Bien, j'ai rajouté très récemment les deux dernières entrées, alors que je suis pourtant censée ne plus m'occuper que de la fin ! (et du passage qui bloque… ). Disons que c'est l'intérêt d'un journal qui n'est pas écrit rigoureusement au jour le jour, que de permettre des insertions. Il me semble que cela aide à mieux comprendre le personnage de Lupin … et ses blocages.
Merci Alixe, pour avoir situé JXC dans le registre de la souffrance morale…
et j'applique tes conseils, mais j'ai dû secouer ma flemme typographique, squeezer les guillemets permet d'écrire plus vite…
Bonne lecture, bon Noël et joyeuse fin d'année !
Journal de Remus 7 décembre
Dans deux jours, je suis à nouveau maudit , le temps ne s'écoule pas pour moi : il n'est qu'un impitoyable carrousel, qui tourne sur lui-même comme un astre rond et me ramène chaque mois au même point.
Je me suis réveillé absurdement tôt, vers 4 heures, pluie et vent me tenaient compagnie ; j'ai essayé de me remettre à mon manuscrit, je me suis aperçu que certains passages dernièrement écrits ne valaient rien, j'ai lardé les pages de furieux traits d'encre, j'ai l'impression de mener ma vie à l'envers, écrire pour biffer, aimer sans pouvoir le dire.
Heureusement qu'il y a mon travail d'enseignant, la diffusion du savoir, cette " circulation pédagogique " entre mes étudiants et moi.
Et puis, Isolfe, ma joie et ma douleur.
Excédé, je suis parti prendre mon petit déjeuner dès le début du service, à 6 h 30. La grande salle était encore déserte. Tout en mangeant, je me suis obligé à réfléchir à d'éventuels énoncés pour les examens de fin de trimestre.
Puis, un cognement au cœur, l'air vient se modifier légèrement autour de moi, Isolfe arrive, Isolfe est près de moi.
Je me lève ; moqueuse et gracieuse, elle est si proche de moi, une proximité qui invite au contact, je pose mes deux mains sur ses épaules, son sourire disparaît, mais tant pis, elle n'est devenue que grave, et puis elle ne fait pas mine de se dégager, je sens sa peau et ses muscles telle une reconnaissance.
Elle est docile, combien de temps pourrait-elle rester ainsi ? Mes mains sont pleines de la rondeur de ses épaules, mais sous elles la chair et les os…
… la sensation se déprave l'autre m'éjecte en dehors de moi et vient prendre ma place je me découvre, autre, en train de penser que
... chair et os...
un délice carnassier
un délice de loup
mes mains posées sur elle se transforment en dents qui pénètrent dans sa chair la violence du loup introduite en elle : va-t-elle crier ? ou ne faire que gémir ?
Je me ressaisis de moi, je la repousse brutalement pour faire cesser cette horreur, mais ce faisant je tombe dans ce piège obscène qu'il a tendu entre nous : alors que je veux la protéger, j'apparais dément.
Et Isolfe qui me regarde et ne comprend pas , recule soudainement encore, au delà de l'endroit où je l'avais mise, hors d'atteinte de mon loup, comme si elle redoutait que quelque chose de féroce ne vienne la frapper.
Alors que je veux que de la tendresse pour elle.
Je n'aurais jamais dû céder à la tentation de la toucher alors que la pleine lune est si proche, m'attirant du côté de cette férocité abjecte qui prend le pas sur tout le reste.
Ou peut-être voulais-je savoir si sa présence serait propitiatoire, ou plus que cela, si elle pourrait apprivoiser mon loup et s'en faire aimer ?
Je possède maintenant la réponse - lui ne pense qu'à la mordre et plus encore. Je m'entends haleter encore, je m'oblige à me mettre à respirer. Lorsque je me suis calmé, tout s'efface de cette violence impétueuse qui a œuvrée entre nous, mais elle maintient son pas en arrière.
" Etiez-vous en train de tester la solidité de mes épaules, mes épaules amis sur lesquelles vous pouvez compter puisque nous sommes amis ?"
Elle vient de se réfugier derrière une de ses habituelles pirouettes – j'en suis soulagé et heureux, elle sait comment se mettre à l'abri.
