Léna - Remus qui ne s'aime pas … oui, car ce serait aussi se mettre à aimer sa part monstrueuse… du moins c'est ce qu'il pense. Alors qu'il pourrait inverser la problématique – respecte-toi, car tu n'as jamais laissé ton loup prendre le dessus…

Alixe - dans mon esprit Isolfe agit avant tout à la fois contre Snape/Rogue et pour Remus, et c'est véritablement son goût de la justice qui la met en mouvement. Et puis après, et bien , ça devient sans doute plus compliqué … " désir Lupin lui moi … " difficile de résister à ce qu'il installe autour d'elle !

Quant aux réponses à leurs questions, et bien oui, je possède toutes les clefs… drôle comme l'écriture fictionnelle permet de se transformer en démiurge, mais quelle responsabilité !

Et c'est vrai que j'aime bien charger la barque de Severus, tout en n'étant pas certaine à 100 qu'il le mérite vraiment. Mais maintenant, je pense qu'il se comporte ainsi en raison d'un profond désarroi, et finalement moins par esprit de vengeance envers Lupin.

Enfin, j'espère que l'impression de bizarre à la fin des chapitres de JXC ne perdure pas trop longtemps, mais bizarre comment ? pas désespérée j'espère ! :-)

Bonne lecture !

Journal de Remus, 23 décembre, très tôt le matin

La journée d'hier m' a semblé se traîner inlassablement, du moins jusqu'au début des conseils, et après évidemment, le temps s'est accéléré.

J'ai passé mes heures de cours à distribuer des énoncés , à dicter des travaux à effectuer pendant les vacances, et après, comble du sadisme, à souhaiter à tous mes élèves de bonnes vacances – sans essayer de penser trop aux miennes, 15 jours qui se dressent déjà entre Isolfe et moi.

Isolfe que je n'ai entrevue que brièvement avant le début des conseils des septièmes années,en train de manger un sandwich, m'a-t-il semblé, dehors, en grande conversation avec Hagrid – nul doute qu'il lui a dit que ce n'était pas des façons de prendre un repas.

Enfin les cours se sont achevés, je suis remonté chez moi, j'ai fait reluire ma paire de chaussures, j'ai mis ma meilleure chemise – blanche - et mon pantalon le plus neuf – il doit bien y avoir déjà cinq ans qu'il partage mon existence. Puis, je me suis glissé dans le manteau.

Je regarde l'effet produit dans le miroir de la salle de bains, j'essaie de me regarder avec les yeux de Snape. " Notre vengeance " avait dit Isolfe ; à la lumière de jour, le bleu du manteau est différent, plus mat, plus dur peut-être, je savoure le poids du tissu sur mes épaules, ce tissu qui délimite un espace intime dans lequel je succède à Isolfe. Les autres ne verront que l'extérieur, le luxe de l'étoffe, le raffinement de la coupe, alors que moi, je le porte pour être en dedans, comme dans une matrice.

Je gagne la salle du conseil à grands pas, le tissu vient battre paisiblement mes jambes à chaque nouvelle enjambée, sans jamais entraver mon avance. J'aperçois soudain Isolfe, dans le dernier couloir que je dois emprunter, avant d'arriver. Je jurerais qu'elle m'attendait.

" Ah Remus, je vous attendais." Elle regarde le manteau, m'honore d'un sourire malicieusement ironique.

" Vous savez que vous n'êtes pas mal du tout… Mais pas pour vous parler de toilette, en fait. " Je prends le temps de noter tout de même qu'elle est habillée comme hier. Nous nous tenons proches l'un de l'autre, l'ampleur de sa jupe vient frapper le bas de mon vêtement. Elle se met à chuchoter rapidement.

" J'ai vu dans le rapport préliminaire que vous aviez 9 aurors aspirants dans vos effectifs ; félicitation, en général le taux est plus bas. En à peine quatre mois, vous avez déjà imprimé votre marque sur l'enseignement DCFM ".

Je l'interromps et lui fait remarquer que d'autres événements sont aussi à l'origine de ce regain de vocations.

" Oui, bien sûr, Voldemort qui revient traîner dans les parages, maudit soit-il, je ne pourrais jamais cesser d'être révoltée contre cette absurde volonté de malfaisance, ceci est un point bien évidemment, mais, je vous en conjure, ne faites pas le modeste, je parle sérieusement, je ne suis pas toujours en train de plaisanter, vous savez … vous faites un excellent travail, les étudiants vous adorent, il suffit de les faire parler de vous, sachez reconnaître vos talents…vous êtes en train de devenir une valeur sûre de l'enseignement d'Hogwarts, vous savez, vous appartiendrez bientôt au cercle de ces professeurs sur laquelle la renommée d'un établissement est justement fondée… "

Je l'interromps une nouvelle fois. " Que me vaut cette avalanche de louanges ? " Je ne sais effectivement pas trop quoi en penser, Isolfe ne fait pas partie de cette catégorie de gens qui chassent les contreparties à grands coups de flatterie, donc elle doit être sincère ? Ma remarque l'a faite tiquer, elle reprend, d'une voix un peu acide.

" Arrêtez, je vous ai dit que je parlais sérieusement, vous ne voyez donc pas que le conseil, tout à l'heure, étant donné le contexte, va soigneusement examiner les dossiers des futurs potentiels aurors et que si Dumbledore va recueillir votre avis comme du miel, Snape et Malfoy vont tout faire pour essayer de vous contrer, Malfoy parce qu'il jouerait contre son camp – personne n'est prêt à forger des armes contre soi - , et Snape parce qu'il vous déteste, et aussi peut-être " elle se penche davantage vers moi " pour se faire passer pour ce qu'il n'est plus . "

Elle reprend, d'une voix moins ardente, en se redressant " C'est une idée qui mérite qu'on s'y attarde, non ? Bref, résistez, et défendez la cause de vos étudiants, ils vous font confiance. Au fait, combien parmi ceux qui ont choisi votre spécialité vous semblent capables d'aller jusqu'au bout ? "

Je réponds " Je dirais tous, sauf deux , mais il est encore trop tôt pour porter un jugement si définitif.

Et en avez-vous d'autres qui n'ont pas choisi cette voie, et qui pourtant en seraient capables ?

Oui, un, Jason Mac Neil.

Ah, dit-elle, d'un ton interrogateur. "

Je m'aperçois alors qu'elle doit se livrer aux réflexions auxquelles je me suis souvent adonnées : cet étudiant réserve-t-il ses réels talents pour la cause de Voldemort ? Et Lucius Malfoy est-il là pour faire du pré-récrutement ? Les avertissement d'Isolfe prennent alors tout leur sens. Elle enchaîne

" Remus, dites-moi, avez-vous vous même été auror ?

– Pas officiellement, j'imagine que je ne suis pas décidé assez vite, à la fin de la septième année. Et puis après, et bien, mon expérience a pu compenser ma non habilitation, mais j'ai travaillé hm dans l'ombre. Nous en reparlerons, si vous le souhaitez, plus tard. "

Je me surprends moi-même, c'est bien la première fois que je propose spontanément de parler de moi. Je ressens même un besoin urgent de parler de Remus Lupin, mais pas de son loup, mais pas à n'importe qui…

" Vous avez raison, je suis une fichue bavarde, mais promis, ensuite je ne vous importune plus pendant 15 jours. "

J'étais justement en train de calculer combien d'heures restaient avant son départ, et surtout combien de temps à passer ensemble, le résultat dépendant essentiellement de la longueur de la soirée suivant le conseil, et aussi combien d'heures à passer dans sa proximité immédiate, et là et bien, je pouvais déjà compter sur toute la durée du conseil et la suite dépendrait des places qui nous auraient été assignées à table. Pourquoi avait-elle, justement au moment où je pensais à ces 15 jours à Hogwarts, Hogwarts transformé en désert par son absence, mentionné cette séparation : simple constatation ou bien …

Je décidais que j'aurais bien le temps de spéculer sur ce point à partir de demain.

" Bien, je crois qu'il est grand temps que nous y allions maintenant. "

Apparemment ils sont tous déjà arrivés, puisque nous n'avons vu personne entrer dans la salle du conseil. Je pose ma main au milieu de son dos, alors qu'elle avait tellement envie d'aller plus bas, j'imprime une légère pression, elle se retourne dans la bonne direction, mon bras est proche et arrondi autour d'elle, cette proximité pleine d'aisance nous transforme en un couple familier, pendant une rare seconde.

Nous marchons jusqu'à la porte, hésitons un peu.

" J'entre d'abord, attendez que je sois installée " me dit Isolfe " je m'en voudrais de parasiter votre entrée, vous êtes vraiment hm fastueux ".

Elle se penche en une révérence, rapide et faussement ingénue, comme devant Lucius Malfoy, hier ; je la laisse entrer. J'attends quelques instants, en repensant à notre conversation, au double jeu que pourrait jouer Snape, pourquoi pas en effet, mais l'antipathie que je ressens pour lui s'est tellement bien accroché à moi, que ce nouvel éclairage sur le bonhomme n'est pas de nature à la faire lâcher prise.

Tous les membres du conseil, hormis Dumbledore et Malfoy, étaient déjà assis à leur place. Je me suis faufilé rapidement jusqu'à la mienne, tous leurs regards interloqués glissaient sur moi, j'en étais à la fois conscient et indifférent. Une fois assis, j'ai quand même vérifié l'effet produit sur Snape. Son visage était fermé comme à l'habitude, mais surprise et fureur imbibaient ses yeux, les rendant soudain plus humains.

Quand j'ai baissé le regard pour arranger mes dossiers, j'ai aperçu la feuille qu'Isolfe venait de pousser devant moi " Touché, coulé !!! ". Cette fois-ci je me suis permis de ne pas étouffer mon rire. Ils m'ont tous regardé, même Isolfe a dirigé des yeux interrogateurs vers moi en disant d'une voix audible par tous et faussement réprobatrice.

" Eh bien, professeur Lupin, que vous arrive-t-il ? " Ensuite, elle s'est payé le luxe, en se penchant en avant, d'aller chatouiller Snape d'un regard de défi, mesuré et tranquille. J'ai cru que Minerva allait elle aussi se mettre à rire, mais des années de pratique professorales passées à voir tout se transformer en n'importe quoi durant ses cours lui ont donnée la maîtrise nécessaire pour savoir comment réfréner de telles envies.

Puis, l'épisode passe, et l'attente reprend. Isolfe et moi recommençons à parler, et nos voix se mêlent au chuchotis ambiant.

" Savez vous bien que vous aurez l'honneur d'être assis à la gauche de Lady Narcissa ce soir ? Nul doute qu'elle appréciera votre élégance "…

Comment sait-elle cela ? s'est-elle volontairement renseignée ? voulait-elle savoir si nous serions réunis ce soir ? Je lui demande.

