Léna

Merci infiniment de m'avoir trouvé ce superbe vers, réellement magnifique, finalement c'était une bonne idée que ce nom de Dazurs ! à la fois inspiré par la couleur, l'héraldique un brin hermétique (D'azur semé de fleurs de lis, anguées de gueules, brochantes sur le tout etc etc etc) et le nom (légèrement transformé) d'un prof de français.

Contente que tu sois émue par les souffrances du jeune Lupin, après tout c'est pour ça que j'écris !

Quant à la toute petite chance, je peux difficilement ne pas entendre tes supplications :–), et comme, là on ne peut pas aller lire les dernières pages ..donc réponse à ta seule attention par mail !

Fenice

Les réfoulés tordus, et oui, je me demande pourquoi ils acceptent que je leur complique autant la vie… ça doit simplifier la mienne.

L'épisode du jour, écrit il y a longtemps, (bof bof) remanié récemment (bof ?) introduit un autre personnage "unrowling", parce que faut bien se tester là–dessus et s'émanciper. Quant à Honor, dont il est brièvement question à la fin, je ne pense pas qu'elle soit amenée à remplir une fonction autre qu'allusive, mais j'avais envie de piquer ce très beau prénom à Iris Murdoch, à son roman "Une tête coupée" et au personnage d'Honor Klein.

C'est aussi une petite pause dans le désespoir infernal du sombre Lupin, avant la pleine lune.

Bonne lecture, j'attends les critiques d'un pied ferme et lucide (sic)…

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Journal de Remus, 5 décembre.

Isolfe n'est pas ce que je suis, un loup–garou.

Dumbledore semble s'être arrangé pour lui cacher ce que lui sait de moi. C'est la conclusion à laquelle je suis parvenue. Faire en sorte qu'elle ne soit pas le témoin directe de mes absences et ne soit pas tentée de chercher à savoir ce qu'il y aurait derrière cette étrange régularité.

La balle est donc dans mon camp, j'irai poser la question au directeur d'Hogwarts soi–même…

Mais en attendant, il me reste une autre incertitude à lever.

Sacha Liouboutkine, dont le nom s'est logé dans ma tête et me démange furieusement depuis que j'ai appris que la rumeur hogwartienne, cette étrange créature multiforme et excitée, qui naît de faits si tenus et si improbables que son existence pourrait tenir du miracle, n'était toute l'énergie vitale que tout un chacun lui insuffle, m'en a parlé au creux de l'oreille, en me le présentant comme très très proche d'Isolfe.

Et parce qu'il s'agit d'elle, j'ai cédé et je marche. …

Je me fais l'effet d'être un vaillant petit chevalier, occupé à écarter les obstacles entre lui et la dame de ses pensées… C'est absurde et dérisoire, mais je n'ai pas l'intention de renoncer. Qu'importe si cela me rend encore un peu plus fou.

De toute façon, elle m'a déjà rendu à moitié fou.

C'est un étudiant que nous avons en commun. Je reprends ici ce qu'Isolfe m'en a dit, hier soir, quand nous nous retrouvâmes tout deux après le dîner dans la salle des professeurs, à préparer nous cours, chacun à notre bout de table.

Après une bonne heure de travail en silence, enfin, elle annotait et corrigeait, le nez dans ses copies, et moi pour une minute passée à prendre des notes dans un manuel, j'en consacrais au moins dix à la regarder par en dessous !

Donc après cette heure où je me délectais de son unique présence, Isolfe est venue s'asseoir en face de moi

– Professeur Lupin, si vous étiez un de mes étudiants, je pense que je vous aurais collé cinquante points pour le temps que vous venez de perdre à ne rien faire depuis que vous vous êtes installé à cette table !

Et moi qui pensais l'avoir regardée sans qu'elle s'en doutât !

– Rien de magique là–dedans reprit–elle, je n'ai simplement pas souvent entendu le bruit de votre plume et celui du papier, le bruit léger du lettré en train de solliciter ses neurones.

Elle rit franchement, je l'imite vite et bien , je m'autorise à perdre à perdre pied dans ses éclats de rire, voluptueusement.