Soudain, elle est assise. Du thé, des tranches de pain noir, des fruits apparaissent. Elle reprend la parole.
" Les elfes vigilantes, magique, pratique, mais énervant à la longue, parfois j'ai la nostalgie d'une cuisine à moi, de mes mains en train de préparer un repas, la cuisine est un excellent dérivatif, et puis, comment dire, le point commun de toute l'humanité – ah, peut-être devrai-je dire, de la partie féminine de l'humanité – comme mettre des enfants au monde, les bercer et les élever…"
Son regard se concentre sur un point de la table.
" Bref ici , j'ai un peu, parfois, le sentiment de me faire déposséder d'une partie de mon humanité, si je dis féminité, je vais faire hurler les miss Granger et consoeurs – Hogwarts ne s'intéresse qu'à votre intellect, non, vous ne trouvez pas ? "
Elle enchaîne tout aussitôt. " Vous savez que je suis obligée de soudoyer Hagrid pour assouvir mes envies (mon cœur descend de 20 cm dans ma poitrine, Isolfe dans les bras d'Hagrid !) de cuisine et de recettes (fausse alerte, je vais bientôt atteindre le dernier degré de la paranoïa) ; il me prête ses fourneaux, chez lui, pas de magie qui tienne, tout est fait à la main. Je lui demanderai de vous inviter, vous voulez bien ? "
Je l'écoute parler, je regarde ses mains, manier son couteau, ouvrir le pamplemousse, la lame, agile, se fraie un passage au périmètre de la pulpe, je regarde à nouveau ses épaules sans ciller, je m'interroge moi-même, quelle image va ressurgir et d'où - esprit d'homme ou cervelle de loup ?
La lame continue son parcours, en arrachant de d'infimes morceaux de pulpe. Mais aucune dent ne s'agite plus dans ma tête. Je réponds trop tard, à côté, quelle importance, je me suis débarrassé de lui.
" Et bien, Hogwarts aurait eu tort de ne pas s'intéresser à vos …euh … capacités intellectuelles, je sais que Dumbledore et Mac Gonagall sont très satisfaits de votre travail, et qu'il y avait une véritable demande de la part des étudiants et de leurs parents, pour qu'Hogwarts ouvre un cours d'économie ".
" Aha, vous oubliez ce cher professeur Snape, et ses récriminations au relent d'anti-mite ! Voyons voir – elle détache ses cheveux, les ramène vers le devant, pour dissimuler à moitié son visage – parfais, j'ai eu la flemme de les laver ce matin, ce n'est pas encore le bon degré de saleté, mais ça pourra aller ".
Je me mets à rire – elle durcit son visage, affiche un sourire désagréable, fronce les sourcils, fait étinceler ses yeux, se saisit d'une fourchette et la pointe dans ma direction.
" Retenez bien ce que je vous dis, professeur Dazurs, ce n'est pas parce que Dumbledore s'est mis dans la tête de créer un cours d'économie, en complète contradiction avec les vénérables traditions d'Hogwarts (et là – me dit-elle, c'est ce que j'aurais dû lui répondre – avec vos potions puantes), que vous devez vous croire tout permis.
Notamment le fait d'avoir autorisé vos étudiants à délaisser l'uniforme et à se déguiser en muggles, tout comme vous d 'ailleurs, des vêtements que je ne saurais même pas décrire !
Et puis j'ai l'impression que vous oubliez souvent la distance convenable qui doit exister entre professeurs et étudiants, ces réunions de travail que vous avez instaurées, totalement choquant. Et puis ces cours de danse, où vous êtes une élève au même titre que vos étudiants. "
Là, elle redevient Isolfe ; et c'est moi qui joue le rôle de Snape. Elle affiche un sourire charmeur, ouvre ses mains.
" Moi, mon cher confrère, je dirai que c'est extrêmement pédagogique. Les étudiants dont j'ai la charge sont en sixième et septième année, dans un an, deux ans, ils commenceront à travailler, il est temps qu'ils sortent du système académique
… elle savoure à l'avance ce qu'elle va dire …
éducation / répression que vous leur infligez et à se rendre compte eux-mêmes de ce qu'ils savent déjà faire et de ce qu'ils ont encore à apprendre.
