Journal d'Isolfe, 7 octobre, le soir.
Crise de larme généralisée à mon réveil, en fait tout a commencé parce que je me suis flanquée par terre en me levant.
Et ce stupide incident – je ne me suis même pas fait mal – a suffi pour me propulser dans des sanglots incontrôlés (snif snif) pendant une bonne demi-heure. Pas la peine de préciser sur quoi, sur qui je sanglotais ainsi, autant économiser l'encre.
Evidemment après, j'étais à la bourre, douche en vitesse, habillage, n'importe quoi, vérification dans le miroir, parfait, sur mes joues les habituelles marbrures rouges ont déjà disparu (à croire que je pleure du sang parfois....), mais les yeux sont restés absurdement brillants, irrités. J'espère ne rencontrer personne.
J'avais finalement mal calculé mon coup, en arrivant en bas de mon escalier, j'aperçus Mac Go qui descendait le sien et qui, me voyant, me fit un signe de la main.
Pas moyen de faire demi-tour, je me dirige vers elle et, inévitablement, la première chose qu'elle remarque sont mes yeux rouges.
Je pensais qu'en bonne Britannique, elle ne ferait aucun commentaire, mais elle fronce les sourcils, et pendant une toute petite fraction de seconde j'ai l'impression qu'une de ses mains va se poser sur mon avant-bras. Ce geste, qui n'a pourtant pas eu lieu, me surprend et me touche infiniment, au point que j'aurai envie de me remettre à pleurer !
- Eh bien, eh bien professeur Dazurs, vous avez l'air de quelqu'un qui a de gros soucis ! Son intonation est brusque, mais il me semble que c'est justement parce qu'elle a compris qu'une approche plus douce risquerait de déclencher une nouvelle crise de larmes.
– Est-ce un problème avec vos cours ? vos étudiants ? un collègue ? J'ai la gorge serrée, au point de en rien pouvoir dire. Je me mords les lèvres, la douleur a le mérite de faire passer mon envie de pleurer, j'avale du sang.
Elle insiste – Répondez-moi, si votre problème concerne Hogwarts, vous avez le devoir d'en parler, à moi ou à Dumbledore, mais il se trouve que ce matin c'est moi qui suis devant vous ; s'il s'agit d'une question personnelle, alors effectivement vous avez le choix, vous taire ou en parler ; je vous conseillerais d'en parler, c'est le meilleur moyen de relativiser les choses, sachez que je suis prête à vous écouter, maintenant ou plus tard .
Je la regarde, surprise de ce discours, de cette aide qu'elle me propose, et qui ne cadre pas avec l'idée que je me faisais d'elle.
– Je croyais hm que vous étiez une adepte du never explain, never complain "...
Elle répond brutalement – Cette maxime est un concentré de stupidité britannique, ce n'est pas comme ça que les humains fonctionnent. Croyez-moi, j'ai fait la bêtise d'y croire dur comme fer à un moment de ma vie et je l'ai longtemps regretté. Alors, que décidez-vous ? Mais venez, installons-nous, à cette heure nous serons seules et tranquilles, si qui n'est pas si fréquent dans cette maison !
Elle rit, je souris, je la suis et nous prenons place à la table des professeurs, l'une en face de l'autre.
– Alors, qu'est-ce qui vous tracasse ? Vos cours ? Je ne pense pas, Dumbledore et moi avons un excellent retour sur votre travail. Vous êtes même détestée par un certain nombre de Slytherin, ce qui pour moi est la marque des excellents professeurs, Lupin est également dans votre cas, vous voyez Albus a vu juste avec ses nouvelles recrues !
J'ai suffisamment récupéré pour me lancer, je n'ai certes pas l'intention de tout lui dire, de divulguer ce chagrin qui est tout ce qui me reste à chérir.
– C'est un sujet personnel, une peine de cœur (je le dis en français, cela fera plus frivole) dont hm j'ai du mal à m'alléger. Quand cela vous tombe dessus, c'est beaucoup de douleur à ingurgiter en une seule fois et je n'y suis pas encore arrivée, de temps en temps j'avale encore de travers ! Mais je suis vos conseils, je confie tout cela à mon journal ! J'essaie simplement de ne pas trop m'apitoyer sur moi-même.
- Non, j'avais cru remarquer que ce n'est effectivement pas votre genre !
Elle me sourit à nouveau, plus chaleureusement que tout à l'heure, son visage s'est débarrassé de toute brusquerie ou sévérité, comme d'un vêtement trop lourd trop longtemps supporté.
