Bon, bon et voilà le tour de ce fameux passage écrit un jour où je devais être d'humeur particulièrement "full mélo" ! Et qui m'a faite transpirer sang et eau et a été réécrit partiellement, dans une tentative plus ou moins aboutie pour le rendre plus nerveux. Quant à la plausibilité médicale, j'entretiens de sérieux doutes…. Aujourd'hui, une seule envie – je balourde tout cela en ligne et je ne m'en préoccupe plus. Mais enfin, il fallait bien que Remus et Isolfe deviennent officiellement ….. amis.
A nouveau, il s'agit du même passage raconté par les deux protagonistes, mais Isolfe y est décidément moins drôle que lorsqu'elle assiste à un mach de quidditch.
Enfin mes remerciements à (bon sang, il a fallu que j'appelle du monde à la rescousse….)
Mesdames
JKRowling, pour tous ses personnages,
P.D James pour l'extrait d'Original Sin et
Anne Sylvestre pour l'extrait du "Pont du Nord" – une merveilleuse et bouleversante chanson…
la marque Nuxe, à qui je fais, le 17 novembre, un discret coup de pub ( mais loin de moi l'idée de transformer Ffnet en Ciao.fr rubrique crèmes et nanas pas de ma faute si Lupin est obsédé ! )
Bonne lecture !
Journal de Remus, 15 novembre
Je rentrai d'une course solitaire, trois jours après la pleine lune, douleurs encore présentes dans des muscles pourtant encore avides d'exercice physique, et la perspective de 25 jours d'humanité devant moi ! et puis surtout, ma joie secrète, Isolfe revient ce soir de ses mystérieuses expéditions, qui la protègent de mes mauvais jours. Une fois de plus, je me félicite de cette mystérieuse coïncidence.
J'étais arrivé dans le corridor menant aux appartements des professeurs non permanents, la porte d'Isolfe était ouverte ? peut-être les elfes domestiques en train d'y faire le ménage avant son retour.
Je m'approchai afin de jeter un œil ; je suis toujours gêné par le " protocole " d'Hogwarts qui veut que tout soit rangé, nettoyé, lavé, réparé, sans que jamais ceux qui profitent de ceux travaux ne rencontrent les petites créatures qui les exécutent.
Mais enfin, quelle puissante tentation de voir l'endroit où habite Isolfe, les objets qui l'entourent, le lit où elle dort…
Je ne vis aucune elfe, la première pièce, bureau et salon à la fois, était déserte, mais bien en évidence, un grand sac de voyage, ouvert, encore rempli. J'étais furieux d'avoir oublié mon savoir-vivre, j' aurais évidemment dû frapper à la porte, je me résolus à toussoter.
Rien ne bougea, peut-être était-elle ressortie, et pourtant je crus entendre un léger bruit dans la pièce d'à-côté, sa chambre, si je me fiais à la disposition de mon propre appartement. Je me décidai, poussai la deuxième porte, elle aussi entr'ouverte.
J'oubliai mes scrupules quand je découvris Isolfe, allongée sur le sol, yeux fermés, jambes à demi repliées, bras écartés du corps, paumes fortement appuyées, comme deux ancres jetées. Un pas, un bond me menèrent près d'elle.
Je m'agenouillai, elle était inconsciente, pouls, pupille, respiration, je basculai sa tête bien en arrière, en lui soulevant le menton, pour dégager les voies respiratoires, pas de blessure visible, de signes de chute, je penchai pour un simple évanouissement – je retrouvai sans peine le chemin de ces gestes, qu'il y a pourtant si longtemps que j'avais appris –, tapes sur joues, du bout des doigts, pas de réaction, j' hésitai à l'abandonner, puis je me résolus à aller chercher dans la salle de bains une serviette, robinet, eau froide, je renversai un flacon, l'eau inonda mes mains, le sol, mais j'étais à nouveau inclinée sur elle, j' essorai la serviette sur le parquet, je glissai le linge autour de son cou, ramenai les pans sur ses joues, enfin, elle émergea, frissonna, jeta ses mains à son cou, comme pour en écarter le tissu mouillé, son cri angoissé " je saigne ! ", je lui expliquai que ce n'était que de l'eau, elle ouvrit ses yeux en plein dans les miens, je reposai ses mains sur le sol, elles étaient glacées.
Elle m' expliqua qu'elle a dû s'évanouir après s'être fait mal au dos en soulevant son sac.
– Absolument ridicule, mais j'ai encore mal, j'ai dû m'y prendre comme une idiote pour me faire autant mal. Auriez-vous la gentillesse d'aller chercher Madame Pomfrey ?
Je lui répondis qu'elle n'était pas là ce dimanche après-midi et que les élèves avaient pour consigne de ne rien tenter de scabreux qui aurait nécessité son savoir-faire. J' ajoutai que, comme toujours, l'interdiction ne valait pas pour les professeurs.
Je marquai une pause, puis très vite je m'entendis dire, d'un ton très factuel (la voix du professeur Lupin dans le meilleur de sa forme, étrange que rien n'eût transparu du tremblement qui m'habitait alors – et qui déstabilise encore ma plume au moment où j' écris).
- Et bien, je suppose que je peux continuer à jouer les infirmiers et vous aider… si vous acceptez.
Son hésitation planait au dessous de nous, et moi je la guettai dans ce moment qui n'était absolument qu'entre nous deux, ces quelques secondes où elle réfléchissait à la manière de répondre à ce que je venais de lui proposer, la connexion que notre proximité créait entre nous. Et j'étais conscient de la douleur qui crispait les traits de son visage, nouait les muscles de son dos, et qui allait peut-être lui faire accepter ma proposition.
Elle me répondit enfin
- Non.
sa voix était finalement dangereusement dure.
Je lui répondis, furieux - choisissant le registre de la colère, je suis tellement habitué à contrôler mes émotions, que je peux maintenant presque sans effort choisir celles que je vais mettre en avant, une protection entre moi et les autres, cette fois-ci la colère allait me permettre d'oblitérer le désespoir dans lequel m'avait noyé son non, qui retentissait, persistait encore entre nous comme un désaveu.
- Pourquoi, vous préférez continuer à souffrir ? ne soyez pas ridicule, je vous rappelle que je viens de vous réanimer, je n'ai pas l'habitude d'aider les gens à moitié
Elle insistait
– Non, laissez-moi, éloignez-vous de moi et reprenez ce truc froid que vous m'avez enroulé autour du cou.
Je la vis ramener ses mains autour de son cou, retirer la serviette, attentive à ne rien trahir de la douleur que le mouvement devait pourtant lui causer.
Je pensais " Fichue tête de mule " et en même temps je me découvrais envahi de tendresse devant ce refus obstiné que je ne voulais pas m'expliquer. Je repris la serviette, afin de nous donner du temps à tous deux, je la ramenai dans la salle de bains, ramassai le flacon renversé tout à l'heure, regardai dans le miroir, à moi le visage, tout proche, à elle, le corps allongé, plus loin.
