Disclaimer : les personnages inventés par JKR sont toujours à elle, par contre les autres sont sortis de ma seule imagination (notamment Isolfe ) – ainsi que les actions et les pensées qui relient les uns et les autres.

Entrée en scène – et en journal – du deuxième écrivain des "Journeaux croisés". Que pense-t-elle de Remus Lupin, en dehors du fait que le choix de son prénom ressort de la déviance parentale ?

Bonne lecture et merci d'avance pour vos revues.

Journal d'Isolfe, 31 août

Oh, quelle folie d'accepter ce cours, spécialiser en économie des étudiants de 17 et 18 ans qui n'en n'ont jamais fait et que les études de magie, et leur ascendance ont tenu écartés depuis leur naissance de toutes les réalités marchandes et monétaires du monde muggle. Je vais vraiment au casse-pipe ! Quoique non, le casse-pipe, le casse-vertèbre, le crève-cœur c'est derrière moi, enfin non pas derrière, mais en moi, comme un poison qui me tapisse l'intérieur du corps. Et donc il fallait bien que j'acceptasse quelque chose de fou pour essayer enfin de cesser de penser à Benedikt Hemans et à cette autre être espéré, attendu, mais qui ne verra jamais le jour : Isolfe Hemans.

Il me semble que je ne suis pas la seule à être ravagée d'angoisse, de panique et de mal-être, comment s'appelle donc le nouveau professeur de DCFM, ah oui Lupin, comment une francophone admiratrice d'Arsène a pu oublier ce nom ? Quelle horrible façon de le prononcer en anglais, moi je lui dirais en français. Lupin, Romulus, non Remus. Quelle bizarre idée d'avoir choisi le prénom de celui qui se fait trucider, quelle perversité de la part de ses parents. Existe-il quelqu'un s'appelant Abel ? Et bien oui, ça existe, par contre personne ne s'appelle Caïn, évidemment il est plus moral de porter un nom de victime qu'un nom d'assassin.

Je vérifie que mes notes pour les cours de lendemain sont sagement posées sur mon bureau, leur présence est rassurante, j'ai même préparé quelques anecdotes marrantes à leur servir, mais comment pourrais-je espérer les faire rire ou sourire si je les leur débite sur un ton sinistrement angoissé ?

Et puis pour arranger le tout, et miner le peu de confiance qu'il me reste, les sifflements qui m'ont été adressés par les fortes têtes d'Hogwarts, des étudiants que je n'aurais même pas en cours, d'ailleurs, et je dois me contrôler pour ne pas les détester déjà, condamner à la première incartade ne fait pas partie de mes méthodes pédagogiques (enfin théoriquement). Mais tout de même, quels petits cons !

Le peu de confiance qui me reste, c'est tellement vrai, tellement peu, après avoir été rejetée, niée par l'homme qui m'assurait que je serais l'amour dans sa vie, l'amour de sa vie, comment pourrais-je encore entretenir une quelconque illusion à mon sujet ? Cette rupture m'a décapée jusqu'à l'os, toute la chair aimante et désirante a disparu.

Les autres la voient pourtant, Severus Snape le tout premier, ses yeux opaques et insistants sur moi, il se contrôlait soigneusement afin de ne pas les laisser lui échapper et me balayer en entier. Il m'a simplement regardé le visage, a-t-il l'intention d'aller plus loin la prochaine fois ?

Ou alors, Isolfe, ne te fais-tu pas des illusions ? Pourquoi ne pas reconnaître que ta chair, dont tu écris trois lignes plus haut, qu'elle a disparu, en une belle formule romantique et mélodramatique, se rappelle à toi avec une insistance déplacée, et ce soir encore dans la proximité de cet homme. Non, non, absurde, je dois coûte que coûte nourrir et faire vivre l'espoir que Benedikt reviendra vers moi, comme une incantation ou une propitiation. Ou cette pensée est-elle aussi aberrante que l'autre, létale qui plus est ? J'étouffe entre deux blocs d'absurdité.

Journal d'Isolfe, 1 ier septembre

Mal dormi, évidemment, je me suis relevée plusieurs fois afin de vérifier que mes notes n'avaient pas disparu, j'ai passé une demi-heure à répéter, debout devant une classe imaginaire, mais docile, la première partie de mon premier cours. Du moins l'inquiétude professionnelle a-t-elle cédé à l'angoisse existentielle. Ahah, voilà que je me mets à la philosophie. Vais-je réussir à combler le décalage inepte qui existe entre eux et moi ? Je vais leur apparaître décidément bien exotique ?

Je redoute également l'épreuve du petit- déjeuner, en public, attablée auprès de collègues que je ne connais pas encore et sous les yeux d'étudiants hostiles. A côté de qui suis-je censée m'asseoir ? Caïn, Arsène, comment déjà, ah oui, Remus Lupin, me semble tout indiqué. Après tout, il est nouveau lui aussi, même si j'ai cru comprendre qu'il avait été étudiant ici, et il a l'air tout à côté de ses pompes que moi, peut-être arriverons-nous à rire ensemble de ces misères. D'ailleurs à propos de misère elle semble également être matérielle chez lui, ses vêtements sont en guenille, il aurait dû demander une avance sur salaire à Dumbledore. Mais comment puis-je penser que, angoissée comme je suis, je pourrais faire rire un homme qui a l'air aussi paniqué, et sur ses gardes, comme s'il s'attendait à recevoir un coup de poing dans le visage à chaque instant.