C'est finalement la première fois que je la regarde vraiment. J'avais toujours été un peu sur la défensive à son égard, je pensais qu'elle me considérait comme un oiseau rare, une sorte d'hurluberlue trop originale pour convenir à Hogwarts.
Elle reprend, entre temps le petit déjeuner est apparu sur notre table et nous commençons à manger.
– Donc, vous aussi vous appartenez au club des diaristes. Elle continue d'un air songeur – Moi idem, je pense que nous formons, nous, les professeurs de Hogwarts, une bande de névrosés, tous plus neurasthéniques les uns que les autres, et que nous avons besoin de cet exutoire !
Je lui rétorque que le fait de traiter ses névroses en les confiant au papier est déjà une bonne étape sur le chemin de la guérison. Elle acquiesce à cette idée et ajoute
– Néanmoins, si tous ces écrits devaient un jour être rassemblés et publiés, ils bénéficieraient sûrement d'un classement X ! et arriveraient donc dans le top ten des ventes.
J'éclate de rire.
– Vous croyez vraiment !
– J'en suis sûre et cela serait prodigieusement distrayant de découvrir ce que nous pensons les uns des autres...
Nous réfléchissons toutes les deux à cette perspective, je nous imagine, elle et moi, ce soir en train de retranscrire et d'analyser notre conversation. Je songe également à Remus, se livre-t-il aussi à ce genre d'exercice ? Si oui, qu'écrit-il à mon sujet ?
Je sursaute brusquement car j'entends la voix de Minerva, comme une prolongation de mes pensées.
– Bonjour, professeur Lupin, venez, asseyez vous à côté de moi, le professeur Dazurs et moi avons une question à vous poser, j'espère que nous ne vous paraîtrons pas indiscrètes, mais tenez-vous un journal hm intime ?
Je le regarde, curieuse de voir comment il va réagir, ce qu'il va répondre. Je m'aperçois pourtant qu'il a laissé la question de côté et qu'il contemple mes yeux, sont-ils encore rouges ? comme j'ai dû violemment pleurer.
Minerva s'occupe de sa tasse, elle le laisse m'observer. Il se tourne enfin vers elle.
– Hello, Minerva, qu'est-ce que je gagne, si je donne la bonne réponse ?
– 100 points pour Gryffondor me semble une rétribution correcte, qu'en pensez-vous Isolfe ?
– Accordé, mais la bonne réponse est-elle de répondre oui ou de répondre non ?
– Ah, très juste, nous n'avons pas décidé, qu'en dites-vous ?
Remus s'est assis à côté d'elle, en se tournant légèrement, instinctivement, vers moi, comme s'il tirait une diagonale entre lui et moi, qui viendrait tendre et raccourcir l'espace nous séparant.
- 100 points pour une névrose... je continue sur le même ton léger, pourtant je redoute la réponse, sans savoir pourquoi.
Remus répond enfin.
– Et bien, oui, j'avoue, je m'adonne à cette occupation solitaire et égocentrique, qui consiste à envisager le monde extérieur sous son unique point de vue ... je complète
– et à y accorder tellement d'importance au point de gâcher papier, encre et sommeil pour le retranscrire.
Minerva me répond, sur un ton amusé, que je suis dure avec la cohorte des pauvres diaristes, et précise à l'attention de Remus que j'en fais pourtant partie, tout comme elle.
– Bien, bien, voilà donc un petit-déjeuner entre gens de bonne compagnie, mais je sens que Lupin s'est mis à spéculer sur le contenu de mes travaux d'écriture, tout comme moi sur les siens.
Je me lève pour quitter la table, début de mon cours dans une demi-heure, Minerva me m'interroge du regard, je retrouve dans ses yeux verts de sinople la sollicitude qu'il y avait dans son attitude tout à l'heure.
Je lui fais un petit signe pour lui dire que tout va bien, je souhaite bon appétit à Remus, je quitte la salle.
Journal d'Isolfe, 8 octobre
Comme hier, ma journée a commencé par une longue glissade dans le souvenir de Benedikt, la noyade semblait assurée, heureusement je me suite faite harponner par S. Snape qui m'a fichue suffisamment hors de moi pour, paradoxalement, me remettre les idées en place.
Il frétillait d'impatience. En fait frétiller est un terme quelque peu exagéré : ses yeux étaient lugubres et opaques, seul un léger sursaut au coin de ses lèvres trahissait ce qu'il avait en tête. Je suis sûre qu'il m'attendait devant l'entrée du réfectoire, il m'a salué, m'a emboîté le pas en un superbe mouvement glissant, et a pris place à côté de moi.