A peine étais-je revenu près d'elle qu'elle me jetait au visage – Partez maintenant, vous avez perdu assez de temps avec moi.
– Non, vous voyez maintenant c'est à moi de dire non, qu'allez- vous faire si je pars, passer la nuit pitoyablement allongée, à serrer les dents ; il n'est pas humiliant de se faire aider, je vous propose mon aide, vous en avez besoin, acceptez.
Elle répétait encore et toujours – Non.
Je rallumais ma colère.
- Moi aussi je sais dire non, donc non, je ne vous laisserai pas. Je vous fais peur ?
Blessé, je mis de l'ironie dans ma voix, c'était la face visible de ma question, mais en deçà j'étais terrifié parce que la réponse pourrait être oui, je sais que certaines personnes, très rares, heureusement, ont l'intuition de ma nature monstrueuse ; et pourtant il ne m' a jamais semblé qu'Isolfe fût dans ce cas, non par manque d'attention ou de sensibilité, mais parce qu'elle semble voir en moi au delà de cette part noire, un regard qui glisserait sur l'enveloppe extérieure, le professeur Lupin, traverserait la zone interdite, le loup, et atteindrait mon véritable moi.
C'est la première fois que je me l'avouais, et pourtant, en ce moment, même elle me rejetait.
Peut-être étais-je en train d'empiéter sur son territoire privé à elle, quelque chose d'elle que je ne connaissais pas, oui bien sûr, et un autre aurait été tout aussi malvenu.
Je me sentis plus léger et décidai de ne pas tenir compte de l'interdiction qu'elle me faisait de l'aider. Je pensai aussi que j'avais pris goût à cette délicieuse proximité, à sa peau touchée il y avait quelques minutes ; et que je voulais prolonger ce moment, cette intimité, tant pis si cette dernière était artificielle et fallacieuse et si je savais qu'au bout je ne trouverais que la frustration au lieu de l'épanouissement.
Un souvenir de bonheur dérobé à l'humanité normale, plus précisément aux hommes normaux - une femme toute proche de moi …
Ces mots que je viens de tracer se moquent de moi, douloureusement, je m'autorise des émois d'adolescent à l'âge où d'autres sont mariés, pères, pourvus de maîtresse, peut-être, divorcés….
Je répétais ma question – Vous avez peur de moi ? vous êtes une bonne magicienne, vous sauriez vous défendre en cas de besoin.
Sa réponse arriva, agressive
– Comment ferais-je, clouée au sol, sans baguette, face à un spécialiste qui connaît mille et unes méthodes d'exterminer les bêtes malfaisantes ?
Ce dernier mot vint me frapper en pleine face, je pensais : range-t-elle les loups garous dans la catégorie des bêtes malfaisantes ?
– Et bien, je vous l'amène de suite, comme cela vous vous sentirez en sécurité.
Sa baguette, je l'avais effectivement aperçue tout à l'heure, posée sur le lit. J'hésitais quelques secondes, le savoir-vivre magicien veut que l'on ne touche pas à la baguette d'un autre sans y avoir été invité, comme si on entrait dans une pièce occupée à la porte de laquelle on n'aurait pas frappé. Pourtant, volontairement, j'enfreignis la règle, j'avais envie de garder au creux de ma main, ne serait-ce que quelques secondes, un objet qui portait si fortement sa marque et peut-être transférer sur moi un peu de cette substance immatérielle qui, au fur et à mesure de l'usage, s'instaure entre un magicien et sa baguette.
Je me dis aussi que, grâce à cela, ce témoin me parlerait d'Isolfe, me délivrerait un message (mais lequel, qu'elle pourrait m'aimer un jour, malgré ce que je suis?). Puis je sentis dans ma paume le bois lisse, le si léger creusement lustré à l'endroit de l'emprise des doigts d'Isolfe, où les miens s'étaient exactement refermés (mais cela signifiait-t-il quoique ce fût ?).
Je regardais Isolfe, elle avait refermé les yeux, indifférente à moi ? J'en eu soudain assez de cette absence, cette abstention ; dans ma main la baguette était pourtant chaleureuse.
- Tenez, prenez.
Je posai la baguette près de sa main droite, une nouvelle fois je dis
– Laissez-moi vous aider.
Elle répondit qu'elle avait froid, désigna de ses yeux une veste de laine claire sur une chaise, je pris le vêtement et le posai sur elle. Je la regardai essayer de retenir ses larmes, je sentais que ces pleurs étaient pour le moment au delà de ma compréhension.
Obstiné et patient, je repris
– Laissez-moi vous aider.
Je brûlais de ce désir-là, la soulager, me l'approprier pour quelques instants, retrouver le contact de sa peau.
D'une voix lasse, infiniment, elle consentit enfin.
- Allez-y, faites ce qu'il faut pour me soulager, elle marqua une pause, et subitement
– Mais avant, jurez-moi de le faire en ami, oui – sa voix était maintenant plus vivante – installons une amitié entre nous.
Je pensais - Pourquoi ? Etions-nous ennemis ? Et pourquoi me l'avoir demandé avant, me propose-t-elle une amitié - le verre à moitié plein – ou me défend-t-elle un sentiment plus fort ? - le verre à moitié vide ? En fait , oui, bien sûr, avant que je pose mes mains sur elle, elle voulait que les choses soient claires, ce n'était qu'une amitié qu'elle me proposait d' installer, le verbe prenait alors tout son sens.
Mais finalement si je regardais les choses en face, la relation de camaraderie qu'elle me proposait était sans doute ce que je pouvais obtenir de meilleur d'une femme puisque toute autre possibilité, intime et charnelle aurait été inaboutie et il me semblait aussi que, parce que c'était elle, je pourrais gérer les contradictions d'une relation acceptée en deçà de ce que j'aurais voulu qu'elle fût.
Et même si cela devait constituer une épreuve permanente, pour éviter de la perdre, je saurais me couler dans ce nouveau rôle d'ami domestiqué, contrôlant soigneusement ses sentiments et ses instincts, une pleine lune permanente en quelque sorte.
Elle me dit, hésitante
– Etes-vous d'accord ? Vous voyez, maintenant, c'est moi qui insiste pour que vous me disiez oui !
Je pensai : pourquoi cette précaution entre nous, existe-t-il quelque part un autre homme dont elle est plus que l'amie ? et qui me disqualifie comme amant potentiel – amant, ce mot que j'avais enfin réussir à sortir de moi, sans savoir si l'exposition à la réalité n'allait pas le faire éclater en un millième de seconde.
- Non, je veux dire oui, je suis désolé, je n'avais évidemment pas besoin de temps de réflexion. J'espère que votre question n'est que pour la forme et que vous savez que moi, je suis déjà votre ami … depuis le début. Après un temps d'hésitation, j'ajoutai - Vous êtes tellement évidente.