" Et qui sera à ma gauche, à moi ? qu'ai-je à faire de ma droite ?

– Tsss, je l'ignore, mes renseignements sont lacunaires, et pourtant je dispose de trois informateurs, les jumeaux Weasley et Sacha, mais … je n'y serais pas, Dumbledore m'a placée entre Softy Moody et je ne sais qui.

– Fort bien, vous pourrez parler Périgord, Dordogne, canards...- Peinture, aussi, n'oubliez pas la peinture , Hugues – elle me taquine adorablement bien – est un grand admirateur de Rembrandt, comment ne serais-je pas ravie de partager un moment avec lui ?

– Ah ah , Rembrandt, la ronde de nuit, bien sûr ! Et j'ignorais que vous en étiez à vous appeler par vos prénoms ?

– Et pourquoi pas, c'est bien de que nous faisons tous les deux, cher professeur Lupin. Et puis il s'agit des Yeux de Rembrandt (1), ce n'est pas tableau nouvellement découvert, mais un ouvrage remarquable, que lui et moi avons lu, et bien sûr nous allons en parler.

– Mais ma chère professeur Dazurs, parlez de ce que vous voulez avec qui vous voulez ! "

(Mon Dieu, comme ma voix semble désappointée, comme un bon élève qui se croyait le préféré et qui s'aperçoit soudain qu'il existe d'autres favoris. Mais, puisque je suis un adulte qui a appris à contrôler ses sentiments, j'en appelle à l'ironie pour dissimuler la déception.)

" Mais tout à fait, et je peux aussi parler peinture avec vous, dites-moi, quel est votre peintre préféré ? un muggle, s'il vous plaît, les autres ne sont pas vraiment à la hauteur, c'est de la magie, pas de l'art et vous savez, je pense que si les muggles ont à ce point besoin d'art, c'est parce qu'ils n'ont pas de magie. "

Je réfléchis rapidement, je veux rester dans la proximité de Rembrandt. Ah, je viens de trouver, une œuvre douce et bleue, qui arrive en très bonne position dans mon musée imaginaire.

" Un des mes tableaux préférés, alors, Vermeer, la femme en bleu lisant, ses mains aux jointures crispées sur le minuscule billet clandestin, ses avant-bras dénudés. "

Je me mets à la regarder, mû par une pensée ardente, jusqu'à présent, nous conversions en contemplant les dossiers posés devant nous, je la vois de côté, je découvre la vérité de mon intuition dans le profil de son visage.

" Savez-vous que vous lui ressemblez ?

– Oh ! "

Elle a l'air surpris, se tait, puis après un moment, comme si elle craignait que se silence ne parlât trop d'elle.

" Vraiment, je me contemple rarement de profil, je demanderai ce soir une confirmation à Hugues ! … Et vous, savez-vous quelle question certains commentateurs se posent à son sujet ? Est-elle enceinte, ou ne l'est-elle pas ? Qu'en diriez-vous ?

– Je ne sais pas."

Je vois la main gauche d'Isolfe lisser un papier devant elle, non pas lisser, caresser. Tiédeur charnelle au creux de mon ventre, je vois les mains d'Isolfe sur un ventre arrondi, je sais hélas que je n'y serais jamais pour rien. Elle reprend la parole avec précipitation, je sens qu'elle n'a pas trouvé les mots qu'elle aurait voulu dire.

" Vous feriez bien de penser à un sujet de conversation pour vous même et votre aristocratique voisine, plutôt que de vous préoccuper des miens, non ? Allons de quoi allez-vous lui parler, de quoi va-t-elle vous parler ? De son merveilleux rejeton, la prunelle de ses yeux , le lien de chair et de sang entre elle et son époux, et des résultats scolaires de l'héritier, attention à vous, j'imagine qu'elle est très susceptible sur le sujet, et aveuglée, comme toutes les mères, donc ne lui dites peut-être pas toute la vérité ! Ou alors Narcisse va se contempler dans le miroir de vos yeux. "

Elle s'arrête, un peu essoufflée, elle me regarde maintenant. " Oh, Remus, je vous taquine, je vous taquine depuis un bon moment, n'ayez pas l'air triste, voyons on ne taquine que ses amis, et sur ses ennemis, on tape ou alors on prend des coups. Vous êtes fâché ?

" Non, mais j'aurais préféré continuer à me faire taquiner par vous, tout au long du dîner (Je suis remué, d'une émotion indicible et désespérée, comme toujours, lorsqu'une de nos conversations, par hasard forcément, effleure le sujet de la parentalité, il y a quelques minutes, la grossesse éventuelle du modèle de Vermeer, maintenant " le lien de chair et de sang entre elle et son époux" j'en arriverai presque à trouver Draco sympathique, décrit par de tels mots. Tous mes élèves d'ailleurs sont l'expression de ce lien, tous ont vocation à le perpétuer à leur tour, mais pour moi il est à jamais interrompu. Comme tout cela avait peu d'importance avec que je rencontre Isolfe, mais maintenant cette incapacité est une torture sous-jacente).

Je décide de la rejoindre sur le terrain de l'espièglerie. " Bon, enfin, je me souviens d'elle comme d'une jeune fille exceptionnellement belle et … racée, d'une blondeur admirable, des yeux sensationnellement bleus ( j'appuie sur les adjectifs et les adverbes d'une manière éhontée ), j'imagine qu'elle n' a rien perdu de ces attributs, je suis même sûr que les années et que sa maternité ont déposé sur elle un peu de la douceur qui lui manquait. Vous ai-je jamais dit que nous avons été étudiants à Hogwarts en même temps, il est vrai pas dans la même maison.

- Décidément, encore un cas d'hogwartsgamie, et vous, quand …"

Elle s'interrompt brusquement, le silence vient de se faire dans la salle, comme hier Malfoy vient enfin d'arriver, accompagné d'un Dumbledore aussi urbain que d'habitude. Mais aujourd'hui, il s'excuse de son retard, lady Malfoy a eu un léger malaise. Il me semble voir Minerva lever les yeux au plafond, Sebastian écrire quelques mots sur une feuille et lui faire passer – il sont séparés par Binns et Marigold. Elle reste imperturbable en lisant.

Dumbledore donne le coup d'envoi du conseil, aujourd'hui sa robe nous fait voir la constellation du Lion, j'avais presque oublié que c'était la mienne. C'est drôle, comme si m'étais dépouillé de moi avec les années et que ces lambeaux entrassent en collision avec moi de temps en temps.

Bon, si lady Narcissa se sent mal, peut-être n'assistera-t-elle pas au dîner, et bon débarras. Evidemment, je n'ai pas tout dit à Isolfe tout à l'heure, cela fait partie du jeu, mais à côté d'être belle, Narcissa était surtout une fichue garce de Slytherin, imbue d'elle-même, incapable d'un bon sentiment, régnant d'une main de fer glacé sur sa cour d'admirateurs, distribuant récompenses et anathèmes au gré de ses caprices. J'ai toujours pensé qu'elle aurait mérité une bonne paire de gifles, finalement si elle est là ce soir et si elle n'a pas changé, il se pourrait bien que je me décide enfin.

Le conseil commence enfin, nous sommes tous plus tendus que les jours précédents, il s'agit en effet de la première présentation "officielle" d'un travail pédagogique de sept ans, un premier avant-goût de la future nouvelle promotion de l'été prochain ; la réputation d'Hogwarts dépendant évidemment de la qualité des étudiants formés en son sein et de leurs choix d'orientation. Comme Isolfe m'en avait averti, je me fais attaquer abruptement lors du passage du premier spécialiste de DCFM, mon étudiant le plus brillant, Arthur Brenner.

Quand il s'est installé, la salle a retenu son souffle, Isolfe écrit " La prunelle de vos yeux, attention à LM ". Comme hier, j'ai le droit à un petit signe d'encouragement, une vive pression de sa main dans mon dos, dont la sensation persiste encore pendant que Dumbledore donne lecture des impeccables résultats d'Arthur, pendant que je fais mon exposé, en insistant sur la force et la rectitude morales que je perçois dans cet étudiant et qui le prédestinent au métier d'auror, et encore au moment où Malfoy prend la parole (j'entends Isolfe déglutir à ma place, je me rends compte qu'elle est plus tendue que moi ; j'ai une raison de plus de ne pas laisser Lucius marquer le point).

" Professeur Lupin, quelles sont réellement les qualifications vous permettant de porter un jugement aussi décisif sur votre étudiant ? Ne craignez-vous pas de vous engager un peu trop, et avec vous Mister Brenner, ne serait-ce pas un abus de légitimité ? Portez-vous vous même le titre d'auror ? Merci de répondre honnêtement au conseil d'Hogwarts, que je représente ici. "

Il incline comme à regret la tête. Arthur me regarde, choqué, en début d'année, je me suis présenté brièvement à mes étudiants, tout le monde sait ici que je n'ai jamais été auror, cela n'a jamais constitué un critère de recrutement, sans cela le poste n'aurait été pourvu qu'une année sur trois ! Ce n'est pas le point sur lequel il serait légitime de m'attaquer.

Je décide pourtant de taire tous ces arguments, de ne pas m'abandonner au travers qui me force à sempiternellement vouloir me justifier quand je suis injustement attaqué. De toute façon, cette question, si elle doit être traitée plus en détail, n'a pas à l'être en présence d'un des mes étudiants.

" Sir Malfoy, non, je ne possède pas le titre d'auror " . Autant j'avais été chaleureux en parlant d'Arthur, autant je suis flegmatique maintenant. Lucius revient à la charge, si je fermais les yeux, je le verrais tourner autour de moi, en de grands cercles gourmands.

" Bien, merci de votre franchise et de votre, comment dire, …candeur ", il marque une pause afin de laisser le mot s'épanouir dans la pièce jusqu'à la meubler toute entière, je distingue Minerva se pencher vers Dumbledore, j'entends Isolfe déglutir encore.

" Je m'étonne en effet que vous puissiez penser que votre seul avis peut suffire à conforter un choix d'orientation aussi hm sensible que celui de notre ami Brenner, dont le jeune esprit s'égare peut-être sur de fallacieuses voies et il serait alors criminel de ne pas hm l'aiguiller dans une meilleure direction. "

Arthur sursaute, je sais ce qu'il pense de Lucius Malfoy. Un esprit aussi intègre et droit que le sien, trop jeune de plus pour avoir déjà accepté la perspective des inévitables concessions qu'il aura à faire, ne peut pas accepter les ouvertures d'un captieux tel que Malfoy.

" Je n'ai évidemment pas suivi Arthur tout au long de sa scolarité, j'ai néanmoins étudié son dossier avec la plus extrême attention, j'ai pris également le temps de discuter avec lui, justement pour sonder sa motivation, et ne pas risquer de le laisser commettre le genre d'erreurs que vous évoquiez.

