Parano pas assez fort ? sans doute, mais Lupin, en bon Britannique, doit pratiquer l'understatement. Et puis, il a quand même écrit un jour "De toute façon, elle m'a déjà rendu à moitié fou. "
Trop de souffrance pour lui ? Oui, bien sûr, mais c'est ce thème que ma fic essaie d'explorer. Et promis, je n'irai pas jusqu'au point de non retour. Et de sa situation inextricable, il ne se sortira pas tout seul. Evidemment.
Alors, dans l'immédiat, des choses plus douces pour lui ?
Aujourd'hui justement, un épisode un peu plus serein, un nouveau "pas de deux", un peu tactile, un peu fleur bleue / fée bleue – j'assume ! Et à partir de ce jour, il va transformer un adjectif surgi au détour d'une phrase en un nom secret pour elle, il va l'appeler "ma splendide" .
Et la prochaine fois, des fous rires réprimés en conseil de classe.
Journal de Remus, 15 décembre, matin
Existe-t-il une potion, un charme, un ensorcellement qui ferait s'arrêter le temps, ou l'obligerait à toujours recommencer la même période, je pourrais ainsi passer le reste de mes jours à enseigner les mêmes techniques aux toujours mêmes étudiants, et j'aurais jusqu'au bout de mes jours Isolfe à côté de moi. Emprisonnés tous deux par ce lieu et par le temps.
Journal de Remus, 15 décembre, le soir
Il était déjà fort tard, 11 heures et plus, je me disposais à regagner mon bureau, je souhaitais revoir une dernière fois le déroulement des travaux pratiques déjà préparés pour demain, et continuer la lecture de "Physiologie des hyperdragoknidés", un ouvrage que Madame Pince vient d'acquérir et qui n'est pas encore à la disposition des étudiants (le privilège du corps professoral). Encore que je me demande qui parmi eux empruntera ce bouquin, tellement rébarbatif que parfois il me tombe des mains … et alors je me mets à rêver au sujet d'Isolfe, un territoire immense, aérien, dérobé aux pesanteurs de ma vie.
Elle sortait du sien, une dizaine de mètres devant moi, les bras chargés de deux ou trois grosses enveloppes brunes et d'une plus petite, d'un bleu presque blanc, se détachant, incroyablement visible, sur les deux autres.
Elle portait un jeans bleu sombre, des chaussures souples, sombres elles aussi, mais pas bleues, marron peut-être, une chemise beige étroitement ajustée sur sa taille. Ces vêtements rendaient sa minceur palpable ; et dévoilaient le rythme de sa respiration.
Elle ne m'a pas vu tout de suite, je me suis collé contre le mur pour l'observer clandestinement, elle a pris tout son paquet de documents afin de fermer sa porte avec la main ainsi libérée, s'est mis en marche de sa démarche véloce et silencieuse, à peine alourdie par le poids dans ses bras (je rêve que même enceinte sur le point d'accoucher elle conservera sa démarche de sylphide – cette image est si douce et si cruelle que de la torture qu'elle suscite je pourrais me satisfaire pour le reste de ma vie).
Puis le bruit de ses enveloppes qui tombaient sur le sol à mes pieds, je vis sa bouche restée ouverte, avait-elle parlé, crié, hurlé, après m'avoir aperçu dans mon renfoncement de corridor, je n'avais rien entendu d'elle.
" Lupin " – sa voix était encore titubante, telle une rivière qui déborde de ses berges, elle déglutit avant de pouvoir continuer,
" Vous… vous ne saviez pas que j'étais une sacrée froussarde, quelle idée de vous planquer comme ça dans les coins sombres, vous voulez faire de la concurrence à ce détestable Peeves ?
- Vous êtes fâchée ? "
Elle répondit " Non, soulagée que ce soit vous, j'aurais pu faire une rencontre plus désagréable " .
Sa voix était maintenant morne, maussade presque ; je la vis se mordre l'intérieur des joues, comme pour s'empêcher de pleurer. Etait-il possible que je lui eusse fait si peur ?
Elle s'était déjà baissée pour ramasser ses paquets, en homme bien éduqué, j'aurais dû faire de même et venir à son aide ; mais je restai debout, je contemplai sa nuque (ses cheveux étaient relevés), la ligne de ses vertèbres qui disparaissait sous sa ceinture, l où le mouvement avait fait remonter sa chemise et me faisait voir sa peau.