– Bon, de toute façon, assez travaillé pour aujourd'hui, enfin je parle pour moi – cette fois–ci elle me sourit, pommettes remontées et yeux plissés.

Puisque que je l'avais prémédité, je me lance

– Parlez moi de Sacha Liouboutkine (et surtout dis–moi qu'il n'y a rien entre vous, contrairement à ce que prétendent les bruits de cheminée, passant allègrement sur la différence d'âge entre eux, mais après tout les rumeurs n'ont que faire de la plausibilité et puis moi si j'avais l'âge de Sacha je serais déjà amoureux de toi…)

– Elle semble légèrement surprise, un peu ennuyée également.

– Si vous le souhaitez, après vous me direz ce que vous pensez de lui, en tant qu'étudiant.

Te dirais–je que j'ai du mal à le traiter de façon impartiale, justement à cause de ce qu'on lui prête.

– Totalement atypique ; il a intégré Hogwarts directement en sixième année, une procédure tout à fait exceptionnelle, une dérogation que son père a négocié directement avec le conseil d'école.

Il est ambassadeur de Krasna Rassiïa (1), pendant ces dernières années il était en poste en France, et a été nommé à Londres en juillet dernier.

Sacha a donc d'abord été étudiant à Beauxbatons, et ses parents ont préféré qu'il intègre, pour ces deux dernières années, une école qui le l'éloigne pas trop du reste de la famille, une nichée de petits slaves, affectueux et désordonnés. Une famille assez rocambolesque, peu de discipline, des réactions souvent outrancières, mais énormément d'affection, enfin vraiment très à la russe.

Donc une arrivée hors norme, il a quand même été confié au choipeau qui l'a intégré à Gryffondor, selon elle la maison la plus propre à accueillir ce fichu caractère.

Je lui demandai alors dans quelle maison elle se verrait bien et elle me répondit – Ravenclaw, celle qui demande finalement le moins d'adhésion, autre qu'intellectuelle. Et puis leur couleur n'est–elle pas le bleu, comme la mienne !

En fait, il termine ses études à Hogwarts plus pour se conformer à la volonté de ses parents que par goût réel. Encore qu'il soit loin d'être mauvais dans le cursus général, je dirais qu'il se situe dans le quart supérieur. Mais en fait c'est un dilettante, qui se fout un peu de tout et tout particulièrement des potions, charmes et forces du mal. Enfin, je suppose qu'il finira par intégrer la carrière magico diplomatique, comme son père, parce qu'il découvrira un jour qu'il est plus difficile qu'on ne le croit de passer sa vie à ne rien faire. Et qu'il y mettra ce qu'il faut de malhonnêteté intellectuelle !

– Vous y croyez vous, Isolfe, à l'honnêteté intellectuelle ?

– Et bien, je suis quelqu'un qui essaie de se l'appliquer, strictement – oui, j'avoue, j'y crois.

Elle me regarde attentivement.

– Comme vous, il me semble. Et du coup je suis toujours un peu, oui gênée, de prendre les autres, du moins les gens que j'apprécie par ailleurs, en flagrant délit de mauvaise foi, mais tout cela n'est pas très raisonnable.

– Pourquoi ?

– Et bien vous savez, dans certains milieux, quand vous êtes le seul à pratiquer une vertu, c'est vous qui vous faites avoir.

Je n'ai pas envie que la conversation reparte tout de suite sur Sacha, même si c'est moi qui en ait lancé l'idée, je veux que le centre de gravité de notre échange passe de lui à moi, je veux l'entendre parler de moi, je veux l'entendre poser sur moi des mots qui sortent de sa bouche et je voudrais tellement qu'un jour elle portât un enfant pour nous, mais la voix qui me dit cela est si assourdie que c'est à peine si elle existe.

– Vous pensez donc que je suis intellectuellement honnête ?

J'ose poser cette question ! alors que je lui cache qui je suis vraiment !