Quant aux cours de danse, ils appartiennent à ma sphère privée, j'y participe donc à un moment où je ne suis plus professeur. Je ne suis pas professeur en permanence, comme certains sont grands mages, ça ne me colle pas à la peau, je ne suis finalement qu'une mercenaire. "
Je lui demande si elle et Snape ont vraiment eu une discussion de la sorte ?
" Oui, me répond-elle, à peu près ".
Je ris en imaginant la tête qu'il a dû faire, Snape n'est pas du genre à supporter la contradiction.
"Depuis, ajoute-elle, je le soupçonne de réfléchir à une potion à mon usage exclusif, dans le style - elle prend une voix caverneuse : Celle qui me boira ne pourra pas survivre sans la robe noire réglementaire homologuée Hogwarts et ni maquillage, ni parfum ne tiendront sur sa peau .
Je ris encore, franchement, spontanément, il me semble que cela fait si longtemps.
" Quant à moi, j'ai gagné ma journée " elle laisse sa voix en suspens, je l'interroge du regard
" j'ai réussi à faire rire le professeur Lupin, ça n'a pas l'air de vous arriver très souvent, et ce matin vous sembliez tellement malheureux quand je vous ai vu, seul à cette table… "
" où vous êtes donc venue me faire rire " . Silence entre nous, je ne sais pas comment poursuivre, mais je sais qu'elle est en train d'arranger les mots qui vont continuer notre dialogue
" Vous ne croyez pas que c'est justement à quoi sert l'amitié, se remonter le moral - elle hésite – se masser le dos, se faire rire, partager une petit-déjeuner " …
Elle n'a donc pas oublié ce moment passé en commun, dans sa chambre , ce dimanche soir, mais je ne sais évidemment pas à quel niveau se situe son souvenir, sans doute une réminiscence pratique, quelqu'une existe non loin d'elle capable de la soulager si jamais la douleur revenait ; pour moi, une arme à double tranchant, souvenir radieux et déchirant, le corbeau qui essaie de croasser son nevermore à mon oreille.
Isolfe murmure, songeuse :
" Et jamais Snape ne pleure et jamais Snape ne rit "
Je lui demande " Vous préoccupe-t-il à ce point que vous lui composiez des vers ? "
Elle se remet à rire " Oh là, non, ce n'est pas de moi, un emprunt à Baudelaire :
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
C'est absolument terrifiant, ce vers "
Etrange, comme le cours de nos pensées ont suivi un même fil poétique. Et finalement si proches.
Elle continue
" Snape me fait l'effet d'un être totalement blindé, qui s'est totalement blindé. Un jour il a pris une décision – elle s'arrête brusquement – Vous êtes au courant j'imagine ?
Je fais signe que oui, elle reprend
" Le genre de décision qui emporte toute une vie, il a renoncé aux chimères de Voldemort, un courage total que bien peu ont eu, parce que cette décision est une menace sur sa vie, et depuis il est devenu inexorable comme son choix ; et je pense qu'il se trompe en pensant que maintenant il n'a plus d'autres horizons en dehors de sa fidélité à cet engagement, mais je ne suis pas à sa place, donc .. j'arrête ma psychologie à la petite semaine, mais quand même, ce type est assez effrayant ! irritant aussi, de constater qu'on peut prendre un jour une décision héroïque et peu de temps après retomber dans la mesquinerie la plus banale.
Tenez, ne serait-ce que la jalousie à votre égard, il devait se considérer comme le successeur attitré de Dumbledore et, toc, vous débarquez et vous fichez ses plans d'avenir en l'air ! "
Je n'ai pas envie de continuez sur le sujet Snape, pour ce qui est de ses relations avec moi, jalousie, rancœur et haine, j'en sais plus qu'elle…
" Vous analysez tous vos collègues et vos étudiants de cette façon ? (Isolfe, que penses-tu de moi ? la question est ardue et risquée)
- Non, pas tous, seulement les cas les plus atypiques !"
