Et bien non, ce n'est pas encore le tour des septièmes années, j'avais oublié qu'il y avait encore deux songes à raconter – dites-moi si vous trouvez que j'abuse de cette ficelle, mais pour une fois que je dirige les rêves, c'est trop tentant…

HMS, oui, oui, Remus n'a pas fini d'en être jaloux … et il refera son apparition à la fin du second semestre ! Mais finalement, cette jalousie-là est purement humaine, deux hommes une femme, ce cher Hugues rend Isolfe plus femme et Remus plus homme.

Où l'on reparle du manteau bleu.

Journal d'Isolfe, 22 décembre, au matin

Tôt ce matin, je suis allée frapper à la porte du bureau d'Albus. Par chance il était déjà ou encore là, surpris de me voir, mais pas fâché, comme je l'avais craint.

J'ai passé un petit moment à mon réveil à m'interroger sur le bien fondé de ma démarche, je me suis décidée à aller voir le directeur d'Hogwarts avant d'avoir trouvé une réponse.

J'emprunte les couloirs déserts et compliqués qui mènent à son bureau, le rythme de mes pas va dénicher des séquences de rêve, tapies dans l'obscurité de la nuit passée. Quelqu'un marche, se dirigeant vers l'endroit où je tremble de froid. J'ai froid parce que je suis torse nu, mais je n'en ressens aucune honte, aucune gêne, seule la sensation de froid est désagréable. Maintenant, j'entends un deuxième bruit de pas, un deuxième marcheur qui suit le premier de très près. Les pas résonnent depuis longtemps maintenant, je ne sais plus s'ils viennent dans ma direction ou s'éloignent de moi. Je suis seule et j'ai froid, le temps s'étire, visqueux et glacé, je voudrais qu'il se rompe et qu'il arrive enfin quelque chose.

Et puis, tout d'un coup, deux silhouettes sont près de moi ; deux hommes, dont je ne connais pas le visage, et je m'aperçois que l'un d'eux porte le manteau bleu. Il l'installe sur mes épaules, et ce faisant il fait glisser ses mains sur mon dos, d'abord, puis sur mon torse, ensuite. Je m'allonge sur le sol, le manteau me recouvre, je m'endors.

Quand je me réveille, une femme est allongée près de moi, elle ressemble à l'un des deux, je porte maintenant un pull, dont la laine est à la fois rêche et douce sur ma peau. Elle murmure des choses indistinctes à mon oreille, j'ai beau me concentrer, les mots qu'elle me dit, et répète, et répète encore me restent incompréhensibles, mais je les vois tourbillonner autour de moi, car ils sont maintenant écrits sur des feuilles de papier, j'étends les bras, j'essaie de les saisir dans mes mains, à chaque fois j'échoue, mes mains restent vides et désespérées, je suis à nouveau glacée, l' homme a repris le manteau, il me dit " Donner, c'est donné, reprendre, c'est voler ", il rit méchamment, la femme murmure tout près de ma bouche, je sens ses lèvres bouger durement à la commissure des miennes, tel un serpent au corps raboteux.

" Ton problème restera sans solution, puisque tu n'as pas saisi ce que je t'ai dit ".

Je suis furieuse contre moi, pourquoi ne l'ai-je pas compris tout à l'heure, alors que maintenant j'entends tout ce qu'elle me dit, que j'ai échoué. Je me réveille au moment où j'allais le reconnaître. J'émerge trempée des eaux divagantes de ce rêve d'échec.

Je suis arrivée devant la porte de Dumbledore, j'hésite à nouveau, le rêve reste intercalé entre moi et la réalité du moment, je frappe pourtant. Rien ne se passe, je pourrais faire demi-tour, je frappe encore, cette fois-ci j'entends la voix d'Albus " Entrez Isolfe, soyez la bienvenue " alors que je pousse la porte et pénètre dans son bureau.

J'ai soudain hâte de revoir Fawkes, je le cherche des yeux, Dumbledore s'en aperçoit, et loin de s'en offusquer, il m'indique le haut d'une étagère, où son phoenix est perché. Je me rends soudain compte de mon impolitesse, je me sens rougir, je voudrais présenter mes excuses le plus vite possible maintenant, mais je dois d'abord déglutir un afflux de salive.

Je retrouve enfin la parole.

