A la recherche de la belle

Après quelques semaines de répit, Oscar décida qu'il était grand temps de se relancer à la poursuite du masque noir, qui d'ailleurs semblait lui aussi avoir réduit son activité. Pendant sa relative convalescence, Oscar avait réfléchi à un plan : elle avait pris le temps de repenser à la soirée où elle avait rencontré le voleur au château des Villeneuve, le regard des invités de la cours posé sur elle. Si le colonel ne pouvait pas attraper le masque noir, la femme ne le pourrait elle pas ? C'était décidé : elle serait elle même la proie du masque noir et le piègerait quand il s'y attendrait le moins. Aussi rusé soit il, elle se montrerait plus maligne.

Pour mettre son plan à exécution, elle demanda à grand mère une nouvelle robe, prétextant de vouloir découvrir un peu plus le monde de la cour. Il n'en fallut pas plus à grand mère : quelques jours plus tard la robe d'Oscar était prête et l'attendait dans une de ses penderies. Mais une belle robe ne suffirait pas au masque noir : il lui fallait une belle pièce à voler. Oscar ne possédait que très peu de bijoux : « un homme n'a pas besoin de bijou » répétait son père ; soudain elle repensa à un collier que sa mère lui avait offert à sa majorité : il était simple certes mais pouvait susciter la convoitise du voleur.

L'occasion de mettre son plan à exécution se présenta trois jours plus tard : un nouveau bal se préparait à la cour. La principale précaution d'Oscar était de ne pas se faire reconnaître par les gens de la cour ; aussi décida-t-elle de déployer ses atouts dans les jardins entourant le château. Après tout, c'était dans les jardins qu'elle avait rencontrés pour la première fois le masque noir.

Quelques heures plus tard, la soirée touchait à sa fin, Oscar avait fait plusieurs fois le tour du château, les différentes allées et même la salle de bal où bon nombre de gentilshommes lui avaient proposé de danser, sans succès. Elle commençait à douter de la venue de l'homme en noir et se rendait lentement à l'entrée du château pour prendre une calèche pour Jarjayes.

Inconnu : bonsoir mademoiselle, vous cherchez quelqu'un ?

Oscar surprise se retourna d'un coup : il était là, devant elle, un sourire plein les lèvres. Elle devait oublier le colonel : c'était maintenant que le piège devait être amorcé ; mais pourtant la présence du masque noir la mettait mal à l'aise. Plusieurs semaines auparavant il l'avait trouvée, dans un lieu comparable, totalement désemparé après sa soirée avec Fersen. Il avait vu Oscar comme jamais personne de l'avait vue : une femme prisonnière de son destin. Même son ami le plus proche ne pouvait soupçonner qui se cachait derrière le colonel.

Oscar devait s'en tenir à son rôle de « dame de la cour »

OSCAR: bonsoir monsieur

Le masque noir regardait fixement la jeune femme qu'il avait reconnue. Etrangement, elle semblait chercher ses mots, peut-être par timidité, mais son regard ne révélait aucune peur, plutôt une sorte de feu, de défi.

LE MASQUE NOIR répéta: vous cherchez quelqu'un ? Cela fait plusieurs minutes que je vous observe et vous donnez l'impression d'être à la recherche d'une personne.

L'avait-il démasqué ? Aucun risque ! Mais Oscar ne pouvait tout de même pas répondre qu'elle le cherchait lui, le marque noir.

OSCAR bredouilla: pour dire vrai, je cherche mon fiancé

Qu'est ce qui lui était passé par la tête : elle, un fiancé ! Pourvu qu'il ne lui demande pas son nom.

LE MASQUE NOIR: quel homme digne de ce nom laisse sa fiancée vagabonder seule ainsi la nuit dans les jardins, à la merci du moindre « agresseur » ?

Oscar sentit le regard observateur un voleur lorsqu'il avait prononcé ces mots : ne l'avait elle pas accusé d'agresser les gens honorables à leur dernière rencontre ?

