant rarement, restant la plupart du temps parfaitement neutre. Mais aujourd'hui, alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre le pays des morts et dire adieu à sa sœur, elle se laissa aller.
« Tu as fait tout ce que tu pouvais, souffla Elwen en souriant doucement, prenant la jeune femme dans es bras. C'était la plus belle preuve d'amour que tu pouvais me faire, mais rien ne pouvait me sauver, rien, pas même une sœur. »
Ilestelwen se tenait face à cette foule silencieuse. Elle se tenait face à une foule d'hommes, de femmes et d'enfants dont chacun était mort par sa faute. Il y a encore quelques années, elle n'osait pas affronter leurs regards. Aujourd'hui, elle était debout face à eux et elle les détaillait avec émotion. Elle avait dit adieu à chacun d'eux, prononçant des mots qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir dire.
Son enfer. Sa bénédiction qui lui avait permis de ne jamais dire adieu, qui l'avait tenue éloignée de la douleur de la perte. Ils étaient là, tous ceux qu'elle n'aurait jamais voulu voir mourir. Un souffle invisible souleva leurs cheveux, lui rappelant cruellement la distance qui la séparait d'eux.
Hélios souriait à travers ses larmes, debout, chancelant à côté de sa mère. Elle se promit de ne jamais oublier son visage, son sourire, le son de sa voix, sa manière de détourner les yeux pour chasser les larmes, son air concentré lorsqu'il travaillait sur une toile. Elle revoyait le petit garçon maladroit qu'elle faisait voler au-dessus de sa tête. Elle se souvenait de son rire, de ses premiers pas et de l'air espiègle qu'elle aimait tant.
Les lèvres de son fils murmurèrent un mot qu'elle choisit de ne pas entendre. Elle s'approcha et le prit dans ses bras, chuchotant à son oreille.
« J-Je t'aime, ne l'oublie jamais, gémit-elle. Tu m'as sauvée … Sauve-moi à nouveau, Hélios.
- Je n'en suis plus capable, Mama. Après mon départ … tu vas devoir te sauver seule.
- Mais je n'y arriverai pas ! J-Je le sais bien ! Si tu disparais, tout disparaît avec toi ! Tout ce qui reste de bon en moi s'évaporera aussitôt, balayé par une douleur que je ne veux plus ressentir !
- Il reste du bon en toi, peut-être auras-tu besoin de trouver les bonnes personnes pour le révéler mais une flamme brûle encore, ne doute jamais de cela. »
Elwen avait fermé les yeux, gardant résolument ses paupières closes pour ne pas laisser s'écouler les terribles larmes brûlantes.
« Je tremble déjà à la pensée des nuits sans étoile où ton visage me restera invisible, où tes bras ne pourront déjà plus m'entourer en une étreinte rassurante. La maman que je suis se perdra dans les brumes de sa souffrance, cherchant à l'infini le fils qu'on lui a ôté … La folie me guette, la mort aussi.
- Elwen, tu n'oublieras pas que tu as été maman, ce genre de chose ne s'oublie pas, répondit-il en essuyant ses larmes. Je te souhaite le bonheur de tenir au creux de tes bras tes véritables enfants, dans ces instants, mon fantôme te hantera comme une ombre, se retrouvant dans chaque geste et chaque parole.
- Mes véritables enfants ? Sourit l'elfe, sans joie. Aucun ne verra le jour, vous êtes mes véritables enfants, ceux que la vie m'a donnés et que je chérie jour après jour. Personne ne prendra ta place dans mon coeur et je ne tiendrai plus jamais d'enfant dans mes bras. Tu es mon fils, Hélios, mon bébé, mon héros, assena-t-elle.
- Je sais, dit-il avec un petit sourire triste. Et je suis heureux d'être ton fils, Mama. »
Fanao Firya se fit plus fort. Hélios desserra leur étreinte, jetant un coup d'oeil terrifié autour de lui. La panique s'empara de lui brusquement et il se rua à nouveau sur sa mère, ses doigts caressant frénétiquement les traits de l'elfe. Elwen observa leurs cheveux s'élever toujours plus haut. Et puis, d'un coup, ils commencèrent à disparaître en un lent ballet. Avec horreur, elle braqua son regard dans celui terrifié de son fils.
« Ne m'oublie pas, je t'aime à jamais. Ne l'oublie pas. » eut-il le temps de s'écrier, la voix hachée par le désarroi, avant que son corps ne s'évapore entre les mains de sa mère comme de la brume.