Elle avait déjà terminé, se releva, ou plutôt de déploya, et sa tête vint effleurer sur ma droite, cuisse, aine, flanc, épaule, parcours trop vite terminé, et puis encore, une dernière étape, mâchoire, pommette.
Elle recula d'un pas, pour réinstaller entre nous la distance convenable entre deux collègues (et oui, des collègues, Remus, aucune autre possibilité). Elle semblait s'être reprise, le bas de son visage affichait un petit sourire narquois, dans ce cas, elle sourit à moitié seulement, avec le côté gauche, ses vrais sourires sont symétriques, lui remontent les pommettes et font plisser ses yeux - j'y ai eu le droit quelquefois, mais au-dessus ses yeux étaient ailleurs, concentrés sur je ne sais quoi, j'étais, de toute évidence de trop dans la scène.
Pourtant, ses paroles s'adressèrent bien à moi, une attaque vive et ironique.
" Je ne savais pas que vous étiez le genre d'homme aux pieds desquels se jettent les femmes.
- Mais.. je dirais .. que… vous n'êtes pas une femme à … vous …à vous jeter au pied d'un homme."
Autant ma réponse avait été laborieuse, autant sa réplique fut rapide, et courroucée.
" Qu'en savez-vous, que savez-vous de ce que ….. Et pourtant vous avez raison, je ne l'ai jamais fait. "
Elle partit se mettre plus loin de moi, de l'autre côté du corridor, comme si elle allait se détourner et se mettre à regarder par la fenêtre. Mais elle continuait à me faire face, à distance, les bras chargés.
" Où allons-nous ? " (première personne du pluriel, deux sujets fusionnant en un seul par la magie de la grammaire).
" Nous ? vraiment ? " Elle pesait le pour, le contre ?
" Ecoutez, Remus, je crois qu'il vaudrait mieux que vous me laissiez y aller seule. "
Je décidai de ne pas abandonner ma chance, tant pis si je la massacrais. J'essayais de me souvenir des diverses tactiques prônées, et expérimentées, par Sirius et James pour attirer et retenir les filles. Quelle absurde idiotie. Me voilà, un homme de 32 ans, ne sachant comme m'y prendre avec une femme, et obligé de recourir, par manque d'expérience, à de lointains et inefficaces souvenirs et qui n'étaient même pas les miens !
Donc, que préconisait, tiens Sirius, par exemple, une méthode d'approche rapide, directe, pas de temps à perdre en vaines manœuvres préliminaires, bref droit au but, je me souvenais encore du rire expéditif et triomphant qu'il avait en nous énonçant cela, laissant se dévoiler les exaltants sous-entendus contenus dans ce droit au but.
La seule méthode, nous assurait-il, de s'assurer une complète main mise (nouveau rire) sur la cible.
Mais que faire de tout cela, Isolfe n'est pas une adolescente prête à tomber dans mes bras, j'ai juste gagné le droit d'être son ami. Et que pourrais-je lui offrir, ma malédiction ? Non, décidément, ce sont des morceaux de ma vie que je ne peux pas raccorder, il n'y a pas de continuité entre eux, trop de ruptures et de manques, trop de pleines lunes et trop de loups qui sont venus prélever leur tribut sur mon moi humain.
Il n'y avait que cette femme, à des mètres de moi, ne sachant pas si elle allait m'autoriser à rester avec elle, qui pouvait introduire de la cohérence dans ma vie, parce que, elle, je l'aimerais toujours.
Je repris.
" Mais où ? "
Elle soupira, exaspérée, puis fit jouer les muscles de ses mâchoires à plusieurs reprises - je ne pouvais pas ne pas voir – puis finalement, elle me jeta la réponse
" Je – elle insista lourdement - suis à la recherche d'une chouette long courrier, transmanche, pour faire parvenir tout ceci à Paris. Ce sont des dossiers d'investissements sur lesquels on m' a demandé de donner un avis technique. C'est fait, et je – le mot sembla durer des heures - renvoie le tout .
- Je doute que vous trouviez une chouette prêt à trimballer tout ce paquet toute seule, vous savez elles sont moins costauds de nos jours. "
Un point pour moi, elle se décrispa un peu et me sourit, encore un peu mécaniquement, mais … il me semblait que je venais de gagner le droit de rester et de l'accompagner à l'oisellerie. Je continuai dans le registre pratique.
" Vous devriez vous chercher deux oiseaux. Je sais qu'il existe des hiboux habitués à voler en … euh escadrille. Et votre avis est positif ?