" Monsieur le Directeur, vous voudrez bien pardonner mon impolitesse, je suis désolée ",

je m'arrête ne sachant comment continuer. Dumbledore semble décidé à me laisser me dépêtrer toute seule, néanmoins. Je ne vais tout de même pas lui avouer que non contente d'avoir été impolie, je vais certainement lui faire perdre son temps, en sollicitant son avis sur des impressions fugitives ou des paroles peut-être tout bonnement mal interprétées. C'est pourtant ce que je m'entends lui dire.

" En plus, je risque de vous faire perdre votre temps, vous allez dire que je vois des problèmes où il n'y en a décidemment pas ! "

Il réagit enfin, s'approche de moi et me déclare

" Professeur Dazurs, j'ai une confiance absolument dans votre jugement, si quelque chose vous préoccupe, au point de vous faire sortir de votre réserve et de votre discrétion en venant jusqu'à moi, c'est que cette chose, indéniablement, mérite que nous la discutions, vous et moi. Venez, asseyons-nous. "

Nous prenons place, sur deux fauteuils disposés devant la cheminée. Je me mets à parler, mais au lieu d 'évoquer la scène d'hier entre Severus, Remus et moi, je me lance dans le récit de ce rêve dont je n'arrive plus à me départir. Bien sûr, je passe sous silence le passage où un des inconnus posait ses mains sur moi (à cet instant, je sais que la nuit passée j'y pris un plaisir intense), de même que je ne mentionne pas le manteau, je me contente de lui parler de cette situation absurde, de cette double impuissance.

Je lui raconte comment j'apprenais que j'avais un problème, que, jusqu'à ce moment de mon rêve, j'avais ignoré ; et comment j'apprenais que je n'y avais pas trouvé de solution : disqualifiée sans avoir même compris l'enjeu.

Comment je me découvrais doublement incapable, pour entendre ces paroles, pour me saisir de ces mots, comme si j'étais sourde et aveugle. Et je ne savais même pas si ce message était important ou pas, peut-être était-ce une question de vie ou de mort, ou peut-être une peccadille d'une affligeante banalité. Je me tais, Dumbledore ne m'a pas interrompue, il aurait pu me rappeler qu'il n'avait pas vocation à jouer les psychomages pour les professeurs de son établissement !

Il laisse passer quelques instants, attendant peut-être que je recommence à parler, ou que j'explique ce qui m'a pris de me lancer sans retenue dans un tel récit - alors qu'il venait justement d'évoquer ma réserve et ma discrétion…

Au moment où il se met à parler, Fawkes quitte son perchoir et se pose en douceur sur son épaule, lui donnant de légers coups de sa magnifique tête.

" Isolfe, et si ce rêve vous avait été donné afin de vous rappeler que l'on ne peut pas tout contrôler, ni tout prévoir, et qu'il faut parfois, voire souvent, accepter d'échouer, et se laisser porter, et accepter les occasions qui se présentent, vous entraîneraient-elles vers l'inconnu. Ne croyez-vous pas que c'est pour cela que les visages des protagonistes de votre rêve vous sont restés scellés ? "

Je suis interloquée par son analyse, sa simplicité et sa pertinence. Il a sans doute raison de recourir à un telle grille d'interprétation, toutefois je reste persuadée que mon rêve mérite un deuxième niveau de lecture, plus personnalisé, j'en suis en fait arrivée à la conclusion que le vrai problème posé était celui de l'identité de ces deux personnes, celle notamment de celui qui …

" Vous avez sans doute raison…

- et ai-je également raison de penser que vous avez autre chose à me dire ?

– Oui, excusez moi pour cette longue digression. Je vais être plus factuelle, et cette fois-ci vous et moi connaissons les protagonistes. " Nous nous sourions.

" Et laissez-moi deviner, nous avons, voyons, trois personnages, professeurs à Hogwarts, tous aussi remarquables, mais pour des raisons différentes ", il frappe trois coups sur le bras de son fauteuil, comme un régisseur de théâtre " Isolfe, Severus, Remus. "

Je lui fais remarquer qu'il est lui même excellent dans le rôle de taquin et je le mets au courant de la scène de la veille, j'essaie d'adopter un ton narratif le plus neutre possible, mais ma voix m'échappe souvent vers un registre plus pathétique.

