Chapitre 39 : Une calèche dans la nuit
Bernard vint aux nouvelles auprès du docteur sur la santé d'André.
BERNARD : alors docteur, comment va-t-il ?
DOCTEUR : si on tient compte de l'emplacement de la blessure, je dirais que ce jeune homme a une sacrée chance d'être encore parmi nous !
BERNARD : pensez vous qu'il va survivre ?
DOCTEUR : il est encore trop tôt pour se prononcer mais il est robuste … il a passé le cap le plus dur qui était de retirer la balle mais la convalescence est loin d'être achevée … avec du temps et les soins adéquats il a des chances de survivre.
BERNARD : peut on envisager de le déplacer ?
DOCTEUR : je ne sais pas ! Un déplacement augmenterait les risques de rechute… je ne sais pas si c'est bien judicieux de prendre le risque
BERNARD : je comprends… mais sa place n'est pas ici
DOCTEUR : si vous tenez à le déplacer, il faudra être extrêmement vigilant
Sa décision était prise, Bernard devait proposer au colonel de quitter le Palais Royal. Pour le moment, peu de personnes étaient au courant de sa présence dans les murs ainsi que de celle du masque noir… mais combien de temps cela durerait-il ? Le masque noir avait sans doute moins à craindre des fréquentations de ce lieu que le colonel de la garde, dévoué à ses majestés. Plus tôt la jeune femme partait, mieux cela valait.
………
Au château des Jarjayes, le général était assis à son bureau, un verre d'alcool à la main. Pourquoi ? se demandait-il . Avait-il définitivement perdu son fils ? En début de soirée, il s'était rendu comme convenu au rendez vous qu'avaient fixé les ravisseurs de son enfant. Il avait attendu quatre heures avant de renoncer. Personne n'était venu ! Il était rentré bredouille, avec ses fusils mais sans son fils.
De retour, il avait croisé sa tendre épouse et grand-mère. Devant la mine du général, elles savaient qu'il ne revenait pas avec Oscar. Madame de Jarjayes, qui venait de perdre sa fille cadette, chuta dans les bras de grand-mère, déversant autant de larmes que personne n'avait jamais versé à la perte d'un être cher. Elle avait vu, durant toutes ces années, la vie de sa fille bafouée par la décision injuste de son époux et, maintenant, ce destin la lui enlevait.
Malgré l'insupportable douleur qui enserrait son cœur, grand-mère aida sa maîtresse à rejoindre sa chambre. Madame de Jarjayes, déjà de santé fragile, venait de recevoir un terrible choc ; elle devait essayer de se reposer. La vieille servante lui apporta une tisane pour tenter de l'apaiser et l'entoura de paroles qui se voulaient réconfortantes.
………..
De nouveau dans la chambre du colonel, Bernard guettait le réveil de la jeune femme. Il est vrai que, malgré ses traits durs et l'extrême finesse de son visage, c'était une belle femme. Rosalie lui avait raconté sa première rencontre avec le colonel de la garde. Désespérée sa femme s'était présentée au premier noble venu pour vendre ses charmes. Heureusement elle était tombée sur cette noble, déguisée en soldat. Bernard repensa à cette histoire, une larme au coin de l'œil. Finalement cette femme, allongée près de lui, avait protégé Rosalie de la prostitution. Quelle femme étrange… Elle ne ressemblait à aucun de ces nobles de la cour. Il avait une dette envers elle.
Plongé dans ses pensées, le jeune homme ne remarqua pas que la blessée se réveillait doucement.
OSCAR : Bernard c'est vous
BERNARD surpris dans ses rêves : bonjour, Oscar, comment allez vous ?
OSCAR : je vais bien … mais André ?
Elle pensait donc sans cesse à lui … Il se souvenait de ce sentiment qu'on éprouve lorsqu'on est séparé de son être cher… il avait eu le même ressenti avec Rosalie. Dès qu'il la savait loin de lui, il ne souhaitait qu'une chose, la rejoindre. Il n'avait pas compris ce qui se passait quand le colonel et le voleur étaient arrivés au Palais Royal. Le masque noir était recherché par les soldats et pourtant le colonel avait demandé asile dans un lieu où personne ne voulait de lui. Maintenant il comprenait. Oscar de Jarjayes n'avait pas attenté à la vie du voleur. Elle en était incapable… pas avec les sentiments qu'elle éprouvait pour lui.
BERNARD se voulant rassurant : son état est stable. Il n'est pas hors de danger mais il tient le coup.
OSCAR en essayant de se convaincre elle-même : il a toujours été très résistant…
BERNARD plus grave : Oscar… je voudrais vous entretenir d'un problème…
OSCAR inquiète : qu'y a-t-il ?
BERNARD : je pense que vous devriez rapidement quitter le Palais Royal… vous n'êtes pas en sécurité ici
OSCAR : mais je ne peux pas laisser André !
BERNARD : il peut rester ici … je m'occuperais de lui
OSCAR : non ! Je ne le quitterais pas ! S'il reste ici, je reste ici !
BERNARD : mais…
OSCAR : c'est mon dernier mot, Bernard !
BERNARD déçu : soit ! Je vais essayer de vous trouver une calèche que nous puissions aménager pour transporter André
Oscar s'approcha de Bernard en lui tendant la main
OSCAR esquissant un timide sourire : merci Bernard Châtelet. Rosalie a beaucoup de chance de vous avoir.
Le départ fut prévu le lendemain soir. Le jour même, Oscar put se rendre au chevet de son ami. Elle s'était approchée du lit à petits pas, comme pour ne pas le réveiller … mais André avait sombré dans un très très profond sommeil. Elle observa son amant : ses cheveux et son masque sombres accentuaient la pâleur de son visage. Ses yeux étaient clos. Son torse était recouvert d'immenses bandages, plus épais près de l'impact de la balle. Elle aurait tant voulu le serrer dans ses bras, lui dire des mots réconfortants mais personne ne devait les surprendre sinon leurs secrets seraient compromis.
Bernard avait fait de son mieux pour aménager l'intérieur d'une calèche pour accueillir le blessé. A la nuit tombée, aidé d'un domestique et du médecin, il aida Oscar à installer André du mieux que possible. Malgré tous les bons soins apportés au masque noir, le chemin vers la demeure des Jarjayes serait éprouvant.
Oscar, au moment de monter dans la calèche, tendit une lettre au domestique
OSCAR : mon brave, veuillez remettre ce pli à Monsieur le Duc en main propre.
DOMESTIQUE : ce sera fait colonel
Dans cette missive, le colonel de la garde royale exprimait sa gratitude au duc pour l'accueil, certes distant, mais vital dont ils avaient pu bénéficier, malgré les divergences qui les séparaient. Elle lui était à présent redevable.
OSCAR en rejoignant André : nous pouvons y aller Bernard
Bernard, qui faisait pour la cause office de cocher, élança les chevaux à allure modérée pour limiter au maximum les secousses de l'habitacle. Le voyage se passait sans soucis majeur quand, de l'autre côté d'un pont, Bernard aperçut un petit groupe de soldats, cinq tout au plus, qui contrôlaient les allées et venues nocturnes.
