Rodney regardait mélancoliquement son assiette. La texture blanchâtre qui y trônait ne le mettait visiblement pas en appétit. Il leva les yeux et vit Elizabeth : la jeune femme mangeait sans en perdre une miette. Lorsqu'elle croisa son regard, elle s'interrompit :
- Un problème ?
- Comment faites-vous pour manger un truc pareil ?
- Je croyais que ce régime spécial était tout à fait approprié dans notre situation…
- Oui. Mais on voit bien que ce sont des scientifiques qui ont mis leur nez là-dedans.
Il essaya de sortir sa cuillère de la texture blanche mais rien n'y fit. Sur ce, il ajouta :
- Vitamines A, B, C, D, E, K, fer, phosphore, calcium, zinc, magnésium et autres minéraux en tout genre… le cocktail magique pour une expédition périlleuse… Un bon cuistot n'aurait jamais toléré une chose… aussi…
- Energétique ?
- J'aurai plutôt dis « dégoûtante » ou « répugnante » mais allons-y pour « énergétique » !
Weir lui adressa un petit sourire du coin des lèvres.
- Vous savez ce dont je rêve Elizabeth ? Je rêve que quelqu'un s'approche de nous et dépose devant moi un bon gros hamburger !
Il prit une pose rêveuse, les coudes sur la table.
- Je déteste ça : c'est écoeurant, beaucoup trop gras et j'ai horreur quand la sauce se faufile entre mes doigts.
Mais au moins, j'ai l'impression de manger quelque chose !
- Je vous promets qu'à la prochaine connexion avec le SGC, je leur demanderai une livraison spéciale pour vous ! répliqua-t-elle
McKay sourit à son tour. Liz n'était pas mécontente d'avoir enfin pu lui décrocher ne serait-ce qu'une esquisse de sourire. Mais elle avait autre chose en tête à ce moment là…
- Dites-moi Rodney, vous n'avez rien remarqué d'anormal pendant l'attaque ?
Le scientifique la regarda, sans comprendre. Elle se pencha vers lui. Rodney l'imita.
- A propos du Major Sheppard ? lui souffla-t-elle
- Ah… Oui, John.
- S'est-il comporté de manière étrange sur le continent ?
- Si faire de grands gestes sans aucune signification et crier comme un fou sur ses compagnons est une marque de fabrique de L'US Air Force, alors je peux vous assurez que John est le militaire parfait ! ironisa-t-il. Et il se comporte merveilleusement bien !
Elizabeth sourit.
- Je pensais que vous aviez surmonté cela depuis un moment…
- Pardon ?
- Hé bien, le fait que John soit votre supérieur. Sur le terrain en tout cas.
- Je le supporte. Croyez-moi, si ce n'était pas le cas, je n'en parlerais pas comme ça !
Il s'installa correctement sur sa chaise et croisa ses bras.
- Mais maintenant que vous m'en parlez, il y a eu quelque chose…
- Quoi donc ?
- Au moment où les vaisseaux ont disparus, quand le Major a compris que leur véritable cible était Atlantis, il a… je ne sais pas si je peux vous le dire…
- Rodney, dites-le.
- Il a eu peur Elizabeth.
La jeune femme le regarda avec insistance.
- Peur ?
Rodney acquiesça.
- Parfaitement. Et vous voulez que je vous dise… de voir John ainsi… ça ne m'a vraiment pas rassuré.
- Il avait peur de ne pas arriver à temps… soupira-t-elle
- Oui. Mais je crois qu'en fait… il a eu peur pour quelqu'un…
Matthew savourait le cocon de chaleur que l'eau chaude lui procurait. Depuis son arrivée, il n'avait pas encore eu l'occasion de réellement se reposer, de se retrouver seul. Sa mission, sa nouvelle vie, ses retrouvailles avec John… et Teyla…
'Quel crétin j'ai été'
D'une main, il attrapa une serviette qu'il noua autour de sa taille, avant de rejoindre sa chambre à coucher. Il enfila un pantalon et un tee-shirt rapidement, il était temps qu'il prenne une pause en tant que militaire. Son regard se posa sur sa table de nuit : une photo de famille y était encadrée. L'une des seules choses personnelles qu'il avait envoyée avec lui. Son père, entouré de ses deux fils et de sa femme. Il s'arrêta sur John, qui lui ébouriffait les cheveux. Cette photo commençait à jaunir. Il saisit le cadre, le retourna et tomba sur une inscription :
Été 95, Californie. Pour que tu n'oublies jamais que cette coupe de cheveux était décoiffante ! (Quelle idée, pour tes 18 ans, tu aurais pu faire quelque chose d'à peu près potable non ?)
Happy Birthday frérot.
John
Il reposa le cadre sur la table de nuit quand il entendit la porte de sa chambre s'ouvrir.
- Je peux ?
John se tenait dans l'entrebâillement de la porte. Matthew lui fit signe d'entrer. Il s'exécuta.
- Je te dérange peut-être ?
- Non, pas du tout… tu voulais me voir ?
- En fait… je voulais m'excuser…
Matt le regarda, incrédule.
- Je… je n'aurais pas dû t'accuser sans preuve Matt. Pour Teyla je veux dire… ajouta-t-il.
Matthew hésita. Devait-il répondre à cela ? Il s'assit sur son lit. John en fit de même.
- J'ai tiré mes propres conclusions sans que tu ais eu le temps de t'expliquer.
- C'est juste.
- Elle te plaît j'imagine !