Le mot n'était pas prémédité, mais s'était soudain imposé à moi – elle m'est devenue tellement nécessaire, mais comment pourrait-elle le comprendre, elle à qui je n'ai pas le courage de dire qui je suis !
Elle répéta, surprise du dernier mot
- Evidente, comme ce mot est bizarre, je n'en dirais pas autant de vous, Remus car il y a en vous des abîmes insondables. Je ne savais pas si elle plaisantait ou si elle était sérieuse, elle parlait lentement, mais en tout cas, elle avait ressurgi de l'indifférence dans laquelle elle se terrait tout à l'heure.
-Allez, je ne vais pas continuer à vous laisser souffrir, d'abord il faut que vous vous mettiez sur le ventre …J'hésitais à prononcer le mot, à nommer une partie de son corps, et ensuite je m'absorbai dans cette image, ma tête posée sur la douceur de son ventre - ou que le fasse pour vous.
Elle acquiesça.
- Et surtout, prévenez moi si vous pensez que vous risquez de vous évanouir à nouveau… ne jouez pas trop au brave petit soldat.
J' essayai d'opter pour un ton aussi neutre, aussi praticien que possible. Je passai une main sous son dos en essayant d'éviter de lui faire mal, j'appuyai l'autre sur son ventre - plat, ferme, en dessous du niveau de la cage thoracique, peau, muscle , si facilement lisibles sous ma main, même sous le tissu. Je la tenais par le milieu du corps, mes deux mains formant comme un levier autour d'elle (ou un forceps ?) , autour de sa chair et ses os… !
Et comme sa vie était proche de moi : air inspiré, expiré, rythme accéléré. L'image d'une louve passa aiguë comme une lame dans ma tête, mais s'effaça très vite, ne resta que la sensation exorbitante d'être là, près de la femme qui m'importait vraiment.
Je resserrai un peu mon étreinte, je déplaçai mes mains autour de sa taille, l'une amorçant le mouvement de rotation, l'autre la soulevant légèrement. Elle tendit tous ses muscles, jambes, abdomen, je la fis tourner entre ses mains aussi facilement que si elle était une pièce de métal de bonne facture.
Après, elle était allongée sur le ventre, et, afin de découvrir sa peau de son dos il me fallait remonter un léger pull bleu pâle, un autre gris clair, et …
- Allez-y, dégrafez, ne venez-vous pas de me dire que vous ne faisiez pas les choses à moitié ?
Mon hésitation céda sous le trait d'ironie, je priai ses mains de ne plus penser à autre chose qu'à l'aide à lui apporter.
Je me mis à penser, amer - Non, je ne fais pas les choses à moitié, c'est moi qui ne suis que la moitié de ce dont j'ai l'air .
Elle ajouta
– Après tout, vous n'êtes qu'un soignant.
Les mots m'attrapèrent et me meurtrirent, à peine venais-je d'être choisi comme ami que j'étais ravalé au rang de subalterne interchangeable. Pourtant sa voix s'était détraquée sur la dernière syllabe comme si elle n'avait pas trouvé en elle assez de dureté pour me blesser jusqu'au bout, ou comme si elle regrettait déjà ce qu'elle avait dit ?
Et puis ne pouvais-je pas la comprendre de vouloir se protéger de ce geste porteur d'ambivalence et de lui ôter sa composante trop intime. Je dégrafais, laissant le dos de son soutien-gorge tomber de chaque côté sur le sol, juste près de l'endroit où reposaient ses seins, à peine perceptibles. Je pensais, moqueur de moi – C'est la première fois que je fais cela, mais évidemment pas comme je me l'étais imaginé !
- Tournez la tête vers moi, je pourrais arrêter si je vous vois faire des grimaces de douleur.
Elle s'exécuta, ébaucha un sourire, mais son visage restait blafard et tendu.
Je lui demandais de m'indiquer l'endroit douloureux, et commençais à travailler du bout des doigts les muscles noués qui se laissaient si facilement trouver sous la finesse de la peau. Je rencontrai plusieurs points de résistance, presque indurés, où la crispation était encore plus flagrante. Je connaissais ce genre de tension malsaine, qui s'auto entretiennent et qui chez moi constituent, avec d'autres dégâts plus visible, le reliquat physique de mes passages mensuels dans le monde des loups.
Puis je m'aperçus qu'une vertèbre n'était plus à sa place, elle ne s'emboîtait plus exactement dans la docile succession de toutes les autres.
– Vous savez que vous avez une vertèbre déplacée ?
– Non, … enfin, peut-être…
– Comment peut-être ? Qu'est-ce qui vous est arrivé ?
Tout en parlant, je continuais mon examen, afin de déterminer s'il existait une autre anomalie. Elle se taisait, j'insistai
– Alors, vous ne voulez pas en parler ?
– J'ai fait une mauvaise chute, il y a peu près un an, j'en suis sortie avec quatre vertèbres fêlées, j'ai dû être mal soignée.
– Mal soignée, oui, vous pouvez le dire, c'est du travail de cochon, vite et mal fait. Vous n'auriez pas dû conserver de séquelles si l'on s'était bien occupé de vous. – Est-ce la première fois que cela vous arrive, je veux dire que votre vertèbre se déloge ? Vous l'attend-on déjà remise en place ?
– Oui, non. Que faut-il faire ? Le savez- vous ?
– Tout simplement la remettre correctement en place, mais la manipulation est violente et donc douloureuse….
– Mais, vous, savez-vous le faire ?
– Oui.
– Vous avez déjà fait cela ?
– Oui. Elle réfléchit encore un peu.
– Un jour vous me raconterez dans quelles circonstances, d'accord ?
– Oui.
- Comment allez-vous vous y prendre ?
– Eh bien, il faut forcer la vertèbre en place, c'est comme un os déboîté, il n'y a pas de méthode douce, mais si cela peut vous rassurer, plus c'est violent, et plus c'est rapide !
– Je ne crois pas avoir peur de la douleur physique, enfin dans les limites du supportable, donc non, en fait j'ai peur d'avoir trop mal.
Elle se mit à trembler. Je fis peser mes mains davantage sur son dos, jusqu'à ce que le tremblement cesse.
– Vous êtes prête ?
– Oui, je crois. Mais faut-il que je reste allongée ?
– Non, asseyiez-vous.
Elle ramena ses jambes sur le côté, en prenant appui sur le coude opposé, puis devant elle. Je lui dit de rester les genoux remontés afin de pouvoir s'y appuyer. Je regrettai que soit déjà passé le moment où son mouvement avait révélé la courbe de ses hanches. Elle me demanda si les vêtements n'allaient pas me gêner, d'une voix froide et pratique. La question me laissa sans défense, au bord d'une sorte d'interdit. Je me mordis les lèvres, puis décida d'être aussi factuel qu'elle, comme un soignant.
– Non, je vais simplement les remonter davantage.