Il vit qu'elle avait compris l'allusion à leur précédente discussion : une étincelle avait traversé son profond regard bleu. Il se mit à l'observer : elle avait beaucoup changé depuis leur dernier « rendez vous ». Sa toilette était très soignée, son visage était rayonnant de beauté et ses cheveux autrefois en bataille étaient sagement retenus, comme il aurait voulu y glisser ses doigts pour toucher leur soyeux. Il remarqua également un bijou autour du cou de la jeune femme ; comme elle il reflétait beauté et simplicité.

Oscar devait amadouer l'homme mais sans pour autant se mettre en danger. Sa seule arme était une dague qu'elle dissimulait dans les pans de sa robe, et ainsi vêtue elle ne pouvait espérer prendre la fuite et encore moins se battre aux poings. Son atout était sa féminité ; elle avait observé les dames de la cour ces derniers jours et le moment était venu de se comporter comme elles.

OSCAR: sachez monsieur que mon fiancé vaut sans doute mille fois mieux que le voleur que vous être.

Toujours aussi directe, pensa le masque noir, et nul doute pourtant qu'elle savait à qui elle avait affaire : le « terrible » masque noir.

LE MASQUE NOIR: il vaut peut être « mille fois mieux que moi » mais pour le moment c'est moi qui suis avec vous et pas lui. Aussi je pense que j'ai mille fois plus de chance que lui !

Oscar sentait que cette joute verbale serait aussi difficile à gagner que le combat à l'épée ; nul doute que son adversaire était cultivé, et s'il s'agissait d'un noble ? Comme à l'épée elle devait prendre des risques pour que son adversaire se découvre.

OSCAR: je ne crois pas que nous aillons eu l'occasion de nous rencontrer, disons… à découvert ?

LE MASQUE NOIR: non en effet je ne crois pas ; je vous aurais sans nul doute fait la cour et invitée à danser.

Oscar n'en revenait pas : c'est elle qui devait user de ses charmes, pas lui. Il ne pouvait pas briser son plan de cette façon. Il fallait qu'elle se ressaisisse.

OSCAR: je suis sûre que vous êtes un cavalier hors pair, mais je n'accorde de danse qu'aux hommes que je connais et auxquels je peux faire confiance.

L'homme commença à trouver cette discussion de plus en plus épicée : cette femme voulait lui tenir tête, eh bien soit, il se demandait où cela allait l'entraîner. Elle stimulait de plus en plus sa curiosité alors qu'il ne savait même pas qui elle était, ni pourquoi elle lui faisait cet effet, était ce l'amour ? Il se donnait comme objectif de tout savoir de cette créature.

LE MASQUE NOIR : votre fiancé fait partie de ces gens, je suppose

Oscar, qui venait de s'inventer un fiancé, devait maintenant lui trouver une personnalité. Elle chercha dans son esprit quand le nom d'André lui vint tout de suite à l'esprit. Mais oui, André était le type d'homme que toute les femmes rêvaient de rencontrer : fort, travailleur, cultivé, beau. Voilà, André serait son fiancé imaginaire. Elle eut une petit sourire à cette idée : elle aurait pu trouver un fiancé bien pire.

OSCAR: tout à fait, mais vous malheureusement, non

LE MASQUE NOIR ne releva pas la pique : elle jouait et il aimait ça

LE MASQUE NOIR: j'ai peut être eu l'occasion de rencontrer votre futur époux, si vous me donniez son nom

Oscar sentit qu'il lui tendait un piège : vérifier l'existence de son fiancé ou identifier ce dernier et elle par la même occasion.

OSCAR: je ne pense pas : vous et lui ne devez pas fréquenter les mêmes lieux ; il n'écume pas les jardins à la nuit tombée à la recherche d'une proie à dépouiller. C'est bien ce que vous faites, n'est ce pas ?