A ce moment, moi j'étais en train de lutter contre un flot de souvenirs gracieux, faciles (Benedikt et moi) car je voyais déjà avec effroi le moment où ils allaient se fracasser à grand bruit sur la dure réalité (parti Benedikt, plaquée Isolfe).
Finalement, j'ai presque été soulagée quand Snape a fait glisser dans ma direction une page du Witch Weekly. J'ai commencé à lire l'article désigné par une flèche soigneusement tracée, l'inspiration en était fortement conservatrice, sang-pur, et se résumait à une attaque en règle contre l'introduction de nouvelles disciplines "exogènes" dans l'enseignement académique de "nos pour le moment plus prestigieux établissements".
J'ai toujours adoré ces fanatiques qui pensent que les nouveaux savoirs peuvent constituer une menace pour l'intelligence; mais il est vrai que ce n'est pas cette dernière qui les préoccupe...
Bon. Bon. J'ai repoussé la coupure vers Snape, je l'ai regardé en articulant soigneusement.
- Suis-je censée en penser quelque chose ?
Il est tombé dans le piège.
– Eh bien oui, vous êtes concernée, il me semble ?
J'ai daigné ajouter que je n'en pensais strictement rien. La pâleur de son visage s'est – un peu – accentuée, j'avais marqué le point, mais il va revenir à la charge.
Caïn, non il faut que j'arrête avec cette plaisanterie facile qui le ferait souffrir, le professeur Lupin est arrivé, je lui ai adressé un sourire lumineux pour faire enrager l'autre qui nous regardait.
Il s'est assis, après avoir un peu hésité, à côté de moi, j'ai failli lui demander s'il avait feuilleté la presse du matin, je me suis retenue, nous avons tous les trois pris notre petit-déjeuner dans le silence, qui se partageait entre un flux hostile allant de Snape à moi, et un courant mineur, indécis, entre Lupin et moi.
N'empêche que toute la journée j'ai ressassé le contenu de cet article, diffamatoire évidemment, mais je n'ai pas pu ne pas me demander combien de personnes l'avaient lu à Hogwarts, et combien s'en serviraient contre moi.
Quand j'ai vu Minerva s'approcher de moi tout à l'heure, je n'ai pu résister à l'impulsion de lui en parler.
Elle m'a répondu, un peu gênée, de ne surtout pas tenir compte de ce genre d'inepties et d'aller à parler à Dumbledore si cela me souciait.
Et elle m'a invitéeà une séance de natation, nous avons rendez-vous à 19 heures 30. J'ai l'impression que c'est notre petit-déjeuner prise en commun avant-hier, et mes confessions, qui ont agi comme facteur déclenchant, plus que l'article dont nous venions de parler.
Moi qui la considérait comme absolument inabordable, je suis – agréablement – surprise de me rendre compte que je m'étais trompée en me contentant de plaquer mes préjugés, et mon tenace sentiment d'infériorité, sur elle. Peut-être aussi voit-elle en moi quelqu'un de pas trop exubérant, une collègue plutôt intravertie et réservée, avec laquelle elle va pouvoir établir une relation cordiale, mais pas trop intrusive.
Elle m'a prévenue qu'elle nageait en eaux froides, heureusement je lui ai fait préciser la température, les 14-15 degrés qu'elle m'a annoncés m'ont incitée à ressortir mon shorty pour ce soir.
Finalement, Marigold Chourave s'est jointe à nous, je n'ai pas réussi à déterminer si Minerva en était contrariée ou pas. En revanche, je suis ravie de la présence chaleureuse de Marigold. Peut-être devrais-je nager dans son sillage afin de ne pas geler trop vite ?
Elles ont été un peu surprises de me voir émerger en combinaison de natation du vestiaire, je leur ai expliqué que sans cela je ne pourrais pas tenir plus de 5 minutes.
J'ai vu leurs deux paires d'yeux glisser sur ma silhouette, j'ai dû leur apparaître mince comme une lame, androgyne – elles sont évidemment beaucoup plus féminines que moi, de la poitrine, et des hanches, qui s' épanouissent royalement chez Marigold, avec plus de retenue chez Minerva.
Nous nous asseyons toutes trois au bord du bassin, les jambes dans l'eau afin de nous habituer à la température, j'ai l'impression de poser les pieds sur un iceberg.
Ni Minerva, ni Marigold ne semblent particulièrement traumatisées. Je demande si l'eau est douce ou salée, j'hésite encore à plonger la main pour y goûter, Minerva me répond qu'elle a reproduit l'eau au large des Hébrides, en été, bien sûr précise-t-elle.