Pour toute réponse, le sergent lui sourit. Puis, il renchérit :
- On n'a toujours eu les mêmes goûts, pas vrai ?... Est-ce que cette situation te dérange ? Est-ce que tu arrives à la supporter ?
John éluda la question. Il aperçut le cadre, posé maladroitement près du lit.
- Mon Dieu ! Tu l'as encore ?
Il prit l'objet dans ses mains. Il regarda d'abord la photographie, puis le retourna. Une fois, deux fois…
- J'avais raison : tu étais décoiffant à cette époque-là !
Ils se mirent à rire en chœur. Matthew appréciait ces moments-là. Eux si souvent en conflit pour pas grand-chose, ils s'entendaient parfois très bien. Mais Matt avait quelque chose sur le cœur.
- Tu te souviens de la soirée que papa et maman avaient organisée pour l'occasion ?
- Un peu oui ! Je n'ai jamais eu le droit à un tel traitement de faveur de leur part.
- Kate Lewis, ça te dit quelque chose ? Elle jouait dans l'orchestre ce soir-là !
John sourit.
- Oh oui, ça pour m'en rappeler !
- Elle m'avait promis une danse… elle n'est jamais venue me rejoindre…
Le Major leva les yeux vers son petit frère.
- Où est-ce que tu réellement en venir ?
- Au début, j'ai cru qu'elle avait du s'éclipser, tu sais comment sont les femmes !... j'ai fini par aller faire un tour sur la plage.
Il marqua une pause, cherchant du regard une réaction de son frère. Mais rien.
- Et puis, je ne sais pas comment, j'ai atterri sur le parking de l'hôtel… Tu avais la vieille Cadillac blanche de papa si je ne me trompe…
- Qu'est-ce que tu essayes de me dire Matt ?
- Je vous ai vu Johnny… je vous ai vu.
John se leva, légèrement énervé.
- Et alors ? Elle était majeure à ce que je sache ! Et consentante ! C'est pas un crime me semble-t-il…
- Est-ce qu'elle t'as dit qu'on avait passé la journée ensemble, à discuter sur plage, à choisir les morceaux pour la soirée, à parler de tout et de rien ?
John voulut parler mais Matt fut le plus rapide.
- Je croyais avoir enfin trouvé une fille qui s'intéressait à moi.
- Arrête Matt, les filles t'ont toujours tourné autour !...
- Non, c'est là que tu te trompes : si elles s'approchaient de moi, c'étaient uniquement pour avoir une chance de t'atteindre !
- C'est n'importe quoi… tu divagues mon pauvre…
- Pense ce que tu veux. Il n'empêche que je ne t'ai jamais pardonné ton geste.
John se figea. Il respira profondément, inutile de se mettre à crier pour rien.
- C'était il y a presque dix ans Matt, y'a prescription non ?
- Tu m'as trahi Johnny…
- Comment tu voulais que je le sache ? Elle ne m'a rien dit !
- Oh oui, ça, j'imagine bien que vous n'avez pas dû parler beaucoup…
Le major Sheppard se mit à rire nerveusement.
- A quoi ça te sert de remettre ça sur le tapis maintenant ? Tu tiens vraiment à ce qu'on se déteste ?
Matthew se leva et s'approcha de son frère.
- Je veux juste que tu saches qu'aujourd'hui, je suis bien content que la situation soit inversée. Tu sais enfin ce que ça fait d'avoir mal… d'être trahi par son propre frère… de ne pas avoir celle qu'on veut…
John le fusilla du regard. Comment Matt pouvait-il se comporter ainsi ? Quelle insolence !
Il se retourna et se dirigea vers la porte. Matt voulut le retenir.
- Sauf que… tu as toujours une longueur d'avance sur moi Johnny.
Le major garda sa main fermée sur la poignée. Il voulait sortir, fuir cette pseudo scène de ménage. Mais les phrases énigmatiques de son frère l'en empêchaient.
- Comme ça ?
- Cet après-midi, je l'ai embrassée. Teyla. Je l'ai embrassée…
John se retourna l'entement. C'était impossible, Matt n'avait pas pu faire ça ! Pas pu lui faire ça ! Il resta interdit. Il ne savait pas quoi répondre. Il ne savait même pas s'il devait le faire…
Matthew avait raison. À ce moment-là, il avait mal comme jamais. Comme si son propre frère venait de lui assainir le coup fatal.
Le sergent Sheppard savait que son frère n'aurait rien dit. Lui non plus n'avait pu prononcer un mot quand il l'avait découvert avec Kate. Il avait envie que John connaisse ce sentiment. Qu'il sache ce que lui avait enduré. Mais malgré le fait que son plan marchait parfaitement, que son frère était visiblement très touché par cette révélation, il ne pouvait pas en rester là. Car cette fois-ci, la situation était légèrement différente…
- Mais elle m'a repoussé. Tu entends Johnny : je l'ai embrassée… et elle m'a repoussé…
Il se pencha vers le sol et ramassa le cadre, tombé près du lit. Il le reposa sur la table de nuit, en silence. Voyant que John ne bougeait toujours pas, il s'empara de sa veste, la passa sur ses épaules et revient vers son frère. Ils se regardèrent sans un mot, se fixèrent pendant plusieurs minutes. Puis, Matt posa sa main sur la poignée et ouvrit la porte. Il s'apprêtait à quitter la chambre quand il adressa une dernière réplique à John :
- Tu ne la mérites pas Johnny. Mais pour une raison qui m'est inconnue, c'est toi qu'elle veut. Alors ne fais pas le con… Fais au moins ça pour moi…