– Oui, j'ai dit "je crois" tout à l'heure, mais puisque vous me posez la question directement, je vous réponds oui, vous faites partie de ces gens qui ne revendiquerons jamais la paternité d'une réalisation à laquelle ils n'ont pas pris part.

J'ai sursauté à ce mot paternité qu'elle vient de prononcer et qui me concerne. Il coule doucement en moi, juste un instant, miraculeux, mais illusoire.

Je la vois tout d'un coup se redresser sur sa chaise et creuser son dos. Je lui suggère :

– Peut–être pourrions–nous nous installer dans le salon des professeurs ? J'ai l'impression que votre dos a besoin d'un peu plus de…hm … confort.

Avec ces mots, je réveille les sensations gardées au creux de mes mains, mais elle pince les narines, puis claque de la langue d'un air agacé, pour se débarrasser d'un rappel énervant. Je me demande si un jour nos souvenirs pourront exister sur une seule et même longueur, nous sommes en ce moment comme deux individus désaccordés.

Elle me répond néanmoins que c'est une bonne idée, elle regarde sa montre, il est presque 10 heures, elle me précède dans le salon, qui est contigu à la salle des professeurs. Elle ranime le feu dans la cheminée, me dit qu'elle a surtout besoin de rester debout pour le moment, et qu'une boisson chaude serait une autre bonne idée.

– Voulez–vous vous en occuper ? Elle marche jusqu'à la fenêtre, écarte les rideaux de velours vert émeraude

– Vous avez remarqué , il n'y a rien à voir, la nuit est complètement opaque, on dirait que les vitres ont été recouvertes d'encre de Chine...

Je prends ma baguette, la pointe vers le sol, murmure « Ancilla diligens » ; quelques secondes plus tard, une elfe de la cuisine frappe à la porte. Nous lui demandons un citronnade avec un trait de rhum – Isolfe – un café irlandais – moi. L'elfe semble surprise de nos multiples remerciements, à croire que nous avons tous les deux la même mauvaise conscience de nous faire servir aussi facilement, en dehors du rituel habituel.

D'ailleurs, Isolfe remarque à l'instant

– C'est royal, mais c'est trop facile, très sincèrement je pense que j'aimerais mieux le faire moi même.

A ce moment un plateau surgit sur une des tables, disposées çà et là dans la pièce.

– Vraiment impressionnant, dis–je, mais venez donc vous asseoir, buvons et oublions notre mauvaise conscience !

– Et revenons à l'objet de votre curiosité.

Elle me regarde très attentivement, ses yeux se plissent légèrement, en même temps qu'elle insiste sur le mot. Nous sommes maintenant assis, ni vraiment en face, ni vraiment à côté l'un de l'autre, dans une zone intermédiaire entre bonnes manières et intimité.

- Donc Sacha Serguiévitch. J'ai tout d'abord rencontré ses parents, Alexis Pietrovitch un truc au ministère, à Paris, hein, je n'ai pas mes entrées chez Fudge ! et puis une connaissance que nous avions en commun – ses yeux sont aigus soudain – enfin peu importe les circonstances, nous, enfin, j'ai été invitée chez eux ensuite, Macha Féofanovna est une femme très chaleureuse, véritablement, après j'ai fait la connaissance de tous leurs enfants et donc de l'aîné Sacha. Et j'ai découvert qu'il prenait des cours de danse au même endroit que moi, à Paris, lui en classique, moi en contemporain – je me vois très mal réenfiler des chaussons de pointe ! Donc voilà pourquoi nous ne nous étions jamais rencontrés.

Quand je vous disais tout à l'heure qu'il était un dilettante, eh bien, c'est un danseur doué, et je pense qu'il aurait pu devenir, comment dire, professionnel, enfin, non artiste plutôt, au moins premier danseur, mais non, évidemment cela lui aurait demandé trop d'efforts, en fait je crois que la seule chose où il excelle, c'est la manière dont il sous–exploite ses talents.