Comme dans le pire des cauchemars, elle regarda l'amour de sa vie s'évaporer parmi les autres, son doux visage déformé par la peur s'éteignant aussi vite que la douleur la transperça. Elle demeura un moment stupéfaite, le souffle coupé. Un instant auparavant elle tenait entre ses bras son fils, l'instant d'après il avait disparu à jamais. Un cri déchira sa poitrine, transperça les âmes des prêtres présent, tailladant le coeur Perihan.
Elwen s'effondra en un hurlement si puissant que les gardes tombèrent avec elle. Quelque chose venait de se briser en elle et c'était la pire douleur du monde. Indescriptible. Foudroyante.
On dit qu'elle hurla pendant des jours.
« Je veux mourir. »
Sa voix résonna dans la pièce aux fenêtres emplies de néant comme si c'était la première fois qu'on l'entendait parler. Perihan lui avait parlé longuement mais l'elfe semblait bloquée derrière une paroi en épais verre, n'entendant rien, ne voyant qu'un vague flou lumineux.
« Laissez-moi mourir, je vous en prie. » parvint-elle à dire encore, la voix rauque d'avoir trop crié.
Hélios ne pouvait pas être parti. Ca ne pouvait pas être vrai.
Parfois, la nuit, elle avait l'impression qu'il était encore là, qu'il allait apparaître devant ses yeux pour lui dire encore une fois à quel point il l'aimait. Mais le jeune homme n'était jamais revenu, alors même qu'elle suppliait jour et nuit les Valar de lui accorder quelques instants de plus avec lui.
Dans son enfer silencieux, seuls demeuraient les terribles mots d'Elenwë. Ils résonnaient en elle depuis des jours, la hantant sans relâche. Elwen s'y accrochait désespérément, refusant de penser que tout ce qui s'était passé était vrai. Ils ne pouvaient pas être partis.
« Tu sais déjà comment cela est censé finir, Elwen. Tu l'as toujours su.
Tu laveras de ton sang les affronts que tu as fait aux âmes mortelles des Hommes, ton sang effacera leurs noms et leurs souffrance.
Meurs, enfant des ténèbres, meurs et emporte avec toi les démons qui se terrent derrière tes yeux.
Lave de ton sang la terre de ceux qui sont partis. »
Ainsi, c'était comme ça que tout était censé finir. Elwen ne pouvait s'empêcher de ressentir un amer soulagement. Bientôt, cette douleur qui traversait son corps ne serait plus, évaporée tout comme ses morts qui l'avaient accompagnée avant de disparaître.
Ils étaient partis.
Ils étaient partis.
Elwen avait beau se répéter ces trois mots, elle n'arrivait pas en croire un seul. Parfois, elle fermait les yeux, espérant y trouver Elenwë et son air froid, Mahtan et son sourire maladroit, Mistrid et ses yeux constamment baissés. Mais, tout comme Hélios, aucun n'était revenu la hanter.
Les morts étaient bien morts, elle comprenait enfin la douleur du deuil. Jamais elle ne les reverrait. Elle comprenait enfin le délice des souvenirs. Elle comprenait enfin la monstruosité du meurtre. Un être détenait le pouvoir de faire disparaître à jamais une personne du futur d'un autre. C'était l'acte le plus barbare et le plus révoltant.
Elwen se sentait vide. Perihan lui avait fait mal, mais elle-même avait fait souffrir le martyr des milliers d'autres. Comment faisaient-ils ces gens sans fantômes ? Comment faisaient-ils pour vivre avec la cruelle certitude de ne jamais revoir ceux qu'ils avaient aimé et qu'ils avaient perdu ? Comment vivre avec cette douleur, cette pensée qui contamine tout, qui vous ronge en entier, vous obnubilant jusqu'à la folie ?
Elwen ne parvenait pas à comprendre.
« Je veux mourir. » répéta-t-elle en levant ses yeux éteints vers ceux de Perihan.
Ils étaient partis, ils lui avaient montré quelle monstruosité elle avait imposée aux autres. Alors à quoi bon s'accrocher ? Ils avaient eu raison depuis tout ce temps, elle devait payer une bonne fois pour toute, disparaître de la surface de cette Terre. Qui était-elle pour avoir pensé avoir le droit d'infliger aux autres cette douleur qui la détruisait aujourd'hui ? Elle ne méritait rien, hormis la mort et l'oubli.
