Fée
Le Lagarde et Michard !
J'ai choisi la date de 1958 de façon totalement arbitraire… (mon édition est de 1973)
C'est surtout une sorte de mini vengeance envers cette sorte de serinade à laquelle j'ai eu le droit – lisez les écrivains du L& M ! c'est ce que j'ai fait d'ailleurs, en grande partie.
Même si je me suis affranchie de cela depuis bien longtemps, j'éprouve encore à chaque achat de nouveau livre une certaine volupté à me dire " je lis ce que je veux, c'est moi qui choisis " (en ce moment Les amants du Spoutnik de Haruki Murakami) bref, j' ai, dans de domaine, des révoltes bien modestes…
…contente que ça t'ait fait rire
Et pour Léna qui m'a fait l'honneur de m'écrire que le chapitre 18 était son préféré, et à qui j'avais répondu que le mien restait à venir, le voici le voilà (enfin pas à 100 , certains paragraphes seulement). Je l'ai donc doté d'une très belle introduction.
En ce qui concerne l'inspecteur Dazurs, force m'est de constater qu'elle n'est pas très douée… Quant à mener une enquête, c'est pour plus tard, mais pas sur ce mystère-là.
Et Remus a enfin terminé un poème qui est longtemps resté en friche, mais il lui a semblé que le temps était venu de le faire apparaître dans son journal !
Bonne lecture et faites moi part de vos impressions…
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Louis Aragon - la Diane française
Journal de Remus, 13 févrierJe me fais réveiller par un claquement de porte. Enfin, ç'aurait tout aussi bien pu être un coup de tonnerre, ou un cri. Je m'assois au milieu de mes draps, le dos collé à la tête de lit, les genoux remontés. Je pense tout de suite que nous sommes le 13 février. En fait, je compte les jours depuis le premier février, chacun d'eux la rapprochant du moment du mois où elle devient mère en puissance.
Et puis quoi Remus ? Et bien rien, strictement rien, quel jeu oisif et malsain. De quel droit s'insinuer ainsi dans son intimité ? dans le délicat déroulement de sa féminité ?
(et pourtant la lune règle sa fécondité, comme elle règle ma monstruosité)
Les hommes qui souhaitent un enfant de la femme qu'ils aiment se livrent-il à ce genre de calculs ? Jours féconds, jours de retard. Les étreintes d'un homme et d'une femme qui veulent devenir parents sont-elles plus tendres et plus douces ? Tremblent-ils d'émotion tout autant que de plaisir ? La volupté aura-t-il cette fois-ci un prolongement de chair et de sang, auquel chacun aura contribué à parts rigoureusement égales ?
J'ai besoin soudain de me torturer l'esprit, pour éviter de sombrer dans le dégoût de moi ; j'ai besoin d'une gigantesque gifle qui ne me laissera plus qu'une douleur à oublier. Je me lance dans des hypothèses sans issue.
J'imagine que ma malédiction ne me défend plus d'engendrer, j'imagine qu'Isolfe m'aime, à point de vouloir un enfant de moi (la torture est effectivement bien là, chaque mot vaut un coup de dague de louvetier dans ma chair).
J'imagine que je lui fais l'amour, que je dépose ma semence dans son ventre fertile.
Je continue à progresser dans le temps, neuf mois de gestation, et elle placée devant ce monstrueux spectacle : moi, transformé en loup, dévorant la chair de ma chair, et la chair de sa chair, et le sang de mon sang, et le sang de son sang – me voilà hurlant devant un spectacle impossible. Voilà l'infernale jouissance qui m'est réservée, voilà ma déchéance.
Je veux me précipiter à la recherche d'Isolfe, mais il est trop tôt, 6 h 20, un samedi matin, elle dort encore. Je ne peux pas aller tambouriner à sa porte, si ? non ? L'amitié permet sûrement ce genre d'intrusion ?
Un danger s'amasse dans ma tête, mais c'est moi qui l'y ai mis, en laissant la bride sur le cou de mes fantasmes.
Quelle situation absurde et affolante.
Je sens que la maîtrise de moi me quitte en faisant de grands bonds qui ne me laissent aucune chance de la rattraper.
Je perds jusqu'au rythme de ma respiration.
Je me précipite vers la fenêtre, j'ai du mal à trouver la crémone alors que je la vois, docile et patiente, à 20 centimètres de ma main.
Enfin j'inhale l'air de nuit d'hiver finissante , la senteur froide et apathique de la neige. La petite maison sombre d'Hagrid se détache sur le blanc, la cheminée fume. Je referme brusquement la fenêtre, je respire plus calmement, je m'habille en toute hâte, je quitte le château, je cours dans la neige comme un insensé en direction de chez Hagrid. La pensée qu'il pourrait encore dormir, ou être déjà sorti, ne trouve pas sa route jusqu'à mon esprit dérangé.
