Chapitre 26 : Compromission
Grand-mère rangeait la cuisine comme tous les matins après le petit déjeuner. Elle se souvint de la frayeur qu'elle avait eu en y surprenant son gourmand petit fils, armée de sa poêle. Mais elle avait aussi remarqué le regard complice que s'échangeaient Oscar et André : ces deux garnements cachaient une quelconque bêtise. En voyant son petit fils la raccompagner à sa chambre, elle supposait l'ampleur de la bêtise ; André savait à présent qu'Oscar était une femme, et une belle femme. Oscar avait elle trouvé sa « perle rare » ?… elle le saurait bien un jour ou l'autre.
Toujours dans ses pensées, grand-mère ne remarqua pas le bout d'étoffe emprisonné dans son balai. Elle se baissa pour le décrocher : il s'agissait d'un morceau de tissu noir déchiré. Elle se demanda d'où il pouvait provenir quand elle se figea. Elle devait prévenir quelqu'un ! Vite ! Elle pensa tout d'abord à André mais celui ci l'avait traitée de vieille folle paranoïaque et ronflait encore comme une baleine dans son lit. Oscar ! Elle savait qu'Oscar l'écouterait. Elle délaissa ses travaux pour rejoindre rapidement la jeune femme.
Répondant aux coups insistants frappés à sa porte, Oscar finit de s'habiller précipitamment pour voir de quoi il s'agissait.
OSCAR en ouvrant la porte : une minute… Grand-mère ? Que se passe-t-il ?
GRAND MERE peinant pour respirer : oh ma petite Oscar, si tu savais…
OSCAR : qui a-t-il ?
GRAND MERE : j'avais raison !
OSCAR : raison ? Mais à propos de quoi ?
GRAND MERE : mais du masque noir ! Ce chenapan d'André me traitait de vieille paranoïaque, mais j'avais raison : le masque noir était dans la maison !
La vieille femme tendit triomphalement le morceau de tissu noir à Oscar, preuve de sa santé mentale. Oscar le saisit sans attendre et l'examina. Aucun doute, il s'agissait sans doute d'un morceau de la cape du voleur.
OSCAR : où as-tu trouvé cette étoffe ?
GRAND MERE : mais dans la cuisine… il devait être accroché à un quelconque clou… il s'est pris dans mon balai...
OSCAR : merci grand-mère, je vais m'en occuper ; surtout ne t'inquiètes pas : tu n'as rien à craindre du masque noir.
GRAND MERE : veux tu que je réveille André ?
OSCAR : non c'est inutile, je lui en parlerai ; il est fatigué, il doit reprendre des forces… il en aura besoin !
Grand-mère quitta alors la chambre de la jeune fille qui, une fois seule, s'installa sur une chaise, face à la fenêtre, pensive.
Pourquoi n'était elle pas étonnée ? Etait elle furieuse, triste ? … Non ! Elle ne comprenait pas, tout simplement. Elle connaissait les sentiments qu'éprouvait cet homme à son égard. Elle avait vu plusieurs fois avec quelle intensité son regard se fixait sur elle, la pénétrait à la rencontre de son âme. Il était sa moitié… non ! son tout ! Sans lui, elle n'avait plus rien à attendre de la vie.
Alors pourquoi ? Avait il eu peur d'elle ? Peur de ses réactions si elle avait su ? Sans doute ! Il y avait quelques semaines à peine le colonel Oscar François de Jarjayes était encore un homme aux yeux de tous ! Un homme froid, distant, obéissant aux ordres sans discuter ! Et maintenant qui était il ? Une femme aimante, bousculée dans ses sentiments mais aussi dans ses certitudes. Elle n'avait plus aucune certitude. Non c'était faux ! Elle en avait une : son amour pour André.
Elle regarda le bout de tissu noir qu'elle tenait : elle l'avait toujours su quelque part au fond de son cœur. Dès sa seconde rencontre avec le masque noir dans les jardins, puis plus tard quand ce voleur l'avait surprise dans sa chambre et avait découvert son secret, sa féminité. N'avait il pas été le premier à la voir comme une femme et plus seulement comme un soldat obéissant. Quand le masque noir s'était approché d'elle, l'avait embrassée, elle avait tant souhaité que ce soit André qui la prenne dans ses bras.
Au final, toutes les pièces du mystère du masque noir paraissaient évidentes. Le masque noir qui l'avait faite reconduire au château après leur affrontement « musclé ». Le comportement faussement désinvolte d'André quand on parlait du voleur. Son attitude ambiguë lorsqu'il avait découvert l'identité de la femme mystérieuse : mélange de stupeur et d'admiration. Le regard perçant du bandit le soir du cambriolage. Et maintenant ce tissus, cette preuve sans conteste : oui grand-mère avait raison, le voleur était venu dans le château, mais sous son vrai visage… André.
