Chapitre 6 : L'enfant disparu
Le Centre, Blue Cove, Delaware
Installer dans son fauteuil, Mlle Parker, préoccupée par la disparition du bébé, passait en revue le dossier médical de son prétendu demi-frère, culpabilisant de ne pas avoir été assez présente pour lui et de ne pas avoir su le protéger du Centre. Prenant un portrait du petit garçon qui était posé sur le bureau, elle se mit à verser une larme en pensant à lui.
Comment allait-elle faire pour retrouver sa trace ?
« Mlle Parker ?
- Vous avez du nouveau Broots ? interrogea-t-elle, les sourcils froncés
- Non, je regrette, mais sachez que je fais tout ce que je peux pour le retrouver.
- Alors, retrouvez-le !
- Bien mademoiselle. Je m'y remets tout de suite.
- Attendez Broots… Merci, en tout cas. »
En signe d'approbation, l'informaticien hocha la tête, il se retourna et sortit de la pièce pour se remettre à la recherche de l'enfant disparu. Bien que Mlle Parker le malmenait, il savait que ce n'était jamais par méchanceté et que parfois, elle savait lui témoigner de l'affection et de la gentillesse à son égard et pour ça, il l'a respectée.
Le regard fixé sur le dossier qu'elle parcourait une énième fois, elle se demanda pourquoi le Centre s'intéressait tellement à cet enfant ? Il n'avait rien d'extraordinaire ? Et pourtant !
Sydney entra dans le bureau de la jeune femme, et comme à son habitude, il tenta de se montrer attentionné et confortant, il lui tendit une tasse de café.
« Vous devriez arrêter de lire ce dossier et rentrer chez vous, Mlle Parker. Vous avez passée toute la nuit dans votre bureau. Je vous appellerai si jamais on a du nouveau.
- Merci, Sydney, mais, je préfère rester. Dites-moi, quel serait l'intérêt du Centre à kidnapper un enfant ordinaire ? Et que représente-t-il pour le Centre ?
- Vous partez du principe que cet enfant soit normal, mais avez-vous envisagé une autre possibilité ?
- Que voulez-vous dire Sydney ? Que ce petit serait un caméléon ? Non, c'est impossible.
- Pourquoi refuser cette éventualité ? Puisque nous savons déjà qu'il y a une forte probabilité que M. Parker ne soit pas son père biologique. Alors pourquoi est-ce si improbable pour vous ?
- Vous oubliez Brigitte ? Même si ça me donne la nausée de le reconnaître, elle n'en reste pas moins la mère du petit. Et puis elle n'avait rien d'exceptionnel, ce n'était pas un caméléon !
- Je ne l'explique pas… Pas encore ! Mais ici, c'est le Centre, rien n'est impossible !
- Et vous Sydney ? Pourquoi partez-vous du principe qu'il serait un petit génie ? Est-ce que vous voyez là une occasion de revivre votre expérience passée ?
- Mlle Parker, vous vous méprenez.
- Sydney… Excusez-moi. Je vous en prie, dites-moi, je veux savoir. Je dois savoir.
- Que voulez-vous savoir ?
- Comment le Centre détermine si un enfant est un caméléon potentiel ?
- Comme vous le savez, il y a des anomalies génétiques dans le sang qui prédisposent l'enfant à avoir certains dons. Des tests psychologiques précis sont alors réalisés... Bien que dans l'immédiat, cela ne soit pas nécessaire dans le cas de votre petit frère. Voyez-vous, comme je vous l'ai dit, le petit garçon est trop jeune. À ce stade, seul l'observation et le développement de ses compétences peuvent nous indiquer, s'il sera, un jour, prédestiné à être un caméléon potentiel !
- Et sur quoi sont-elles basées ces observations ? Ces compétences ?
- La croissance, la communication, les activités motrices ou encore la motricité avancée… Mais voyez-vous Mlle Parker, chez un bébé surdoué de l'âge de votre petit frère, on peut déjà observer certains signes de précocité comme par exemple un regard scrutateur, l'hyperémotivité, la parole, ou encore l'avancée de l'apprentissage… Mais vous, Mlle Parker, avez-vous noté le moindre changement dans son comportement comme l'hypersensibilité, l'impatience ou encore des troubles du sommeil ?
- À vrai dire, je n'y ai jamais prêté attention. Alors, vous pensez réellement que ce petit serait un caméléon ?
- Pour l'instant, ça ne reste qu'une hypothèse. Mais si vous voulez mon avis, je pense que oui.
- Mais Sydney, comment cela pourrait-il être possible ?
- Nous n'avons pas encore toutes les réponses, Mlle Parker mais lorsque nous les aurons, alors tout cela deviendra plus clair.