Je cours dans l'obscurité blanchie, enveloppé dans un nuage crée par mon souffle.
Je suis maintenant à quelques dizaines de mètres de mon but, j'entends les grondements de Fang, assourdis par la neige, les murs, la distance entre lui et moi. Les aboiements portent soudain plus durement, la porte vient de s'ouvrir, Fang est déjà dans mes jambes, jappant de plaisir, je trébuche contre lui, nous roulons tous deux dans la neige, je l'étreins avidement, je plonge mon visage, mes mains dans la fourrure de son cou. Je relâche mon étreinte autour de son corps nerveux, à son tour, il me donne des coups de museau dans les côtes, dans les jambes. Je m'approprie son innocence d'animal. Je reste étendu sur le dos, dans une couche de neige dévastée et moelleuse. Fang est reparti vers son maître, qui se dirige vers moi.
" Ah, ben çà alors professeur Lupin, si j'm'attendais à vous ? J'pensais qu'c'était un de ces sacripans d'étudiants. Ben çà alors ! "
Je demeure encore allongé, je sais qu'il va me falloir fournir des explications dès que j'aurais réintégré la position verticale. Hagrid me laisse faire, j'imagine que son respect de la hiérarchie l'empêche de m'ordonner quoi que ce soit. Fang revient vers moi, je l'écarte doucement et me mets enfin debout. Cette situation plus normale et plus digne semble convenir davantage à Hagrid.
" Bon, ben, z'avez p'êt' envie d' vous mett' au chaud. "
Je le suis en secouant la neige qui est restée accrochée à mes vêtements en petits blocs gelés.
A l'intérieur de la maison, Fang est déjà allongé de tout son long devant le foyer ; suivant les conseils d'Hagrid, j'ôte mon manteau, mes chaussures, je reste en pull et en chaussettes à présenter mes mains aux flammes. Je sens autour de moi la sollicitude encore inquiète, mais efficace du gardien. Je décide de me laisser materner.
" A c't heure, z'avez pas dû prendre de p'tit déjeuner, moi non plus, j'venais juste d'm'lever quand Fang a aboyé après vous, qu'ess-ce vous faites, vous r'partez ou vous restez à manger avec nous ? "
Il se tient devant moi, en frappant ses mains l'une contre l'autre.
" Euh, à vrai dire, Hagrid, je ne voudrais pas abuser, enfin j'ai déjà abusé en déboulant chez vous de si bonne heure, sans prévenir, mais … "
Il me débarrasse de toutes ces mondanités inutiles d'un haussement d'épaules.
" Bon, vous restez alors. T'as entendu, Fang, on va avoir d'la belle compagnie ! "
Il commence à s'affairer, refuse mon aide, je m'accroupis, serrant mes genoux dans mes bras. Mes délires de ce matin sont restés à l'extérieur de la maison.
Au bout d'un moment, je l'entends me dire :
" Hum, professeur, z'allez pas manger par terre, v'nez donc vous asseoir. Ca va vous changer d'la grande table, et pis de tout c'monde autour de vous qu'y a toujours là bas. Moi c'est pour ça que j'prends toujours mon p'tit déjeuner ici, et pis sans ça, Fang s'rait tout seul."
Le chien pousse deux brefs jappements approbateurs.
" C'est bien d'avoir un' maison à soi, z'avez de comptes à rendre à personne… -"
Une maison à moi, effectivement, j'en ai une, mais c'est celle de mes parents, je ne l'ai pas choisie, en fait j'ai même souvent penser à la vendre, les souvenirs que j'y ai sont plus pénibles que réjouissants, pour le moment je n'ai rien entrepris, je suppose qu'elle continue à se délabrer doucement. Et cette disparition programmée me laisse strictement indifférent.
Et puis, une maison pour y être seul. A tout bien considérer, je préfère la promiscuité d'Hogwarts. Et Hogwarts, c'est l'endroit où vit Isolfe, pour le moment, pas besoin d'aller plus loin dans l'analyse.
Je m'assieds en face d'Hagrid, il a préparé et du thé, et du café, je choisis, pour une fois, le second. Les tasses et les tartines sont gigantesques, je coupe en deux une tranche de pain, du seigle je pense, que je viens de prendre et j'obtiens deux portions bien servies.