– Et qu'en avez-vous conclu ? " Dumbledore m'a interrompu, j'aurais pourtant voulu que cette joute restât entre Malfoy et moi, mais je comprends que c'est justement ce que notre directeur souhaite éviter.

" La motivation d'Arthur Brenner se nourrit de capacités intellectuelles, de force morale, de courage physique et elle est très profondément enracinée en lui, pour des raisons qui lui sont propres, une conjonction entre le talent et l'histoire personnelle. On ne peut demander mieux pour justifier une orientation, et pour ma part je ne peux que soutenir une telle … vocation "

C'est Malfoy seul que je regardais en prononçant ces derniers mots, tout en ayant l'impression de violer la consigne de Dumbledore. rthur me jette un regard reconnaissant, aurait-il douté de moi ? Malfoy répond à ma sollicitation.

" Bien, bien, nous verrons comment les choses auront évolué lors du prochain conseil. Nous verrons si le professeur Lupin professe toujours – il suspend sa voix pour entretenir sadiquement le doute sur le fond de sa pensée, j'entends Isolfe murmurer "non", - professe toujours la même ob-sti-na-tion. "

Son majeur a frappé la table de quatre coups secs, en rythme avec son exercice de prononciation. J'ai l'impression que tous comprennent que c'est moi qui vient de recevoir quatre coups de règle sur les mains. Isolfe me donne un léger coup de coude, et pousse vers moi notre feuille de correspondance – nous la partageons aujourd'hui. Elle a écrit

" Nous sommes tous avec vous, Snape idem, n'a rien dit !" Elle a passé une ligne et a ajouté " Attendez quand même l'été pour revêtir votre tunique de lin blanc…" (2)

Une légère crispation traverse le visage de Dumbledore, il frappe lui aussi la table, mais avec le plat de la main, un seul coup autoritaire, tel un maillet de juge annonçant la fin des débats. Pourtant, sa voix est aussi urbaine que d'ordinaire.

" Lucius, je vous saurai gré de ne pas mettre en doute le jugement que mon professeur porte sur un de ses plus brillants étudiants. Nul doute que la fin du prochain trimestre lui donnera l'occasion de nous confirmer son opinion et je n'y verra là aucune obstination " .

Mon professeur, comme il a bien dit cela, c'est aussi réconfortant que de sentir ses bras autour de mes épaules, que m'a-t-on jamais dit qui commençât par mon ? Isolfe – vous êtes mon ami, je me love autour de la sensation que cette évocation éveille au milieu de mon corps, à égale distance entre cœur et sexe (la véritable place de l'amitié ?).

Lucius lève les yeux au plafond, comme si, après avoir émis des doutes sur la sûreté de mon jugement, il prenait à témoin les puissances supérieures de l'aveuglement de Dumbledore.

" Merci, Arthur, faites entrer le prochain étudiant, je vous prie. "

Il s'agit de Douglas Caldwell, qui a choisi de se spécialiser en économie. J'entends donc Isolfe commentant ses résultats. Elle a terminé, elle se tait, je n'ai suivi que ses inflexions graves et basses, je n'ai rien compris de ce qu'elle disait. Malfoy se tourne alors vers Douglas

" Dites-moi, Mister Cladwell, combien d'étudiants de septième année ont choisi la même spécialité que vous ? " Isolfe tressaute, et fait signe à son élève de se taire

" Lord Malfoy, cette question m'est évidemment destinée, vous seriez fair-play, en me permettant d'y répondre moi-même "

J'admire la façon dont elle dissimule ses insolences sous des couches de politesse impeccablement vernie.

" Six élèves, en tout et pour tout. Je vous laisse maintenant émettre tous les commentaires que vous souhaitez. "

Sa voix est montée d'un cran, manque de contrôle ou exaltation ?

" Mademoiselle Dazurs, je m'en voudrais de faire perdre son temps au conseil d'école en m'étendant sur des sujets aussi triviaux que l'économie."

Il fait tomber sur elle un sourire plastique et condescendant, pourtant pas maîtrisé au point de dissimuler quelque chose d'autre qui se tord aux commissures : une avidité toute masculine qui les rassemble tous les deux dans le rôle de l'homme séducteur et de la femme à ravir. "

Isolfe rougit violemment, Sebastian rit sous sa main, mais lui adresse un regard de soutien, Minverva s'impatiente, Dumbledore lui tapote le bras, les autres regardent ailleurs, je contemple mes mains d'un air lugubre.

Le conseil se poursuit sans nouvel accrochage, sur le rythme enlevé de mécanique bien huilée.

Jusqu'à l'audition de Jason O' Neil, dont l'arrivée tend brusquement l'invisible réseau qui parcourt notre salle. Je l'observe alors qu'il s'installe, il me semble qu'il adresse un léger salut à Malfoy, mais peut-être imaginé-je ce que je souhaite voir, une confirmation de mes soupçons.

O' Neil est un grand gaillard, massif et puissant, il me dépasse de deux bonnes têtes, il doit être l'étudiant le plus grand ici. Cheveux noirs, front haut, un nez aux narines superbement dessinées qui proclament leur haut lignage au dessus d'une bouche brutale, et d'un menton qui s'avance en bas de son visage comme l'étrave blindée d'un navire de guerre. Et yeux plus opaques que sombres, à l'expression extrêmement maîtrisée, afin qu'elle ne soit jamais pénétrable par qui que ce soit. Je me souvent demandé ce qu'il apprenait de lui quand il se regardait dans un miroir.

Il possède le goût du secret, et encore plus celui du pouvoir, une volonté exaltée de domination. Slytherin qui en douterait ? Il a choisi de se spécialiser en potions, alors même qu'il possède d'immenses talents techniques en DCFM, je sais qu'il se consacre à approfondir cette matière en dehors de mes cours, bien au-delà de ce que lui demanderait la simple recherche du niveau suffisant pour assurer dans une matière secondaire pour lui.

En cours, j'arrive à peu près à canaliser la volonté qui l'anime, mais si je sors toujours vainqueur des confrontations avec lui, ces dernières me laissent amer et épuisé.J'ai l'impression de n'être pour lui qu'un dispensateur de techniques, froides et brillantes, il fait barrage à toutes mes tentatives pour lui faire partager l'esprit moral qui doit nécessairement accompagner la pratique de ma discipline. Il considère tout cela comme méprisable et inutile, une philosophie débilitante, ce qui ne fait bien sûr que confirmer mes soupçons, et ceux de Dumbledore, sur ses réelles ambitions et ses liens avec les partisans de Voldemort. Snape lui-même a dû mal à ne pas se laisser déborder.

Isolfe est en train d'écrire, je commence à déchiffrer sous sa main. " Saviez-vous que Lucifer va fêter la nouvelle année à Durmstrang ? dixit Sacha, top secret ". Je réponds " oui, source A. Brenner. "

En accord avec Dumbledore, j'ai effet demandé à Arthur du surveiller cet étrange étudiant, ce qui constitue pour lui un excellent exercice de préparation à son futur métier.

Severus se lance dans une agaçante péroraison, pour célébrer plus ses mérites que celui de son étudiant. On le devine gêné de devoir justifier un choix qui apparaît aberrant à tous, d'où la porte de sortie qui consiste à nous infliger sa propre élégie !

Le silence retombe enfin, Dumbledore demande si l'un de nous souhaite apporter un commentaire, ses yeux s'attardent sur moi, je prends la parole, je considère que Dumbledore vient de m'autoriser à pousser 0'Neil dans ses obscurs retranchements .Et je ne doute pas que ceux-ci soient garnis de nombreuses défenses.

" Mister O'Neil, vos résultats prouvent que vous êtes un brillant étudiant en DCFM, bien meilleur dans cette discipline que dans celle du professeur Snape – je vois ce dernier blêmir, sans tout à fait comprendre ce qui peut déclencher une telle réaction chez lui - " je sais par ailleurs que vos recherches personnelles s'orientent davantage vers les forces du mal , et les milles manières de les combattre "

j'insiste lourdement en le regardant, je crois voir ses narines de bronze antique se pincer, " plus que sur la préparation et le maniement de potions, complexes ou vulgaires - Dumbledore, pressentant la réaction de Snape, pose une main apaisante sur son bras - n'avez-vous jamais envisagé de vous spécialiser dans cette matière ?"

Il reste imperturbable, comme si ma question, qui peut être effectivement vue comme un coup bas, ne méritait pas qu'on s'y arrêtât. Son obstination tranquille m'oblige à préciser

" J'attends, nous attendons tous votre réponse. "

Moody Stuart, qui devait rêver de recenser tous les Rembrandt de Dordogne en compagnie d'Isolfe, vient à mon secours, il s'est sans doute souvenu in extremis de la mission qui est la sienne.

" Et bien, jeune homme, la question est sérieuse, nous connaissons plusieurs cas d'orientations euh ratées, avec leur cortège de déceptions et de ressentiment, et par ailleurs le ministère serait lésé de voir de talents tels que les vôtres se perdrent dans la… nature ?"

Il a l'air de mettre ce qu'il faut derrière ce mot de "nature ", finalement moins planant qu'il n'en a l'air.

O'Neil s'abaisse à nous honorer d'un seul mot " Non. "

On a presque entendu le claquement de sa mâchoire quand il a refermé la bouche. Je lis sur la feuille qu'Isolfe avait reprise

" Exceptionnel manque de coopération, avez-vous testé le veritas serum ? "

Je ne suis pas sûr que cela marcherait…. Dumbledore essaie d'obtenir une réponse plus détaillée, en reformulant la question

" Comprenez nous bien, nous voudrions être sûrs que votre choix de spécialisation n'est pas … comment dire … un second choix, dicté par la peur de ne pas être à la hauteur dans la discipline qui, de toute évidence, a votre réelle préférence."

Comme toujours, Dumbledore a suivi une adroite inspiration, O'Neil se laisse emporter par la rage de voir ses talents mis en doute. Mais la rage est glacée et soigneusement contenue.