- A quoi dois-je m'attendre ?
- Si il s'avère en effet que ce petit soit un véritable caméléon, alors attendez-vous à une lutte acharnée. Parce que si vous vous opposez à eux, comme vous le faites, c'est la guerre qu'ils vous déclareront !
- Alors s'ils veulent la guerre, ils l'auront. Sydney, je suis prête à me battre et de toutes mes forces s'il le faut et je ne laisserai jamais ce bébé quel qu'il puisse être, se faire manipuler ou encore être utilisé comme nous l'avons été, déclara-t-elle d'une voix déterminée.
- J'espère qu'on n'en arrivera pas à de telles extrémités.
- Sydney. Je le sens, j'ai cette intuition que quelque chose d'important va arriver et qu'on essaye de nous mettre à l'écart. Mais cette fois-ci je ne resterai pas en retrait... Et vous non plus !
- Attendons déjà de voir ce qu'il en retourne.
- Non Sydney, je préfère me préparer à toutes éventualités.
- Je vous laisse, je vais voir où Broots en est dans ses recherches. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites le moi savoir.
- Merci Sydney ! »
Derrière son clavier d'ordinateur, Broots fulminait, ses yeux étaient gonflés, les traits de son visage étaient tirés, il manquait de sommeil. Il avait passé des heures à pirater les ordinateurs de Raines et Lyle, et d'avoir épluché tous les dossiers les plus importants du Centre, il n'avait toujours rien trouvé. Pour lui, c'était un grand échec, c'était la première fois qu'il n'arrivait à rien, lui le petit génie de l'informatique, toujours de bonne volonté et toujours prêt à aider, mais cette fois-ci, il devait se rendre à l'évidence, la tâche serait bien plus difficile que ce qu'il ne pouvait l'imaginer. Poursuivant ses recherches sur son ordinateur, Sydney s'avança vers lui, Broots leva les yeux vers le psychiatre :
« Avez-vous trouvé une quelconque information qui pourrait nous être utile ?
- Non, Sydney, pas encore, mais avec plus de temps et de chance… !
- C'est parce que vous ne cherchez pas au bon endroit ! s'exclama Mlle Parker, faisant irruption dans la pièce.
- Que voulez-vous dire ? Demanda l'informaticien.
- Rendez-vous compte, Broots. Ça fait des heures que vous êtes planté là, devant votre ordinateur et il n'y a aucun résultat. Vous avez fait chou blanc ! plaisanta- t-elle.
- Où voulez-vous chercher Mlle Parker ?
- Les vidéos de surveillance, Broots ! Quelqu'un est forcément venu le prendre. Le petit n'aurait jamais quitté le Centre tout seul ! Alors voilà ce que vous allez faire. Vous allez me visionner toutes les caméras, celles des entrées et des sorties, des bureaux, des couloirs, des niveaux souterrains… Toutes les caméras !
- Mais Mlle Parker ça va prendre toute la journée. Et peut-être même toute la nuit.
- Alors, je vous conseille de vous atteler à la tâche et de ne pas traîner ! »
Mlle Parker repartit suivie de Sydney. Traînant dans les couloirs, la jeune femme faisait les cent pas, grommelant des mots indéchiffrables, elle n'arrivait plus à réfléchir et elle paraissait à bout de force, totalement épuisée. Et le Centre, cet endroit maudit lui donnait la chair de poule.
Le Centre, situé au sommet des falaises, couronné de vastes champs de verdure était aussi glacial qu'une morgue, tout comme le personnel qui le composait, d'ailleurs. Et chaque fois qu'elle traversait ces couloirs, remplis de fantômes, elle en tremblait d'horreur. Ce bâtiment qui ressemblait plus à une prison qu'à une entreprise ou à un foyer familial. Ce même bâtiment aussi imposant qu'une forteresse symbolisant autant l'autorité que la force. Une réserve de génies et de cobayes humains placés continuellement sous surveillance, traités en paria. Prise au piège entre ses quatre murs sombres, dénués de tout sentiment, il était impossible d'en sortir. Et ce lieu ne possédait ni vie ni âme, il n'y avait que la mort à chaque porte de chaque couloirs de chaque niveau souterrain, noyé dans un océan de mensonges, de secrets et de mystères. Et chaque jour qu'elle passait dans cette maison des horreurs, elle avait l'impression de s'engouffrer dans les tréfonds des ténèbres !
Le psychiatre remarqua son impatience, il lui proposa de sortir à l'extérieur du complexe. Marchant tous les deux dans les jardins du Centre, Sydney l'interrogea :
« Avez-vous suivi mes conseils ? lui demanda Sydney.
- À quel sujet ?
- Je veux parler de vos sentiments pour Jarod. En avez-vous parlé avec lui ?