Je dégageai toute la hauteur du dos, en bloquant tee-shirt et pull en haut de ses épaules.
– Vous n'avez pas froid ?
– Non, enfin, si un peu. –
Je vais masser votre dos, afin de bien échauffer tous vos muscles ; cela facilitera le … réemboîtage.
Je posai mes mains à plat, le faisant monter et descendre en accentuant doucement la pression. Au bout de quelques minutes.
– Ok, c'est bon je vais y aller. Respirez profondément.
Elle me répondit, avec une amorce de rire.
– Vous me faites penser au médecin de mon enfance, lorsque je devais aller me faire vacciner, un truc muggle, vous savez, il disait toujours "Attention, maintenant je pique" et il y allait très doucement, comme çà j'avais tout le temps qu'il me fallait pour me contracter !
– Bien, je suis maladroit alors, j'aurais dû me taire et faire mon coup en douce ?
– Non, excusez-moi, j'ai grandi, donc allez-y, je respire bien fort. Encore quelques secondes, je sentais bien la vertèbre, trop mobile sous mes doigts, je lui assénai un coup de poing entre les deux omoplates et sitôt après je forçai la vertèbre en place, en appuyant fortement.
J' entendis un petit craquement qui m'indiquait que la lombaire venait de se réemboîter, je maintins mes mains fortement plaquées, pressées contre son dos, je rattrapai ses genoux qui étaient en train de lâcher.
– Respirez fort, je veux vous entendre, et décontractez vous. Elle s'exécuta. Je savais que sa douleur était en train de passer. Le temps semblait avoir disparu, j'étais dans un espace où il n'y avait ni avant, ni après, dans un lieu sans impossibilité, j'étais presque heureux, transporté en dehors de moi- même dans la présence et la chaleur de cette peau qui n'était pas la mienne.
Le silence coulait entre nous comme une eau libre ; je laissai ses mains sur elle, si je les avais faites glisser de son dos et de ses genoux, en les laissant au même niveau, elles auraient touché ses seins.
Je m'aperçus que même la violence de mon désir, en ce moment, n'était plus si importante, si torturante ; que j'éprouvais une étrange joie à la maîtriser, comme je venais de maîtriser les douleurs rétives de son dos.
Je me demandai si elle s'était endormie. Puis elle s'enquit
- Ça y est, je suis réparée ?
– Oui, vous n'avez pas eu trop mal ?
– Si, mais cela n'a pas duré longtemps, heureusement que vous étiez là pour retenir mes jambes, elles n'auraient pas tenu le choc. Puis-je essayer de bouger mon dos maintenant ?
– Je pense que oui.
Je retirai ses mains, après avoir imprimé une dernière pression. Elle replia ses bras derrière elle, rattacha son soutien-gorge, marqua une courte pause, pour récupérer de l'effort encore douloureux que ce mouvement lui avait causé, j'en profitai pour la devancer et rabattis le tee-shirt, puis le pull, sur la peau qui tremblait . Elle déplia ses genoux, allongea ses jambes, les fit bouger pour les décontracter, les replia sur le côté, se mit à genoux, puis s'accroupit sur demi pointe, se déploya en prenant garde à dérouler son dos, vertèbre après vertèbre.
- Bien, si vous le permettez, je vais continuer mes exercices. Asseyez-vous, je vous en prie – elle me désigna un fauteuil recouvert de tissu bleu, sa voix était lasse, mais adoucie.
- Vous allez penser que mon sens de l'hospitalité est aussi défaillant que mes vertèbres… Cela vous fait sourire, mais vous restez debout, c'est cela.
Je pensai oui, j'étais attentif à ne pas la gêner, mais je voulais rester près d'elle, au cas où elle se serait sentie mal à nouveau et aussi parce que je n'avais pas envie de sortir du cercle de sa présence immédiate, la distance à laquelle peuvent se tenir les proches et les intimes.
Je la vis prendre un genou dans ses deux mains, puis le lever vers sa poitrine, marquer une pause au point de résistance et aller plus loin, exécuter le même mouvement avec l'autre genou, se pencher ensuite et poser ses mains par terre, tête relâchée, je remarquai le pull qui glissait jusqu'au milieu de son dos ; je revis la surface de peau que j'avais tout à l'heure sous mes mains.
Puis elle se releva, en marquant une pause à chaque vertèbre, elle était maintenant totalement redressée, mais elle vacillai, je m'approchai et lui offrit mes bras en appui, elle se détourna pourtant pour chercher un autre support (n'avait-t-elle pas vu ou les avait-t-elle ignoré, je ne savais dire), ce fut le manteau de la cheminée, bras étendus, le dos à plat dans le prolongement, ses pulls étaient toujours restés bloqués à mi-hauteur de son dos, je voyais sa cage thoracique bouger au fur à mesure des inspirations et expirations lentes qu'elle s'imposait, je voyais les côtes sous la peau, la peau posée sur ses os.
Au bout d'un moment, elle se redressa, s'excusa de ce nouvel accès de faiblesse, me remercia d'être encore resté près d'elle. Puis elle alla s'asseoir sur son lit, je la sentis soulagée de ne plus avoir à mobiliser ses forces pour conserver son équilibre.
Je savais également qu'elle allait s'interdire de fermer les yeux tant que je serai devant elle, qu'elle resterait au contraire vigilante, comme s'il s'agissait de tenir en garde quelqu'un dont on ne pouvait pas être tout à fait sûr. Alors que je rêvais, mais de quoi au fait ? de la tenir, confiante, abandonnée, entre mes bras, alanguie, langoureuse? Il aurait fallu qu'elle aussi soit maudite pour que cela fût possible.
J'hésitais sur ce que je devais faire ensuite, je regardais mes mains, je savais qu'elles avaient gardé l'odeur de sa peau. J'avais envie de les poser sur mon visage, et de m'y enfermer, mais je n'allai pas au bout de son envie, je me contentai de passer rapidement le bout de mes doigts sur mes yeux, en les pressant.
Puis j'entendis Isolfe hésiter sur le début d'une phrase.
– Pourrais-je, euh pourriez-vous, non euh, peut-être accepteriez-vous de rester encore un peu avec moi, pour hm continuer à me surveiller, vous savez comme en salle de réveil après une opération.
Elle semblait contente d'avoir trouvé une image qui l'aide à passer sur un registre plus général, moins personnel.
– Pour vérifier que le malade ne replonge pas dans le coma ! Moi je ne retins que l'angoisse pleine de désarroi qui flottait autour de sa demande.
– Vous vous sentez toujours mal ?
Elle réfléchit un moment, froncement de sourcils et plissements d'yeux, puis haussa les épaules.
– Non, lasse simplement. Je voudrais ne plus penser à rien, et si vous partez, ou si je ferme les yeux, je n'y arriverai pas.
– Et en me regardant, vous arriverez à ne penser à rien ?