Elle rit, un peu gênée néanmoins.
Pourtant je la sens suffisamment en confiance en ce moment précis, ou suffisamment détachée de moi, pour qu'elle accepte ce que je vais lui demander.
Je me lance donc, après tous, nous sommes amis, le ridicule, ce regard méchant que les autres portent sur vous, s'efface dans l'amitié.
" Suis-je un cas atypique ? "
Elle hésite, regarde le ciel magiquement redoublé par le plafond, un peu de bleu cerné de gris nuageux.
" Des yeux trop maquillés, me dit-elle ; puis
- Oui, vous êtes étrange. Vous me disiez que j'étais évidente, (elle s'en souvient), je vous avais répondu en parlant de vos insondables abîmes (oh, comme je m'en souviens).
En fait, je pense qu'il ne s'agit pas vraiment de cela, le terme abîme ne convient pas, c'est plutôt une zone interdite, au milieu de vous, en fait plutôt comme un trait noir qui vous sépare, un no man's land, comme diraient les muggles. Je vous en prie, arrêtez-moi si je commence à vous faire penser à Sybille "
Je lui fais signe de continuer, j'avance mon buste au dessus de la table, pour me rapprocher d'elle, coudes sur la table, elle croise ses doigts, et y appuie son menton
" C'est comme trois espaces existaient en vous, avec chacun leur moment d'expression, d'abord le professeur Lupin, le personnage officiel, je dirais, l'homme en visibilité, ensuite la zone sombre, opaque et silencieuse, et puis au delà Remus Lupin, l'homme …
elle hésite, reprend " le vrai vous, mais qui reste derrière cette ombre, cette … chose entre lui et les autres. "
Elle se tait et me regarde avec une sorte de méfiance attentive, elle ne doit pas être loin de regretter de m'avoir dit tout cela, mais mon Isolfe est-il possible que tu aies déjà compris cela de moi ? Je suis glacé et fasciné de t'avoir entendu prononcer ces mots.
Et si je te disais tout, hic et nunc, si je perçais cette poche d'eau noire, afin qu'elle se déverse entre nous, peut-être que nous survivrions à la noyade, et peut-être accepterais-tu alors de partager mon fardeau ? Si c'était la condition pour que tu puisses m'aimer ? Oui, si je te confrontais brutalement sans ménagement à ta fabuleuse intuition ?
Mais, Snape était en train de s'approcher de notre table, regard fureteur comme à l'habitude, sourire aussi peu franc que débordant de sous-entendus. J'ai eu l'impression de me retrouver dans ma peau d'étudiant d'il y a des années, et qu'il allait dire " 10 points pour Gryffondor ", mais il nous a salué, nous avons échangé quelques banalités.
En fait c'est Isolfe qui a surtout parlé, professionnelle et pratique – un cours à déplacer afin de réserver 5 heures d'affilé pour un examen blanc. Evidemment il renâcle, Isolfe argumente patiemment et emporte le point.
Ensuite, elle et moi quittons la salle, elle presse le pas pour franchir les derniers mètres qui nous séparent de la porte, une fois celle-ci franchie, elle libère son fou rire, qui a son tour vient délier quelque chose en moi, je me mets à rire à son unisson, elle a les larmes aux yeux, nous rions comme des fous, innocents, l'un en face de l'autre.
Quand nous refaisons surface, trois étudiants nous regardent d'un air ahuri, le trio HHR ; Isolfe leur fait un petit signe de la main, leur souhaite un bon appétit et s'en va allègrement. Je reste seul, à savourer encore l'écho de nos deux rires.
Plus tard, à la fin du cours, le trio viendra me voir, après avoir un peu hésité et bafouillé, ils finiront par me faire comprendre qu'ils ont été ravis de me voir rire ; Ron fera bien une tentative pour en apprendre davantage sur les causes de cette gaîté, ce qui lui voudra un énergique mouvement de coude de la part d'Hermione et un non moins vigoureux coup de pied dans les chevilles de la part d'Harry. Je leur répondrai que je suis extrêmement touché par leur délicatesse, ce qui les fera rougir.