Legolas écarquilla les yeux de stupeur, devant lui se tenaient deux géants de pierre, agenouillés, l'épée plantée dans la terre en un signe d'hommage aux humbles voyageurs qui osaient se présenter devant eux.
Coldfells, enfin.
Cela faisait des jours qu'il errait dans les landes gelées de l'Arnor à la recherche d'un abri. Ces terres stériles l'avaient épuisé, la chasse et la cueillette étant impossible. Les quelques paysans dont il avait croisé la route n'avaient daigné lui donner qu'un regard hagard et méfiant. L'un d'eux lui avait pourtant fourni assez d'espoir pour le pousser à continuer jusqu'aux portes de l'enfer s'il le fallait.
« Vous n'êtes pas le premier elfe que nous voyons passer ces dernières années ... » avait murmuré la jeune fille aux pommettes trop saillantes et aux cheveux inexistants.
Et aux portes de l'enfer il était alors allé. Une énergie étrange s'échappait de cette ville, des cris de joie à glacer le sang retentissaient parfois, suivi du fracas d'une foule en délire. D'ici, l'elfe ne parvenait à voir qu'un attroupement.
Alors qu'il passait les portes, un sifflement retentit et quelqu'un cria :
« Vous venez pour l'exécution ? »
Legolas hésita un court instant avant d'acquiescer sèchement. Un rire gras s'éleva du haut de la tour de guet et l'elfe franchit les portes sans attendre. L'air était chargé d'une électricité étrange, une tension parcourait les hordes de gamins des rues qui se ruaient vers la grande place. Les femmes avaient revêtis leurs plus belles toilettes, ornant leurs cheveux de rubans écarlates et leurs jupes de dentelle et de perles.
Un chariot tiré par des bœufs dépassa l'elfe. Dans sa remorque, une cargaison de bois s'en allait vers la place, suivant les gamins et les dames endimanchées.
Legolas sentit son sang se glacer.
L'elfe se laissa emporter par le flot de personnes. Quelque chose lui soufflait inlassablement que c'était là-bas qu'il trouverait celle qu'il cherchait depuis tout ce temps. Son coeur battait si fort à ses tempes et un sourire grandissait lentement en lui.
Legolas déboucha sur une large place ronde avec en son centre un bûcher que des hommes alimentaient à l'aide du bois qui arrivait sans relâche sur des charrettes. Le bruissement de la foule était traversé par une frénésie étrange. Legolas avait l'impression que tous les regards se jetaient sur lui, mais lorsqu'il tentait d'en intercepter un il s'avérait s'être trompé. Les chuchotements se tarirent tout seul à l'entrée d'une immense silhouette encapuchonnée.
L'elfe demeura ébahi devant cette géante à la peau de marbre et aux cheveux d'or blanc, sa tête était ornée d'une couronne d'argent sertie d'un unique saphir resplendissant. À ses côtés, deux autres géants tout aussi blonds se tenaient sagement. Ils étaient sincèrement fascinants, jamais l'elfe n'avait vu pareille créature. Leurs yeux d'un bleu froid semblaient transpercer chaque âme et chacun de leurs gestes portait une douceur et une grâce insoupçonnée.
La seule femme des trois s'avança sur l'estrade et sourit poliment à la foule qui l'acclama à grand bruit. D'un geste apaisant, elle réclama le silence avant de prendre la parole.
«Coldfells a tenu parole, mes sœurs et mes frères. Hier, Athelleen se rendait sans résistance, acceptant son sort. Aujourd'hui, Athelleen meurt. Demain, les disparus de Shedùn reposeront enfin en paix. «
Ces quelques mots suffirent à déclencher des cris de joie partout dans l'assemblée. Des enfants firent exploser un paquet de confettis en gloussant, une femme monta sur les épaules de son homme, sifflant entre ses doigts.
Le sourire de la géante s'agrandit et elle fit signe aux gardes d'amener le captif. Legolas était trop loin pour distinguer quoique soit et tenta de pousser quelques villageois pour apercevoir le visage du condamné, en vain.
« Athelleen, guerrière des flammes, périra par le feu, comme il l'a toujours été écrit. Son âme est lavée de ses péchés, des horreurs que son bras a porté, elle s'avance innocente devant les Valar, prête à recevoir le jugement qu'elle mérite. »
Le condamné était donc une femme … Legolas avait le souffle court, tentant désespérément d'entrevoir le visage de cette mystérieuse prisonnière. Une intuition parcourait ses membres avec fébrilité, il pouvait sentir ses doigts trembler autour de la lanière de son sac. Il se déplaça vers la gauche, un groupe d'adolescents lui barraient encore la vue.