" Je m'interroge sur les sous-entendus de Snape devant moi à propos du professeur Lupin, il en parle comme s'il s'agissait d'un assassin en puissance, de quelqu'un dont je devrais me méfier, quelqu'un qui cacherait un monstrueux secret. Bref, il me renvoie une image qui est tellement éloignée du Rem… hm du professeur Lupin que je côtoie chaque jour que … je ne sais que penser.

Pourquoi Snape se comporterait-il ainsi, s'il ne connaissait quelque chose, quelque chose de grave à propos de Lupin ? Que dissimule Lupin ? Ou Snape est-il fou ? jaloux ? parce qu'il s'imagine que Lupin lui a volé le poste qui lui revenait de plein droit ? Albus, vous vous taisez, allez-vous me dire que je suis en train d'affabuler ? … Pouvez-vous lever mes doutes et … -

Vos angoisses ? "

Il a enfin repris la parole, au moment où Fawkes délaissait l'épaule de son maître pour son perchoir.

" Il était inévitable qu'un jour vous vinssiez à moi avec de telles interrogations. Mais croyez-moi, vous n'avez rien à craindre de Remus, qui ne dissimule rien de répréhensible. Et vous avez sans doute raison lorsque vous incriminez la jalousie de Snape à l'égard de son collègue, je ne peux hélas rien y faire, je ne peux que le déplorer. Mais vous avez bien fait de venir vous hm confier à moi " .

Il reste un moment les yeux dans le vague, comme s'il savait très bien comment terminer notre conversation , mais qu'il ne soit pas sûr que je m'en satisfasse. ….

" Vous êtes amis, n'est-ce pas, avec le professeur Lupin, j'entends. "

Je réponds que oui, d'une voix qui semble froide et indifférente. J'ai l'impression que Dumbledore tique, surpris de mon manque de conviction. Il reprend, lui, sur un ton énergique.

" Bien sûr, vous l'êtes, même si aujourd'hui vous semblez ne plus savoir qu'en penser. Chassez les paroles de Snape de votre esprit, ne les laissez pas faire écran entre vous et … des choses plus essentielles, comme l'amitié, justement. Hier soir, vous avez pris la défense de Remus, et je vous observe tous les deux depuis votre arrivée à Hogwarts, oh Isolfe ai-je besoin de vous en dire plus ? Vous êtes une femme, vous êtes sensible, plus sensible que la plupart des gens que je côtoie depuis longtemps …"

Je l'interromps, furieusement, me levant avec une brusquerie agitée.

" Professeur Dumbledore, qu'est-ce donc cette chose si évidente, que vous n'avez pas besoin de me la dire ? Vous nous observez, soit, j'en suis fort aise, après tout j'imagine que c'est votre rôle de surveiller votre corps enseignant, mais je.. je… " je bégaie d'indignation. " Snape n' a finalement rien à vous envier, laissez-nous donc tranquilles, Lupin et moi. "

Mais enfin, cela fait une dizaine de jours que j'ai renoncé à tout espoir sur Benedikt, poussant la bonne volonté jusqu'à lui faire parvenir des vœux de bonheur et un cadeau à l'occasion de son grandiose mariage avec son ultra-friquée, et voilà que mon employeur, qui n'a pas vocation à interférer dans ma vie privée, cherche à me coller un autre homme entre les bras. Pire qu'une cohorte de veilles tantes à l'humeur marieuse.

Je marche avec furie entre mon fauteuil et son bureau, de grands pas saccadés qui cisaillent l'espace, à coups de talon dont la violence se propage jusque dans mes vertèbres, à me faire mal, mon visage est un brûlot, mes cheveux se joignent à mon agitation en relâchant leurs mèches l'une après l'autre.

Dumbledore reste absolument calme, me laissant tout l'espace à disposition, me regardant abandonner toute réserve et me transformer en furie piquée au vif.

Quitte à être insolente, je vais l'être jusqu'au bout et décide de le pousser dans ses retranchements, dans les miens aussi sans doute, va-t-il confirmer ce que je suis finalement prête à m'avouer ? Je me rends subitement compte que le sujet de notre conversation a bien dévié depuis tout à l'heure, j'étais venue parler de Lupin et de ses potentiels et dangereux secrets, et voici que Dumbledore m'a entraînée sur des terrains aux reliefs plus tourmentés et plus intimes.

