Chapitre 31 : Séparation

Pour la première fois depuis des semaines, il s'était levé comme un pantin, machinalement. Où était passé ce bonheur ultime de se lever pour apercevoir une nouvelle fois son visage rayonnant, sa chevelure blonde, ses yeux océan qui ne recherchaient que sa présence ? André savait à présent qu'il était sur le point de la perdre, de tout perdre. Perdre sa raison de vivre, perdre sa raison de rester à Jarjayes.

De retour de la ville, d'où il ramenait des provisions à grand-mère, il voyait apparaître progressivement au loin le château de sa belle. Il était resté longtemps absent : il avait erré dans les ruelles pour finalement franchir le seuil d'un estaminet pour tenter d'oublier l'espace d'un instant sa peine. Après quatre heures d'absence, il revenait à la cuisine rejoindre grand-mère.

ANDRE : je suis de retour, grand-mère

GRAND MERE : ah vous voilà, je commençais à me faire du soucis ; vous en avez mis du temps

ANDRE interloqué : mais de qui parles-tu ?

GRAND MERE : eh bien, d'Oscar et toi

ANDRE : Oscar ?

GRAND MERE : tu as bien croisé Oscar, elle est partie à ta rencontre…

ANDRE : non, je ne l'ai pas vue ce matin

GRAND MERE une lueur d'inquiétude dans le regard : mais… elle s'est levée précipitamment ce matin, elle voulait absolument te parler, mais tu étais déjà sorti ; alors elle est partie à ta rencontre sans même prendre le temps de se restaurer. Qu'y a-t-il André ? Que se passe-t-il entre vous ?

Mais André n'écoutait plus. Elle voulait le voir, elle voulait lui parler sans attendre… pourquoi ? Peu à peu, il réalisait ce que grand-mère avait dit : la jeune femme était partie à sa rencontre… mais lui n'avait vu personne ! Où était elle ?

ANDRE soudain préoccupé : tu es sûre qu'elle n'a pas rebroussé chemin, et qu'elle n'est pas revenue au château ?

GRAND MERE au bord des larmes : non ! Tu sais, André, je m'inquiète pour elle… elle paraissait si étrange ce matin… son lit était un champs de bataille… je ne l'avais jamais vue aussi soucieuse !

ANDRE en sortant : je vais la chercher, ne t'inquiètes pas… je la retrouverai !

……………

Dans le même temps

MALFRAT hurlant : allez, jetez lui un saut d'eau, ça le réveillera !

A ces mots, un des brigands aspergea sans ménagement le corps immobile étendu à même le sol. Les épaules de l'homme commençaient à bouger ; le soldat commençait à reprendre vie. Ses habits étaient recouverts de terre, l'eau froide qu'on venait de lui jeter se répandait le long de ses cheveux blonds également souillés de poussière. Oscar tenta de se relever mais impossible ! Elle analysa la situation : ses mains étaient ligotées dans le dos, des liens enserraient ses fines jambes, un bâillon lui entravait la bouche et un sac de toile recouvrait son visage. Tous ses sens, en dehors de l'ouie, étaient prisonniers.

Que s'était il passé ? Où était elle ? Qui étaient ces hommes ? Soudain tout lui revint en mémoire. André ! Elle était sortie tôt du château pour rejoindre André. Quelques instants après avoir quitté la propriété, elle fut prise en chasse par quatre hommes, tous le visage camouflé sous un tissu, pistolet à la main. Dans la précipitation, elle n'avait pas pris la moindre arme, ni épée, ni arme à feu ; sa seule pensée au réveil avait été de parler à son ami. Ne pouvant combattre face à ces poursuivants, elle n'avait pas eu d'autre solution que la fuite. Elle avait éperonné son cheval autant qu'elle avait pu mais fut bientôt rattrapée par ses suiveurs. Soudain l'un d'entre eux était arrivé à sa hauteur et l'avait sommée de stopper sa monture. Devant le refus de la jeune femme, le brigand avait bondi sur elle la projetant au sol, évanouie.