- Un positif, un recalé, un truc complètement loufoque. Bon, mais ce n'est qu'un avis consultatif ; c'est aux experts de rendre leur verdict. Bref de quoi occuper mes loisirs.
- Hagrid m' a effectivement parlé de vos déplacements en France…
- Tiens, tiens, vous parlez de moi avec Hagrid ! " Elle était à nouveau tendue, réfugiée sur une étroite ligne de défense.
" Que vous a-t-il dit ? "…
Elle marqua une pause, et contre toute attente, finit par murmurer, en me réintégrant dans le champ des ses préoccupations.
" Que savez-vous de moi que je ne sais de vous ?
- Je connais maintenant votre endroit favori au bord du lac… Vous l'avez bien choisi, la perspective est somptueuse.
– Somptueuse, oui, et il y a des jours où vous vous dites que vous faites tâche dans cette splendeur, que vous n'êtes pas au niveau du paysage et que vous feriez mieux de ne pas être là. "
Je lui en voulais tout d'un coup d'être aussi désabusée, alors qu'elle est le complément idéal de cet endroit au bord du lac, et mille fois plus digne que moi de prendre place dans un endroit aussi splendide. Ma splendide.
Je vis soudain l'absurdité de notre position, de ce dialogue séparé par un espace indifférent, comme si nous étions des acteurs sur une scène immense et froide.
Et puis, il fallait que je lui propose mon aide, et rattrape mon impolitesse de toute à l'heure. Je me secouai et m'avançai vers elle, quelques pas seulement qui résonnèrent avec application entre nous, je la déchargeai de ses paquets, mes mains touchèrent, comme en un contact onirique, ses avant-bras (sa peau sous la chemise), l'intérieur de ses poignets (sa peau directe et nue). Ses yeux étaient toujours aussi tristes, moins mornes cependant.
Nous nous mîmes en marche. J'étais prêt d'elle, dans sa proximité immédiate, et je marchai sur la ligne de crête d'une montagne, respirant un air plus rare et plus précieux ; mais comme un rêve, cet état idéal était fragile, un mot, une pensée pouvaient suffire à me déloger de la crête, il valait mieux se taire que de vouloir à tout prix faire surgir des mots entre nous.
Nous étions arrivés à l'oisellerie, son odeur douceâtre de réjection, ses bruissements d'ailes.
" Bien, où allons-nous trouver notre … quel était votre mot déjà ? couple , oui c'est çà " .
Sa voix avait pris une intonation amère, mais elle s'était trompée de mot, je n'avais pas utilisé celui-là, j'avais simplement failli.
Je m'aperçus qu'elle avait gardé la petite enveloppe bleue, maintenant elle la tournait et retournait dans ses mains. Brusquement, comme on se jette à l'eau.
" Bien, puisque vous avez voulu être avec moi, il va vous falloir m'écouter, vous allez me servir de témoin, parce que… oh peu importe, je … je ne me serais jamais imaginée contrainte de faire une telle chose.
Donc, " elle me montra l'enveloppe bleue, " un quelconque petit rectangle de papier, la conclusion peu glorieuse d'une histoire qu'on aurait, non, que j'aurais voulu sublime. Quelle présomption, quel aveuglement, il ne me reste plus maintenant que de la colère contre moi, d'avoir pu me tromper et m'exposer à ce point… et tout au fond la crainte de … "
elle s'arrêta, se ressaisit, cessa de regarder l'enveloppe, repris un ton plus léger.
" Ahah, finalement, je suis aussi bavarde qu'Hagrid ! Un jour il faudra que nous inversions les rôles, qu'en pensez-vous ? "
Je lui répondis que son monologue tenait plus de la confession que du bavardage, quelque chose dont elle aurait voulu se débarrasser ; une fois de plus je m'arrêtai avant d'avoir fini, j'aurais dû lui dire aussi que j'étais prêt à jouer les exutoires chaque fois qu'elle en aurait besoin, remplir une fonction, jouer un rôle près d'elle, être présent dans une case de son cerveau.
-Ego te absolvo, donc. Si c'est une confession, qu'est-ce que vous allez me pardonner ?
Sa question me prit de court, je restai silencieux, stupide, idiot, alors que je m'étais toujours imaginé avoir des quantités de choses à lui dire ?
Je commençai laborieusement, et puis je trouvai, car je repensai à ses paroles de tout à l'heure " Il y a des jours où vous vous dites que vous faites tâche dans cette splendeur, que vous n'êtes pas au niveau du paysage et que vous feriez mieux de ne pas être là" , le jugement qu'elle portait sur elle, clairement lisible dans cette phrase.
