Chapitre 33 : Jeu mortel

Au fil des heures, la fatigue eut raison du soldat. Après les mauvais traitements de ses ravisseurs, Oscar avait fini par s'endormir sur sa chaise. Ligotée, elle ne pouvait rien faire. Elle n'avait ni bu, ni manger depuis la veille et son corps tout entier souffrait, des coups mais aussi de son immobilité. Elle devait se montrer patiente malgré sa dangereuse situation, elle devait tenter de reprendre quelques forces pour agir lorsqu'une occasion se présenterait.

Dans le recoin qui servait de salle de repos aux geôliers, les quatre hommes se disputaient une partie de cartes à coup de chopes de bière. Ils n'avaient pas grand mal à garder le prisonnier ; et pour cause : que pouvait faire un homme ficelé sur une chaise ? Les crapules commençaient à trouver le temps long ; les haricots qui servaient de mise ne les satisfaisaient plus. L'un d'eux proposa un nouvel enjeu.

MALFRAT 1 : et si on jouait autre chose que ces maudits fayots ?

MALFRAT 2 : tu penses à quoi ?

MALFRAT 1 : au noble !

MALFRAT 3 : au noble ? Qu'est-ce tu veux dire ?

MALFRAT 1 : celui qui gagne, empoche le colonel !

MALFRAT 2 : comment ?

MALFRAT 1 : simple, le chef veut qu'il reste encore en vie quelques heures, mais rien nous interdit de jouer avec lui…

MALFRAT 3 : et alors ?

MALFRAT 1 : alors… celui qui gagne pourra se défouler sur ce type ! A condition de ne pas l'achever !

MALFRAT 4 : ouais, il faudrait pas que le chef le retrouve raide sinon je ne donne pas cher de notre peau !

MALFRAT 1 : alors vous êtes d'accord

LES MARFRATS en trinquant : ouais !

La partie reprit alors de plus belle ! Les malfaiteurs étaient plus motivés que jamais par le jeu : démolir un des nobles les plus en vue n'était pas donné à tout le monde… celui qui y arriverait pourrait s'en vanter jusqu'à la fin de ses jours. Les cartes défilèrent inlassablement pour finalement donner l'avantage au malfrat nommé « L'éborgné » en raison de son œil droit disparu.

L'EBORGNE : ouais, à moi le blondinet ! Ha, Ha, Ha

Requinqué, le borgne se dirigea vers la cellule d'Oscar avec la ferme intention de profiter de cette aubaine. Ce pantin du roi allait le supplier à genoux de l'achever. Il posa sa chope de bière sur le tabouret à l'entrée de la cellule et extirpa la clef de son pantalon crasseux.

L'EBORGNE en ouvrant la porte du cachot : à nous deux mon joli !

Il s'approcha du soldat qui était toujours assis sur la chaise, au centre de la pièce, les pieds et mains ligotés. Le borgne trop content de sa supériorité face à ce frêle pantin, décida de pimenter le jeu. Massacrer cette poupée immobile n'avait pas grand intérêt : l'homme serait à terre en dix secondes. Non, il voulait s'amuser. Il voulait faire durer son plaisir sadique. Il n'avait rien à craindre de toute façon face à soldat qui semblait à peine sorti de la puberté à en croire ses traits fins et son corps chétif.

Lorsque son oeil s'habitua enfin à l'obscurité de la prison, L'Eborgné repéra le soldat qui était exactement dans la même position que quand il l'avait quitté avec l'Archange, à la seule différence qu'il semblait endormi. Conforté dans sa domination, le criminel sortit son poignard de son fourreau et coupa les cordes qui maintenaient les jambes du noble. Voyant que sa victime ne bougeait pas, il passa dans le dos d'Oscar et lui sectionna les liens emprisonnant ses mains.

Une fois son otage libéré, l'Eborgné contourna la jeune femme par la gauche, le poignard à la main. Avant qu'il ait le temps de réagir, sa main droite fut brusquement poussée vers lui : il regarda alors impuissant le couteau enfoncé au dessous de son sternum. D'un bref regard de lucidité, il vit deux fines mains enserrant le manche de l'arme. Le blondinet venait de le poignarder à mort. Il avait perdu la partie et s'écroula, incrédule.

Oscar put enfin respirer de nouveau. Quelques secondes auparavant, elle avait été réveillé par les cris des scélérats puis avait perçu des pas qui s'approchaient de sa cellule et un des types hurler « à nous deux mon joli ». Ne sachant ce qu'il lui réservait, elle avait opté pour la prudence. Elle avait fait mine de dormir et ses yeux, habitués à la pénombre de la pièce, avaient pu étudier l'homme encore gêné par le noir.

Le sourire sadique qui dessinait sa bouche ne laissait aucun doute : elle allait passer un sale quart d'heure. Mais elle avait deux atouts de son côté. L'homme était borgne et dans une telle obscurité, cela pouvait faire la différence. De plus ces hommes l'avaient traitée de couard, donc cet assassin serait d'autant moins sur ses gardes. C'était une occasion de s'échapper, elle devait la saisir à tout prix.

Elle fut étonnée que l'homme lui détache les jambes ; et encore plus quand les liens qui emprisonnaient ses mains furent à leur tour ôtés. Pourquoi faisait il ça ? Etait-il stupide ou quoi ? Plutôt que de chercher une réponse, elle vit le poignard se rapprocher de son épaule gauche tandis que le tueur la contournait. Sans attendre, elle saisit la main de son agresseur et la poussa de toutes ses forces vers le corps masculin, déchirant ses chairs. L'homme, au regard diminué par la pénombre et surtout par son œil droit absent, ne put voir venir le geste du prisonnier et constata éberlué sa future mort.

Oscar se releva, dégagea le poignard du corps du défunt et franchit la porte laissée ouverte.