Chapitre 40 : Incursion

La calèche s'arrêta à quelques mètres du pont. Bernard descendit de son siège pour informer Oscar. Celle-ci surprise par ce soudain arrêt ouvrit la porte et sortit du véhicule.

OSCAR : que se passe-t-il ?

BERNARD : il y a des soldats de l'autre côté. S'ils voient qu'on a un blessé et encore plus s'ils reconnaissent le masque noir, nous sommes perdus.

OSCAR : mais je suis le colonel de la garde : j'ai le droit de circuler comme bon me semble la nuit !

BERNARD : peut être d'habitude … mais vous ne portez pas votre uniforme et il n'est pas sûr que ces hommes connaissent votre visage et dans cette obscurité, votre … disons… prestance ne nous est d'aucune utilité !

OSCAR : Ne peut on pas contourner ce poste ?

BERNARD : ce ne serait pas prudent pour André, le détour rallongerait beaucoup le trajet…

OSCAR : je vois… Otez votre chemise !

BERNARD : comment ?

OSCAR : André est trop repérable avec ses vêtements noirs. On va lui mettre votre chemise claire et vous, vous allez enfiler sa chemise sombre, sous votre gilet les traces ne se verront pas.

BERNARD : vous avez raison !

Bernard enleva son gilet et sa chemise blanche qu'ils passèrent doucement à André, toujours inconscient ; puis se rhabilla avec ses nouveaux vêtements. Oscar finit d'apprêter son ami et lui ôta enfin ce masque qui dissimulait son beau visage. Elle ne put s'empêcher de retenir une larme en voyant sa pâleur, presque sans vie.

BERNARD : voilà pour André… mais pour vous ?

OSCAR : j'ai une petite idée… allons y

Bernard remit en route la calèche, il était tendu. Comme prévu, les soldats arrêtèrent la calèche de l'autre côté du pont.

SOLDAT : qui va là ?

Le cochet allait répondre quand une voix, plus que féminine, s'éleva dans l'obscurité.

OSCAR en essayant de prendre les intonations de « vierge effarouchée » : oh, mon marquis, voyons … vous n'êtes vraiment qu'un vil coquin… Si on nous surprenait…

Le soldat intrigué par de tels propos, s'approcha de la porte de la calèche et dégagea d'une main l'épaisse étoffe qui occultait la fenêtre, tandis que son autre main soulevait une lanterne à la lumière vacillante. L'homme déglutit péniblement devant le spectacle qui se jouait dans l'habitacle : Oscar avait dégageait ses épaules de sa chemise, qui lui descendait à présent à la taille. Elle faisait dos au soldat et elle feignait d'embrasser son compagnon, telle une de ces courtisanes. Le regard hypnotisé par les délicates épaules dénudées, le soldat ne faisait plus attention au reste.

SOLDAT en essayant de reprendre un minimum d'assurance : c'est bon Cocher, vous pouvez circuler.

Bernard, bien qu'intrigué par le teint cramoisi du soldat et par ce qui pouvait se passer dans la calèche, ne demanda pas son compte et poursuivit sa route vers leur destination.

SOLDAT pour lui-même : eh bien il y a des nobles qui ont bien de la chance…

Après un parcours qui sembla interminable, la calèche s'arrêta enfin devant les grilles closes du château de Jarjayes. Bernard descendit de son poste pour ouvrir les grilles.

BERNARD : c'était à prévoir…en pleine nuit… elles sont fermées !... Oscar !

OSCAR en sortant : qu'y a-t-il ?

BERNARD : impossible d'entrer : tout est fermé !

OSCAR : il est très tard et puis grand-mère qui a la frousse du masque noir… c'est pas étonnant !

BERNARD : mais André est son petit fils, non ?

OSCAR avec un sourire qui n'était pas apparu depuis longtemps sur son visage : oui, mais elle ne sait pas qu'il joue au voleur la nuit tombée… si elle le découvrait… elle le poursuivrait avec une poêle

BERNARD dubitatif sur la santé mentale de cette gouvernante : une poêle ?

OSCAR redevenue sérieuse : c'est une longue histoire… peut être vous la raconterais-je un jour. En attendant, il faut entrer. A quelques pas d'ici, il y a un muret. Avec votre aide je devrais pouvoir m'y hisser.

BERNARD : mais votre bras ? Vous risquer de rouvrir la blessure.

OSCAR : ne vous inquiétez pas… nous avons souvent fait le mur avec André quand nous étions plus jeunes et un bras cassé ne nous arrêtait pas plus que ça !

Bernard comprenait mieux à présent les dires de Rosalie quand elle parlait d'Oscar de Jarjayes : l'esprit d'un homme avec un corps et un cœur de femme.

Comme le jeune homme le présageait, il n'eut aucun mal à soulever la fine silhouette du colonel qui franchit avec aisance le mur de la propriété.

OSCAR de l'autre côté : attendez moi là, Bernard, et surtout veillez sur André, je vous en prie

BERNARD : n'ayez aucune crainte, je ne le quitte pas !

Oscar courut jusqu'au château : André devait regagner rapidement un lit confortable. En approchant de l'entrée, elle remarqua que toutes les issues étaient condamnées. Décidément quand grand-mère faisait quelque chose, elle ne le faisait pas à moitié ! Elle se résolut à casser un carreau. Quelle ironie, passer par une fenêtre pour entrer dans sa propre demeure.

Réveillée en sursaut par le bruit fracassant du verre, la vieille femme se redressa d'un bond dans son lit ! Mon dieu… le masque noir !