Vous avez dû vous en apercevoir,étant son professeur, vous lui imposez votre discipline, vous l'obligez à rester assis pendant une heure ou plus devant un pupitre de classe, à étudier une matière dont il se contre–fiche …

Je complète – Je le voyais au début écrire comme tous les autres, j'imaginais qu'il prenait des notes, et un jour je me suis aperçu qu'il dessinait, enfin j'ai même pensé gribouillait ! Je l'ai donc convoqué à la fin du cours, et là j'ai découvert qu'il inventait et chorégraphiait, le système de notation est d'ailleurs très sophistiqué, il me l'a expliqué volontiers – nous avons passé une sorte d'accord : il prête un minimum d'attention à mes cours, il me fournit un travail correct, d'ailleurs il y arrive très bien sans se forcer, et en contrepartie, je me montre assez compréhensif. Sur cette base, nous avons établi une sorte de modus vivendi.

Evidemment, je ne lui avouai pas que je ressentais aussi de l'animosité, de la jalousie ? à son égard, depuis que j'ai entendu ces rumeurs.

Pourtant, au fur et à mesure que je l'entendais parler de lui, d'une voix nette et précise, je sentais diminuer le crédit que j'avais pendant un temps accordé à ces ragots, rien dans ce qu'elle me disait de lui ne me semblait indiquer l'existence d'un autre type de lien entre eux, en dehors de l'attachement amical qu'elle a pour lui.

Je m'entendis lui demander – Reparlez moi de "la nichée de petits slaves", elle … a l'air fascinant. En fait, j'avais surtout envie de réentendre la tendresse malicieuse qu'il y avait dans sa voix quand elle en parlait tout à l'heure, je voulais – aussi, surtout – avoir mal à l'entendre parler d'enfants.

Sa voix m'interrogea – Vraiment ? Cela risque de prendre du temps, pour commencer, je ne sais même plus combien ils sont ! Voyons, nous venons de régler le cas de Sacha, il reste donc – elle compta sur ses doigts, un contact un enfant – Boris, Nadia, Natacha, Anton, Vassili et la minuscule petite dernière, le bébé Tatiana, elle avait à peine un mois lorsque je l'ai vue, j'ai été surprise quand Macha Féofanovna me l'a donnée, surprise de voir que ce bébé pouvait subsister en dehors des bras de sa mère. Je crois que c'est la première fois que je tenais un si petit bébé, elle était habillée tout en blanc, elle dormait, elle ne s'est aperçue de rien, mais comme sa tête était lourde sur mon bras ! Avez–vous jamais tenu un nourrisson dans vos bras ?

Sa voix est songeuse, quelle que soit ma réponse, elle n'aurait pas d'importance, la question n'était là que pour lui permettre de prononcer ce mot « nourrisson », la douceur du double ss.

Je répondis néanmoins, que non, que cela ne m'est jamais arrivé. J'avais eu une occasion de le faire, lorsque j'étais allé voir James et Lily, peu après la naissance d'Harry. James, rempli de fierté paternelle, avait pris son fils dans ses bras, pour me le montrer et m'avait demandé si je voulais le tenir.

J'avais hésité, Lily avait insisté gentiment, j'avais eu peur d'être maladroit, peur aussi de m'exposer à une chose à laquelle je n'aurais jamais droit, peur d'être jaloux de leur bonheur de jeunes parents. J'avais refusé, en sachant que je le regretterais.

Comme prévu, Isolfe ne s'attarda pas sur ma réponse. Elle reprit

– Que vous dire d'autre … ah si, l'histoire du hoquet d'Anton Serguiévitch.

A un moment de cette journée que je passai avec eux, au creux de la nichée … Anton eut le hoquet. Il vint vers moi et me demanda ce qu'on faisait en France pour se débarrasser de cet inconvénient.

Je lui détaillai les astuces que j'utilisais moi même, vous savez la respiration retenue, le verre d'eau … il n'était pas convaincu, il devait s'attendre à quelque chose de plus exotique. Je lui suggérai alors une autre solution : il suffisait de tousser un bon coup, de faire sortir le petit hoquet, et pour que celui–ci ne soit pas trop triste de devoir si tôt quitter un enfant où il commençait à se sentir si bien qu'il en hoquetait de bonheur – vous avez compris que c'est donc pour cela qu'on a le hoquet ! – il fallait lui passer une laisse et le promener à ses côtés comme un petit chien.

