Chapitre 16 : A l'affût

Oscar arriva comme convenu au château de Méracle où une grande partie de la cour était conviée au bal. C'était la seconde fois qu'elle venait à une réception sans son fidèle ami André. La première occasion avait été le bal où Oscar, le colonel, avait laissé sa place à la femme pour séduire Fersen et avait rencontré le masque noir dans les jardins. Cette soirée avait changé sa vie : Fersen n'était plus dans son cœur qu'un ami proche et le masque noir, voleur de son état, était devenu sa « mission ».

Comme à son habitude, le colonel de la garde royal se montrait discret et distant envers les protagonistes du bal. Elle restait en retrait aux abords des entrées de la grande salle de réception. Elle guettait le moindre mouvement suspect : nobles ou serviteurs. Comme à chaque sortie festive, ses traits et son corps fins attiraient la convoitise des jeunes, et moins jeunes, dames de la cour tandis que le regard de certains hommes se faisait jaloux face à ce rival.

Oscar se moquait totalement de ces gens : si ces dames de haute noblesse savaient qu'elles attendaient les avances d'une femme, elles ne s'en remettraient jamais ; quant aux prétendants, ils n'avaient aucune crainte à avoir : elle ne leur déroberait pas leurs dulcinées. Une ébauche de sourire se dessina au coin de ses lèvres. Comment aurait elle pu imaginer, il y a seulement quelques semaines, les changements qui s'étaient opérés dans sa vie personnelle : André. André avait découvert sa féminité, et en même temps lui avait fait découvrir le bonheur suprême d'aimer et d'être aimée.

Tous les invités étaient apparemment arrivés, il était donc inutile qu'Oscar reste dans la salle de bal à attendre le, ou les voleurs ; mieux valait examiner les alentours. Voulant agir avec discrétion, le colonel ne pouvait décemment pas explorer les pièces privées du château de ses hôtes. Elle décida de se cantonner aux pièces des domestiques, de services et aux jardins. Elle prit la décision de commencer ses investigations dans ces derniers.

Après avoir fait le tour des différentes allées et bosquets, Oscar ne décela aucune trace suspecte. Personne, à part quelques couples et promeneurs, ne semblait occuper les lieux. Elle restait attentive au moindre bruit ou mouvement, main sur la garde de son épée, en souvenir de sa rencontre impromptue avec le masque noir dans les jardins du comte de Villeneuve.

Le colonel revint à l'intérieur des murs du château pour vérifier les différentes pièces de service. Toujours rien, aucun indice. Elle rebroussait chemin en direction de la salle de bal, à travers les recoins des offices quand soudain, elle fut happer par l'arrière : une large main immobilisait sa main droite sur la garde de son épée tandis qu'une seconde la bâillonnait. Elle remarqua immédiatement que la main qui emprisonnait sa bouche était gantée de noir : le masque noir ! En effet, le voleur la retenait entre ses bras puissants et la faisait reculer dans un coin sombre un peu plus à l'écart.

André n'avait pas pu résister à la tentation. Il savait qu'Oscar était venue à ce bal pour capturer le bandit et elle le guettait depuis plusieurs heures. Il ne voulait pas qu'elle « perde » son temps en ne voyant pas apparaître le tant désiré masque noir. Il voulait en quelque sorte « récompenser » la ténacité de sa partenaire.

Il avait profité de l'inspection des jardins par Oscar pour visiter les différentes pièces du château et s'assurer qu'aucune personne mal intentionnée ne sévissait. André avait décidé que ce soir le masque noir ne déroberait rien : il ne voulait pas mettre son amour de colonel dans l'embarras. « Comment ? Le masque noir s'est encore emparé de bijoux au château de Méracle ? Et le colonel de la garde était présent ? Mais pourquoi n'a-t-il pas arrêté ce voleur ?»