Trois remarques sur cette journée, évidemment contradictoires, mais en préambule une constatation: je ne reviens pas sur la folie de mon loup, ces mots ne sont pas pour lui.
Aujourd'hui j'ai enfin renoué le contact avec Isolfe, qui m'évitait depuis son retour, depuis notre pacte d'amitié, depuis … mes mains posées sur elle (le souvenir sollicite mon sexe et excite ma tendresse). Elle m' a à nouveau permis de passer du temps avec elle ! Ce point d'exclamation comme s'il s'agissait d'une immense victoire !
Ensuite :
Il y a quelques semaines, j'aurais sans doute été - absurdement - gêné d'être surpris comme cela en compagnie d'Isolfe, et à deux reprises. Maintenant je revendique cette amitié, et la satisfaction d'être vu en une compagnie si valorisante – finalement je suis heureux de me découvrir plus homme que je ne croyais, ou plus que je n'avais jamais pu le ressentir, puisqu'il me manquait la présence féminine à laquelle prendre l'aune de ma masculinité. J'ai passé des années à me cacher, maintenant, et sans raisonner plus loin, pourquoi ne pas m'octroyer un peu plus de "publicité" ?
– sans compter qu'à Hogwarts, on vit , nollens vollens, un peu sous les yeux de tout le monde. Et puis, il ne s'agit que de rapports entre collègues, même si évidemment je me demande quel regard les autres pourront poser sur Isolfe et moi si elle veut bien continuer à s'afficher avec moi (le mot sent un peu le sordide, mais je pense que c'est celui qui convient).
Plus important :
La tentation de tout lui dire. En y réfléchissant bien maintenant que ce moment est passé, je crois que j'étais véritablement prêt à tout lui dévoiler, (après tout n'a-t-elle pas deviné le principe de ce qui me tourmente ? ).
Je l'amènerais ainsi à prendre position par rapport à moi, même au risque de la perdre définitivement ; pour ne pas la tromper sur moi, car ce matin, j'ai pensé qu'elle pourrait commencer à s'attacher à moi, mais maintenant cet instant miraculeux est passé, l'idée ne résiste pas aux mots qui la dissèquent à froid. Néanmoins, je laisse à mes cauchemars le soin de mettre en forme – ou plutôt en déforme – mes angoisses les plus intimes.
Dois-je persister dans cette tentation de la vérité, que vaut en effet une relation basée sur le mensonge ? Mais la vérité que je lui dois l'éloignera de moi… Dès à présent le temps que je passe avec elle est du temps volé, détourné, des instants auxquels je n'ai pas droit.
Je suis las de ces raisonnements, qui tournent sans fin dans le cercle qui m'enferme, comme une ronde de loups ! Pourrais-je un jour purger ma vie de ces contradictions ?
Et pourquoi ne pas opter pour un carpe diem permanent, et laisser à Isolfe le soin de mener notre relation jusqu'où elle le désire, j'aurais bien le temps de l'arrêter si un jour elle souhaite aller trop loin. Trop loin, comme c'est douloureux d'écrire cela, quand j'en sais l'exacte et charnelle localisation: sur mon épaule, entre mes bras, sur ses seins, entre ses jambes.
Pour conclure, toujours la question lancinante : Hagrid a-t-il raison de penser que Dumbledore l'éloigne volontairement de moi à la pleine lune ? Et toi Lupin, quand iras-tu la poser, cette question là ?
Journal de Remus 7 décembre, milieu de la nuit
J'ai une folle envie hallucinée de tout lui dire, de lui dévoiler ma part maudite
Journal d'Isolfe, 7 décembre
Décidément, j'ai encore l'impression d'être allée trop loin avec Lupin ce matin. Qu'a-t-il pensé de mes explications, savaient-elles qu'elles étaient directement issues de la folie d'un rêve unique ? et des réflexions dans lesquelles celui-ci m'a entraînée ?
Enfin, je n'ai tout de même pas osé lui parler de la rivière de sang, il m'aurait vraiment prise pour une cinglée, ou alors le caractère profondément irréaliste et choquant de cette image – j'en tremble encore – m'aurait obligée à lui en dévoiler l'origine. Zone d'ombre m'a semblé plus … correct, ou moins compromettant.