Au loin, la prisonnière montait les marches du bûcher. Son crâne rasé lui donnait un air enfantin, on aurait dit un bambin qu'on grondait.
Legolas la suivit des yeux avant de laisser tomber son sac pour grimper à un lampadaire. Depuis son perchoir, il se tourna pour faire face à l'échafaud et darda son regard sur cette étrange femme qui vivait ses derniers instants. Les gardes l'attachaient au poteau central, elle ne luttait pas, au grand étonnement de l'elfe et de la foule qui poussa un soupir de dépit général.
Elle lui tournait le dos. Tout ce que Legolas parvenait à voir était la pâleur de la peau de sa nuque et de son crâne. Ses bras étaient maigres, ses jambes, sans force. Ce n'était pas l'elfe qu'il cherchait. Mais quelque chose lui soufflait qu'Elwen était bien là, quelque part dans cette foule. Il balaya l'assemblée des yeux, à la recherche de la moindre mèche écarlate. Rien.
« Que les Valar reçoivent la meurtrière de nos enfants comme ils les ont reçus, avec bonté, clémence et pitié. Que la guerrière des flammes périssent sous le bras de ses filles, que le feu emporte Athelleen, fille sans espoir. »
Alors que la reine lâchait ces derniers mots et que les gardes embrasaient les premières bûches, Legolas sentit son sang se glacer. Il se retourna lentement vers l'échafaud où la suppliciée levait déjà les yeux vers le ciel. Avec horreur, il sonda le visage émincée de cette inconnue, tentant tant bien que mal d'y discerner des ressemblances. La maigreur, la fatigue et la souffrance semblaient avoir dévoré celle qu'il avait connue, si c'était bien elle sous ces traits qu'il ne reconnaissait pas. Peu à peu, il reconnut ces étranges yeux orageux, ce nez elfique, ces pommettes trop rougeoyantes pour n'être pas humaines.
Il écarquilla les yeux et il sut. Il sut qu'enfin, après trente ans de recherche et de quête, sa route recroisait celle d'Ilestelwen, la fille qui n'avait plus d'espoir. L'euphorie le prit à la gorge.
Enfin.
Il n'en croyait pas ses yeux et la dévisagea pendant de longues secondes. Sa gorge se serra à la vue de celle qui avait pris la place de son amie, une femme qu'il ne reconnaissait pas, une femme qui lui faisait presque peur avec ses yeux éteints et sa peau cadavérique. Les flammes léchaient déjà le bûcher lorsqu'il revint à lui, prenant conscience de ce qui était en train de se passer.
Elwen regardait le ciel blanc au-dessus d'elle, c'était la seule chose qu'elle voulait voir pour son dernier regard. Le soulagement s'emparait doucement d'elle, bientôt tout serait fini. Bientôt, Ilestelwen serait bel et bien hors d'état de nuire. Seule la mort pouvait lui offrir cela, cette assurance de ne plus faire souffrir quiconque. Elle aurait aimé avoir Hélios à ses côtés pour ses derniers instants mais son coeur saignait déjà trop de son absence pour qu'elle ne tente de convoquer son souvenir. Perihan ne la lâchait pas de yeux, malgré la foule qui les séparait.
Elwen sentait une tension s'emparer de son corps. Une intuition, un pressentiment. Comme si tout s'était immobilisé, que le monde entier s'était figé dans l'attente que quelque chose se produise.
Elle laissa glisser son regard sur l'attroupement à ses pieds, essayant de graver chaque visage dans sa mémoire. Ils riaient. Ils applaudissaient. Elle avait fait le bon choix. Certains étaient même agrippés à des lampadaires pour mieux profiter du spectacle et regretter le fait qu'elle ne se débatte même pas. Mais l'intuition se faisait plus forte, le monde était suspendu à cette attente qui lui comprimait la gorge.
Son regard glissa sur eux, et comme une évidence, trouva les deux yeux les plus bleus qu'elle ait jamais vus.
Son coeur rata un battement. Le brouhaha se fit subitement silence, les gestes se ralentirent. Ecarquillant les yeux, Elwen entrouvrit la bouche de stupeur.
Legolas.
Legolas se tenait là, à sa hauteur, perché sur un lampadaire, le vent agitant les longs cheveux blonds qui encadraient son visage frappé d'horreur et de peur. Leurs regards se croisèrent et le temps se suspendit.
Le monde s'écroula autour d'eux, le temps se suspendit à cet échange muet. Il était là. Il était là. Il était là.
