Chapitre 28 : Chasseresse

Elle posa le loup sur son visage et pénétra dans la salle qui accueillait tous les invités. Piéger un voleur masqué au cours d'un bal masqué, quelle ironie, pensait Oscar. Beaucoup de regards se tournèrent vers elle, les langues se déliaient à son sujet ; tout comme la première fois qu'elle était apparue en femme à la cour. Il faut dire que grand-mère avait fait des miracles : sa toilette était magnifique ! D'un vert tendre, la robe enserrait sa fine taille tandis que le bustier dégageait légèrement sa poitrine ; elle portait à nouveau le collier offert par sa mère. Ses longs cheveux blonds étaient remontés en chignon, d'où quelques mèches indisciplinées s'échappaient.

A peine, Oscar avait elle fait quelques pas que déjà un homme lui proposait une danse. Elle refusa fermement tout en souriant au prétendant. La scène se reproduisit plusieurs fois, et plusieurs fois elle éconduit le partenaire. Le seul avec qui elle accepterait de danser était André… mais André n'était pas là ce soir… pas encore. Oscar avait à peine renvoyé le dernier prétendant qu'une main se posa sur son bras ; elle était prête à repousser l'importun quand l'homme lui fit face. La jeune femme marqua un temps d'hésitation. L'homme était grand, brun, le regard émeraude ; il portait un ensemble bleu marine et avait échangé sa cape contre une grande veste. Il était là devant elle : le voleur masqué.

Elle laissa échapper un petit rire derrière son éventail devant le comique de la situation : le masque noir habillé en bleu…Jamais elle n'avait pensé qu'il oserait se présenter ainsi, au beau milieu du bal. Bien sur il avait changé ses vêtements pour se faire plus discret mais Oscar n'eut aucune hésitation : c'était bien André caché derrière ce loup bleu. En levant les yeux vers son partenaire, elle nota son regard intense posé sur elle.

LE MASQUE NOIR : bonsoir, mademoiselle

OSCAR plus émue qu'elle ne l'avait prévu : bonsoir, monsieur

LE MASQUE NOIR : m'accorderez vous cette danse ?

OSCAR sentant l'attention du jeune homme sur sa toilette : volontiers.

Le jeune couple prit alors place parmi les danseurs, le voleur glissa délicatement une main autour de la taille d'Oscar tandis que la seconde rejoint celle de sa compagne. Les yeux bleus étaient rivés aux yeux verts. Bon nombre de nobles dévièrent leur tête pour admirer le couple qui pénétrait dans la ronde des danseurs. Les hommes admiraient la silhouette de la jeune femme et la légèreté de ses mouvements, alors que les dames enviaient cette créature inconnue qui prenait ainsi possession de cet homme au corps d'éphèbe.

OSCAR : j'ai l'impression que ces dames m'envient votre compagnie.

LE MASQUE NOIR : ne vous inquiétez pas, elles sont seulement jalouses qu'une beauté telle que la vôtre monopolise tous les regards masculins.

OSCAR avec petit sourire : je crois plutôt qu'elles voudraient me voir m'éclipser pour avoir la possibilité de danser avec vous.

LE MASQUE NOIR : malheureusement pour elles, toutes mes danses vous sont réservées.

C'était la première fois qu'Oscar dansait avec André ; et comme elle s'en doutait il était un excellent partenaire. Elle comprenait l'attirance de ces dames pour cet inconnu, elle partageait les mêmes sentiments. Mais elle ne devait pas oublier pourquoi elle avait « invité » le masque noir. En fait, elle était curieuse de savoir combien de temps il faudrait à André pour avouer sa supercherie. Il l'avait laissée dans l'ignorance trop longtemps. Elle lui préparait une exquise vengeance.

Mais qu'avait elle fait ? Pourquoi cette magnifique toilette ? André savait qu'Oscar voulait piéger le masque noir, mais il ne s'attendait pas du tout à un tel spectacle. C'était la troisième fois qu'il voyait cette beauté en tenue de bal. La première fois il l'avait traitée de « sauvageonne endimanchée ». La seconde fois elle était magnifique… si belle qu'il n'avait pu s'empêcher de lui voler un baiser. Mais ce soir, elle était sublime ! Aucune femme ne pouvait lui faire de l'ombre. Le corps de soldat se volatilisait au bénéfice d'un corps de nymphe.

André aurait tant souhaité que cette apparition soit pour lui, mais non. Oscar avait revêtu cette robe pour le masque noir. D'ailleurs André n'avait jamais vu Oscar en tenue féminine en dehors de leurs rencontres nocturnes, sous le déguisement du voleur masqué. Pourquoi son double avait il ce privilège ? Les pensées d'André se bousculaient dans sa tête. Oscar était elle éprise du masque noir ? Voulait elle le séduire ? Ses doutes lui revinrent. Il connaissait l'aversion de sa maîtresse pour les tenues féminines : habituée depuis sa plus tendre enfance aux pantalons et chemises, elle se serait sentie « dévêtue » dans une de ces toilettes. Et pourtant !

LE MASQUE NOIR dans l'intimité de leur étreinte : vous êtes très en beauté ce soir, colonelle.

OSCAR se rapprochant un peu plus de son partenaire : je vous remercie. Cette tenue vous sied également très bien. Mais comment dois je vous appeler maintenant ? Le masque bleu ?

LE MASQUE NOIR pris au jeu de la séduction : pourquoi pas : « mon bien aimé » ?

Le visage d'Oscar s'illumina d'autant plus. La tenue que lui avait confectionnée grand-mère semblait subjuguer son partenaire. André commençait à avoir des difficultés à garder son calme. Le colonel avait mis tous les atouts de son côté pour harponner le bandit. Comment faire quand la proie souhaitait à la fois échapper à sa chasseuse … et se faire prendre ? Plus ils dansaient et plus ce corps féminin se rapprochait du sien et attisait son désir. Danser avec Oscar c'était comme danser avec une sirène : sa beauté enchanteresse devenait sa geôlière.

OSCAR : Soit ! Mais dites moi, quand aurais-je le plaisir de découvrir votre visage ?

LE MASQUE NOIR : est-ce la femme ou le colonel qui parle ?

OSCAR le corps à présent outrageusement collé à son amant : la femme, mon bien aimé.

Le masque noir sursauta. Plus de doute à avoir, pensait André. Oscar cherchait à le séduire !

LE MASQUE NOIR : mais qui me dit qu'une fois mon identité révélée, je ne vais pas me réveiller un matin une lame sous la gorge, une nouvelle fois ?

OSCAR sensuellement : est ce une invitation ?

LE MASQUE NOIR pris de court : … et votre amant ? Ne vous suffit il plus ?

OSCAR en pesant chacun de ses mots : il est vrai que c'est un amoureux exquis mais … je n'ai plus rien à découvrir avec lui à présent.

LE MASQUE NOIR tiraillé entre frustration et excitation : que pensez vous découvrir avec moi ?

OSCAR : oh mais je suis certaine qu'un homme tel que vous a mille et une choses à me faire explorer.