Formulée à haute voix la question m'apparut drôle et cruelle aussi, puisqu'elle me renvoyait à mon peu d'importance à mes yeux, à mon rôle de subalterne, à elle impolie et blessante. Elle s'apprêtait à répondre, mais je la devançai
– Et bien, puisque vous m'invitez à jouer les garde- malades, allons-y, que fait-on dans ces circonstances ? La lecture, non ?
Pas d'amertume dans ma voix, juste une proposition de bon sens dictée par une amicale sollicitude ; juste entre les mots discrètement entrelacés, jouant à cache-cache entre eux, tout les sentiments qu'elle tirait de moi, comme de l'eau d'un puits dont je m'étais interdit l'accès, l'ayant cru à sec.
Elle fut prompte à se saisir de ma proposition.
– Quelle bonne idée ! Avez-vous lu " Original Sin " de P.D. James ?
Je lui répondis que oui, elle soupira, déçue, mais avant qu'elle ne puisse penser à un autre titre, je lui assurais que je l'avais lu il y a longtemps, l'été dernier en fait, que je l'avais beaucoup aimé, et que je ne demandai pas mieux – oh, comme la banale formule se remplissait d'un véritable sens tout d'un coup – que de recommencer…
- Pour vous.
– Tenez, vous devriez le trouver quelque par dans mon sac de voyage, un livre noir, enfin vous savez à quoi il ressemble.
Je me dirigeai vers le sac déjà aperçu tout à l'heure, j' hésitai un peu à y plonger mes mains, je redoutais et espérais le contact de choses douces qui seraient familières d'elle, mais le roman était là, bien visible, rendant inutile toute exploration. Je me crus obligé de dire
–Çà y est, je l'ai.
– Parfait, vous devriez trouver un marque-page, je dois en être arrivée à peu près au milieu du chapitre 8.
Je confirmai, j'avais trouvé la marque, un signet portant le nom d'une librairie en France, entre les pages 84 et 85. Je me rapprochai du lit, je vis qu'entre-temps Isolfe avait installé deux oreillers l'un dans son dos, l'autre pour caler sa nuque, j'aurais aimé le faire pour elle, mais elle m'avait pris de vitesse, sans doute volontairement, elle ne voulait pas voir mes mains se rapprocher trop d'elle maintenant, je lui tendis le roman, d'un peu loin, ses yeux balayèrent la page rapidement, s'arrêtèrent,
- Ah voilà le passage,
je n'étais pas sûr finalement que ce soit moi le lecteur, qui allait donner sa voix à l'autre, dans cet étrange face-à-face, où, partant d'un événement somme toute banal, qui nous avait amenés au bord d'une redoutable intimité, nous étions en train de revenir à une situation qui ne demandait plus qu'une légère implication.
Elle me désigna du doigt le début du paragraphe non encore lu, c'était donc bien moi le lecteur.
J'approchai une chaise du lit, en réfléchissant à la distance correcte à laquelle la positionner, de sorte que ma voix n'ait à être ni trop forte, ni trop douce. Je me permis de tricher quand même, en plaçant la chaise un peu plus près d'elle que ce qu'aurait voulu mon calcul.
Je commençai à lire, elle commença à m'écouter, les mots qui allaient maintenant passer de moi à elle étaient neutres, déchargés de sens pour nous, c'étaient les personnages du roman qui allaient les assumer.
" And there were discoveries to be made. Declan, as Claudia admitted, had an eye ".
Mais moi, parole prise, contenue par le texte, je m'obstinai à scruter les autres signes entre nous, la façon dont j'allais plus ou moins me pencher vers elle, la façon dont elle se tenait, la tension crispée qui allait la quitter peu à peu, son attention qui parfois s'échappait, en laissant sur son visage une ombre dense.
"It was difficult to imagine him with an orthodox past life, parents and siblings, school, a first job ".
En lisant, je me disais que c'était peut-être une réflexion qu'on pouvait se faire à mon sujet. Etrange, comme les mots du roman m'avaient quand même rattrapé.
Je lus jusqu'à la fin du chapitre 15, ensuite Isolfe se proposa de prendre le relais, pendant qu'elle m'indiquait où trouver de quoi nous préparer un thé. J'eus du mal à me concentrer sur le texte, pris dans les intonations plutôt graves de sa voix, les infimes pauses de sa respiration, son léger accent français, qui m'enchantait, rendant sa voix si différente de celles que j'avais toujours entendues.
Puis il fut tard, et Isolfe s'excusa de m'avoir retenu si longtemps, et me remercia d'avoir joué les garde-malades ; avant de la laisser, je lui demandai de se mettre debout, et de faire quelques pas afin de vérifier que la crise était passée, elle s'exécuta de bonne grâce, elle m' avoua simplement qu'elle ressentait encore simplement "une petite douleur résiduelle".
Elle me raccompagna jusqu'à la porte, comme un hôte, nous nous quittâmes. S'il j'avais été simplement un homme, je l'aurais prise dans ses bras, pour lui faire oublier son chagrin, n'est-ce pas le rôle d'un ami ? Mais je partis les bras simplement refermés sur ma malédiction.
Journal d'Isolfe, 15 novembre
Remus Lupin a quitté ma chambre il y a deux heures environ, pensant que mon dos était guéri – il avait raison – et mon âme apaisée – il avait tort.
A peine était-il parti que je me suis effondrée en pleurs en larmes, en peur en lame…. J'avais pourtant réussi à lutter contre cette folle envie de sangloter en sa présence, qu'aurait-il pensé de moi ? mon soignant attentif … qui avait réussi à me calmer un peu et à se placer entre moi et cette sale nouvelle.
Et maintenant, Isolfe, it's up to you, qu'est-ce que tu veux faire de tout ? replonger dans la folie des premiers jours ou tirer un trait terminal sur tout cela ?
Bon reprenons dans l'ordre. Non avant … je me laisse traumatiser par trop de terreurs indistinctes, telles des cauchemars mal maîtrisés … non stupide, les cauchemars ne sont jamais maîtrisables, les juments nocturnes débridées, emballées le mors aux dents.
Et mes angoisses ne sont pas indistinctes, elles sont très précises, j'en garde l'empreinte trop précise en moi, trop présente, il faut que je m'en expurge – un évidemment de moi dans l'écriture, je laisse l'usage des pensines à d'autres, pas de défaussement artificiel Isolfe, en avant, il est temps d'écrire et de prendre mes distances, il est temps de laisser l'écriture objectiver les situations, une sorte de déport des événements ou alors un dépôt ? sur le papier …
Donc j'ai regagné Hogwarts, avec ce foutu papier dans ma poche, tel un cruel trophée qui brûle les mains et glace le reste. J'avais à peine digéré le message privé que Benedikt m'avait catapulté au visage il y a déjà de si longs mois, que je devais maintenant absorber mon officielle déchéance, ce superbe bristol gravé, les magnifiques volutes de son impeccable anglaise.