Ce qui lui donnerait l'occasion de repérer un autre enfant prêt à l'accueillir, car il est bien connu que les hoquets font grandir ! Une fois son choix effectué, le hoquet tirerait sur la laisse, et Anton n'aurait plus qu'à le libérer. A sa demande, j'ai même écrit l'histoire, sous la forme d'un petit récit.

– Vous pourrez le lire plus tard, à vos propres enfants…

Je n'avais pas résisté à la pernicieuse tentation de la confronter à ce sujet, dissimulé sous la banalité de ma remarque, mon intérêt palpitait, angoissé. Elle pouvait m'annoncer, ou me laisser deviner, qu'elle avait déjà un enfant ou qu'elle en avait perdu un ou qu'elle en attendait un, je m'aperçus alors que je suis en train de la provoquer sur un terrain qui n'appartenait qu'à elle et à un autre peut–être, en tout cas, pas à moi.

Jusqu'à présent, elle avait parlé en me regardant, comme il était normal de regarder son interlocuteur, son regard pas vraiment dans mes yeux, mais au moins sur mon visage ou dans sa proximité immédiate – mes épaules, mon torse, mes mains, mes jambes, les bras du fauteuil, le verre que j'avais vidé – mais là elle s'était mise à regarder ailleurs, le coin le plus sombre de la pièce.

Elle ne dit rien, elle avait raison, elle ne me devait rien. Pourtant, elle répondit au bout d'un moment, d'une voix désabusée, je sentis que ce sujet la déstabilisait, et qu'elle était lasse qu'il en soit toujours ainsi

– Je ne sais pas.

Puis elle enchaîna très vite

– Vous savez que très régulièrement Sacha veut me faire croire que sa mère attend un autre heureux événement ! Maintenant je me méfie, mais cela reste un sujet de blague entre nous. D'ailleurs, je pense que Macha Féofanovna pourrait lui donner raison un jour ou l'autre, Sacha pense que ses grossesses lui donnent le prétexte d'échapper, dans une certaine mesure, aux contraintes et sujétions hm mondaines qui sont le lot de la femme d'un ambassadeur !

Mais bien sûr, ce n'est pas pour cela, j'ai une réelle admiration pour cette femme si entière imprégnée de la joie de mettre des enfants au monde et de les faire grandir dans le cercle de cette famille toujours élargie.

Je cherchais encore à prolonger ces instants conjoints, je ne me résolvais pas encore à me retrouver privé de la frustration de la voir si proche de moi, mais séparée par quelques centimètres nettement disposés entre nous, qui pourtant auraient pu se réduire à rien si j'avais tenté un geste dans sa direction, si j'avais un peu avancé mes genoux…

Sa main s'agita soudain devant mes yeux.

– Hou hou, où étiez–vous, les yeux partis dans le vague, à quoi rêviez–vous ? ou à qui ? ou étiez–vous en train de vous endormir ?

Sa voix est simplement taquine, j'étais un fou absolu de penser qu'une quelconque intuition aurait pu l'avoir renseignée sur ce qui me mettait les yeux dans cet état, mais pas dans le vague Isolfe, n'avais–tu pas remarqué comme au contraire mon regard était étroitement – et sincèrement – focalisé sur toi !

Bien sûr ce sentiment, je le tiens étroitement en laisse, je l'ai cadenassé en moi, mais je le sens tellement tenace, tellement obstiné à m'échapper malgré tout, qu'une femme un peu sensible devrait s'en apercevoir !

Je me sentis tout près d'être furieux contre elle, ses bonnes manières, son self–control et son humour sans aspérités, cette façade si lisse qu'elle ne laisse rien s'accrocher à lui, une paroi de glace.

– Et si nous allions nous coucher ?

Cette phrase me causa une dernière douleur, les mots des couples qui se glissent ensemble dans l'intimité de leur lit, pour y mélanger leurs bras et leurs jambes.