" Et bien vous réagissez orgueilleusement vis à vis d'une situation dont je ne sais pas tout parce que la confession n'est pas complète, mais dont je dirais qu'elle n'en vaut plus la peine. "
J'attendais, ses yeux passèrent sur les murs de l'oisellerie, comme si elle sélectionnait déjà ses chouettes, mais je savais qu'elle était en train de soupeser ce que je venais de lui dire ; ce que j'ignorai, en revanche, était si elle avait compris que ma réponse était autant de mots déversés pour forcer en elle quelque chose de moi.
" Ou encore : il y a des situations irréversibles, la mort bien sûr – elle sursauta violemment, comme elle l'aurait fait sous l'effet d'une gifle - des blessures, d'autres choses encore (se transformer en loup une fois par mois, n'est –ce pas Lupin), et de l'autre côté des choses réversibles et celles-là il ne faut pas les laisser vous faire du mal trop longtemps. "
Pendant que je parlais, elle avait trouvé une toute petite chouette effraie, blanche, au plumage serré, somptueux, maintenant elle fixait l'enveloppe bleue à sa patte droite, elle garda l'oiseau serré contre elle, immobile, elle revint vers moi, elle sortit un ruban bleu, lui aussi, de sa poche, le noua autour du cou de la chouette.
" Un courrier de fête, chargé de vœux de bonheur." Elle ajusta une dernière fois la lettre, le ruban, l'oiseau était toujours serré dans ses bras, interrogateur, surpris de ne pas déjà être relâché.
Soudain, elle étendit ses bras, les abaissa pour leur donner de l'élan, déjà ses mains avaient dépassé sa tête, l'oiseau était libre, propulsé, jeté dans l'air, si tôt disparu, ses bras retombèrent brutalement, comme si la chouette et l'enveloppe avaient emmené avec elles toute son énergie.
Quelques secondes, à disposition de chacun de nous, elle pour … comment savoir à quoi, ou plutôt à qui elle pensait, les bras presque inertes, abandon et fin de partie ? moi, pour la regarder sans témoins, m'épuiser et me reconstruire dans cette contemplation.
Je savais qu'après son image serait toujours dans mes yeux, même une fois qu'elle serait partie : même si elle est absente, moi, je ne peux plus m'absenter d'elle, coeur dédoublé qui palpite au dehors de moi.
Elle bougea enfin, elle regarda ses mains vides , regarda mes mains portant encore les deux autres enveloppes.
Elle vint vers moi
" Je vous promets, je vais être moins cérémonieuse pour ces deux-là, elles ne contiennent que des chiffres et peu de sentiments. Alors, où allons-nous dénicher notre.. duo ailé ? Voulez-vous que je reprenne les enveloppes, il n'est pas vraiment possible de les poser sur ce matelas de régurgitation… la prochaine fois que vous ou moi auront à flanquer une détention, nous saurons quoi faire faire aux contrevenants ! Aha, je m'imagine volontiers une certaine tête à claques de septième année récurer tout cela de ses précieuses mains… !
- J'imagine que je pense au même que vous ? " Pris d'une soudaine impulsion, j'articulai silencieusement le nom en question – je voulais sans doute qu'elle se concentrât sur mes lèvres ? -
- Bingo, professeur, quel infernal petit poseur, Slytherin, bien sûr. Tellement sûr de ses capacités, et de sa supériorité, je déteste les gens qui ne doutent jamais, ils ne sont pas vraiment humains. Bon, j'arrête d'être mauvaise langue, ou alors oreilles de Snape vont se mettre à lui siffler. "
Elle reprit ses enveloppes, avec application et concentration, pour ne pas me toucher. Que m'importait qu'elle n'eût pas continué le jeu du silence entre nous, j'avais regardé sa bouche plus que je n'avais écouté sa voix.
Je savais que l'oisellerie possédait deux hiboux moyen ducs, qui avait l'habitude de voler ensemble. Je finis par repérer leur plumage roux, tacheté de gris ; je m'approchai d'eux, claquai légèrement de la langue (ma langue dans la bouche d'Isolfe, image brûlante mais hasardeuse comme une fantasmagorie dans le réel), les deux vinrent se percher sur moi, chacun sur une épaule, la voix d'Isolfe me dit que nous formions une chimère à trois têtes.