Arrivée dans ma chambre, j'ai commencé à désemplir mon sac de voyage, pressée par la nécessité de ne surtout pas rester inactive, l'esprit vacant ouvert à tous les assauts de mon chagrin.
Mais je me suis révoltée contre cette trop stricte discipline, j'ai tout envoyé promener, violemment, de droite à gauche, générant une formidable ligne de torsion qui est venue vriller les points encore fragiles de mos dos, les séquelles intimes dissimulées au creux de mes vertèbres.
Logique, n'est-ce pas, que ce mouvement de révolte en arrivât à ce point précis - comme un fleuve toxique qui savait exactement où se remettre à couler.
Je pense que j'avais dû faire en sorte de susciter cette douleur, en forçant ce corps trop résistant à mon goût, afin de le faire participer au désespoir qui m'entaillait le cerveau et me crispait le cœur dans une gigantesque nausée.
J'ai dû m'évanouir, finalement j'avais mal ajusté ma résistance.
Quand je suis revenue à moi, quelqu'un était près de moi, Remus Lupin, sans que j'ai envie de savoir pourquoi et comment. J'ai dû lui demander d'aller chercher Pomfrey, non pas pour obtenir une aide dont je ne voulais pas, que je ne méritais pas, mais pour le faire partir.
Mais il est resté, obstiné, j'ai dit non plusieurs fois en vain.
Et en plus, il semblait furieux que je rejette ses offres de services. Je sentais que la situation m'échappait, dérapait de façon déplaisante, et que cela allait nous blesser tous les deux, pour rien. Il m'a demandé si j' avais peur de lui, peur non, envie d'être débarrassé de ton importune présence, de ta sacrilège présence.
Pourtant, au moment où j'exprimais ainsi mon exaspération, je sus que j'avais tort, et que je voulais qu'il restât, le voir partir eût finalement été revivre une autre scène de congédiement.
Mon Dieu, comme tout était plus simple avant, douleur et chagrin prenant toute la place, m'évitant de mêler trop de sentiments contradictoires, venant brouiller l'analyse.
Je venais de me rendre qu'il était trop près de moi, ses genoux qui effleuraient mes côtes, son buste penché sur moi, comme …un amant, j'aurais pu presque le détester pour ce moment qu'il venait de me voler, quand j'étais évanouie – et je savais même pas combien de temps j'étais restée là.
Il venait de poser ma baguette, à portée de ma main, comme une défense contre lui.
Je la délaissai, pourrait-il vraiment me vouloir du mal ? Je lui dis que j'ai froid, il m'apporta ma veste, la déposa sur moi, efficacement.
J'abandonnai, je lui déclarai que j'étais d'accord, que finalement je voulais bien qu'il m'aidât. C'est que j'avais mal, c'est que je ne pouvais pas rester là, absurdement allongée, peut-être quelque chose venait-il enfin de se desserrer un peu en moi, peut-être avais-je enfin opté pour une conduite rationnelle, laisser celui-là traiter ma douleur.
Je le vis sursauter d'abord, puis frémir ensuite. J'eus peur qu'il ne se méprenne sur mon accord, il me fallait absolument cadrer les choses, je lui proposai donc qu'il m'aide comme le ferait un ami.
Et cette idée arrivait comme un soulagement sur moi, je pensais que je pourrais peut-être réussir cela, une simple amitié, soigneusement gardée vierge de trop de sentiments, comme un petit enfant protégé des vicissitudes du monde.
Cette fois, c'est moi qui dus insister pour obtenir sa réponse, j'en étais presque à le supplier de me dire "Oui". Et ce mot, ce oui qu'il me donna finalement, convoqua à grand dégât dans ma tête une image indésirée.
Brutalement je vis Benedikt, en marié, dire oui à une autre que moi – c'est drôle comme ce mot si quotidien peut se charger de bonheur ou de souffrance – je réentendis ce qu'il m'avait jeté au visage, son aveu colérique et menaçant " Oui, oui, oui, j'aime une autre femme et c'est elle que j'épouse ; à partir d'aujourd'hui, tu sors de ma vie " Peut-on vraiment dans un tel moment demander à sa douleur de se tenir sage ?
Et maintenant, venons- en aux faits, Isolfe, il est enfin temps d'écrire sur cette lettre qui m'attendait à Saint Odon, à mon adresse officielle, ahah!
Nos frères disparus sont comme nos amours
Tant que l'on n'a pas vu leur nom sur une pierre
On ne prend pas le deuil, on survit, on espère
Et malgré l'évidence, on les attend toujours
Petite chanson dans ma tête, cruelle, ma double douleur
Pas de nom sur une pierre, mais sur un morceau de papier, sur un faire-part.
Qui m' annonçait le mariage de Mademoiselle Anne - Charlotte (Marie Adélaïde) Pajot et de Monsieur Benedikt (Karl Maximilian) Hemans (Zurlauben), mon Dieu, comment vont-ils s'y retrouver au milieu de tous ces noms, il faut dire que le mien ne pesait pas lourd devant tous ces siècles glorieusement rassemblés, à patronymes glorieux mariage heureux peut-on dire cela mes espoirs effondrés désespoir son rejet signe mon échec l'amour pour lui réservé me coule entre les mains personne pour le recueillir il disait qu'il m'aimait pourtant j'ai songé à me traîner à ses pieds et je n'ai pas pu cela aurait-il changé quoi que ce soit il est temps d'abandonner de renoncer à se repaître de cette douleur stérile qui reste quand le cœur s'est trop ouvert
Puis j'entendis à nouveau cette voix tout près de moi, mais je dus réfléchir pour retrouver à qui elle appartenait.
J'émergeais enfin, Hogwarts, ma chambre, mon dos éparpillé de douleur sur le sol, cet homme obstiné à ne pas me laisser, comme il ressemble peu à Benedikt mes larmes coulent leur tiédeur me fait comprendre combien j'ai froid.
Il m'a dit que j'étais évidente ?
Peut-être aurais-je dû lui demander de m'expliquer qui j'étais.
J'ai voulu lui renvoyer au visage des mots qui heurtassent son évidence, je lui ai parlé d'abîmes insondables. Comme une menace indistincte terrée au fond de lui.
A peine avais-je fini avec mes pitreries que j'eus l'impression, brève, incisive, que je venais d' effleurer une patrie de sa vérité, car il avait porté ses yeux loin de moi, comme pour se protéger, ou comme pour me protéger.
Puis il entreprit de m'aider, et pour cela il lui fallait dégager mon dos, remonter mes vêtements. Je ne savais plus si j'avais eu raison, je décidai de le remettre à sa place, je lâchai, vachement
– Vous n'êtes qu'un soignant.
Mes cordes vocales en étaient encore à faire vibrer le dernier son "ant" et déjà je m'interdisais de penser à la dernière fois que Benedikt avait dénudé mes seins.
Non, je repensais plutôt à la dernière fois que j'avais vu Benedikt, aux derniers moments que j'avais passés seule avec Benedikt.