Et si je m'étais découverte autant que j'essayais de le révéler ?
Et pourtant c'est vrai qu'il est partagé, ou alors n'est-ce que ce rêve dont je n'arrive plus à me déprendre, et qui m'impose son unique angle de vision ? Peut-être que je le transforme, bien malgré lui, en héros romantique, prisonnier d'un destin inamendable ?
Il possède une profonde connaissance de lui, je m'en suis aperçue en le regardant m'écoutant parler, j'ai compris que ce que je disais de lui, quelle qu'en soit la forme inachevée, allait dans son sens, venait corroborer l'intelligence intime qu'il a de lui.
Une compréhension, qu'il n'a pas conquise, patiemment, philosophiquement, au cours des années, mais qu'il a toujours eu, et dont il ne sait que faire ? En tout cas, qui semble tragiquement impartageable (ah, revoilà le héros romantique, décidément Isolfe, on dirait que ça te plaît ? Pourtant à mec compliqué, amours compliquées ! comme dirait Honor. Mais Hemans n'était pas un compliqué, lui, juste ambitieux, ambitieux jusqu'au tréfonds de l'âme. De toute manière, notre histoire fut trop brève pour risquer les complications….).
Bien, si j'en reviens au desdichado local - à trop bien se connaître, si jeune, ne se ferme-t-on pas le jeu des possibles ?
Que reste-il à construire et à imaginer, quand on possède, dès le début, toutes les mauvaises cartes dans son jeu ? J'imagine qu'on fait avec, du mieux que l'on peut…et que l'on attend un partenaire, ou plutôt une main secourable, qui acceptera de rebattre la donne….
Et pourquoi m'a-t-il si vite repoussée après m'avoir agrippé les épaules ? Il était sur le point de se trouver mal. C'est vrai qu'en ce moment, il a une mine de déterré. Pourtant, il semblait en pleine forme, ces jours derniers.
Journal de Remus, 8 décembre
Des souvenirs de Nadiejda sont revenus au cours de la journée. J'ai d'abord essayé de les écarter, et puis j'ai cédé à leur pression, avec une sorte de fatalisme rageur.
Est-ce Isolfe qui les a convoqués, ou mon esprit, pour m'avertir et me rappeler que certaines options me sont interdites ?
Nadiejda, avais-je vraiment réussi à lui faire croire, à me faire croire, que j'étais amoureux d'elle ? Je ne faisais que la désirer, physiquement, violemment et désespérément.
Elle avait compris que c'était aussi une question de sentiment. Peut-être avais-je voulu le croire, comme elle.
Mais à y bien réfléchir, sa tête était trop vide de certaines choses pour que je puisse véritablement m'attacher à elle. Il n'y avait pas moyen de se confronter à elle, elle était trop avide de faire comme moi, de me contenter sans chercher à comprendre. Elle, n'aurait jamais rien deviné de ma zone d'ombre…
Elle était trop immédiate, trop neuve, issue d'années trop lisses, ou rien ne s'était semble-t-il passé, elle manquait de consistance. Elle n'était qu'un sourire charmant et charmeur, posé sur une moue délicate, des yeux bleus de parade, un corps que je voulais caresser et pénétrer.
Elle était la grande sœur de deux élèves, une fille de 8 ans et un garçon à peine moins âgé, qui suivaient mes cours à l'école primaire de Zlatna Podnaïa. Je les aimais bien, ils étaient très attentifs, progressaient régulièrement et s'étaient enfin départis de la peur que j'avais au début semblé leur inspirer.
Elle travaillait comme vendeuse à la boulangerie du village et le lundi soir, c'est elle qui venait les chercher. Elle avait effectué sa scolarité dans cette même école. Elle m'avait dit qu'elle n'avait jamais eu la chance d'avoir un aussi bon professeur de magie que moi. Et m'avait appris que son prénom signifiait "espoir".
Elle était petite et mince, je me disais qu'elle serait comme un oiseau inoffensif, légère et innocente. Et qu'elle pourrait ainsi, grâce à cette légèreté, faire contrepoint à mon loup. Mais je m'étais trompé. Il lui fallait, à lui, une adversaire plus redoutable, et à moi une Isolfe.