Je reprends d'un air qui abandonne progressivement le sarcasme pour l'adjuration.

" Vous ne m'avez pas répondu, puis-je savoir ce qui est si évident que vous n'ayez pas besoin d'en parler ? " Je me suis enfin immobilisée face à lui, non pas dans l'attitude de défi que je m'étais imaginée pouvoir prendre sur l'erre de ma colère, mais dans une posture de capitulation, bras relâchés et mains ouvertes.

" Isolfe, ce n'est pas moi, en qualité d'homme, qui vais reprocher à un de mes hm comparses masculins de désirer une jolie femme, qui sait si bien se mettre en colère… Que puis-je vous dire que vous ne savez déjà sur le regard que Remus porte sur vous ? "

Je suis étonnée de l'entendre parler ainsi, tant il me semblait bien le dernier ici à pouvoir évoquer un tel sujet. Mais ensuite, je peux m'autoriser à sourire, un sourire victorieux puisqu'un témoin impartial vient de confirmer ce que je savais. Ma revanche sur Benedikt, ma victoire de femme. Je n'ai plus qu'à m'excuser de toutes les incorrections que j'ai accumulées depuis tout à l'heure.

" Professeur, j'ai l'impression d'avoir quelque peu négligé les bonnes manières, je suis venue vous importuner tôt ce matin, vous avez eu la bienveillance de m'écouter parler de hm ce rêve, et pour finir, je m'agite comme une furie sous vos yeux…

- Oui, mais ne suis-je pas le fautif, n'est-ce pas moi qui vous ai conseillé de ne pas toujours vouloir tout contrôler ? Nous avons tous besoin de moments comme celui-ci, de ..hm catharsis, non ? D'autant plus que vous et moi avons abordé un sujet hm très personnel. "

Sa voix est discrètement moqueuse, pour me renvoyer, sans me froisser, à la puérilité de ma conduite ? Mais le ton humoristique ne masque pas la dense compréhension contenue dans ses paroles.

" Et contrairement à ce que vous semblez penser, vous n'êtes pas la seule à être venue hm exploser de colère dans mon bureau, ils y sont tous passés, si je puis me permettre cette expression, Minerva, Severus, Filius, Sebastian, Filch, - il s'est mis à compter sur ses doigts – Sybille, dont j'ai cru qu'elle allait me jeter une boule de cristal à la tête, Marigold, avec elle, c'eût été un plantoir dans le cœur,… je vais finir par croire que je suis parfois un employeur diablement difficile à supporter…

Je me joins à lui, qui rit maintenant. Je demande curieuse. " Hagrid également ? " tant il me semble impossible, que ce dernier, si solide dans sa dévotion à Albus, ait jamais élevé la voix devant lui.

" Vous avez raison, Hagrid, non jamais… Peut-être un jour cependant ? Et ce jour là, je pourrais dire adieu à mes vieux os.

" Mais dites moi, pour finir, Isolfe, est-ce moi ou Fawkes que vous veniez voir ? C'est lui que vous avez tout de suite cherché des yeux, si je ne me trompe. Non pas que je m'en offusque, j'ai l'habitude que Fawkes me vole la vedette. "

Lui rit, mais moi, j'hésite, mal à l'aise de voir que notre entretien doive se terminer de la même manière qu'il a commencé, je pensais que le sujet était clos, et que Dumbledore avait accepté mes excuses. Il est devant moi, impossible d'esquiver son attention, solennelle et sérieuse, j'ai maintenant l'impression d'être assise devant un jury d'examen, ma réponse est prête, je sais qu'elle est juste, mais je ne sais pas si elle plaira.

Je regarde dans la direction de Fawkes, pour appuyer mon propos, Albus fait la même chose, le phoenix bat obligeamment des ailes, mais les renferme aussitôt et redevient immobile – j'avais espéré qu'il viendrait jusqu'à nous, jusqu'à moi. J'en veux presque en ce moment à Dumbledore de m'obliger à lui parler encore de moi, je me suis déjà beaucoup dévoilée, je suis épuisée par ma crise de fureur déplacée, je souhaite maintenant qu'il me laisse tranquille, j'ai besoin de me rétracter, d'aller me cacher dans mes jardins secrets.