Il venait de me déclarer qu'il aimait une autre femme, et que je devais le quitter. Je n'avais tout d'abord pas réagi, anéantie par ce qu'il venait de me dire, paniquée de voir un avenir qui m'avait semblé si solide, si évident, s'arrêter brusquement sans que je n'ai rien pressenti.
Il m' avait semblé que je pourrais plus jamais bouger, que la nouvelle m'avait littéralement pétrifiée. C'est tout juste si je pouvais encore respirer, mais avec une telle suppliciante difficulté que j'avais eu l'impression que le monde, malin et pervers, me refusait son oxygène.
Et puis tout d'un coup, contre toute attente, je m'étais précipitée vers lui, en criant, et l'air était revenu docilement dans mes poumons
– Tu te trompes, tu m'aimes toujours, tu me l'as tellement dit, ce n'est pas possible,
et en même temps quelque chose me disait que j'avait tort et que mes cris étaient déplacés et vains et que j'étais déjà irrémédiablement vaincue. Au bout de ma course, j'avais rencontré les deux mains de Benedikt, portées cruellement à bout de bras, aussi dures et terrifiantes que des lances.
Le choc sur mon torse n'avait pourtant pas été si terrible, avait-il rétracté ses mains au dernier moment ? mais j'étais tombée en arrière, de toute ma longueur, dans une chute qui m'avait semblé à la fois brève et interminable et pendant que je tombais, Benedikt m'avait regardé sans ciller mais il avait essayé de me rattraper, mais j'avais repoussé sa main.
La rencontre du sol et de mon dos m'avait par comparaison semblé presque douce, j'étais enfin arrivée là où j'avais envie d'être, allongée, immobile, silencieuse. J'avais fermé les yeux, le visage de Benedikt avait disparu, la douleur avait commencé à m'assaillir.
J'avais entendu l'autre voix, pleine de colère, mais au bout de combien d'instants ou de combien d'heures ? – Je t'envoie quelqu'un pour te calmer, tu aurais pu m'épargner cela. Il était sorti, j'avais décidé de s'enfuir avant que l'aide promise n'arrivât.
C'est drôle comme pendant toute cette scène je m'étais évertuée à mettre en mouvement mon corps qui n'aspirait qu'à se figer dans l'immobilité.
Après avoir vérifié que je pouvais bouger mes bras et mes jambes, j'avais ôté ce qui il y a encore une heure était ma bague de fiançailles, l'avais jetée sur le bureau, mais elle était tombée au sol, avec un bruit gracieux, puis je m'étais relevée, sans tenir compte de la souffrance attentatoire qui courait le long de ma colonne vertébrale, mais ma volonté et mes forces s'étaient évanouies en même temps que moi, dans une deuxième chute.
Après, la présence d'un médecin, d'une infirmière dans l'espace d'une chambre, blanche évidemment, comme une robe de mariée. Des mots vaguement entendus " Fracture vertébrale, quatre vertèbres, pas invalidant, repos, immobilisation, prévenir les proches".
Une fois seule dans cette chambre blanche et hostile, j'avais à nouveau essayé de bouger, de m'asseoir, de me mettre debout. Les mouvements étaient extrêmement douloureux, mais pas impossibles.
Je m'étais encore accordée une semaine, dans une sorte d'apathie traversée de pleurs silencieux, irrépressibles, j'étais passée des mains du médecin à celui d'un kinésithérapeute, puis j'étais partie une nuit en prenant le sac qui avait l'air de contenir mes affaires, ma baguette notamment.
Moi, si souple, avançait maintenant avec une raideur qui me faisait honte.
J'avais prévenu mes parents de ma rupture avec Benedikt, du fait de ce dernier, sans vouloir les rencontrer, me sentant incapable de supporter leur aide, contacté le ministère, pour s'apercevoir que la famille Hemans Zurlauben avait déjà agi et tout expliqué, tout réglé, y compris mon absence maladie.
Ensuite j'étais allée voir un autre kinésithérapeute, un muggle, auquel j'avais simplement parlé d'une chute. Il avait prévu une dizaine de séances, j'avais arrêté à la huitième, désireuse de garder un reliquat de douleur, la seule chose qui me restât de l'autre.
Voilà ce que je ne pouvais pas partager avec cet autre homme qui était toujours là, près de moi.
Il recommençait à me parler, d'ailleurs. Il me signala une anomalie sur une de mes vertèbres, une, eh non, il y en a quatre qui déconnent, mon cher Lupin.
Il me proposa un traitement de choc, oui, pourquoi pas ? J'eus quand même le présence d'esprit de lui faire confirmer qu'il savait s'y prendre.
J'hésitai, et puis n'hésitai plus, il fallait bien arriver à clore l'épisode.
J'avais beau reconnaître les gestes des deux kinés qui m'avaient soignée, je fus surprise de constater que ses deux mains côte à côte couvraient toute la largueur de mon dos, et même plus. La pression se fit plus forte, la douleur revint plus intensément, je dus appuyer mes pieds plus fermement sur le sol pour résister au mouvement qui plaquait mes seins sur mes genoux.
Je me demandai comment il s'était installé derrière moi, afin de pouvoir travailler à la bonne hauteur, à genoux sans doute. Un homme agenouillé derrière moi ; je songeai à nouveau qu'il s'agissait de la place d'un amant, j'étais certaine qu'il y pensait également ?
Encore quelques secondes, et puis je sentis un grand coup dans son dos, j'entendis un tout petit craquement, anodin, et familier, comme ceux que font entendre les lames de parquet des maisons silencieuses et alors la douleur fut là comme une lame qui serait passée en un clin d'œil du glacial au brûlant.
Je sentais maintenant ses mains fortement plaquées, pressées contre mon dos, comme s'il s'agissait de contenir une hémorragie. Mes genoux se mirent à trembler, mes pieds à glisser sur le sol, il dut sentir que ma résistance lâchait, car il fit passer un bras devant moi, il enserra mes genoux et leur redonna la force qu'ils avaient perdue.
– Respirez fort, je veux vous entendre, et décontractez vous.
Je m'exécutai, inspirai et expirai par la bouche, je l'entendis parler tout près de mon oreille, j'étais recroquevillée, enveloppée par lui. La douleur s'en allait doucement, à chaque expiration.
Je me taisais, maintenant débarrassée de la douleur, rigoureusement immobile, et lui encore plus apaisé que je l'étais moi-même : je sentais qu'il était plongé dans l'exactitude de ce moment, réconcilié, entier, alors qu'il donne habituellement l'impression d'être " départi " de lui-même.
A-t-il cru que je dormais, mais non, je laissai mon esprit vagabonder, en liberté surveillée pourtant, de peur qu'il ne s'approche de l'endroit où j'essayais de confiner les souvenirs douloureux. Je les laisserai partir une fois qu'ils feront moins mal !