" Je suis meilleur qu'eux tous, un jour je serai meilleur que lui " - un coup de menton méprisant dans ma direction. Je lis " Où il est démontré que votre beau ténébreux a une idée fixe à la place du cœur. Ce qui ne l'empêche pas de rendre hommage à vos talents, et de casser sa baraque à l'Hon. Lucius. Vraiment très drôle "

Je lui renvoie le coup. " Et ce jour là, je serai ravi, le but de tout pédagogue n'est-il pas de faire naître des talents plus grands que les siens ? Mais prenez garde à ne pas ruiner votre âme, Jason ", tout en pensant à cette formulation que je viens de tester pour la première fois en public " faire naître des talents ", mes étudiants comme des enfants de substitution, des fils, des filles spirituels, mais suis-je, serai-je assez bon professeur pour voir jamais apparaître de tels liens ? et j'écris en même temps " Qui va me faire rire pendant ces jours où vous ne serez pas là ? "

Voilà, c'est fait, j'étais parcouru de l'impérieuse nécessité de lui dire, même à demi-mot, qu'elle allait me manquer. Peu m'importe maintenant de savoir comment Jason a reçu mon message, je suis prêt à le laisser se dévoyer en de sombres ambitions, c'est la réaction d'Isolfe que je guette attentivement. Une réaction qui ne vient pas. Est-ce délibéré ou pas ? Ai-je encore, comme hier, heurté la ligne dont elle seule connaît l'emplacement ? Cette ligne est-elle proche d'elle ou lointaine ? Quelle est la grandeur de la zone inaliénable dont elle a besoin pour se protéger ? Arriverai-je petit à petit à reculer la limite ? Me révèlera-t-elle les règles du jeu ? Et alors que devrai-je lui dévoiler de moi ? Ma curiosité est douloureuse et sans limites. Mon amour est malheureux et sans horizon.

Nous commençons à fatiguer, la tension introduite par Jason est retombée, les étudiants défilent plus rapidement maintenant. J'en ai terminé avec les miens, Minerva avait semble-t-il gardé ses animagi pour la fin, je me mets à rêvasser aux maraudeurs, comment toute cette complicité radieuse a pu se disloquer en autant de destins tragiquement individuels, qu'avons-nous trahi de ce qui nous unissait ? Enfin moi, j'étais marqué depuis plus longtemps qu'eux, une nouvelle fois j'exhorte ma mémoire en vain, rien ne me reste de ma vie normale d'avant, comme si ma transformation avait été une deuxième naissance, faisant de moi un être neuf, étincelant dans sa sombreur. Peut-être fallait-il mieux d'ailleurs qu'il ne me restât rien à regretter ?

Je me secoue, je vois s'installer maintenant Helena Saint-Just, une étudiante économiste, plutôt attrayante, une abondante chevelure brune bouclée, abandonnée à elle même, mais de façon très étudiée, des sourcils très fournis. Isolfe et elle sont très proches, elles suivent le même cours de danse, elles ont la passion des "chiffons et des fringues ", je cite, Helena veut d'ailleurs fabriquer et commercialiser des vêtements. Il est indéniable qu'elle fait preuve d'une imagination débordante quand il s'agit de se composer des tenues, avec plus de chien que de chic, je dirais. Rien à voir avec le classicisme subtilement décalé que pratique Isolfe. Quand je pense qu'il y a quelques mois je ne savais plus faire la différence entre une robe et une jupe…

Je vois soudain les yeux d'Helena qui dans leurs orbites sautillent de surprise à ma vue, il me faut quelques secondes pour me rendre compte que c'est le manteau bleu qui l'a prise au dépourvu, il est vrai que je l'ai toujours vu jeter des regards désapprobateurs, mais compatissants, sur les misérables choses qui composent ma garde-robe habituelle. Et puis la surprise se transforme en curiosité professionnelle, elle examine mon tabard sous toutes ses coutures, va-t-elle me demander de me lever et me mettre à tourner sur moi-même ? Quant à elle, elle porte la tenue réglementaire, mais j'ai l'impression qu'elle a dû changer certains éléments, sauf que je n'en suis pas encore au point de pouvoir identifier lesquels.

Les résultats annoncés par Dumbledore nous apprennent que Miss Saint Just sait ajuster son effort sur les matières qui vont lui être utiles : potions (pour les teintures ?), transformations (coton en soie ?), charmes (pour convaincre les clients ?). Je trouve cela très astucieux, néanmoins je ne suis pas sûr que mes collègues n'y voient pas un dévoiement de leur discipline, surtout Snape évidemment, encore que d'après ce que je constate, elle est une des mieux notées de son année.

Mais qui sommes-nous pour décider seuls de l'usage que les étudiants doivent faire de nos cours ? La première mission de l'enseignement n'est-elle pas de doter les élèves des connaissances nécessaires pour s'insérer dans le monde, le comprendre et éventuellement l'améliorer ? Et de les aider à développer leur libre arbitre. Et, par la suite, il est évident que nous ne sommes plus là pour censurer d'éventuels écarts de conduite, tant il est vrai que la responsabilité pédagogique s'achève une fois le diplôme décerné. Finalement, le cas d'Helena rejoint sur ce point celui de Jason, mais en moins tragique.

J'écris " Et pourquoi pas la divination pour savoir si un modèle va marcher ? " Isolfe répond, tout en se mettant à commenter le dossier d'Helena. " Mais, là, c'est vous qui me faites rire…Ne vous inquiétez pas, quinze jours sont vite passés, je vous ramènerai plein de d'humour certifié French touch ".

Je lis et relis ces deux lignes, mes yeux sur son écriture et mes tympans amplifiant docilement les mots de son exposé.

" Je souhaiterais attirer l'attention du conseil, sans vouloir être trop solennelle, sur le choix judicieux qui a guidé Miss Saint-Just dans sa hiérarchisation de ses différentes matières, et bien sûr cela n'est pas pour chanter mes propres louanges, c'est un exercice délicat dont je laisse le soin à l'autres – regard circulaire sur l'assistance, qui génère un rire léger au fur et à mesure qu'il passe d'un visage à l'autre, Moody-Stuart semble au septième ciel, pfff ! - elle a véritablement " technicisé" son enseignement, et j'ai la satisfaction de constater qu'elle est plus avancée que d'autres dans son projet professionnel.

Moody-Stuart intervient alors pour lui demander si elle a déjà trouvé un nom de marque pour sa future activité. Elle lui décoche un sourire éblouissant, ravie de trouver un auditeur qui semble ne pas la considérer comme un esprit léger.

" Et bien, j'ai quelques idées, mais elles restent euh secrètes, et de toute manière je dois encore les valider par une bonne étude, vous savez il faut qu'un nom de marque parle aux gens, évoque quelque chose, puisse se retenir facilement et …"

Dumbledore l'interrompt gentiment. " Mille mercis, Helena, votre enthousiasme est communicatif, nul doute qu'un jour je porterai une de vos créations " … Nouveau rire quasi général, seul Malfoy affiche un visage volontairement incompréhensif et il va nous faire part de ses réflexions.

" Je m'interroge, vous êtes une sang-pur, quel besoin avez-vous de singer les Muggles en vous lançant dans cette…carrière ? " Le mot sonne comme une grossièreté qu'il a dû se forcer à prononcer. Helena semble considérer que la question est profondément débile, mais elle y répond avec la bonne volonté et l'énergie qui sont sa marque.

" Mais, je … je ne vois pas comment je pourrais rester à ne rien faire de mes dix doigts, et puis il est temps que quelqu'un de notre monde propose quelque chose dans le domaine de la mode, plutôt que de tout laisser faire aux Muggles, vous ne croyez pas ? " Nouveau sourire charmeur dont l'effet se perd dans les limbes.

Helena quitte la salle, avec un roboratif dosage d'énergie et de bonne humeur. Je l'envie pour être à la poursuite d'un but si clairement identifié.

Le conseil est achevé, pour sa partie publique, s'ensuivent quelques délibérations à huis clos, portant sur certains cas plus délicats, par contre rien se sera dit de plus concernant Jason 0'Neil. Dumbledore ne veut pas laisser deviner à Lucius Malfoy le degré d'attention qu'il porte à cet élève. Nous nous levons tous, dans un joyeux brouhaha, avec toute la satisfaction de voir une agréable soirée se substituer à une corvée.

Agréable soirée, non primordiale, pour moi, encore quelques heures avec Isolfe. J'espère que je pourrais la voir de ma place; y aura-t-il une table, plusieurs, rectangulaire ? ovale ? Je creuse mes souvenirs d'étudiants, il me semble que bons nombres de ragots courraient sur ses soirées de fin de conseil, et qui exploraient essentiellement deux thèmes : les types et millésimes des vins servis et, corrélativement, la quantité de boissons ingurgitée par nos professeurs, et qui finissait dans le lit de qui.

Il s'agissait là bien sûr de thèmes masculins, d'ailleurs en sixième année, les maraudeurs avaient réussi à s'introduire dans la cuisine et à siphonner le contenu d'une bouteille de vieux bordeaux, du Margaux je crois, 57 ou 58, et d'une autre encore, de l'Eiswein, les remplaçant par des vins beaucoup plus communs. Il existe un sort dont j'ai oublié le nom,très pratique pour effectuer la manipulation en laissant les bouteilles intactes. Je n'avais jamais rien bu de tel, évidemment, ni Peter, ni même Sirius et James issus de familles fortunées. J'avais trouvé cela sublime, du moins jusqu'à ce que Sirius me balance " Dommage, une telle splendeur, pour un gosier de loup ! ". Je savais qu'il était ivre, et que, à jeun, il ne m'aurait sans doute jamais envoyé une telle vacherie. J'étais parti, je les avais laissés cuver la splendeur. J'avais su ensuite, via Peter, que James et Sirius s'étaient sérieusement engueulé à ce sujet, mais nous n'en avions pas reparlé, Sirius ne m'avait jamais fait d'excuses et pourquoi me serais-je abaissé à lui en demander ?

Les filles, elles, se consacraient davantage aux plats et aux toilettes, mais je sais qu'elle ne se privaient pas non plus de cancaner sur l'autre point, en gloussant abondamment.

Je me demande si mes étudiants se livrent à ce genre de spéculations à mon sujet, mes collègues aussi d'ailleurs ? Qui mettent-ils dans mon lit ? Se doutent-ils qu'il n'y eut jamais personne ? Et dans celui d'Isolfe ?

Il est actuellement huit heures et demi, Dumbledore nous indique que nous devons nous retrouver à neuf heures très précisément dans le salon de réception. Cette annonce a pour effet de faire partir précipitamment ceux, ou plutôt celles, qui doivent, j'imagine, doivent encore se passer un dernier coup de brosse. Je remarque que Vector emboîte le pas à Minerva, comme s'il allait la suivre jusque dans ses appartements, et sans qu'elle ait l'air de s'en offusquer.

Je n'ai pas vraiment besoin de repasser chez moi, je pourrais me contenter de laisser mes dossiers dans mon casier, et les récupérer plus tard. Mais je n'ai pas envie de traînasser en compagnie de Snape et Malfoy, et puis Isolfe est déjà remontée, peut-être pourrai-je redescendre en même temps qu'elle. J'aurais ainsi le privilège de voir le premier comment elle se sera habillée pour cette soirée.

Effectivement, après avoir tourné un moment dans ma chambre, j'entends des pas dans le couloir, aériens, rapides et précis, qui ne peuvent être que les siens. J'ouvre ma porte à l'instant même où elle arrivait à son niveau, elle ne semble pas surprise de me voir tomber ainsi à pic.