LE MASQUE NOIR: ainsi à vos yeux je ne suis qu'un simple voleur, un de plus

OSCAR: pourquoi ? Vous avez quelque chose de plus que les autres ?

En guise de réponse l'homme se rapprocha d'elle jusqu'à lui caresser la joue.

LE MASQUE NOIR: pour vous je pourrais être bien plus

Oscar sentit sa respiration s'emballer, ses joues rougirent sous la brûlure de cette main. Jamais un homme ne l'avait touché de cette façon : les seuls contacts qu'elle connaissait étaient ceux avec son ami André au cours de leurs entraînements, et dans ses moments là il ne s'agissait pas de caresses sensuelles. Oscar se sentait en danger : cet homme était habile et son corps de femme pouvait la trahir si sa volonté venait à faiblir. Elle voulut se dégager prestement mais devançant son mouvement l'homme la retint par le poignet.

LE MASQUE NOIR: auriez vous peur de moi ?

OSCAR dans un souffle : peur ? De vous ? Faites attention que votre modestie ne vous monte pas trop à la tête.

Elle devait attaquer, si elle voulait réussir à maîtriser leur duel

OSCAR: j'avais cru comprendre que le masque noir était un homme honnête, défenseur de la veuve et de l'orphelin ; pas un coureur de jupon

LE MASQUE NOIR: bien sûr, mais cela l'empèche-t-il d'aimer ?

OSCAR: ah parce qu'il existe quelqu'un dans ce monde assez digne d'être aimé de vous ?

LE MASQUE NOIR: oui, il se trouve que j'ai rencontré cette perle rare récemment ; mais c'est un secret : elle ne le sait pas encore.

Oscar voulait que ce manège prenne fin, elle avait eu son quota de masque noir pour ce soir et il se faisait tard. Elle aurait sans aucun doute l'occasion de jouter à nouveau avec lui. Pour l'heure elle devait rentrer avant que grand mère ne meure d'inquiétude et surtout elle devait garder les idées claires pour échafauder les prochaines étapes pour la capture du masque noir. Ce soir elle n'avait pas encore été à son avantage mais elle sentait cet homme beaucoup plus naturel avec Oscar la femme et beaucoup moins sur ses gardes. D'autres occasions allaient se présenter.

OSCAR: j'ai apprécié votre compagnie mais je dois maintenant vous fausser compagnie, on m'attend. Bonsoir Monsieur

LE MASQUE NOIR: comment vous partez comme ça, sans une pique, une gifle ? Ce n'est pas digne d'une femme telle que vous. Peut être faut-il que je me saisisse d'un de vos biens ?

Comment ? Oscar se surprit à toucher son cou pour s'assurer de la présence du bijou de sa mère. C'est vrai qu'après tout le masque noir était un voleur et sans doute l'avait-il abordée dans ce but. Elle ne lui permettrait jamais de s'emparer de son collier. Elle glissa sa main dans ses jupons et en tira la dague qu'elle y avait dissimulée quelques heures auparavant.

OSCAR: ne vous avisez pas de m'approcher où il vous en cuira

Décidément, cette femme l'intriguait de plus en plus. Quelle femme cachait dans sa toilette une arme ? Plus le temps en sa compagnie passait, plus l'homme voulait en savoir plus sur elle. Le feu de ses yeux l'attirait comme un papillon est immanquablement attiré par la flamme d'une bougie. Il ferait tout pour conquérir cette beauté unique.

LE MASQUE NOIR ironiquement: mon dieu, mais que cachez vous donc encore sous vos jupes ? Vous êtes bien surprenante. J'avoue que vous êtes à première femme que je rencontre avec une telle arme dans les mains. Dois je en conclure que vous seriez prête à vous en servir ?

OSCAR: n'ayez aucun doute là dessus.

LE MASQUE NOIR: une femme qui sait manier une arme, voilà qui est de plus en plus excitant !