Elwen n'entendait plus que sa respiration assourdissante. Bien sûr que c'était une évidence, lui aux confins du monde, elle aux abords de sa chute. Il serait le dernier témoin de son échec, le dernier à poser les yeux sur elle. Soudain, ce fût comme si elle avait toujours su qu'il était destiné à assister à ses derniers instants.
Une part d'elle s'apaisa à cette pensée, elle ne partirait pas en éternelle anonyme. Elle pouvait lire la douleur à travers ses iris du bleu le plus pur qui soit. Mais le désespoir était plus grand que le soulagement, il n'aurait pas dû être là. Il rendait les choses tellement plus dures. Cela lui fit mal au coeur, quelque chose en elle refusait qu'il la voit ainsi défigurée, affaiblie, vulnérable, prête à tout abandonner pour s'élancer vers le pays dont ne revient pas.
Elle avait rêvé de leurs retrouvailles tant de fois qu'une flamme d'espoir mourut en elle à l'instant où son regard cilla. Elle ne voulait pas qu'il la voit ainsi. Ils n'auraient pas dû se retrouver ainsi. Elle aurait dû courir vers lui pour se jeter dans ses bras en riant. Elle aurait dû le sauver en abattant ses ennemis, le tirer des griffes d'un quelconque danger. Elle aurait dû apparaître devant lui habillée comme une reine.
Au lieu de ça, elle n'était que cendres. Les cordes l'empêchaient de courir vers lui, le désespoir condamnait son sourire, la fatigue lui interdisait de combattre les centaines d'ennemis qu'elle voulait abattre pour lui, et elle n'était pas la reine qu'elle aurait voulu être à ses yeux. Elle aurait aimé qu'il garde d'elle le souvenir de l'elfe effrontée qu'elle était au temps de leur rencontre.
Toutes ces possibilité longuement rêvées mourraient devant elle en une terrible plainte. Ce n'était pas censé se passer comme ça. Tout n'était qu'une erreur, une monstrueuse et dégoûtante erreur.
Il ne pouvait pas la voir ainsi. Le mythe de la belle et intrépide Ilestelwen s'effondrait aujourd'hui devant ses yeux mortifiés, lui, le dernier à porter sur elle une image magnifiée, intacte et grandiose. Le seul qui la voyait encore comme celle qu'elle aurait voulu être.
Les mots de Hélios résonnèrent dans son esprit. Si lui ne pouvait plus la sauver, c'était à quelqu'un d'autre de le faire. Et qui d'autre que celui qui l'avait cherchée trente ans durant, sans jamais s'autoriser le repos ?
Legolas s'accrochait à son regard, ne détournant pas les yeux. D'un signe de tête, elle comprit. Elle n'avait jamais été seule, elle n'avait jamais été perdue. Quelque part, un elfe l'avait pourchassée sans relâche, délaissant son royaume et sa famille, alimenté par un lien bien plus puissant que le sang ou le rang.
Un chaleur s'alluma doucement dans sa poitrine, irradiant bientôt tout son corps. Elwen avait peut-être perdu ceux du passé mais le futur lui ouvrait timidement les bras. Elle n'avait plus qu'à s'élancer.
Sans comprendre pourquoi, Elwen commença alors à se débattre. Quelque chose de minuscule semblait s'être éveillé en elle, balayant tout tel un grand de vent disperse les nuages. Sous les rugissements jouissifs de la foule, elle fit céder les cordes de jambes. Perihan se leva lentement de son siège, le visage figé dans une expression indéchiffrable.
Les hurlements de la foule n'atteignaient pas l'elfe, enfermée dans son enfer atrocement silencieux, les mots de Hélios repassant en boucle dans son esprit.
« Personne ne te demande d'être docile, personne n'exige de toi la passivité. Lutte, enrage-toi contre la mort et la douleur, enfant des ténèbres. »
Le regard braqué sur Legolas, Elwen ne le quittait pas des yeux, sentant une colère s'embraser en elle avec violence. Perihan lui avait tout pris. Elle les avait certes délivrés de cette malédiction, leur offrant un repos inespéré, elle les avait aussi condamnés à quitter Ilestelwen. Perihan lui avait tout pris, elle ne lui prendrait pas la vie, pas maintenant qu'une lueur venait d'illuminer les noirceurs terrifiantes de l'avenir.