- Croyez-vous vraiment que ce soit le moment d'entamer une discussion sur Jarod ?
- C'est à vous de voir, mais je crois que ça vous ferez du bien d'en parler. Et je sais que ça vous préoccupe autant que la disparition de votre petit frère.
Elle marchait à distance de Sydney, sa réponse se faisait attendre.
- Il y a une chose dont je ne vous ai pas parlé Sydney. Si je savais qu'hier, Jarod ne se trouvait pas en Californie, c'était parce que je savais où il était. Jarod m'avait donné rendez-vous dans un luxueux hôtel. Alors je m'y suis rendue. C'est pourquoi j'étais injoignable tout le reste de la journée. Hier soir, après avoir longuement hésité, j'ai finie par aller le voir, et nous avons discutés, et c'était très agréable. J'avais l'impression d'avoir à nouveau 11 ans.
- Je suis ravie que pour une fois vous ayez suivi mes conseils.
- Et même si c'est difficile pour moi de l'avouer, je suis heureuse de l'avoir fait, mais Sydney, soyons honnêtes, ça restera une voie sans issue.
- Vous vous trompez, il n'y a pas d'impasse. C'est à vous seule de décider de ce que vous voulez faire de votre vie. Et si vous êtes vraiment amoureuse de lui alors vous prendrez la seule bonne décision qui s'imposera à vous.
- Je croirais entendre Jarod ! Ce n'est pas si simple, vous savez.
- Ça l'est quand on veut vraiment ce qu'on veut. Vous avez beaucoup souffert, mais ça ne veut pas dire que cette fois-ci ça ne marchera pas.
- Et comment est-ce qu'on est supposé fonctionner, alors que je suis chargée de sa captivité ?
- Il y a une autre alternative.»
De son côté, Broots, avait fini par découvrir ce qu'il recherchait depuis plusieurs heures, maintenant. Mlle Parker avait raison. Quelqu'un avait bien sorti l'enfant du Centre. Mais c'était impossible, ça ne pouvait pas être lui ? Bien sûr que si, le Centre était rempli de personnes mal intentionnées.
Si cet infâme individu s'attaquait à des bébés, il valait mieux ne pas être dans les parages.
Et l'informaticien commençait sérieusement à craindre pour sa vie, celle de sa fille et celles de ses amis. Et par moments, il envisageait de quitter cet endroit aussi lugubre que froid pour offrir à la petite Debbie une vie plus convenable.
Mais pourquoi ne l'avait-il pas encore fait ? Sûrement par loyauté… Mais envers qui ?
Levant les yeux vers le haut, il soupira de soulagement.
« Enfin, une information qui va être utile ! » pensa-t-il.
Se levant de sa chaise, il prit dans ses mains une photographie. Il fallait qu'il prévienne à tout prix Mlle Parker.
« Et quelle est cette autre alternative ?
- Avez-vous envisagé de quitter le Centre ?
- Je ne peux pas faire ça, Sydney.
- Vous savez Mlle Parker, pour qu'une relation amoureuse fonctionne, il faut être deux.
- Nous n'avons pas encore pris de décision. On ignore encore où cela pourrait nous mener. Pour tout vous dire, je ne suis pas sûr de vouloir m'impliquer dans une toute nouvelle relation.
- Et que dît Jarod ?
- Pour l'instant, ce n'est pas ce qui importe.
- Ne vous inquiétez pas trop pour le petit. Je suis sûr qu'il va bien. Et on finira par le retrouver.
- Il est seul, perdu, peut-être même qu'il a peur. Et si on ne le retrouvait jamais ? Je ne pourrais me le pardonner, Sydney.
- Pourquoi dites-vous ça ? Vous n'y êtes pour rien dans les agissements du Centre.
- Je n'étais pas là, Sydney. Il avait besoin de moi, et moi je n'étais pas là…a-t-elle déclarée la gorge serrée
Tout d'un coup l'informaticien surgit de nulle part, le souffle coupé, il était hors d'haleine, il avait sûrement dû courir, mettant ainsi fin à leur conversation.
- Dites-moi, Broots, ça devient une habitude, d'interrompre les conversations ?
- Excusez-moi Mlle Parker, mais j'ai du nouveau.
- Dites-moi que vous avez un indice, quelque chose, n'importe quoi !
- J'ai mieux que ça. Mais vous aviez raison. On voit bien une personne quitter le Centre avec le petit garçon. Je vous ai imprimé une photo, à partir des images de la caméra de surveillance. Il s'agit de…
- Montrez-moi ça ! C'est cette vipère ! Cette vipère a enlevé mon petit frère ! » s'écria Mlle Parker en regardant la photo, les yeux écarquillés.