Nous nous rapprochâmes, 4 têtes, 2 becs, 2 bouches qui se parlaient tout bas, 2 ramures qui se préparaient. Lettres installées, oiseaux envolés, ma joue par ses doigts effleurée. Silence entre nous.
Elle partit la première, sans rien dire, comme partent ceux qui viennent de déposer une offrande devant un autel.
Isolfe, je nous le jure silencieusement, bouche close et dents serrées, je ne mettrai jamais de terme à ce que j'éprouve pour toi, quoique tu fasses.
Journal d'Isolfe, 14 décembre.
J'écris ces lignes morte de honte de m'être dévoilée à ce point devant Lupin. Merde, et en plus ce n'est pas la première fois. Me fait-il vraiment perdre tout mon self-control ?
Il a vraiment le chic pour se pointer à chaque fois que je suis en train de m'occuper des mes défuntes affaires sentimentales.
Enfin là, il semble que j'ai atteint le point de non retour.
A croire qu'il est toujours sur mes talons. Et pourtant Dieu m'est témoin que j'avais pris mes dispositions afin de n'être vue de quiconque, le couvre-feu étudiant imposé par cet imbécile d'Argus était tombé, et je pensais qu'il n'y aurait rigoureusement personne de vivant dans les couloirs
Bref, je suis furieuse contre lui qui était là planqué dans l'obscurité, déjouant ainsi tous mes pronostics, il m'a fait tellement peur ; je ne me sentais plus le courage de traverser seule tous ces lugubres corridors,
et puis il avait pris mes enveloppes (comme il a laissé ses mains peser sur mes poignets à cette occasion),
et puis il a dit " nous ",
et puis
et puis, Isolfe, comme un enfant pris en défaut qui se cherche des excuses : ce n'est pas ma faute, c'est lui !
Mais je suis adulte, responsable de mes actes, je devais donc être consentante. C'est donc parce que je l'ai bien voulu qu'il était là au moment où j'envoyais mes adieux et mes vœux de bonheur à Benedikt et à sa future ravissante bien née fortunée épouse ! Et n'était-ce pas le moyen de lui signaler que … que le champ est libre ?
J'ai beau retourner le problème dans ma tête, je suis incapable de savoir si c'est bien ce message là que je voulais lui transmettre… J'ai pourtant l'impression que je n'avais pas prémédité mes paroles et que je lui expliquais tout cela comme je l'aurais fait à un ami, ou à … un grand frère. Mais ça, je ne pouvais plus le faire. Lui aurait su me faire rire de tout cela.
Il a dû me trouver bien théâtrale, poseuse, avec mes bras stupidement levés en direction du ciel – étais-je en train de dévoyer ces officiels vœux en maudissant celui auquel je les adressais ? Non, j'ai dû dépasser ce stade.
Alors de méditer sur mon échec, sur mon trop précoce renoncement, je ne sais pas.
En tout cas, je voulais sans doute introduire une dose d'esthétisme dans une banale histoire de nana qui se fait (salement) plaquer pour une autre (plus jeune, plus belle, plus riche). Mais est-ce que le beau peut introduire de l'ordre dans les sentiments ?
C'est peut-être en fait Lupin qui avait raison : l'orgueil ! l'orgueil ! (Effectivement quelle présomption de penser que ma seule présence suffirait à dénaturer les rives du lac et salir ce superbe paysage.)
Que m' a-t-il donc dit exactement - voyons, ah Isolfe, pas besoin de faire semblant de réfléchir, ses mots tournent dans ma tête depuis tout à l'heure : " Une dernière chose, il y a des situations irréversibles, la mort bien sûr, des blessures, d'autres choses encore et de l'autre côté des choses réversibles et celles-là, il ne faut pas les laisser vous faire du mal trop longtemps ".
Ces paroles sont si banales dans le fond, mais j'ai l'impression qu'il le pensait véritablement, qu'il me les a offertes, pour qu'elle fassent leur chemin en moi.
Est-ce pour le remercier de sa délicatesse et de son empathie que j'ai frôlé sa joue de mon index, en le quittant alors, infime frisson, minuscule contact, qui a suffi à le laisser tremblant. Je jure et je l'écris solennellement : ce n'était pas, cette fois-ci, pour tester mon ascendance sur lui ; ça, je l'ai déjà fait et ne résisterai sans doute pas au plaisir de le refaire, mais hier soir, mon geste était uniquement charitable.
Je m'effraie en pensant qu'un jour peut-être je lui offrirai de partager mon lit, en amie charitable !