Ainsi, elle avait été enlevée ! Mais par qui ? Pourquoi ? Sa seule relative certitude était qu'ils voulaient le colonel vivant, sinon cela ferait bien longtemps qu'elle aurait été exécutée. Elle devait tout faire pour découvrir qui se cachait derrière ce rapt et s'en échapper. La mort ne lui faisait pas peur… mais ne plus jamais voir le visage de son bien aimé, rendait cette pensée insupportable. Elle devait le revoir, même si ce n'était que l'espace d'un instant ; elle devait lui dire combien elle l'aimait.

MALFRAT en donnant un coup dans le corps allongé : eh colonel, t'es toujours vivant ?

Oscar réprima un gémissement sous la violence du coup. Pas de doute ! Elle n'avait pas été kidnappée par hasard : ils voulaient le colonel de la garde.

MALFRAT : asseyez le sur la chaise. Le chef arrive.

Oscar sentit deux bras puissants la relever brutalement pour l'asseoir. On lui ôta ensuite le sac de toile ainsi que le bâillon. Elle put enfin mieux évaluer la situation. Elle était assise au milieu d'une petite pièce sombre, une paillasse en guise de lit et une minuscule fenêtre dans un coin, sans doute était elle dans une sorte de sous sol. Elle compta trois gardes armés; tous de vrais enfants de cœur à en croire les cicatrices sur leurs bras et visage. Heureusement qu'ils ne la reconnaissaient pas en tant que femme, sinon elle ne donnait pas cher de son corps.

Tout d'un coup, les hommes se turent. On entendait des pas approchaient et deux hommes parlaient : « est il réveillé ? »… « oui ». On parlait d'elle. L'homme qui avait répondu s'avançait vers elle accompagné par un second. Ce nouvel arrivant ne ressemblait pas aux autres brutes : ses habits étaient propres, sobres mais relativement distingués. Ses cheveux châtains entouraient son visage dissimulé sous un masque pâle qui ne laissait entrevoir que ses yeux. Ainsi elle était en présence de l'instigateur de cette machination. Elle voulut tenter de l'identifier mais ce regard n'appartenait à aucune de ses connaissances ; c'était un regard froid, non… glacial. La mort ! Cet homme lui faisait penser à la mort ! Un frisson traversa son corps endolori.

INCONNU sur un ton ironique : colonel, ravi de faire votre connaissance. J'espère que ces appartements vous conviennent.

OSCAR lui faisant face tant bien que mal : qui êtes vous ?

INCONNU en la giflant : sachez qu'ici, c'est moi qui pose les questions !

Oscar estima qu'elle devait jouer le jeu de cet homme, du moins pour l'instant, si elle voulait avoir une chance de sortir de cet enfer.

INCONNU : je vois que vous avez compris ! Vous êtes dans un lieu que personne ne connaît à l'exception de mes proches… collaborateurs. Il n'y a aucun moyen de vous échapper ! Quant à qui je suis, je vais satisfaire votre demande. Je suis votre pire cauchemar. Certains me donnent parfois le sobriquet d'Archange.

« Son pire cauchemar ? » « Archange » ? Oscar sentait le piège qui se refermait dangereusement sur elle. « Archange » où avait elle entendu ce nom ?... Oui ! André ! André lui avait demandé si elle connaissait un homme qui se faisait appeler « Archange de la terreur ». Ainsi c'était lui ! Une seule évidence : cet homme ne la laisserait pas vivante bien longtemps.

INCONNU : à vous voir, on dirait que vous avez déjà entendu parler de moi ! Certains prétendent que je suis un assassin ! Moi je me définirais plutôt comme un sauveur : nous n'avons pas besoin de la noblesse, alors autant s'en débarrasser ! Sachez que si vous avez entendu parlé de moi, j'ai malheureusement aussi eu quelques échos à votre sujet. Vous avez fait échoué mon plan à la demeure de Fontange… aidé, si mes renseignements sont exacts, par ce clown masqué. Ne vous inquiétez pas, votre guignol vous rejoindra bientôt dans la tombe.

« André… » pensa Oscar. Il veut aussi s'en prendre à lui.