Je reprends ce journal après ma première matinée.

Mes étudiants ont eu l'air raisonnablement intéressés par ce que je leur racontais. J'ai commencé par me présenter, en leur indiquant les grandes lignes de mon parcours étudiant et professionnel. J'ai conclu en les invitant à me poser des questions, s'il le souhaitait. Ils ont eu l'air désarçonné, l'un a fini par se lancer en me demandant quelle avait été ma matière magique de prédilection. Bon why not? Potions, ai-je répondu. Je n'ai pas jugé utile de m'étendre davantage sur le sujet, et j'ai embrayé sur une première présentation, à grands traits, forcément, des notions économiques de base. Ils prenaient des notes sans répit, j'en avais mal aux poignets à leur place.

Donc la situation s'est quelque peu éclaircie, d'autant plus que Dumbledore a mandaté Rubeus Hagrid, le géant, garde-chasse et professeur de soin de créatures magiques (encore une nouvelle nomination qui le nimbe de fierté) afin de me servir de chaperon. Il prend son rôle très au sérieux et avec beaucoup de délicatesse, il ne veut pas m'imposer sa présence, mais Dieu que j'étais contente de l'avoir près de moi ce matin et ce midi à la table des professeurs. Minerva Mac Gonagall de l'autre côté, cette femme et sa réputation d'excellence et de dévouement à Hogwarts me paralysent et me font sentir bien petite, j'ai peur de ne pas être à la hauteur. Rubeus Hagrid parle une langue qui est loin d'être académique, j'ai eu un peu de mal à attraper le phrasé de sa diction, et encore plus à comprendre son accent, mais maintenant je décode à peu près. Il m'a proposé de faire avec lui le tour du château ce soir, l'idée est excellente, car j'ai déjà failli me perdre dans les couloirs ce matin.

Lors du déjeuner, j'ai senti à un moment le regard de Lupin peser sur moi, ses yeux étaient tristes de se sont tout de suite détournés de moi et d'Hagrid.

Addendum à propos de Minerva Mac Gonagall.

Elle me paralyse, ai-je écrit. Et je pense que j'ai tort. Mais je reste marquée par mon entretien d'embauche à Hogwarts, si tant est que le terme convienne, où j'étais assise devant Dumbledore et Minerva. J'étais sûre d'avoir raté, et pourtant j'avais réussi à établir un bon contact avec Albus : rétrospectivement je dois d'ailleurs avouer qu'il serait immodeste de m'en attribuer le mérite – Dumbledore déborde d'humanité bienveillante - même si j'avais eu l'impression qu'il ne comprenait rien à ce que je lui racontais de l'économie et des mes expériences professionnelles. Mais Mac Gonagall était restée de marbre, se contentant de quelques questions sur mes méthodes pédagogiques, qui m'avaient désarçonnées et auxquelles j'avais livré des réponses précipitées et oiseuses. Puis elle s'était retiré dans un silence glacial, à la limite de l'ennui et du mépris. Heureusement, Albus était resté souriant et affable. Au bout d'un moment, j'avais cessé de regarder du côté de Minerva, et ne m'était plus concentrée que sur le directeur de Hogwarts, tout en me crispant intérieurement et en me disant que justement c'est peut-être ce qu'elle attendait et que je m'étais précipitée dans son piège et que j'allais me faire saquer. Finalement j'ai quand même été retenue (je devais être la seule candidate...) et aujourd'hui j'étais assise à la table des professeurs.... Donc pour en revenir à Mac Go. Extérieurement, elle semble inattaquable, derrière sa carapace de politesse, de technicité et de professionnalisme – la chef de Gryffondor, la plus prestigieuse des maisons à ce que je crois – des qualités, de la vertu, des qualités, de la vertu, des qualités, de la vertu, multiplierait-elle les couches afin de ne pas se laisse atteindre ? Je ne m'imagine pas que je pourrais aborder avec elle des sujets plus triviaux que mes méthodes pédagogiques, ou qu'elle puisse être la proie de quelques doutes et/ou de quelques désillusions. Elle est sa fonction incarnée, comme je voudrais n'être que cela, n'être que le nouveau prof d'économie Isolfe Aloisia Dazurs. Mais, non je suis triple et il ne me reste plus qu'à organiser la cohabitation la plus pacifique, ou la moins acrimonieuse entre les différents moi : l'Isolfe dédiée au souvenir de Benedikt, l'Isolfe pédagogique (finalement en presque pleine possession de ses moyens), et la dernière, la petite nouvelle qui ne connaît rien à Hogwarts, et qui se fait observer de loin, discrètement, par des collègues qui se demandent si elle ne va pas leur claquer dans les mains, comme une trop délicate porcelaine de Sèvres échouée sur une table de ferme écossaise ? En fait, je me tiens devant un chimérique juge à trois têtes : mes élèves, mes collègues et moi – et c'est moi qui risque d'être la plus impitoyable...