Il doit percevoir d'où vient ma réticence, car je l'entends me dire. " Mais nous avons déjà beaucoup parlé, vous n'êtes pas obligée de me répondre, vous pardonnerez à un vieil homme d'avoir, peut-être, été trop curieux. "

Comme souvent la disparition de l'obligation, ou de la pression, si légère et délicate soit-elle, libère chez moi des torrents de bonne volonté fautive. Je constate, dépitée, que j'ai toujours autant de difficultés à gérer les relations avec ceux qui me veulent du bien, il me semble être plus à l'aise dans le conflit, comme avec Snape, où il suffit de rendre coup pour coup, sans plus se soucier de l'affect. Je me lance enfin.

" Regarder Fawkes est un plaisir esthétique, et c'est aussi un plaisir moral, la preuve que le juste et le bon existent quelque part dans le monde. "

Il ne fait aucun commentaire sur ma réponse, et m'invite à descendre avec lui. Il s'excuse pourtant à la porte du réfectoire, il doit rejoindre Lucius Malfoy et Hugues Moody-Stuart dans le salon de réception, pour un "petit déjeuner d'affaires". Je ne suis pas sûre qu'il n'y voit pas une abominable corvée.

Il s'incline vers moi, je commence à me détourner, il me retient cependant d'un geste pressant du bras.

" Isolfe, je vous le répète, ne vous laissez pas troubler par ce que Severus peut vous raconter, même si un jour vous aurez à le croire, ne doutez pas, ne doutez jamais de Remus, vous entendez, jamais, ne lui retirez pas votre amitié. "

Il se penche vers moi, sa voix n'est plus qu'un bruissement inspiré, convaincant, à mon oreille.

" Laissez le vous désirer. Et restez à l'écoute de vos rêves. "

Il s'éloigne vivement, tandis que je reste sans mouvement, silencieuse, à interroger l'écho de ses paroles. Tant de recommandations, qui sont presque des ordres. Et qu'aurais-je un jour à croire de ce que Snape me dira de Remus ?

Journal de Remus, 22 décembre, au matin

Dernier jour de cours du trimestre, Isolfe part demain, en France, chez elle. Encore quelques heures à passer près d'elle, pendant le conseil des septièmes années et au cours du dîner de clôture (avec un peu de chance nous conserverons l'ordre protocolaire et je serais encore auprès d'elle…).

Et ensuite, une absence de 15 jours. Je me suis porté volontaire pour tenir compagnie aux quelques étudiants qui ne rentrent pas chez eux. Où irais-je sans cela ? Et puis, rester à Hogwarts, c'est ne pas s'éloigner d'un endroit qui m'est devenu précieux, puisqu'il nous abrite tous les deux et nous réunit dans la même mission.

Ma nuit a été perturbée par un nouveau cauchemar, je m'émerveille de plus en plus de l' inépuisable potentiel imaginatif de mon subconscient… toujours prêt à me faire essayer de nouvelles tortures.

Est-ce que je m'aime si peu pour me faire souffrir autant dans mes rêves ?

Cette fois-ci , l'épisode fut bref, mais percutant, un modèle d'efficacité dans le tourment, avec pourtant une note d'espoir… ou suis-je en train d'affabuler ? La phrase que j'écrivis – imprudemment – dans mon journal d'hier soir et dissimulée très profond en moi la conviction, parfois timide, parfois vigoureuse, tantôt s'affermissant, tantôt s'affaiblissant, mais jamais au point de disparaître complètement, que je ne serais toujours présent dans sa vie, comme elle sera toujours dans la mienne servait d'argument à ce nouvel opus.

Et bien sûr, l'inévitable Snape dans le rôle du bourreau.

J'étais allongé sur le sol, les bras décollés du corps, sur de la terre recouverte de feuilles mortes en cours de pourrissement, je ne voyais aucun lien sur moi, néanmoins, je ne pouvais faire le moindre geste, ni même fermer les yeux, ni même déglutir.

Et pourtant, c'était les deux choses que je souhaitais le plus au monde : pour échapper à la scène, pour me débarrasser d'une masse compacte et atrocement amère coincée dans ma gorge. Au bout d'un moment, je m'apercevais que j'étais dans la forêt interdite.

Je distinguais des formes noires faire le tour des arbres, dont le feuillage, qui était recouvert d'une substance gluante, violette et brillante, masquait totalement le ciel - j'avais l'impression d'être couché dans mon tombeau.