" Oh, Remus, quelle heureuse coïncidence (le ton moqueur réfute le mot, elle est ravie de me prendre en flagrant délit, mais délit de quoi ? et de plus, elle est d'humeur badineuse, une lueur de gaîté légère s'est installée dans ses yeux, l'idée que je me fais du XVIII ième siècle français …), je me disais justement que je n'avais pas envie d'arriver seule. M'accompagnerez-vous ?

– Certainement, dois-je vous offrir mon bras ? – Non, réservez le pour Lady Narcissa …

- tandis que vous vous appuierez sur celui de Moody Stuart, ou sera-ce le contraire ?

– Tuttt, comme vous êtes affreux avec lui, alors qu'il est absolument, définitivement charmant. "

Elle rit, je l'imite de bonne grâce, tout en la détaillant. Elle a conservé la jupe qu'elle portait hier et encore pendant le conseil, mais la veste a été remplacée par une grande blouse, ou un chemisier ? d'un tissu blanc, entre matité et brillance, légèrement transparent sur les bras, sans l'être sur le corps sans que j'en comprenne la raison. Les manches, justement, sont amples, et se terminent par … ? ah voilà, j'ai trouvé le mot - des revers, qui lui font la main fastueuse.

Autrement, et bien, la blouse est très décolletée, enfin pour moi ne dispose que de l'uniforme d'Hogwarts comme comparaison, devant et encore autant dans le dos. Un décolleté qui chemine d'une épaule à l'autre, remontant et descendant, au milieu du dos, entre ses seins. Je suis ému, je souhaiterais qu'une de mes mains ait le courage de parcourir cet audacieux itinéraire. Où se termine le tissu, où commence la peau nue. ? Autour de son cou un bijou que ne lui avais jamais vu : un collier d'or, une ronde de virgules, entrecoupée de minuscules perles. Et à son poignet, sa montre, plutôt masculine, bracelet de cuir mat à deux tours, un double enserrement autour d'elle, un sévère lien qui met en scène un contraste troublant avec la délicatesse du revers blanc de la blouse."

Remus, venez-vous, nous allons manquer à l'appel de neuf heures.

". Alors que nous commençons à marcher, l'ourlet de sa jupe vient battre le bas de ma tunique. Nous descendons sans un mot, unis dans le silence et notre progression, désunis dans nos pensées ?

Nous atteignons le salon de réception en même temps que Snape, soit il surveillait notre arrivée (et je deviens paranoïaque), soit il s'agit d'une simple coïncidence. Il met toute l'impolitesse voulue à détailler mon vêtement du col à l'ourlet, d'une manche à l'autre, je me demande s'il ne pousse pas l'impudence jusqu'à compter les boutons. Puis il se tourne vers Isolfe ; elle avance d'un pas vers lui, effectue un tour complet sur elle-même, en donnant à sa jupe un élan qui fait luire l'étoffe, et termine le mouvement par une inclinaison de tête, mélange raffiné de formalisme et de moquerie.

" Et bien, Severus, dites-nous, que pensez-vous de nous deux, notre modeste plumage s'accorde-t-il au prestigieux ramage d'Hogwarts ce soir ? "

Il reste impassible, répond d'une voix volontairement neutre.

" C'est parfait, vous êtes ravissante ", mais ses pupilles sont troublées, comme si l'air déplacé par Isolfe était venu les toucher. Il se reprend rapidement, je pense qu'elle n' a rien remarqué, mais lui m'a vu observer ses yeux. Il me jette méchamment.

" Quant à vous, c'est bien la première fois que je vous vois mis correctement. " Il ouvre la porte, s'efface pour laisser entrer Isolfe, la suit de près afin de ne me laisser aucune chance de passer après elle. J'ai même cru qu'il allait me rabattre le massif battant sur le nez (quelle valeur a en effet la gueule d'un loup ?).

La pièce est déjà bien animée, mais sur un mode feutré. Dumbledore circule entre ses convives, effectuant le peu de présentations qui sont à faire, en fait je compte deux nouveaux venus, un homme d'une quarantaine d'années, en costume sombre, que j'ai déjà d'ailleurs aperçu de loin une ou deux fois, car je crois qu'il donne des cours de yoga ici (Minerva, qui pratique, ainsi qu'Albus, m'a presque ordonné de m'y inscrire, mais pour le moment je n'ai pas donné suite), et lady Narcissa Malfoy.

Dumbledore fait signe à Isolfe, dans le sillage de laquelle j'ai réussi à me maintenir obstinément, malgré les efforts de Snape et à moi d'approcher d'elle. Nous obéissons docilement, elle s'est entre-temps tournée vers nous, offrant royalement à notre admiration la blondeur dorée de ses cheveux et le bleu céleste de ses yeux. Or et lazuli, soleil et ciel d'été, Lucius a épousé un joyau, une saison.

Elle porte une robe jaune pâle, un matériau bruissant et brillant, un décolleté carré qui dévoile la naissance des seins. Les manches ne descendant pas plus bas que le coude. D'autres reflets encore, des diamants (sans doute aucun - Malfoy est riche… ) autour de son cou, en plusieurs rangs serrés ; à son annulaire gauche, une énorme bague, une fleur de glace sur sa main. Sa chevelure est attachée en chignon, qui a le bon goût de ne pas tout emprisonner de cette merveille dorée et de laisser libres de délicieuses boucles, maintenues en place par des étoiles de diamant encore.

Je ne comprends pas pourquoi j'ai été choisi pour passer la soirée à côté de cette splendeur vivante ? Peut-on être voisin de table de la perfection ? Car le reste de son visage, ses traits sont prodigieux de race et d'élégance. Mais mais … comme chez une statue grecque, le sien manque de d'humanité et de profondeur, le joyau brille dans un vide sidéral. Et à bien y regarder, ce visage parfait est parcouru par une onde de veulerie.

Dumbledore nous présente, d'abord Isolfe, dont j'imagine qu'elle doit ressentir un minimum de jalousie. Un point pour elle néanmoins, Lady Narcissa est plus petite.

" Ah, Mademoiselle Dazurs, je pense que ce n'est que l'année prochaine que Draco fera connaissance de votre discipline ? ". Je retrouve l'horripilante voix snobinarde de Draco, j'avais oublié bien des choses à propos de Narcissa, entre autre qu'elle affublée d'une telle intonation. Ses yeux s'attardent sur la blouse d'Isolfe.

" Vous êtes vêtue comme une jeune fille de bonne famille, décolleté un peu trop prononcé pour le rôle, malgré tout. "

Ses doigts suivent négligemment le bord du tissu, se croit-elle chez sa couturière ? et la façon dont elle a prononcé ce " malgré tout " sous-entend une dangereuse faute de goût.

" Une jeune fille de bonne famille qui a le cœur brisé, ma chère, ne l'oubliez pas, souvenez-vous de notre hm ami, Herr Hemans Zurlauben. Mais vous avez eu raison de renoncer sagement, c'eût été pour lui une … mésalliance, et vous vous en seriez voulu de lui faire subir une telle … vilenie. "

C'est Lucius qui vient de parler, il a l'air ravi, distribuant ses sourires, dans chacun un message subtil et malveillant. A son épouse : vous et moi savons si bien remettre à leur place les gens de peu, à Isolfe : je n'ignore rien de vos mésaventures, de votre impudique prétention à épouser un homme mieux né que vous, à moi : peut-être l'aime-t-elle encore ?

Comme pour souligner les paroles de son époux, Narcissa se met à jouer avec sa bague et son alliance, les faisant tourner et miroiter autour de son annulaire. Je vois le visage d'Isolfe blêmir rapidement, comme si la blancheur de sa blouse allait la noyer, et, serait-ce pour répondre au geste de sa voisine ? elle frotte durement son poignet gauche de sa main droite, en l'encerclant de ses doigts – deux cercles de cuir, un cercle de doigts.

Mais elle se met à parler d'une voix calme, rêveuse – la voix de celle qui tire, et à son seul usage, des conclusions raisonnées plutôt que des salves de médisance.

" Je pense effectivement que … aller plus loin eût été une erreur, mais pour moi, pas pour le respect des convenances. "

Une légère pause, puis d'un ton plus léger.

" Bien, nous n'allons pas ennuyer plus longtemps le professeur Lupin avec ces histoires… qui ne regardent plus que moi. "

Lady Malfoy affiche un air profondément ennuyé, qui ternit un peu le bleu de ses prunelles, le sourire de Lucius a à moitié disparu, comme si son petit jeu l'amusait soudainement moins, puisse-t-il s'étouffer avec le reste, moi j'exulte : j'ai appris et oublié tout aussitôt le nom de celui qui a été assez fou pour laisser partir Isolfe, et surtout j'ai entendu ma splendide dire que l'épouser eût été une erreur. Je suis presque reconnaissant à ces deux affreux d'avoir eu l'impitoyable méchanceté d'évoquer devant moi un sujet aussi privé. Et puis, j'ai décidé d'oublier mon sort de loup-garou pendant cette soirée, j'aurais ensuite une longue période de vacances pour l'affronter en solitaire et réfléchir à ce que je veux ou dois faire avec Isolfe.

Provisoirement dégagés de nos obligations mondaines, elle et moi nous nous échappons. Je réussis à nous trouver quelque chose à boire, du champagne.

" Pas très original – lui dis-je en lui tendant la flûte

– Tss, mais on s'en fiche, si c'est le même qu'hier, nous aurions tort de bouder notre plaisir. "

Son verre vient heurter le mien avec plus de force que nécessaire à l'instant précis où elle prononce ce dernier mot, sur une note gaie et enjouée. Isolfe, Isolfe, ferme ta bouche sur de tels mots (ouvre la plutôt sur la mienne, pose ta bouche dans la mienne), tu viens à nouveau de me donner envie de toi, alors que tu vas passer cette soirée loin de moi.

D'ailleurs tu m'échappes déjà, Moody-Stuart t'a vue, heureusement il fait la conversation à Narcissa, donc pour le moment il doit se contenter d'un impeccable signe de tête, mais il te fait déjà des yeux de Rembrandt, il va falloir que moi aussi je me lance dans cette lecture qui vous enthousiasme et vous rapproche, et voilà Hagrid qui s'avance vers toi, innocent et radieux.

" B'soir Miss Isolfe, professeur Lupin, - il prend tout d'un coup un accent très pointu– Charmante soirée, n'est-ce pas ? "

Je me demande s'il a répété tout cela devant son miroir, à voix haute.

" V'savez qu'vous êtes assise à côté de moi ".

La joie de lui annoncer la nouvelle lui en fait perdre ses bonnes manières grammaticales. Bon Dieu, qui a fait le plan de table, c'est à hurler ! D'un autre côté, je comprends que celui qui l'a organisé ait été soucieux de promouvoir Hagrid en lui faisant l'honneur d'une voisine de table avec laquelle il puisse se sentir à l'aise, (ibidem avec Narcissa et moi ?) et indéniablement c'est le cas d'Isolfe. Elle n' a pas son pareil pour faire parler les gens du sujet qui les passionne. Rembrandt d'un côté, Fang et créatures magiques de l'autre. Et moi, combien d'importuns entre elle et moi ?

