Le masque noir

Oscar était rentrée au château des Jarjayes aussi discrètement qu'elle en était sortie en début de soirée. Elle avait pris toutes les précautions pour ne pas être vue par les domestiques et surtout par André, qui serait tombé raide s'il avait découvert sa vraie nature ; ses parents s'étaient absentés pour plusieurs jours et elle n'avait par conséquent rien à redouter de ce côté.

Malgré un sommeil agité, elle avait fini par s'endormir laissant la nuit effacer les traces qui avaient sculpté son visage. Elle avait aussi chassé l'image de l'homme qu'elle avait rencontré et qu'elle ne le reverrait sans doute jamais.

Quand elle descendit pour le déjeuner, elle trouva André déjà attablé en train de déguster le repas que grand mère venait de préparer.

GRAND MERE : bonjour mon enfant

Grand mère l'appelait toujours « mon enfant » pour maintenir l'ambiguïté de son sexe

Oscar : bonjour Grand mère, bonjour André

André : bonjour Oscar, j'ai cru que tu étais déjà sorti, quand j'ai frappé à ta porte pour le petit déjeuner, tu n'as pas répondu

OSCAR: sans doute, le bal du comte de Villeneuve s'est terminé tard, j'avais sans doute besoin de récupérer

Au nom des « Villeneuve », André leva les yeux vers Oscar mais n'y déchiffrant rien, il engouffra une nouvelle bouchée dans sa bouche.

GRAND MERE: dis moi Oscar, as tu entendu parler du vol qui a eu lieu au château des Villeneuve

OSCAR: un vol ?

Grand mère, qui avait été mise à contribution pour la robe et la sortie d'Oscar sous le secret d'une dame et non du colonel, se mordit la lèvre de sa bévue. Il ne faudrait pas que son petit fils soupçonne quoi que ce soit.

GRAND MERE, pour détourner les soupçons: c'est une de leur servante qui m'en a parlé, mais tu devais déjà être rentrée quand cela s'est produit

OSCAR: sans doute…

GRAND MERE: on dit que madame la comtesse s'est fait volée plusieurs de ses bijoux

André serait muet écoutant impassiblement le récit de grand-mère et guettant du coin de l'œil les réactions de son ami Oscar

OSCAR: sait on qui a commis cet acte ? L'a-t-on arrêté ?

GRAND MERE: non, mon enfant … on dit que c'est un homme que personne n'a jamais reconnu, tout de noir vêtu…

OSCAR: de noir vêtu ?

ANDRE: ça te dit quelque chose ?

Sentant le regard interrogateur d'André qui saurait déchiffrer le moindre malaise, Oscar ne savait que dire : si elle disait l'avoir rencontré, André lui demanderait dans quelles conditions et pourquoi elle ne l'aurait pas empêché de commettre son délit. Elle préférait omettre leur rencontre mais se jura de retrouver la trace de cet homme et de le traîner devant la justice.

OSCAR: non, mais je ferai tout pour savoir qui il est et je mettrai fin à ses vols

GRAND MERE: tu vas t'attaquer au Masque Noir ?

OSCAR: le Masque Noir ?

ANDRE: oui c'est le nom de ce gas !

OSCAR: soit ! Je vous annonce la fin prochaine de ce Masque Noir !

C'était certes prétentieux de la part d'Oscar mais il était question de son honneur, ce voleur avait déjoué la vigilance du colonel de la garde, dans un moment de faiblesse ; si elle ne capturait pas cet homme, elle serait déshonorée.

OSCAR: que sait on sur cet homme ?

GRAND MERE: on sait qu'il s'attaque aux nobles

ANDRE: on dit qu'il donne ce qu'il vole aux pauvres pour survivre

OSCAR: quoi ? André je croyais que tu ne connaissais pas cet homme

ANDRE: je n'ai pas dit ça

OSCAR: alors tu le connais ?

ANDRE: je suis comme tous les gens du peuple, j'ai entendu parler de ses exploits

OSCAR: à t'entendre tu lui donnes raison à ce Masque Noir

ANDRE: tu ne trouveras aucun gens du peuple qui le condamnerait : il permet aux plus démunis de ne pas mourir de faim volant des nobles ventrus ; je ne vois pas ce qui est mal.

OSCAR: si j'ai bien compris, tu ne m'apporteras pas ton aide dans cette affaire

ANDRE: c'est exact

GRAND MERE: allons les enfants, cessez vos chamailleries … et laissez ce masque noir où il est.

Pour ne pas faire de la peine à grand mère, Oscar se résigna à se passer de l'aide de son compagnon mais elle avait découvert ce matin que son fidèle ami André se détachait d'elle et leurs chemins, qui jusque là ne faisaient qu'un, commençaient à se séparer.

OSCAR: très bien, si tu admires tant cet homme, tant pis. Mais attends toi à le voir bientôt dans une cellule.

André vit le regard déterminé d'Oscar : ainsi son ami d'enfance, ce noble qui était un frère pour lui, préférait être le colonel froid et distant, plutôt que l'ami compatissant qu'il était parfois. Oscar le noble avait pris le dessus.

Le repas prit fin sans mots. Grand mère avait soupçonné qu'Oscar s'en voulait de son attitude de la veille : si le colonel avait été au bal à la place de la femme, les choses auraient été différentes.