Chapitre 20 : Dévoilé(e)
Les jours et les nuits défilaient. Oscar et André se partageaient entre les soirées mondaines et les recherches dans les lieux les plus mal fréquentés de Paris.
De son côté le colonel de la garde se renseignait auprès des nobles, victimes des méfaits du masque noir, pour essayer de regrouper des indices à son sujet. Elle n'avait pas besoin de sa description physique : elle était sans doute la personne qui l'avait rencontré le plus souvent et avec le plus de proximité. Il était grand, bien bâti, bon escrimeur et bon bagarreur. Son visage ? Oscar n'avait toujours rencontré le masque noir que dans la pénombre, jamais en pleine lumière. Des cheveux sombres, elle en était certaine. Mais ses yeux ! Un regard profond, qui transperçait l'adversaire. Mais de quelque teinte, elle était incapable de le dire avec certitude.
En interrogeant les différents nobles volés, Oscar nota que tous possédaient de nombreux biens et seule une minuscule partie de leur fortune avait été dévalisée par le masque noir : quelques colliers, bagues ou pièces. Elle était sûre d'une chose : le voleur ne dérobait pas les nobles par hasard : il choisissait les plus fortunés, et ne volait rien qui mettrait en péril leurs richesses. Cela confirma ce que lui avait suggéré André : un voleur qui ne volait pas pour lui, mais pour les plus démunis. D'ailleurs Oscar savait que son ami André admirait le masque noir ; pouvait il en être autrement ? Qui pouvait se permettre de condamner le comportement d'un tel homme ? Elle ?
André, lui, passait ses soirées à faire le tour des pires bars de la ville. Certains soirs il finissait même mêlé à une bagarre qui dégénérait. Au fil des jours, il passait pour un habitué ; un vaurien comme les autres et peu à peu les langues se déliaient. Une fois il finit par entendre les informations qu'il recherchait. Un gros coup était prévu de longue date. Un coup de maître à entendre les rumeurs. La bande de voleurs devait s'attaquer à la demeure de Monsieur de Fontange, réputé cacher des soirées où les jeux d'argent entre nobles étaient de rigueur. Seuls les nobles de réputation sans faille pouvaient assister à ces rencontres, aucun serviteur autres que ceux de Monsieur de Fontange n'était admis. La demeure était sous bonne garde d'après ce qu'on disait. Qui pouvait s'imaginer que ces bandits s'attaqueraient à une telle forteresse ?
Satisfait de sa soirée et surtout des renseignements qu'il avait pu glaner, André rentra au château de Jarjayes. Il était trop tard pour faire un rapport à Oscar en arrivant, il l'informerait de leur affaire dès le lendemain. Il finissait par être las de ces sorties nocturnes : cela faisait plusieurs soirs qu'il était à ce régime et il n'avait plus l'occasion de passer des soirées avec Oscar. Oui, Oscar… Sa présence, sa chaleur, son amour lui manquaient. Au lieu de passer des moments merveilleux avec son amante, il se retrouvait avec une bande de saoulards, limite coupe-gorge. A présent il avait besoin d'un repos bien mérité.
A son lever, André entreprit d'aller chercher Oscar pour le petit déjeuner. Il monta les escaliers et voulut frapper à la porte de sa chambre au moment où celle ci s'entrouvrait.
ANDRE : Oscar ?
GRAND MERE : oh, bonjour mon chéri. Oscar est parti tôt ce matin, le roi l'a fait quérir à Versailles.
Grand mère tenait dans ses bras un grand amas de tissus qu'elle essayait tant bien que mal de porter et de dissimuler à la fois.
ANDRE : as-tu besoin d'aide, grand mère
GRAND MERE : tu es un amour mais ce n'est pas la peine, j'y arriverais bien toute seule.
ANDRE : c'est une robe que tu as faite ?
GRAND MERE gênée par les questions de son petit fils : hey bien oui
ANDRE curieux : tu me la montres, que je puisse admirer ton travail
GRAND MERE de plus en plus mal à l'aise : oh tu sais ce n'est pas grand chose…
Grand mère déplia les tissus et révéla une magnifique robe mais quelque peu salie et dont quelques coutures étaient à réparer. Le cœur d'André s'arrêta net : la robe qu'Oscar portait le premier soir. Sa première robe. En voyant l'état de la toilette, le jeune homme comprenait que la vieille femme avait prévu de la retoucher pour qu'elle soit aussi resplendissante qu'au premier jour. Ainsi grand mère était aussi dans le secret de cette robe. Elle avait tenu toutes ces années sans jamais trahir le secret de la féminité d'Oscar : muette en toute circonstance. Enfin c'est ce qu'il allait voir.
ANDRE : quel beau travail, grand mère
GRAND MERE : merci mon petit
ANDRE redevenu le garnement de son enfance : pour qui est elle ?
GRAND MERE embarrassée, ne voulant pas mentir à son petit fils : à une des filles du général
ANDRE : je me doute bien que ce n'est pas pour Madame de Jarjayes, bien que je ne doute pas de sa beauté dans une telle toilette. Mais quelle fille ?
GRAND MERE : pourquoi t'intéresses-tu subitement à cette vulgaire robe
ANDRE : « vulgaire robe », tu plaisantes grand mère. Une telle toilette ferait faire des ravages à son modèle.
GRAND MERE essayant de clore la discussion : si tu veux tout savoir c'est un secret
ANDRE : un secret ? Tu attises ma curiosité…
GRAND MERE excédée par son insistance : suffit ! J'ai du travail qui m'attend
ANDRE tentant le tout pour le tout : ce n'est pas grave, je demanderais à Oscar pourquoi tu es sortie de sa chambre avec une robe de soirée dans les bras. Sa maîtresse ?
ANDRE devant le regard étonné de grand mère et feignant d'être outré : non ! Ne me dis pas qu'Oscar est un, est un … comment dit on ? Tu sais ces hommes qui aiment se déguiser en …femme
GRAND MERE furibonde : André ! Je t'interdis de calomnier Oscar de cette manière. C'est une fille de bonne….
Comprenant ce qu'elle venait de dire, grand mère devint livide. Elle venait de trahir un des plus lourds secrets dont elle avait eu la responsabilité et André l'avait tant poussé à bout qu'elle en avait parlé sans s'en rendre compte. André voyait le visage de la vieille femme se décomposer ; il n'en supporta pas plus.
ANDRE : calme toi, grand mère. Je suis au courant : je sais qu'Oscar est une femme. Tu n'as aucune crainte à avoir ; je sais garder le secret … moi !
GRAND MERE en lui jetant la robe au visage : garnement ! Tu t'es joué de moi !
ANDRE rieur : tu sais grand mère, on ne change pas tant que ça en vieillissant.