– Vous avez vu qu'il est minuit passé, à cette heure et dans l'obscurité je ne suis pas sûre que ce cher Filch fasse la différence entre un professeur censément surchargé de travail et un étudiant en goguette.

Elle se leva, je me levai et vins me mettre devant elle, je m'imaginai que nous étions deux droites s'observant l'une à l'autre, protégées par leur parallélisme.

– Je suis désolé de vous avoir fait enfreindre la permission de minuit, je vous promets que si nous rencontrons Filch, je prendrai toute la faute sur moi.

– Effectivement, je lui dirai que c'est parce que vous vouliez que je vous confirme quelque chose et que cette chose je ne vous l'ai toujours pas dite.

Je restai muet, comme un sinistre abruti, il y avait quelques instants je lui reprochais, silencieusement, de ne rien voir des sentiments qui m'animaient, ou plutôt qui me paralysaient, et maintenant je découvrais qu'elle avait compris où je voulais en venir, malgré la déloyauté de la méthode employée.

Je me taisais toujours, peut–être aurais–je même été capable de m'enfuir à toutes jambes. J'attendis néanmoins, je comptais sur Isolfe et son solide sens de l'humour (j'ai failli écrire amour) pour nous tirer par une pirouette de cette situation absurde, comme c'était lâche de ma part. Pourtant elle se taisais également, je l'entendis respirer sur un rythme volontairement ralenti, je sentis que ma propre respiration se calait sur la sienne et je savais qu'elle était en train de s'en apercevoir. Et son regard descendait sur moi, détaillant cliniquement le sujet Remus Lupin de la tête au pied. C'est comme si elle venait de s'apercevoir soudain qu'il y avait un corps devant le sien, et pas simplement un interlocuteur.

– Et non, je ne couche pas avec Sacha Serguiévitch.

Elle venait de se rasseoir, brusquement, notre double respiration venait de mourir.

J'interprétai son geste comme un congé qu'elle me donnait, je me disposai à quitter la pièce, mais

– Non, attendez, ne partez pas. Répondez–moi plutôt : qu'avez vous entendu dire au sujet de Sacha et de moi ? Quelle idiotie d'ailleurs, j'ai dix ans de plus que lui…

– Et bien j'ai surpris il y a quelques temps en train de hm parler de ce que vous venez de démentir.

– Evidemment. Filles ? garçons ? de quelle maison ?

– Deux filles, de sixième année, Slytherin, comme par hasard.

– Je préfère. Bon, de toute façon je n'ai pas envie de m'occuper de ces ragots, cela signifieraient qu'ils ont de l'importance, ou qu'ils contiennent une part de vérité. Je vais chercher mes affaires à côté, et je monte.

– Je vous suis alors, je n'oublie pas que j'ai promis de vous raccompagner . Elle me sourit, j'entrai derrière elle dans la salle des professeurs, nous rangeâmes tout ce qui était resté à traîner sur la grande table de travail, sans rien dire.

Nous nous glissâmes sans bruit jusqu'à notre aile , comme si nous ouvrions et refermions le silence sur nos pas. Nous arrivâmes d'abord devant ma porte, la sienne était du même côté, mais plus loin, je savais maintenant que nos deux appartements sont séparés par un autre, inoccupé.

Isolfe me dit

– Et si j'allumais des contre–feux?

– Des contre–feux ?

– Oui, dès demain je m'affiche publiquement avec Severus, ah, cela vous fait froncer les sourcils, vous avez raison, ça ne marcherait pas, bon disons avec Filius Flitwick, les ragoteurs ne sauraient plus quoi penser; et pour embrouiller encore la donne, il ne manque plus que Filch ou Peeves soient en train de nos regarder, chuchotant sur le seuil de votre porte aux petites heures du matin, après avoir passé la soirée ensemble !

– J'ai l'impression que cette histoire vous ennuie plus que vous ne voulez le reconnaître, attendez un peu de voir comme les choses évoluent, il n'est pas certain que ces médisances se propagent hors du cercle des Slytherin, je sais que les étudiants des autres maisons vous adorent, pour eux vous êtes une MacGonagall plus sympa et plus … sexy, pour euh résumer ce qu'ils m'ont dit.