Isolfe taquine gentiment Hagrid.

" Et bien Rubeus, j'en suis absolument ravie, mais d'où tirez-vous de si précieux renseignements ? j'ose croire que vous n'avez employé que des moyens officiels pour vous les procurer ? "

Le grand bonhomme plisse son visage d'un air un peu ennuyé, je décide de lui offrir une occasion de se racheter.

" Moyens officiels ou pas, peu importe, mais sauriez-vous me dire qui seront mes voisines de table, puisqu'hélas je n'aurais pas la chance comme vous d'être placé à côté d'Isolfe. "

J'ai posé ma main sur son bras, comme s'il ignorait qui elle était et que mon geste doive lever l'équivoque que son seul nom aurait pu laisser subsister. Il écarquille ses yeux, et place soigneusement cet événement dans un coin de son cerveau, je suis sûr qu'il pense déjà au moment où il ira le raconter à j'imagine bien qui. Je décide de lui en donner plus à raconter, j'ai subitement – et déraisonnablement – envie qu'Hoqwarts bruisse de ragots sur Isolfe et sur moi. Je pourrais toujours me rattraper en faisant valoir que ce n'était qu'une mise en scène, certes un peu cruelle, destinée à se jouer de la candeur d'Hagrid.

Je laisse ma main couler, voluptueusement, le long de l'avant-bras d'Isolfe, qui pince ses narines, mais en le laissant faire, puis sur son poignet, le dos de sa main, traversée de peau nue, avant le contact de son verre, vide mais tiède d'avoir été tenu par elle. Je me saisis également de la flûte de Rubeus et je repose nos trois verres sur un plateau. Je suis légèrement étourdi de ce geste d'amant ? d'époux ? que je viens de tenter publiquement sur elle. Sa main tremblait tellement quand elle m' abandonné sa flûte que j'ai cru qu'elle allait lui échapper. Quand je me retourne, les deux sont toujours là, Hagrid écarquille toujours autant les yeux, Isolfe regarde ailleurs, et sa main tremble toujours ! Me voyant revenir, elle l'interpelle.

" Alors, ne nous faites pas languir plus longtemps, qui sera assis à côté de Lupin ?

– Et ben, M'am Malfoy et Cynthia Hooch. "

Il a parlé d'une voix hésitante et honteuse, comme si je l'avais définitivement convaincu qu'il était un usurpateur. Je réponds mécaniquement.

" Fichtre, vous êtes sûr Rubeus que je mérite un tel honneur ! Vous, que vous ayez le droit à la compagnie du professeur Dazurs, voilà ce que personne ne saurait mettre en doute, mais moi ? "

Il rayonne à nouveau, comme il est enfantin, si vite blessé, si vite consolé, même mes étudiants de première année sont déjà plus retors. Isolfe a cessé de trembler, je le vois du coin de mon œil gauche, en fait je ne cessais de surveiller sa main tout en parlant à Hagrid, et je savais que c'était la tâche la plus importante au monde que j'avais à accomplir en ce moment précis. Elle me regarde, elle emplit l'angle de mon champ de vision, je ne vois pas ce qu'il y a dans son regard pour moi, je parierai néanmoins qu'elle est troublée.

" Et ensuite, à côté de Lady Narcissa ? – L'professeur Snape. "

Aïe, de mieux en mieux. Une peste et juste derrière un collègue qui ne peut me supporter.

" Et à côté de Cynthia ? je m'attends au pire …

- Et bien, le pire c'est moi, mon cher Remus. Sebastian vient d'accoster près de notre groupe, suivi de près par Minerva.

" Comme quoi le pire n'est jamais sûr ", là, c'est Isolfe qui continue la plaisanterie. Minerva tape légèrement dans ses mains, moitié sérieuse, moitié rieuse.

" Allez, mauvaise troupe à table et – elle agite de son index tendu en direction de Sebastian – silence dans les rangs. "

Nous la suivons docilement, vers le centre de la pièce, où semble flotter une grande table ovale, nappée de blanc et constellée d'assiettes cerclées de rouge et d'or. S'ensuit la bousculade habituelle des convives qui cherchent, ou font semblant, de chercher leur place en lisant les cartons posés à côté de chaque rangée de verre. J'ai perdu Isolfe, Moody-Stuart s'est précipité vers elle, il la guide radieusement vers sa chaise. Je ne suis pas absolument sûr qu'il ne soit pas impoli d'arriver à table avant mes voisines, j'attends donc que Narcissa ait trouvé son carton, puis Cynthia, puis Snape, pour rejoindre la table. Il me semble que je suis sensé aider quelqu'un à s'asseoir, mais de qui dois-je me charger ? Snape me regarde avec mépris, en pinçant la bouche, et m'indique la direction de Cynthia. Ouf.

Bruits de chaises et d'étoffe, les têtes plongent soudain, en deux temps, les visages délicats et fardés , puis les traits virils. Nous voilà tous au même niveau.

Je cherche Isolfe, je la découvre juste en face de moi, ce qui veut dire que nous sommes séparés par toute la longueur de la table, soit quinze yards de séparation, assommants et cruels. Je la verrai certes, mais indistincte, je ne verrai que sa silhouette et les gestes qu'elle fait, mais je ne l'entendrai plus, je ne la respirerai plus.

Autant fermer les yeux pour retrouver la précision de son visage, l'exactitude de ses traits. Autant me familiariser tout de suite avec ce qui m'attend après le départ d'Isolfe, quinze jours sans elle, et déjà quinze yards entre nous.

Dumbledore est assis à gauche par rapport à moi, au milieu du plus grand côté, entre Marigold et Sybille. Je le vois s'adresser à nous tous, mais je ne me donne pas la peine d'être attentif, mes yeux ne peuvent s'empêcher de rêver sur Isolfe. Je me tourne légèrement vers Cynthia, qui vient de me donner un léger coup de coude.

" Désolée de ne pas être aussi rutilante que votre voisine de droite ! Je jette un coup d'œil rapide à sa tenue, c'est noir, ça brille doucement, ça me semble joli, mais au regard méprisant que lui a jeté Narcissa, je me demande si elle n'est pas légèrement démodée. Je lui souris.

" Vous savez c'est surtout la voisine de Severus – Snape est effectivement en train de lui parler avec animation, ont-ils déjà abordé le sujet des progrès et des résultats du fils prodigue ? – Moi, je vais me consacrer à vous. "

Je crois qu'elle n'est pas dupe, elle a dû me voir regarder en direction d'Isolfe. Elle continue à voix basse.

" Vous avez vu, Rubeus est aux anges. "

Je le regarde, effectivement il rayonne, mais prudemment, comme s'il avait peur d'enfreindre une des innombrables règles du savoir-vivre mondain qui montent, hostiles, la garde autour de lui. Je suis sûre qu'Isolfe a dû lui dire de se tranquilliser et de l'imiter. Je demande à Cynthia, l'air de ne pas y toucher.

" Je suis impressionné par la longueur de cette table, à votre avis, combien de yards entre vous et Hagrid ? " Au sourire entendu qu'elle affiche, je suis sûr qu'elle a fait la transposition, entre moi et Isolfe. Elle jauge la surface comme elle vérifierait la correcte hauteur d'un but de quidditch. " Environ dix "

Je rétorque " Dix seulement, vous êtes certaine, je pensais que cette table faisait au moins quinze yards de long.

– Pff, quinze yards, mon cher Remus, auriez-vous déjà trop bu ?

– Non, mais je ne m'étais pas imaginé que dix yards pussent être aussi longs ! "

Elle me regarde, interloquée, se demandant si je n'ai pas perdu la raison. Au loin, Isolfe joue les intermédiaires entre Hagrid et Sir Hugues, je jurerais qu'elle leur a déjà déniché un sujet d'intérêt commun, aussi improbable que cela puisse paraître. Et d'ailleurs pourquoi pas la réfection des bancs de jardin dans le Périgord ? ou un comparatif entre les pigments de Rembrandt et les pots de peinture stockés dans la cabane d'Hagrid ?

Je suis horriblement, honteusement jaloux de ces deux là-bas, qui sont assis à côté d'elle et qui me narguent. Je vais en être privé pendant deux semaines, à nouveau cette froide perspective vient me rudoyer le cœur, et Dumbledore m'a éloigné d'elle, voudrait-il que la séparation se fasse progressivement ?

Tout d'un coup, je sens les yeux de Malfoy sur moi, j'essaie de prendre une expression qui serait un modèle de candeur… une fois qu'il a capté mon attention, il me désigne sa femme, du regard et d'un léger coup de tête. Bon sang, la corvée du siècle, tenir le crachoir à Lady Narcissa ! Comment suis-je sensé m'adresser à elle ? Votre Hauteur ? Honorable Narcissa ? Milady ? Que ne se contente-elle de Snape ?

Le service commence au milieu de mes réflexions, ce soir il n'est pas invisible, une volée d'elfes en torchons éblouissants emblasonnés du "H" de Hogwarts (excellent) s'empressent autour de notre gigantesque table, plaçant devant nous des bols à consommé (par Saturne, Lupin, tu m'étonnes, je ne te savais si au fait de toutes ces subtilités mondaines. Et j'ai même repéré une cuillère à sauce sous ma main). L'odeur qui s'en dégage est extrêmement agréable, un fumet puissant de sous-bois, à s'en lécher les babines, une odeur de truffes à laquelle je n'avais jamais été confronté avec autant de prodigalité, les morceaux noirs flottant à la surface couvrent presque tout l'espace disponible…

Malfoy me fait toujours les gros yeux, plus moyen de différer davantage mes obligations de voisin attentif, mais de quoi vais-je lui parler ? de l'or de ses cheveux, du bleu de ses yeux, de la taille de ses diamants – ou de celle de ses seins ?

Je suis démuni, je veux être près d'Isolfe, voilà, rien d'autre qui ne vaille la peine qu'on en parle.

Sous le regard de l'époux, je me penche néanmoins vers l'épouse, après avoir jeté un regard à Isolfe, comme une bouteille à la surface de cette mer d'apparat qui nous sépare. Isolfe qui ne me voit pas, maintenant si gracieusement penchée vers Moody-Stuart, je devine le mouvement souple de sa taille que la table me dissimule. L'imbécile rit, il profite de ma splendide sans égard pour moi. J'étends mes jambes de toute leur longueur dans sa direction, je me rapproche ainsi d'elle clandestinement.

Je choisis l'ouverture la plus idiote qui soit.

" Ce consommé est absolument délicieux, qu'en pensez-vous ?