Le monstre d'Ilestelwen ne renaîtrait jamais, elle n'avait pas besoin de la mort pour l'en empêcher. Il serait trop facile, trop lâche, de s'en remettre à la mort pour le conjurer. Ca serait trop facile. Le véritable défi demeurait en le fait de vivre avec dans le coeur cette constante menace de le laisser la submerger. Mais, soudainement, Elwen sut qu'elle serait capable de surmonter cela. L'évidence sous les yeux, elle prenait enfin conscience que ce serait ce monstre qui lui donnerait une raison de vivre, une raison qu'elle n'avait cessée de chercher.
Ce monstre qui grondait en elle donnait tout son sens à sa vie, lui conférant une valeur que l'elfe avait longtemps cherchée.
Le véritable défi de la vie était d'accepter celui qu'on aurait pu être, de l'assumer et de vivre avec pour mieux le combattre. Pourquoi les Valar l'avaient-ils laissée en vie après tout ce qu'elle avait fait ? Par bonté ? Par défi.
Perihan avait tué le monstre et s'apprêtait à achever Ilestelwen, l'empêchant de renaître au milieu des cendres de ses ombres, par peur, par paresse, par lâcheté. Juste pour être assurée que jamais Athelleen ne reviendrait, elle était prête à tuer Ilestelwen.
Perihan avait compris cela et avait pris peur. Parce qu'elle savait très bien qu'on n'arrêterait pas deux fois Athelleen.
Elwen sentit le monstre vrombir dans son ventre et elle détacha férocement son regard de Legolas pour le porter sur la géante.
« Je prends le risque que tu refuses de voir, hurla Elwen à la reine, sa voix portait les échos de sa panique. Je prends le risque de vivre avec la menace des ombres qui mettent en péril mon coeur, mais que serait vivre sans risque ni menace ? »
Le silence s'empara de la foule. Aucun cri de joie ne résonnait, les enfants avaient cessé de danser, les femmes la regardaient d'un air stupéfait.
« Que dis-tu ? Murmura la reine, interdite.
- La mort serait une échappatoire bien trop facile. Les Valar m'ont mise au défi de vivre avec ces fantômes. Aujourd'hui, mes fantômes sont partis les rejoindre et je demeure vivante. Me tuer serait s'avouer vainc-
- Tu n'as pas la force de lutter contre CE QUE TU ES, hurla Perihan, la coupant. Par orgueil, par vanité, tu prends le risque de voir renaître Athelleen, Cara Finda, la Faucheuse et toutes les autres. Je ne peux pas te permettre de faire cela. Tous ceux qui sont ici te condamnent pour ce que tu as fait, ne vois-tu pas dans leurs yeux le mal que tu leur as fait ? »
Elwen baissa les yeux, cherchant du regard Legolas. L'air grave et désespéré, l'elfe blond ne semblait pas savoir quoi faire. Le feu continuait de consumer le bois autour d'elle, léchant déjà sa tunique de lin.
« Les triplés de Adala ont rendu leur jugement, Hoy a écouté vos démons, Perihan a vu qui vous étiez, Visvydas a contemplé votre âme. Ils sont les messagers des Valar, les porteurs de leur sentence dont personne ne peut s'absoudre. Vous devez vous y soumettre, déclara un prêtre en s'avançant depuis l'estrade de la reine.
- Athelleen est morte, emportant avec elle les monstres qui m'habitaient. Ilestelwen est morte, hurla désespérément l'elfe alors que les flammes faisaient rage autour d'elle. Je ne suis plus rien, vous avez achevé la fille qui n'avait plus d'espoir en lui prenant la seule chose qui lui restait de plus cher. À quoi bon tuer les vestiges de celle que j'étais ?
- Athelleen ne mourra jamais vraiment tant qu'un souffle emplit tes poumons, cela doit cesser. Les Valar ont parlé. »
Elwen n'osait plus regarder Legolas. Devant lui, tous ses secrets s'étalaient dans un fracas obscène. Les larmes aux yeux, elle se débattait férocement. Ca ne pouvait pas finir ainsi, pas comme ça. Une voix s'éleva tout à coup, venue de nulle part, à peine plus haute qu'un murmure.
« J'ignore ce que cette femme a fait, à dire vrai, j'ignore tout d'elle. Mais je sais que si les Valar m'ont aujourd'hui mené jusqu'à elle, c'est pour une bonne raison. Ils me murmurent que ce jour n'est pas celui de la mort d'Ilestelwen. »
Dans un bruissement, la foule se tourna lentement vers Legolas, le corps figé agrippé au réverbère. Il faisait tellement tâche dans ce tableau que plusieurs personnes écarquillèrent les yeux en le voyant. Perihan pivota vers lui, impassible.