J'avoue avoir instauré en début de mes cours une sorte de sas qui permet aux étudiants de sauter d'une matière à l'autre, le tout ne dure pas plus de 5 minutes, mais l'intérêt pédagogique est certain, un terrain neutre avant de commencer un cours qui en règle général sollicite intensément la "sensibilité" des participants, et j'y trouve également grand avantage, car je récupère, les mardis et jeudis, ses élèves, directement de ses mains, et il n'est pas rare qu'ils me parlent du cours qu'ils viennent juste de quitter : je suis ainsi informé de ces disciplines étranges, de la manière dont Isolfe mène ses classes et des anecdotes qu'elle leur raconte et qui m'apprennent des choses sur elle. Petit à petit, toutes ces informations qui me rapprochent d'elle et que je garde avec un soin scrupuleux et jubilatoire.

Elle m'interrogea, air faussement dubitatif, réellement content, j'étais ravi de lui rapporter ce jugement qui lui faisait plaisir, ravi parce que j'allais la quitter sur une note plus gaie que ce que je pensais.

– Tiens donc, un nouveau type de professeur alors, après les sales cons, les triples buses, les brillantissimes, je vous laisse compléter si vous voulez, voici les sexy sympas !

– N'oubliez pas la sévérité et le sens de la justice, la comparaison avec Minerva.

– Vous avez raison, je n'ai retenu que le côté futile de la chose, honte sur moi ! Je vous laisse maintenant, bonne nuit, professeur Lupin.

Elle se dirigea vers sa porte, je la vis l'ouvrir, la refermer, je regardai hébété l'endroit où elle n'était plus, je me sentis déchiré, en douceur en profondeur, j'étais à deux doigts de croire que sa prodigieuse présence ne me serait pas retirée si vite et si brusquement.

Je m'aperçus que je ne lui avais même pas rendu son bonsoir.

Journal d'Isolfe, 6 décembre, au matin.

Je me mets à écrire afin de relater les "événements" de ma soirée d'hier - lasse d'être réveillée depuis trop longtemps, je viens de m'installer à mon bureau, il est 5 h 30 - mais je suis perplexe, que dois-je retenir d'important, rien ? tout ?

Voyons voir, s'il n'y avait qu'une chose digne d'être notée … le soulagement qui est venu décrisper les traits de son visage, tel un fluide gras et chaleureux, quand j'ai démenti cette stupide rumeur au sujet de Sacha. Que tout cela est idiot, le beau Sacha préfère les garçons ! Remus, voilà de quoi être totalement rassuré à mon sujet. C'est plutôt toi qui devrait te méfier.

Donc, le professeur Lupin se serait arrangé hier soir pour savoir s'il pouvait mettre une option sur moi ? Et puis cette remarque, ces mots, " vos enfants ", bizarre comme il m' a placé devant la perspective de la maternité.

Il y a quelques mois, une remarque de ce genre m'aurait fait éclater de fureur, tant je ne supportais plus d'entendre ces mots couple, mariage, enfants qui me renvoyaient à mon désastre, à mon échec.

Hier soir, pourtant je n'ai ressenti que de la lassitude, de l'hébétude, presque de l'indifférence.

Pourtant la voix de Remus était si précautionneuse et en même temps si anxieuse, comme s'il redoutait ce que j'allais, peut-être répondre.

Mais je ne lui ai pas menti, je ne sais pas, je n'arrive pas à me projeter dans un avenir où j'aurais fait naître des enfants de moi.

Donc, je m'aperçois que je suis encore capable de satisfaire un homme – il est vrai que celui-ci est tellement moins exigeant que l'autre – il me suffit de lui dire que je ne couche pas avec untel - d'ailleurs je ne couche plus, aurais-je dû lui dire cela aussi ? - , et de lui sourire un peu, et de l'autoriser à s'approcher de moi de quelques centimètres, de le laisser respirer au même rythme que moi.