Le masque noir arborait maintenant un sourire qui faisait oublier la noirceur de ses habits. Oscar se sentait de plus en plus troublée : elle se refusait d'éprouver le moindre sentiment pour cet homme, elle n'aimait pas cet homme, elle en était sûre. Celui qu'elle aimerait serait tout son contraire : gentil, aimant, cultivé, avec lequel elle pourrait parler de tous les sujets sans barrière de noblesse ou de sexe ; un peu comme avec André. Mais son ami de toujours ne verrait jamais en Oscar une femme.

OSCAR: si vous approchez davantage …

LE MASQUE NOIR: vous voulez …me tuer ? Avec ce couteau ?

OSCAR: si vous m'y obligez …

Le masque noir s'approcha plus près d'Oscar et leva ses mains à son cou. Oscar tenait maintenant son poignard en direction du ventre du voleur. Malgré l'arme, l'homme fit le dernier pas qui le séparait de la jeune femme et sentit la lame ferme lui piquer doucement la peau. Cette beauté avait vraiment du cran : elle tenait fermement sa dague, maîtresse d'elle même, mais il savait qu'elle était incapable de l'enfoncer de sang froid, elle était trop digne pour ça. Il voulait à tout prix garder un souvenir d'elle, son collier pensait-elle, elle faisait erreur ; il voulait d'elle quelque chose de plus personnel, qu'elle seule pourrait lui donner.

Oscar de son côté sentait l'arme contre le corps du voleur, mais elle sentait d'autant plus ses mains remonter le long de sa nuque ; il la maintenait à présent et glissa délicatement ses lèvres sur celles de la jeune fille. Surprise, Oscar ouvrit davantage ses yeux, incrédule ; comment osait il ? Lorsque le baiser prit fin, elle sentit le sol se dérober sous elle, le poignard lui glissa des mains et vint percuter les pavés d'un bruit métallique la faisant sursauter.

OSCAR: André…

Elle ne s'entendit même pas prononcer ce nom. Combien de fois avait elle imaginé vivre un tel instant avec André comme partenaire, elle ne saurait le dire. Mais ce n'était pas André, c'était le masque noir. Ce dernier la libéra brusquement comme foudroyé.

Il devait se reprendre. Comment cette femme, qui lui était inconnue, pouvait connaître son nom ? Non ce n'était pas possible. Un baiser ne pouvait l'avoir trahi. Bien sûr il avait rencontré des femmes mais aucune n'était d'une telle beauté et encore moins d'origine noble. Non, elle devait avoir dit le premier nom qui lui était venu en tête, le nom de son fiancé sans doute.

LE MASQUE NOIR: je suis désolé d'apprendre que lorsque je vous embrasse je vous fais penser à un autre homme. Votre amant sans doute.

La réponse d'Oscar ne se fait pas attendre : d'un geste sec elle le gifla et lui cria furieusement au visage

OSCAR: André ne se comporterait jamais de manière aussi inconvenable : c'est un gentilhomme. Vous vous ressemblez peut être physiquement mais son âme est noble alors que la vôtre est…

LE MASQUE NOIR: inutile de poursuivre… je suis un monstre à côté de votre André, et vous l'aimez

« Je l'aime, oui je l'aime » pensa soudainement Oscar. Ce que je prenais pour une profonde amitié était en fait de l'amour … un amour impossible… conforme à mon existence.

LE MASQUE NOIR: simple question ; cet André est il votre fiancé ?

OSCAR: qu'il le soit ou non cela n'est pas votre affaire

LE MASQUE NOIR: s'il ne l'est pas, j'ai donc toutes mes chances

Le masque noir observa Oscar et comprit qu'elle était à bout de nerf ; il devait mettre malheureusement fin à la soirée mais maintenant son objectif était d'autant plus clair : trouver l'identité de cette femme et lui faire découvrir ce qui se cachait derrière le masque. Il posa sa cape sur les épaules frêle de la jeune femme puis s'éloigna en silence dans la pénombre de la nuit.

LE MASQUE NOIR: bonne nuit, ma mie.