Soudain, une des formes noires abandonnait son arbre, se dirigeant dans ma direction. Arrivée près de moi, elle commença à me donner des coups de pied dans les flancs, sans que je puisse ni me défendre, ni me protéger. Elle s'arrêta enfin et me dit alors

" Es-tu bien réveillé, j'ai quelque chose d'important à te dire, la solution à une question que tu te poses ".

Je reconnus alors la voix de Snape, qui continua.

" Tu te demandais comment tu pourrais rester présent dans la vie d'Aloisia, et elle dans la tienne ? Fou, que tu es ! N'as-tu donc pas encore compris ? "

Son rire se déversa sur moi comme une averse de grêle et je sus alors les paroles qui allaient m'atteindre.

" Quand tu l'auras mordue et qu'elle sera devenue comme toi, alors vous vous appartiendrez, dans la plénitude et dans l'abjection de votre malédiction jumelle. "

Je m'entendis alors émettre de sourds grognements de loup, terreur et angoisse mêlées. J'essayais aussi de lui dire qu'il s'était trompé sur le prénom, qu'elle s'appelait en fait …. Et là je rencontrais un grand blanc dans mon esprit, l'impuissance qui me clouait au sol avait pénétré jusque dans me cerveau, au point de me faire oublier le prénom bien-aimé.

Pourtant et soudainement une autre voix se fit entendre, émanant de l'intérieur de mon crâne, et résonnant aussi à l'extérieur de moi.

" Ne l'écoute pas, un jour, un jour, elle sera bienveillante pour le loup en toi, elle saura lui offrir ce qu'il attend : du sang et …."

mais ensuite la voix devint inaudible, mais je la sentais toujours vibrer en moi et en dehors de moi, sur son rythme courageux. Si seulement, me disais-je, j'arrivai à bouger les mains, je les agiterais devant mes yeux, et tout disparaîtrait et la voix serait libérée, plus d'arbres gluants pour l'étouffer et j'entendrais enfin le message

J'ouvrai enfin les yeux, la première chose que je vis sur la chaise où je l'avais soigneusement étalé fut le grand vêtement bleu encre confié par Isolfe et qui brillait de façon rassurante dans la demi pénombre de la chambre.

Je me levai, le pris, le tissu était souple, chaleureux, réconfortant entre mes bras, comme aurait pu l'être un animal familier. J'enfouis mon visage à l'intérieur, dans une emmanchure, la doublure de soie, d'un bleu légèrement plus foncé, était douce sur mes joues, et je débusquai ce que je cherchais, la trace tenue d'une odeur, mêlant l'intime et l'ajouté, transpiration et parfum cachés dans le réseau serré des fils de soie. Je me remis au lit en étalant la tunique sur moi, attentif à son léger poids.

Je réfléchis quelques temps au message délivré par la deuxième voix … quelle pouvait bien être la signification de ces mots, si tant est qu'ils en aient une ?

Un jour, elle sera bienveillante pour le loup en toi, elle saura lui offrir ce qu'il attend : du sang

…Jusqu'à présent, je n'avais jamais cherché à reconnaître un sens à mes rêves, leur déniant le pouvoir que certains sont prompts à leur accorder, les cantonnant soigneusement dans le registre clinique de l'exercice cérébral gratuit, tout juste bons à dénuder mes angoisses intimes.

Pourtant, ce rêve-ci, comme celui où elle et moi attendions à tour de rôle cet enfant monstrueux, me parle d'Isolfe, de notre rapport l'un à l'autre, de ce lien dont mon moi éveillé et raisonnant pressent l'existence, sans oser trop encore m'interroger sur sa nature ? Bienveillante pour le loup en moi ? Donc, elle le découvrira et elle n'en aura pas peur ?

Est-ce en acceptant de remonter toutes les sources, réelles et irréelles, celles du plein jour comme celles du secret des nuits, que je trouverai ce qui, peut-être, un jour, pourrait nous unir ? Mais comment pourrais-je accorder un quelconque crédit à ce rêve qui n'est que le reflet de ma propre subjectivité, se contentant de me faire entendre ce que je souhaiterais, passionnément, qu'il advînt un jour ?

Finalement, je me rendormis en ayant une certitude : je porterai le vêtement d'Isolfe le lendemain, mêlant mon odeur à la sienne.