A présent André immobilisait son colonel. Il adorait ce petit jeu qui naissait entre Oscar et le masque noir. Il paierait sans doute au quintuple son audace mais il jubilait des réactions de cette femme pour qui son cœur ne cessait de s'embraser. Il devait se montrer prudent ou le brasier ardent le consumerait tel un volcan dévastateur.

ANDRE modifiant légèrement sa voix, alias LE MASQUE NOIR : bonsoir colonel.

LE MASQUE NOIR la sentant se dandiner dans sa prison humaine: je veux bien retirer ma main de votre bouche à condition de ne pas crier, mais je sais que vous savez vous tenir

Oscar baissa légèrement la tête en signe de consentement. Le masque noir dégagea alors sa main pour lui enserrer la taille bloquant ainsi ses bras.

LE MASQUE NOIR: bien, nous ne sommes pas mieux ainsi ?

Oh non, pensa Oscar. A présent son dos se pressait indécemment contre le torse viril de son kidnappeur.

OSCAR: que voulez vous ?

LE MASQUE NOIR: dois je avoir une raison pour tenir compagnie à la plus belle femme de la soirée ?

OSCAR: arrêtez ce jeu. Si on vous entendait ! Vous m'aviez promis de ne dévoiler mon secret à personne. C'est ce que vous appeler avoir de l'honneur !

Oscar ne pouvait pas rester ainsi : collée au masque noir. C'est elle qui devait le capturer… et non le contraire. D'un coup sec, elle enfonça son talon dans le pied du voleur, lui laissant suffisamment de marge pour décoller son corps du torse masculin. Puis elle mit toute sa force dans un mouvement de coude qui alla percuter les côtes de son geôlier.

Pris de surprise et de douleur, l'homme n'eut d'autre choix que de s'écarter du frêle colonel et de le libérer. Il évita de justesse la garde de l'épée du soldat, qui aurait mis en péril sa virilité ! Comment aurait il expliqué son « incapacité » à Oscar ? A nouveau maître de lui, il fit face à son adversaire.

LE MASQUE NOIR: vous ne manquez pas de ressources ! Inutile de dégainer votre épée : je ne suis pas ici pour me battre avec vous

OSCAR: vous n'êtes pas ici pour vous battre ? Voyez vous ça ! Laissez moi deviner : vous avez été invité au bal mais on vous a trompé en vous faisant croire qu'il s'agissait d'un bal masqué !

LE MASQUE NOIR: mais cher colonel, je ne vous savais pas si enclin à l'humour. Encore une qualité qui s'ajoute à vos nombreux atouts. Je voudrais bien être à la place de cet « André » que vous semblez tant chérir

OSCAR: André ?

LE MASQUE NOIR: oui votre prétendu fiancé. Ou peut être devrais je dire … votre amant ?

OSCAR furieuse : comment osez vous !

Elle leva le bras pour le gifler mais il fut plus prompt qu'elle et lui saisit son poignet avant qu'elle n'atteigne son visage.

LE MASQUE NOIR: votre attitude vous trahie, ma chère

Il libéra la main de la jeune femme, se retourna et commença à s'éloigner.

OSCAR: attendez !

LE MASQUE NOIR moqueur: qu'y a-t-il ? Vous voulez un baiser de bonne nuit ?

OSCAR: notre affaire n'est pas finie !

LE MASQUE NOIR: vous seriez prête à attaquer un homme de dos ?

OSCAR: non !

LE MASQUE NOIR: soyez sans crainte, nous nous reverrons prochainement. En attendant bonsoir, chère colonelle.

OSCAR: arrêtez !

Mais le masque noir avait déjà disparu !

Oscar était troublée. Le masque noir semblait différent de leurs premières rencontres. Etrange, elle n'arrivait pas à déterminer ce qui avait changé. Etait ce parce qu'il savait à présent qu'elle était une femme, sans doute. Elle savait qu'il était inutile de le pourchasser ce soir : il avait du se volatiliser une nouvelle fois, comme un fantôme.