Nous flirtâmes sagement pendant quelques semaines, interrompues par une pleine lune, elle devint obsédante ; elle m'attendait, elle aussi, tout son être s'était brusquement alourdi de ce consentement impatient, j'eus un sursaut d'honnêteté, il me sembla que je ne pouvais pas l'utiliser à ce point, coucher avec elle, pour ma seule satisfaction, et en plus lui mentir sur moi, en lui faisant croire que je n'étais rien de moins qu'un homme normal.
Depuis ce jour, je porte toujours, dans un endroit de mon cerveau, un endroit où il n'y a rien d'autre que cela, parce que cela a fait fuir tout le reste, moi, regardant, épouvanté, l'horreur qui débleuit ses yeux lorsqu'elle entendit le mot terrible.
Finalement, sa petite cervelle d'oiseau avait réagi vite et bien, son instinct de survie l'avait faite s'enfuir en courant, comme si elle avait véritablement eu un loup devant elle. Elle avait cessé de voir l'homme en moi, elle n'avait senti que la mortelle menace.
Elle ne vint plus jamais chercher sa sœur et son frère, mais elle ne dut rien dire de ce que je lui avais révélé, car je ne notais aucun changement d'attitude de la part de ces deux élèves.
Ensuite, je lui écrivis, à grand peine, une courte lettre, pour lui présenter de pauvres excuses. Et la remercier de ne pas divulguer mon secret. Et l'assurer qu'elle ne croiserait plus jamais mon chemin. Je n'osai pas ajouter que j'étais parfois aussi terrifié qu'elle par ce que j'étais.
C'est après cette tentative avortée que je n'allai plus jamais acheter du pain, je me mis à le faire moi-même.
Et que je décidai de me priver de désir en me mettant à boire régulièrement ce truc.
Voilà, je n'ai pas envie de refaire naître cette terreur dans les yeux d'Isolfe.
Mais si je prenais le risque, y verrais-je autre chose ?
Journal de Remus, 10 décembre, juste avant la pleine lune.
Je me sens mal, je suis mal, j'ai mal. J'ai l'impression que je vais en crever cette fois-ci.
Un brouillard chaud et malsain prend possession de ma tête, et oblige tout mon corps à avoir mal, les prémices de cette transformation dont il ne veut pas.
Je panique à l'idée de reprendre le chemin de la cabane hurlante. Lui aussi renâcle, il n'aime pas que je l'enferme, et il va se venger sur moi. Sur moi qui sera devenu lui, cet animal affreux et magnifique.
Non, pas magnifique, pourquoi ai-je écrit cela, encore une tentative pour les réconcilier, mais c'est impossible, il ne doit rien avoir à faire avec elle.
Ou est-ce lui qui s'est déjà saisi de mon esprit et qui raisonne à ma place, et se sert de mes talents humains – penser écrire – pour me faire dire ce qu'il veut qu'il soit pour moi ?
Veut-il que je l'aime comme j'aime Isolfe, oui, c'est sans doute cela, il est jaloux d'elle. Ou de moi ? Pourquoi lui aussi n'aurait-il pas le droit de l'aimer, et pour lui, contrairement à ce qui se passe pour moi, il y a une solution – la mordre, la faire venir dans son monde monstrueux, l'avoir à lui.
Elle deviendrait sa louve.
Mais non, elle est partie se mettre, une fois de plus, à l'abri de ses crocs.
Elle ne te verra pas, tu es affreux et immonde. Elle ne saura jamais que tu existes, elle ne doit pas le savoir.
J'ai affreusement peur, j'ai peur de moi, et il n'y a pas d'échappatoire, cette peur-là n'est pas dehors, elle est en moi, je suis/il est ma propre peur.
Isolfe, Isolfe, pourquoi ne peux-tu être près de moi tout à l'heure, je sais pourtant qu'il ne le faut pas, jamais, mais tu serais là, tu me réconforterais, tu me ferais sage, tu me tiendrais la patte, tu me fermerais la gueule…