Encore un peu de temps et je me rendis compte que mes pensées s'étaient glissées entre ses mains et à ma peau, entre lui et moi.
Etait-ce cela l'amitié entre un homme et une femme, une main qui sait rester sur un dos dénudé, sans tenter rien de plus ? Voilà peut-être à quoi j'aspirais depuis ma rupture, un contact " maternel " sur ma peau et quelqu'un à qui je puisse se confier - un peu.
Je décidai quand même de me secouer, et de vérifier que je pouvais me relever, me remettre à bouger normalement.
Et de vérifier qui allait l'emporter, le souvenir des mains de Benedikt ou celui des mains de Remus ?
Ensuite, je ne voulais plus qu'il parte, je lui proposai – bêtement – de rester près de moi, il parla de lecture qu'on faisait au malade, Original Sin apparut dans ses mains, comme une barrière de mots indifférents et anodins entre lui et moi, des mots qui ne nous concernaient plus. Il commença à lire, je pris le relais, nous bûmes du thé, il partit, je restai seule.
Je me mis à écrire.
Et maintenant, je me fais des reproches : quelle idée de s'exhiber ainsi devant cet homme, certes il est mon ami, mais depuis si peu de temps, a-t-on le droit de tester de la sorte une amitié si juvénile ? Et puis c'est moi qui lui a imposé cette amitié, imposée, non pas parce qu'il lui était hostile, mais parce qu'il souhaitait plus de moi.
Tout le temps qu'il a été avec moi, je n'ai pas voulu le reconnaître, mais j'ai senti qu'il me désirait, comme un homme désire une femme, physiquement, il n'y a pas d'amitié qui puisse faire barrage à ce désir que je sens encore vibrer autour de moi, qui vient encore m'effleurer.
Et puis il y a autre chose que cela.
Depuis ce soir de septembre où nous nous croisâmes dans un corridor, dans la pénombre à peine adoucie réchauffée par les dernières lumières de ce soir de septembre, au moment précis où nous nous trouvâmes à l'exact niveau l'un de l'autre, devant cette fenêtre, où je devinai un regard que je ne vis pas, j'ai eu beau faire silence en moi sur ce moment, je sais que j'ai été choisie par cet homme et que mon image, mes faits et mes gestes, ce qu'il voit de moi m' échappent, recueillis par lui qui se les approprie.
Ce soir où il a pris dans ses mains quelque chose de ma vie, sans que je puisse l'en empêcher. Et aujourd'hui encore, ses mains sur moi, la circonvolution de son désir.
Journal d'Isolfe, 16 novembre au matin
Je reviens sur ce sujet qui m'obsède.
Ai-je été bien honnête en lui proposant mon amitié ? et ce avant de lui confier les douleurs de mon dos.
Très clairement, ce que je voulais éviter, c'est qu'il se méprenne sur mes intentions qui n'avaient rien de malhonnêtes !
Et si j'avais voulu le faire payer pour la défection, pour l'infâme trahison, de Benedikt ?
Et ce n'est pas moi qui l'ai appelé à l'aide, c'est lui qui s'est proposé. Je ne voulais absolument pas qu'il s'imagine que j'avais arrangé tout cela, et me prenne pour une petite Française volage prêt à flirter et à tomber (c'est bien le mot) sur tout ce qui se rase la barbe tous les matins.
Bon, et enfin c'est vrai que j'ai besoin d'un ou d'une amie, je me sens esseulée dans cette école, grande, renommée et à moitié sinistre. A part la notable exception de Snape, mes autres collègues sont plus adorables que détestables (je ne sais comment réagirait Mac Gonagall de ce qualificatif d'adorable, très frenchie, trop affectif) – mais je suis en manque d'affection, et elle, Minerva, me fait l'effet d'être une tendre qui s'ignore, qui contrôle et refoule en permanence ses instincts affectifs, mais mais il y a la différence d'âge, d'expérience, de statut. Je dois un peu leur faire l'effet de l'électron libre : pas britannique, matière très muggle…
Lupin doit avoir à peu près mon âge (un peu plus sans doute), il est fraîchement débarqué lui aussi – sans qu'on sache exactement d'où, il a souvent l'air si malheureux que je lui a pardonné le fait d'être un homme.
Et puis c'est un excellent professeur, et qui a le souci d'aider les moins doués, les plus timorés (et Dieu sait que ces caractéristiques peuvent être handicapantes pour sa matière…).
Je pense qu'il possède une véritable passion d'enseigner, une anima de pédagogue qui réussit à tirer le meilleur de chacun de ses élèves. Ne serait-ce pas pour cela, Isolfe, que tu lui a demandé de devenir ton ami, n'as-tu pas envie de vérifier si le meilleur de toi-même est parti avec Benedikt ou est encore à découvrir ? par un autre ?
Je passe quelques lignes, volontairement, j'ai besoin d'une pause blanche avant de reprendre. Et puis j'avais envie, ou peut-être même besoin, de vérifier si, après m'être fait congédiée par Benedikt comme une domestique, j'étais encore désirable.
La réponse est oui, à quoi pensais-je au moment où il était près de moi ? qu'ai-je donc écrit hier soir, comme cela semble loin ? ah oui - ses mains sur moi, la circonvolution de son désir.
Pourtant ces gestes sont restés très techniques, thérapeutiques , donc même brutaux, et innocents aussi, comme si j'étais la première femme qu'il touchait.
Je pense que je vais l'éviter pendant quelques jours.
Journal d'Isolfe, 17 novembre
Je l'évite soigneusement, il m'évite – douloureusement -, nous nous évitons. Je vais bientôt cesser ce jeu qui pourrait lui faire croire qu'il s'est passé entre nous quelque chose de plus qu'un service rendu.
Ce matin, il m'a fallu dix bonnes minutes de prudent échauffement pour préparer mon dos à sa journée…
Journal de Remus, 17 novembre
Sa démarche n'a pas retrouvé toute sa souplesse, particulièrement lorsqu'elle s'assoie. Souffre-t-elle encore ?
Je viens enfin de capturer le mot qui errait dans ma tête depuis le 16 novembre, et que j'avais lu sans m'en rendre compte sur le flacon qui tomba dans sa salle de bains alors que je m'employais à mouiller une serviette, " Nuxe ", un nom de marque, j'imagine, une contraction de luxe et de nu, un mot que l'on a envie de caresser, je reste rêveur et désirant…
Journal d'Isolfe, le 19 novembre
Le professeur Lupin a les yeux couleur d'acier bruni, jusqu'à présent je me disais qu'il avait les yeux brun gris, ce matin je viens de trouver ces deux mots pour mieux les décrire " acier bruni ", polis par on ne sait quel feu, le froid de l'acier, la chaleur de la flamme, la précision du métal, la souplesse d'un brasier. Sévérité et indulgence ? Ces yeux qui balaient l'espace autour de lui pour me localiser et capturer mon image.
Ecrire sur ses yeux afin d'oublier ses mains !