Mais lui, qu'en a-t-il conclu, que j'étais "disponible" ? Ne sait-il pas que je suis plus perverse que cela, puisque je m'attache stupidement au souvenir d'un qui m'a laissée tomber ? Gardienne intéressée d'une souffrance que je m'octroie à petites doses et qui est tout ce qui reste, le négatif de tant de bonheur…

Donc, il faut que je lui fasse comprendre que je ne le supporterai qu'en ami, que toute mon énergie amoureuse je l'ai gaspillée pour un autre, je me sens vide, si vide…

Voilà que je recommence à pleurer, toutes les promesses que je me fais, toutes ces minutieuses procédures de maîtrise que je m'impose ne servent donc à rien.

J'abandonne. Je délaisse la barre, je me laisse dériver, au milieu de mes larmes – et je m'autorise à écrire de telles inepties ! (…)

J'ai passé une demi-heure affalée sur mon bureau, puis sur mon lit ; je viens enfin de me forcer à réagir, je vais dans la salle de bains inspecter mon visage : bouffi, rougi, bien fait pour moi, j'ai subitement envie de musique, donc je vais mieux, Bach bien sûr, appui fidèle, constant secours, musique si obstinée à vous faire du bien, en faisant de plus croire qu'elle se met à votre disposition…

Donc, ce matin, concerto pour 2 orgues en ut mineur, deuxième mouvement surtout, largo ovvero adagio, comment se lasser de cette musique illuminativequi s'adresse à ce qu'il y a de meilleur en vous ?

Puis douche, tiède allant sur le froid, je laisse l'eau couler sur moi, la musique est une ablution intérieure qui amende et transcende les chagrins, quand j'ai terminé, je tremble et je ne pense plus qu'à une chose : me réchauffer.

Ensuite, il est temps de me préparer à retrouver mes élèves, dont la plupart ont l'air de me trouver sympa et sexy ! Pour de pas leur donner tort, je me décide pour une jupe courte, anthracite (sexy) une veste ajustée, en tweed d'un rose moelleux (sympa) et des collants noirs bien opaques (le côté Mac Go).

Nouveau coup d'œil dans mon miroir, mes yeux sont à peine rouges, je décide de descendre prendre mon petit-déjeuner sans plus attendre, à cette heure matinale, je devrais ne rencontrer personne.

Remarque, la dernière fois, j'étais tombée sur Minerva. Mince, si jamais elle me surprenait encore…elle m'enverrait à Sainte Mangouste, service de psychomagie intensive. J'enfile la robe noire réglementaire par dessus ma tenue muggle. Pas envie de me faire choper par Filch ou par Snape pour atteinte aux bonnes mœurs hogwartiennes, dans le genre racolage passif dans des couloirs publics.

Subitement, je repense à mon rêve, le sang et le double Lupin, l'un qui souffrait et m'appelait et l'autre qui me tirait de force.

Est-ce que cela veut vraiment dire quelque chose ? Dois-je aller soumettre le cas à Sybille ? J'ose à peine imaginer ce que cette enfumée de cerveau me répondrait (j'ai récemment surpris une imitation par les jumeaux Weasley, absolument tordante ; mais leur rabat-joie de préfet de frère est venu y mettre bon ordre. Quelle tête à claque celui-là, me donnerait presque envie de le saquer, malgré ses excellents résultats). Bref, l'oracle de la tour me sortirait sans doute, au milieu d'une transe

- Le sang représente la mort, mais la vie aussi …

Donc au choix, selon c'que t'as envie d'être pessimiste ou optimiste, Isolfe …

Et Lupin 1 Remus, Lupin 2 Romulus.

Non, marche pas… il n'a pas de frère, ni de sœur, plus de parents non plus, m'a dit Marigold. A moins qu'il soit les deux, réuni en un seul, un schizo quoi !

De toute façon, je quitte Hogwarts après- demain soir pour Paris. Il faut absolument que j'arrive à voir Honor cette fois-ci.

(1) Russie Rouge, ben oui, y en a bien une blanche…