Elle ajoute – Je vous montrerais tout à l'heure comment procéder, et la prochaine fois, ce sera à vous de choisir.
Je m'imagine déjà nageant nonchalamment dans des eaux tièdes et créoles . Cette perspective me redonne du courage, je me laisse glisser dans le bassin.
L'iceberg pénètre entre ma peau et ma combinaison, au bout d'un moment la pellicule d'eau ainsi enfermée se réchauffe et cela devient presque confortable. Toutefois, j'ai beau nager vigoureusement – à ce rythme, pas la peine d'escompter tenir un kilomètre ... - je constate que mes mains sont toutes bleues....
L'extrémité du bassin recule au fur et à mesure que j'avance, rien que de très classique pour une piscine magique, l'air ambiant porte une plaisante odeur de grand large, puissamment iodée, adoucie par une saveur miellée que je ne m'explique pas.
A ma droite, mes collègues nagent une brasse silencieuse et sans effort.
Moi, je suis crevée, je n'avais pas nagé depuis longtemps – je me suis privée de vacances pour me punir d'avoir laissé échapper Benedikt – mes bras sont lourds et de moins en moins efficaces, les muscles situés sur la face interne des avant-bras me font mal et je commence à trembler de froid malgré la combinaison. J'abandonne pour ce soir, je vois sur ma montre que j'ai quand même dû nager une vingtaine de minutes, bon, pas trop mal pour une reprise.
Je sors de l'eau, mais j'hésite à disparaître immédiatement en regagnant les vestiaires, cela passerait sans doute pour de l'impolitesse. Néanmoins, je tremble comme une feuille. Marigold me dit quelque chose que je ne saisis pas.
Elle sort de l'eau à son tour, et j'imagine qu'elle me répète ce qu'elle disait à l'instant.
– Vous êtes glacée, voulez-vous que je vous frictionne ? Je regarde ses mains, blanches, rebondies, qui ont l'air tièdes, j'ai terriblement d'accepter sa proposition. Je suis surprise en même temps par le côté maternel et spontané de sa proposition.
– Où est votre serviette ? C'est celle-ci ?
J'acquiesce, elle s'en saisit, je m'aperçois alors qu'elle ne va pas me frictionner à travers l'épaisseur du néoprène.
– Je vous aide à vous dézipper ?
Je lui réponds.
– C'est ... que je suis torse nue, enfin, en dessous. Elle a l'air sincèrement étonnée par ma réticence.
– Je ne m'attendais pas à vous trouver avec un pull en dessous. J'entends le rire de Minerva qui résonne à la surface de l'eau.
– Voyons, nous sommes entre femmes, nous sommes toutes faites pareilles, vous savez, j'ai deux filles, l'une doit avoir le même âge que vous. Elle tire d'un coup décidé sur la fermeture à glissière, je dégage mes bras, et lui présente docilement mon dos. Je suis sûre qu'elle va me dire que je ne suis pas bien épaisse.
– Vous n'avez vraiment que la peau sur les os ! J'avais oublié cette variante. Je ne réplique rien, lui expliquer que moi aussi j'ai des problèmes de cellulite passerait pour de la provocation, et m'efforce plutôt de garder mon équilibre, mis à mal par son vigoureux mouvement de friction.
Elle m'étrille littéralement, mais je retrouve l'énergie et la précision des mains maternelles qui m'ont habituée à être menée durement. Je sens ma peau piquer, chauffer et rougir, j'ai cessé de trembler.
Je suis happée par un état de béatitude sereine et irresponsable qui me tire vers mon enfance. Je pourrais fermer les yeux et sentir la chaleur du soleil que vient mordre le vent de nord-ouest, entendre le bruit des vagues sur les galets, le bruit des voix familières - dont l'une s'est tue, dont l'une s'est tuée – fin de la béatitude, la vie adulte me rattrape, faut-il toujours que les souvenirs finissent par vous déchirer ?
Marigold s'arrête, je la remercie, elle me conseille d'aller me rhabiller sans tarder, elles deux vont encore nager, je m'enroule dans ma serviette, regagne le vestiaire.
Journal de Remus, 10 octobre
Je dégagerai l'air devant toi
et tu avanceras sans peine
et je refermerai ton sillage
derrière toi
et de ma présence attentive
tu ne devineras rien.
Je plongerai mes mains dans tes cheveux
Je les poserai sur tes seins
et de ces deux caresses
tu ne sentiras rien.