« Voici pourquoi Athelleen ne mourra jamais, voyez comment chacun de ses partisans la suivent, voyez comment ils essayent de sauver leur reine. L'empire du mal ne s'écroulera pas en un jour, nous ne devons pas céd- »
Les mots de la géante moururent sur ses lèvres lorsque Visvydas se leva à sa gauche en un lent mouvement qui suspendit toute l'assemblée. Le géant sembla se déplier, étirant chaque os de son monstrueux squelette. Une fois debout, il toisa la foule de son regard de glace et ses yeux tombèrent finalement sur Legolas. L'elfe se sentit pâlir et sa prise sur le lampadaire se fit moins assurée. Son souffle se coupa, il ne vit soudain plus que ces deux yeux ouverts sur l'infini. Des murmures résonnèrent dans son esprit, des voix qu'il avait l'impression de connaître tout en étant incapable de mettre un nom dessus. Enfin, après ce qui lui sembla une éternité, le monde reprit sa place. Chancelant, Legolas reprit son souffle.
« Quel étrange hasard … murmura le géant en se rasseyant. La plus sombre des âmes s'accordant avec la plus pure, quel étrange assemblage. »
Perihan jeta un regard à son frère puis porta à nouveau son regard sur Legolas, toujours figé. Puis, alors qu'Elwen sentait sa tunique devenir cendres et la chaleur la brûler comme jamais elle n'avait eu mal, la géante s'exclama froidement :
« Saisissez-vous de lui.
- NON ! » Hurlèrent Elwen et Visvydas d'une même voix.
La voix de l'elfe se brisa en un rugissement de rage. Visvydas s'était relevé avec une vitesse incroyable pour la taille de son corps.
Pas lui. Pas lui. Une urgence coulait à présent dans les veines de l'elfe entourée par les flammes, une voix lui susurrait qu'il ne devait surtout pas mourir, que sa mort changerait tout. Perihan lui avait pris ses morts, elle ne lui prendrait pas le seul ami qui lui restait. La fureur qui grondait en elle transformait ses veines en rivières de lave, ses yeux fous ne quittaient pas Legolas. Le monde s'effaça autour de lui. Il ne restait que deux yeux bleus. Deux formidables yeux bleus qui étaient capable de tout faire disparaître. Deux iris brillants et aussi beaux que les plus incroyables saphirs.
Un cri à faire trembler les pierres s'éleva brusquement d'elle. En un rugissement, alors que les gardes se faufilaient vers l'elfe blond pour l'encercler, Elwen sentit une énergie s'échapper de tous les pores de sa peau. C'était comme si toute sa souffrance, toute sa colère et sa haine se retrouvaient matérialisées en ce hurlement.
On lui avait tant pris. On ne lui prendrait pas Legolas.
Alors que le cri inondait la place, un puissant souffle étouffa subitement les flammes, se répandant comme une onde de choc, faisant progressivement s'écrouler les personnes qui s'étaient attroupées pour assister à l'exécution.
En moins d'une seconde, les flammes s'étaient éteintes, comme si un colosse l'avait soufflé telle une bougie. Le bûcher s'était effondré sur lui-même, laissant s'échapper un large panache de fumée qui provoqua de multiples quintes de toux.
Un silence étouffant régnait dans l'assemblée, Perihan s'était figée, les yeux écarquillés de stupeur. Son frère Hoy s'était levé lentement, plus pâle que la neige, un air interdit sur le visage. À travers l'épaisse fumée, tous tentaient d'apercevoir la silhouette d'Elwen. Legolas avait cessé de se débattre pour tendre le cou dans l'espoir de voir apparaître son amie.
Stupéfaits, tous regardaient la suppliciée, haletante, debout au milieu des braises encore fumante alors que la fumée se dissipait doucement. Un étrange silence emplissait les coeurs, un silence qu'Elwen ne comprit que bien plus tard, lorsque Legolas lui révéla sa signification.
Au milieu de l'immobilité générale, une personne déplia son immense carrure pour avancer d'un pas. Visvydas, géant de marbre, s'appuya à la rambarde de l'estrade avec une lenteur titanesque pour contempler l'assemblée de villageois un instant plus tôt animée par la liesse et l'euphorie.
Sa voix tonitruante emplit la place du village, se réverbérant dans les coeurs et les esprits, gravant ses mots dans la pierre des pavés. On aurait dit la voix d'un dieu.