"Lady Narcissa consent à m'honorer d'une moue ennuyée du style oh-vous-savez-les-truffes-je-m'en-fais-servir-tous-les-jours-au-petit-déjeuner-c'est-assommant… Bien, laissons-là les champignons, et parlons de sa santé, et si ça ne marche toujours pas, nous parlerons de la pluie et du beau temps, et pour les conversations intellectuelles et artistiques, prière de s'adresser au couple d'en face. Couple non, non, ne pas galvauder un mot que je n'ose pas utiliser pour moi quand je pense à elle , donc du calme Lupin, prière de s'adresser à l'Horrible Honorable en face et à ma Merveilleuse Splendide.

" J'ai appris que vous étiez légèrement incommodée ce matin ? J'ose espérer que vous êtes complètement remise ce soir ? "

Quelque chose dans le pli de sa bouche se demande si je ne me fiche pas d'elle, mais le pli s'efface, elle ne s'abaissera pas à me faire le crédit d'une quelconque insolence.

" Oh, sans doute la froideur et le mordant du climat écossais … après la douceur de l'air du Surrey, passer si rapidement de l'un à l'autre m'avait disons, indisposée. Mais c'est parfait ce soir, je me suis réacclimatée à ce bon vieil Hogwarts. Et quel meilleur réconfort pour le cœur d'une mère que de pouvoir enfin serrer son fils dans ses bras ? "

Cette fois-ci ses lèvres sourient, mais d'une façon artificielle, aucunement maternelle, son regard est resté froid, déconnecté de la bouche. Je marmonne un vague "

Bien sûr, évidemment, quel plaisir ce doit être…. " tout en m'interdisant de m'imaginer répliquant le geste dont elle vient de parler, mais mes défenses sont faibles devant la puissance d'une telle image, devant l'obstinée volonté de cet enfant qui a envie de grandir entre Isolfe et moi. Lady Narcissa m'abandonne, sollicitée par Snape.

Les elfes son réapparues à nos côtés, et ont opéré la substitution entre assiettes vides et d'autres sur lesquelles s'expose une délicate architecture de viande claire, de légumes verts et rouges, de crème mousseuse d'un blanc de lait et de gelée dorée. Cynthia me dit.

" Ah, voilà le fameux pressé de lapereau dont Albus nos rebat les oreilles depuis trois bonnes semaines, vous savez qu'il a élaboré le menu lui-même, et bien sûr c'est français

- Pressé de lapereau ? ah oui, de lapin, mon Dieu, comme dans Alice au pays des merveilles alors ? "

Cynthia me regarde à nouveau d'un air qui tendrait à laisser planer des doutes quant à la solidité de mon état mental, puis elle comprend et se met à rire, aussi fort que si elle se trouvait en manœuvre sur un terrain de quidditch. Filius, intéressé, lui demande de quoi il est question, j'ai un peu honte de l'entendre répéter à son voisin mon très mauvais jeu de mot, mais au moins je suis à nouveau seul pour un moment.

Evidemment, j'en profite pour dévisager Isolfe, mais tout est pour elle comme si je n'existais pas, comme si je n'existais plus, comme si je n'avais jamais existé ? Dix yards entre nous suffiraient-ils à me rejeter dans le néant ? A quelle distance d'elle commençai-je à exister à ses yeux ? Quand je lui parle, quand je la croise dans un couloir ? Lors de ces moments exceptionnels et exorbitants où j'ai été en contact avec sa peau ? A-t-elle déjà rêvé de moi ? Le désir revient en moi, j'allonge encore plus mes jambes dans sa direction… Cynthia revient à la charge de mon côté.

" Alors, la cuisine à la française vous inspire-t-elle autre chose que des jeux de mots?C'est délicieux, n'est-ce pas ? Mais vous n'avez pas encore goûté! "

J'ai l'impression d'être un étudiant négligeant pris en faute, je me dépêche de prélever une portion de ce pressé sous leregardénergique de Cynthia, les saveurs et les textures se mêlent effectivement parfaitement dans la bouche, onctuosité et légèreté, des saveurs de plein été sublimées par une trace d'herbes fraîches. Je réponds.

" C'est magnifique, et vous pensez que le reste du festin sera à l'avenant ? – A mon avis, oui, je vous dis, Albus a beaucoup travaillé sur le menu … Je l'interromps, en mettant un peu d'ironie dans ma voix.

" Et les elfes aussi, j'imagine bien le responsable des cuisines se tordant les mains d'angoisse et de désespoir confronté à des recettes si compliquées…" Je l'ai sans doute un peu déstabilisée, mais pas pour longtemps.

" Et bien peut-être, mais en tout cas, il était très impressionné par la présence française du professeur Dazurs… elle attend un peu, je la regarde en faisant semblant de ne pas comprendre … et il n'a pas voulu prendre le risque de la décevoir. Il a choisi de lui rendre hommage en s'appuyant sur la gastronomie et sur des vins de son pays et je vous l'accorde sur des elfes cuisinières écossaises ! "

Elle me fait signe boire à mon verre, qui contient un vin doré aux reflets verts, je m'exécute, après l'avoir reniflé longuement, je découvre que mon odorat de loup fait merveille sur ce vin coûteux et complexe : vanille, pêche ou miel, et une note plus rude de bois et de poivre, mais du vin qui est maintenant dans ma bouche j'ai perdu toute la complexité aromatique , tout ce que je puis dire est qu'il est superbe.

" Albus est enchanté de sa nouvelle recrue. " Elle a énoncé ceci d'un ton parfaitement factuel, comme une évidence, à laquelle on ne peut que se rendre. Elle reprend.

" Il est très content de son travail, et les autres écoles commencent à s'intéresser elle aussi à cette nouvelle matière, vous savez qu'Hogwarts a toujours été considéré comme hm leader dans bien des domaines, enfin nos rivales seront bien obligées maintenant d'attendre la prochaine rentrée pour nous emboîter le pas, et j'ai cru comprendre que les professeurs d'économie étaient une denrée rare… encore que je ne vois pas Isolfe Dazurs jouer les mercenaires, et laisser tomber Hogwarts alors qu'elle est liée par un contrat de deux ans. Bien sûr Lord Malfoy a essayé de mettre son vilain grain de sel, enfin de poison plutôt, là dedans, mais c'est bien le seul membre du conseil à raisonner ainsi, enfin quand je dis raisonner, je lui accorde trop de mérite… "

Elle s'arrête et jette un regard prudent sur ma droite, en direction de Narcissa, qui est toujours en train d'abreuver Severus des spirituelles paroles d'un aristocratique discours.

" En tout cas, vous avez vu comme il la dévorait des yeux hier…"

Par Saturne, oui, comment aurais-je pu ne pas le voir ? Mais je décide de jouer à l'imbécile, afin d'obliger à me parler encore de ma splendide.

" J'ai peur d'être un peu perdu dans ce que vous venez de dire : qui est "il" et qui est "elle" ?

- Vraiment, j'ai pourtant eu l'impression que vous buviez mes paroles, j'aimerais tellement que mes étudiants soient comme vous ! Donc, allons-y, je vous explique, prenez des notes : "il" c'est Lucius Malfoy – elle vérifie à nouveau la direction dans laquelle lady Narcissa incline sa tête, et "elle", c'est Isolfe Dazurs, regardez elle est juste en face de vous !

" Je sens qu'il serait absurde de continuer à tenir mon rôle de parfait ahuri, je tourne délibérément mes yeux vers Isolfe, je les pose sur elle, combien pèse un regard ? je les laisse sur elle et alors seulement je réponds à Cynthia. " Oui, en face de moi, mais à côté du distingué Moody-Stuart (j'avais envie de dire en face de moi, mais à côté d'un autre).

– Encore une idée de Dumbledore, Sir Hugues a l'air de beaucoup l'apprécier. Mais tiens, elle n'a pas ses lunettes !"

J'ai moi aussi remarqué l'absence de la demie monture rouge au dessus de ses yeux, j'ai ai déduit que ce soir elle se consacrait à ses proches et dédaignait la vision de loin. Cynthia la regarde soigneusement, notre double regard attire l'attention d'Hagrid, qui nous sourit, bouge sur sa chaise et dont le coude vient heurter Isolfe ?

Elle délaisse Moody-Stuart, se tourne vers Hagrid, lui sourit, il fait un signe de tête dans notre direction, enfin elle nous regarde, à cette distance je ne peux pas dire si son regard est plus précisément focalisé sur Cynthia ou sur moi, le sourire destiné à Hagrid flotte toujours, abandonné, au coin de sa bouche. Cynthia installe ses doigts en boucle autour de ses yeux, puis écarte ses deux mains en signe d'interrogation. Hagrid se demande à quoi elle joue, je pense voir Isolfe lever les sourcils, puis elle a compris, elle ôte de son visage une invisible paire de lunettes qui se matérialise pourtant dans ses mains et la secoue gentiment en direction de Cynthia et de moi, je suppose

" Ah, ce sont des montures invisibles, m'explique Cynthia, enfin invisibles c'est ce que disent les Muggles, mais elles sont juste très fines, un simple fil. C'est vrai que c'est plus joli pour une soirée. "

Quant à moi, peu m'importe les montures, leur invisibilité ou leur joliesse, je retiens simplement qu'Isolfe me voit aussi bien que si nous étions à un pas l'un de l'autre. "

" Ah, quel dommage qu'elle ne s'intéresse pas au quidditch !

– Mais pourtant, il me semble qu'elle assiste régulièrement à tous les matchs importants ? (et moi aussi, du coup, mais elle apparaît toujours dans la tribune de Ravenclaw, donc je ne peux la voir que de très loin, d'encore plus loin que ce soir, puisque moi je suis obligé de me montrer fidèle à mon ancienne maison et de figurer à côte des Gryffondor et sous le haut patronage de Minerva).

– Oui, enfin, assister est un bien grand mot, disons qu'elle fait acte de présence – en écoutant de la musique. Enfin Filius est ravi de l'avoir à ses côtés. "

(Oui, sacré veinard, du moins ce soir est-il, comme moi, en pénitence loin d'elle, à la gauche de Cynthia, contrairement à ce que Sebastien m'avait annoncé). D'ailleurs, Cynthia lui donne un léger coup de coude pour souligner sa dernière remarque, il lui répond par un "Héhé" entendu et satisfait et tous deux se mettent à parler de je ne sais quoi.

Je reste enfin seul, sans n'être plus sollicité par personne pendant un bon moment. Les elfes retirent nos assiettes, nous en amènent d'autres. Lorsque l'échange est terminé, Lady Narcissa (ce titre contient-il toute l'ambition de sa vie ?) se penche vers moi, je me recule suffisamment pour qu'elle le remarque (ô Isolfe, pourquoi n'es-tu pas à sa place, elle à la tienne, tous les Rembrandt du monde sont entre toi et moi).

" Et bien professeur Lupin, avais-je l'habitude de vous appeler Remus, nous ne fumes jamais très proches, n'est-ce pas, durant ces années communes à Hogwarts, vous rendez-vous compte que c'est la première fois que nous sommes assis l'un à côté de l'autre, quel drôle de système que celui de ces maisons, cette ségrégation imposée, le but doit-il être de dresser les gens contre les autres ? "

Elle parle vite, portée par une excitation rapide, ses mots défilent rapprochés, tels des assaillants en rangs trop serrés pour ne pas se gêner les uns les autres.

" Vous me pardonnerez d'aborder ce genre de sujets, qu'allez-vous penser de moi (que tu es une sacrée emmerdeuse, en ce moment, que tout à l'heure tu t'es comportée en garce avec ma splendide, et que moi je n'ai pas réagi - je ne vaux pas mieux que toi, et ton mari, nous étions trois contre une, tu comprendras que je n'ai pas très envie de compatir à tes malheurs réels ou supposés), mais vous êtes partie prenante de ce système, de même que mon auguste époux "

Je décèle très nettement dans sa voix une trace de mépris ironique veinée de peur.

" J'ai l'impression qu'il faudrait autre chose à Draco, moi j'ai souffert de n'être vue qu'à travers le prisme de mon appartenance à Slytherin, comme une sale peste, n'est-ce pas, - elle me regarde avec un air de défi, mais pas entièrement convaincu – mais bien sûr Draco revendique cela haut et fort, il se considère comme un porphyrogénète "

– Sacrémerlin, elle utilise de ces mots, mais d'un battement de paupière je la rassure sur mon niveau intellectuel, n'avons-nous pas suivi les mêmes cours d'histoire muggle, c'était obligatoire il y a encore quelques années … Alors comme çà elle fantasme sur son mari en empereur byzantin ? bon, pourquoi pas ? quoique, à mon humble avis, ce n'est sans doute pas ce qu'on fasse de plus excitant –

" et s'il s'avisait de dévier d'un pouce de sa ligne de conduite, Lucius le remettrait immédiatement dans le droit chemin, le prestige de l'honorable famille Malfoy. Et … je ne suis pas assez forte, ou volontaire, pour faire barrage à leur orgueil ! Draco est tellement peu de mon côté. "

Elle soupire, regarde ses mains, elle a l'air surprise de les voir tenir des couverts, alors qu'elle a décidé qu'elle en avait terminé avec son assiette, (moi, j'ai continué avec la mienne, un plantureux filet de poisson, doucement épicé, délicatement piquant, absolument délicieux), elle les repose d'un geste agacé, se saisit de son verre, et le vide entièrement, à gorgées avides se succédant les unes aux autres. Je me demande à quoi lui sert finalement sa radieuse beauté, certainement pas à la rendre heureuse. Quand elle recommence à parler, je sens l'arôme du vin qui se diffuse autour de moi. Le ton est brusque, comminatoire, habitué à disposer des autres.

" Vous garderez cela pour vous, bien sûr, - puis sa bouche se radoucit – j'ai toujours pensé que vous étiez capable de garder des secrets, il me semble d'ailleurs que vous vivez environné de secrets, non ? De toute façon, ce que je viens de vous dire n'a aucune importance. "

Je comprends que cette absence d'importance n'est pas liée au contenu, mais à moi, le récipiendaire de ses confidences : Lady Narcissa ne s'engage pas lorsqu'elle se confie à un subalterne, sa parole prévaudra toujours sur la mienne. Je ne réponds évidemment pas, je sens que j'affiche un visage maussade, elle continue

" Alors, dites- moi ce que vous ressentez de l'autre côté de la barrière ? "

Merde, encore cette expression, si elle savait du côté de quelle barrière je me trouve ! La ligne de séparation n'est pas celle que tous croient, l'étudiant revenu professer dans son ancienne école, et en face de lui, les élèves, dont il a quitté les rangs, la frontière, ou plutôt l'abîme, court entre ceux qui sont pleinement humains et les autres, entre ceux qui peuvent aimer et engendrer et ceux qui le peuvent pas. Mes yeux cherchent urgemment Isolfe, ma douce suppliciante, elle qui créée ma douleur et la fait disparaître dans le même instant, telle le recto et le verso d'une feuille la matière diaboliquement mêlée de ma malédiction et de mon amour quelle lame thaumaturgique trouver afin de séparer enfin les deux se débarrasser du pire et ne garder que le meilleur

Elle est en train d'écouter Moody Stuart, qui, insensé, parle sans la regarder, elle boit, une, deux gorgées, profondes et délectables, mon attention à elle est si intense que j'avale en même temps qu'elle, la saveur du vin coule dans ma gorge. Lucius Malfoy est également en train de la contempler, pas de douleur chez lui, une rêverie interloquée, à laquelle il s'abandonne avec complaisance. Je n'ai toujours pas répondu à ma voisine, qui se met à regarder dans la même direction, le léger mouvement de sa tête me met en alerte, j'abandonne ma splendide, mais pas assez rapidement, je nous ai trahis, ses yeux bleus rencontrent d'abord Isolfe, un sourire entendu s'affiche sur ses lèvres, sans perturber l'ordonnancement maîtrisé de ses traits, puis rebondissent sur le visage de son mari. Le sourire s'accentue, lui répond par une sorte de grimace amusée de dilettante corrompu, qui instaure immédiatement une complicité malveillante entre eux. Je m'interroge sur leurs rapports mari femme, quelle licence s'accordent-ils l'un à l'autre ?

Draco présente toujours ses parents comme un couple modèle, j'avais jusqu'à présent pensé qu'il s'agissait de conforter la légende dorée des honorables Malfoy, qui veut que les augustes rameaux de l'arbre généalogique de la famille ne soient peuplés que de maris forts et audacieux et de femmes belles et fidèles, mais je m'aperçois maintenant que le garçon doit vraiment avoir besoin d'y croire, son agressivité maladive pourrait-elle être le reflet qu'un désarroi psychologique ?

J'entends le rire de Narcissa, rutilant et massif comme une pièce d'orfèvrerie.

" Si les regards étaient des flèches, la pièce serait transpercée de part en part !"

Sacrémerlin, se prendrait-elle pour Vénus, avec Draco dans le rôle de Cupidon ? C'est décidément une fana de l'Antiquité ! La prestigieuse alliance Black Malfoy ne lui suffirait donc pas, qu'elle doive aller se rassasier de prestige à l'autres sources ?

Je laisse la fin du repas couler sur moi avec une fausse indifférence, je n'ose plus regarder en direction d'Isolfe, j'ai l'impression que la table grandit et m'éloigne d'elle. Je souhaiterais presque qu'elle parte sans rien me dire, ou alors je voudrais m'endormir ici, comme un homme qui aurait trop bu, et je me réveillerais et je serais seul, et j'aurais quinze jours pour m'engloutir dans son absence.

Un projet commence à germer en moi, dois-je poursuivre dans ma relation avec Isolfe, me comporter comme un homme normal, voir si je peux m'en faire aimer, et si oui, eh bien, j'aurais au moins réussi à faire quelque chose de ma vie : susciter l'amour de cette femme-là et enfin savoir comment elle réagirait en découvrant ma monstruosité. M'aimerait-elle suffisamment pour renoncer à la maternité ? plus précisément à une véritable maternité ?

Journal d'Isolfe, 24 décembre, France

J'ai retrouvé la maison familiale, frénétiquement plongée dans les préparatifs pour ce soir, tout un réseau d'informations mêlant cuisine et cadeaux, avec un rappel de spirituel de temps en temps.

Mais ce n'est pas cela que je souhaite retranscrire. Je dois faire vite d'ailleurs, car on n'attend pas de moi que je reste cloîtrée dans ma chambre, penchée sur mon bureau.

L'essentiel donc – le parcours lent et délibéré de la main de Remus sur mon bras. Même les yeux écarquillés d' Hagrid, qui m'avaient semblé si importants, si dérangeants alors, le troisième personnage de cette brève scène, avec le recul que m'offre les quelques heures maintenant écoulées, passent au second plan et se fondent eux aussi dans la masse de ceux qui étaient présents autour de nous.

Sa main descendant lentement sur mon avant-bras, comme si elle me dépouillait, faisant apparaître ce qui normalement doit rester celé à tous, mais que lui, tranquillement, était en train d'exposer à mes yeux. Ma main s'est alors mise à trembler, peau nue dans l'attente de la rencontre d'une autre peau. L'agitation était également dans le haut de mes jambes, dangereuse impulsion si proche de la zone où se rencontrent le désir et le plaisir, mais cela, personne ne le voyait.

Enfin, ce fut terminé, il a pris mon verre vide et tiède, celui d'Hagrid et est parti s'en débarrasser. Ma main tremblait encore, en fait le tremblement n'a disparu que lorsque j'ai senti que son geste était gratuit, et qu'il ne me proposait ni ne me demandait rien. Je n'avais donc pas besoin de réfléchir à une quelconque réponse. Je laissai le soulagement me submerger, comme si je venais d'échapper à un grand danger, ou de différer encore une épreuve redoutée.

La soirée poursuivit son cours, et j'étais pleine de reconnaissance pour lui. A table j'étais placée si loin de lui, ensuite j'ai rapidement pris congé et lui ai souhaité de bonnes vacances, Hagrid m'a accompagnée jusqu' à Hogsmead, il était 3 heures, le froid était vif et énergisant, de là j'ai transplané, je me suis retrouvée à Saint Odon, dans une maison silencieuse. J'avais l'impression d'être en décalage, ma chambre me semblait toute petite à côté de celle dont je dispose à Hogwarts, et que sa taille réduite m'avait obligé à laisser une partie de moi là-bas.

Une ultime note – vers la fin du repas (un dessert exquis, un assemblage de fondant au chocolat et de mousse à la pistache) Hugues m'a dit, et ses yeux débordaient de malice, il ressemblait presque à Dumbledore.

" J'ai l'impression d'avoir usurpé la place de votre collègue, le professeur Lupin… de l'avoir privé de votre présence , non ? "

Je l'ai regardé en silence, mais le cœur affolé, afin qu'il m'en dise plus – brusquement, je me sentais menacée.

" Il vous a à plusieurs reprises regardée avec un tel regret, comme s'il était en train de vous perdre… - Mais pourquoi me serais-je privée de votre compagnie, lui n'a pas lu les "Yeux de Rembrandt" – Non, mais vous lui ferez lire. C'est un excellent professeur, j'espère qu'Hogwarts saura le garder. " Je répondis que je l'espérais aussi et Hugues laissa tomber le sujet.

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(1) Les yeux de Rembrandt, Simon Schama, édition du Seuil, 2003. Admirable ! mais faut aimer Rembrandt … mais ce livre ne peut que vous le faire aimer….

(2) clin d'œil à la poésie hugolienne - Isolfe aime bien " Booz endormi "