« Les Valar ont parlé. Que leur voix soit écoutée.
- J-je ne comprends pas, déglutit Perihan, toujours figée, le regard fixé sur Elwen.
- Il n'y a rien à comprendre, la coupa Hoy en descendant de l'estrade au pas de course, détachez-la ! Et libérez l'elfe ! »
Le colosse était blême, ses mains tremblaient alors qu'il dégageait les lourdes bûches en partie calcinées pour atteindre Elwen, entouré des gardes indécis. Hoy prit des mains de l'un d'eux une hallebarde pour trancher les cordes qui retenaient encore les poignets de l'elfe. Il se saisit de son corps comme s'il s'agissait de celui d'une poupée de porcelaine et la porta à travers la foule, scindant lentement l'assemblée en deux pour rejoindre Legolas encore médusé. À mi-chemin, Elwen entrouvrit les yeux. Hoy ne l'avait pas lâchée du regard, la couvant avec tendresse. Il s'arrêta et la déposa délicatement au sol avant de murmurer :
« Il y a quelqu'un qui vous attend depuis une éternité, il vous attendait déjà alors que je n'étais même pas né. Dans ma langue, on appelle cela evîndar, continua-t-il avec un doux sourire. Ne perdez pas ceux qui vous attendent, ne perdez pas leur espoir et leur amour. »
Alors qu'il prononçait ces mots qu'elle fut la seule à entendre tant ils étaient bas, Elwen se tourna vers l'elfe blond qui la regardait avec insistance. Il avait peur, elle le savait à la position de ses bras et au frissonnement de ses oreilles.
« Le temps de la fuite et de l'errance prend fin, Ilestelwen, fille des ombres, celui des retrouvailles commence. » souffla Hoy en reculant lentement d'un pas.
Elwen leva les yeux vers lui, incertaine, puis ses yeux se posèrent à nouveau sur Legolas, là, juste là, au bout de ce couloir humain, encadré par des hommes qui avaient voulu le tuer un instant auparavant.
L'assemblée était suspendue à leur échange, à ce silence si intime. Elle avança d'abord d'un pas hésitant, puis l'urgence s'empara de ses jambes. Elwen se mit à courir sans même s'en rendre compte. Elle courrait aussi vite qu'elle le pouvait, des larmes coulant le long de ses joues à mesure que les sanglots de soulagement emplissaient sa poitrine.
La fille née de l'amour entre la flamme et l'ombre s'élançait au milieu des Hommes pour rejoindre celui qui avait eu le courage de l'aimer sans honte, ni haine. Et c'était beau, c'était touchant, c'était … juste. Oui, c'était juste, pensa amèrement Perihan en détournant les yeux, c'était la chose la plus juste qui soit.
Legolas se rua sur Elwen, la prit dans ses bras, attrapa son corps du sien, enfoui son nez dans son épaule. De ses mains fébriles, il caressa son crâne, s'assurant qu'elle était bien là, au creux de ses bras, méconnaissable et brisée, mais bien là.
Et puis soudain, ce fut comme s'il pouvait à nouveau respirer après trente années de supplice. L'air emplit ses poumons, le froid le frappa, le vent effleura son visage. Pour la première fois depuis des décennies, il eut l'impression de vivre.
Elwen pleurait violemment contre lui. Chaque larme était un remerciement et une prière. Ses doigts se refermèrent sur la cape de Legolas alors qu'elle fermait les yeux, tentant de se rapprocher de lui. À l'instant où ses bras s'étaient refermés sur elle, son esprit s'était vidé et une seule pensée l'avait submergée. Tout irait bien.
Jamais Elwen n'avait ressenti ce sentiment si étrange, cette quiétude immense qui vous emplit tout entier et qui vous murmure sans relâche que rien de mauvais n'arrivera plus.
Il était là et sa seule présence suffisait à rallumer en elle un espoir qui n'y avait jamais eu sa place. Oui, peut-être que finalement, la fille qui n'avait pas d'espoir pouvait espérer un peu, peut-être qu'elle pouvait être heureuse.
Il avait ce pouvoir incroyable de rendre le bonheur atteignable. Legolas avait le pouvoir de faire naître la possibilité d'un lendemain heureux. La certitude que tout allait s'arranger.
Je réfléchis à réécrire cette fic donc ne paniquez pas si elle disparaît, de toute manière, si peu de monde suit cette fiction que je pense que personne ne le remarquera ^^'
à bientôt !