Hagrid a déjà bu un grand bol de café, il enfourne de grandes bouchées de pain
" M'escus'rez, mais y' pas d'fruits, comme là bas. "
Je note à nouveau qu'il prononce ce "là-bas" d'un ton légèrement distant et méfiant, pour indiquer que ce n'est pas son monde et qu'il n'est pas sûr de regretter qu'il en soit ainsi. Je l'assure que cela ne me gêne pas du tout, "
D'ailleurs je suis votre invité, Rubeus, ce serait vraiment impoli de ma part de vous en réclamer. " Il se lève, Fang sur les talons, il saisit une écuelle, la remplit de je ne sais quoi, et l'amène dans un coin de la pièce. Le chien saute après lui, en grognant de faim et de joie. Quelle sagesse d'accueillir tous les matins son petit-déjeuner comme une merveille tous les jours renouvelée. Hagrid reprend sa place devant moi, alors que je regarde Fang s'attaquer avec enthousiasme à sa pâtée.
" Z'aviez envie de parler à quequ'un et là bas, " coup de coude en direction du château," i' dorment tous encore "
J'ai cru que j'aurais le droit à un clin d'œil mais non, il me regarde lugubrement, ses sourcils débordants projetant une ombre sur son visage.
" Mais pourquoi qu'vous lui dites pas qu'vous l'aimez, comme çà vous verriez si vous avez un' chance !
- Que je dise quoi à qui ?
Prudemment, je fais l'imbécile, mais sa remarque vient de me couper le souffle, et de faire bondir mon cœur, je ne pensais pas que j'en viendrais à l'essentiel avec Hagrid, même Dumbledore est plus évasif.
Il reprend, en détachant lentement chaque mot, comme s'il était en train de dialoguer avec un simple d'esprit.
" j'vous dis qu'vous devriez pus hésiter à dire qu'vous l'aimez à Sybille !
" Sybille, quelle idée, mais non ce n'est pas elle que….
Je m'arrête brusquement, parce que je vois les yeux d'Hagrid qui m'observent, maintenant débordants de jubilation innocente.
" Ben non, j'sais bien qu'c'est pas elle, c'est l'professeur Dazurs, hein ? Alors, qu'ess qu'vous pensez d'mon idée ? Plutôt que d'vous morfondre, et pis ça riverait son clou à Severus, qu'a l'air de s'imaginer des choses…
Mon désespoir s'est à nouveau perché sur mes épaules, un loup lourd et noir, dont les pattes me meurtrissent les épaules et dont la gueule s'approche, menaçante, de mes tempes.
- Je ne peux pas Hagrid, je n'ai pas le droit.
- Vous pouvez pas, vous pouvez pas ! et pis moi v'croyez que j'peux ? z'êtes pas un demi géant, vous, z'avez pas besoin d'une géante, hein, pasque les géantes, ça y a pas beaucoup par ici hein, vous z'êtes un homme normal, plutôt pas mal en plus, et intelligent, pis z'avez plein de choses à lui raconter à elle, des livres, d'la musique."
La colère le fait se lever de table, élever la voix, brandir ses bras à demi pliés au dessus de sa tête, et crisper les poings.
" j'vous ai entendu un' fois parler d'musique avec elle et Dumbledore, du borobine, ben moi j'saurais jamais ..
" Je l'interromps doucement, de peur de froisser sa détresse.
" Hagrid, Hagrid, vous savez, il faut mieux écouter de la musique, que d'en parler."
Sa voix s'enfle encore, pourtant il ne crie pas, il triomphe sombrement, contre lui.
" Ah, vous voyez c'est exact'ment c'qu'a m'a dit une fois, vous voyez, z'êtes comme elle, et pis avec les yeux qu'vous lui faites, des yeux qu'ont envie d'la mettre dans vot'lit, sauf vot' respect, vous croyez tout d' même pas qu'a' s'en a pas aperçu ! "
Maintenant il balance ses poings fermés de chaque côté de son visage : comme s'il tapait contre son désespoir. Je m'emplis de tendresse devant cette douleur si semblable à la mienne, et pourtant remédiable, elle, je contourne la table, je m'approche de lui, je pose mes mains sur ses bras, j'arrête leur mouvement, il obéit tout de suite à ce contact dans lequel j'ai mis toute l'énergie que je n'ai pas trouvée tout à l'heure quand j'aurais dû aller frapper à la porte d'Isolfe.
" Hagrid, nous n'allons pas nous battre pour le rôle du plus malheureux, de celui qui a le moins de perspectives, de toute façon, contrairement à ce que vous pensez, c'est moi qui gagnerais. "
Je dégage mes mains, j'attends de voir si ma dernière remarque va le faire réagir, s'il me questionne, que pourrais-je lui répondre ? Je voudrais qu'il comprenne mon attitude, mais sans que je ne lui dise rien, c'est tout à fait comme avec Isolfe ! Ne m'interroge pas, mais comprends moi !
Il se laisse tomber sur sa chaise, son poing, à nouveau fermé, vient taper sans relâche dans la paume de l'autre main restée ouverte.
" Et pourquoi qu'vous seriez plus malheureux, vous pouvez pas savoir, z'êtes pas dans ma peau !
– Ni vous dans la mienne Hagrid … Les dieux vous en gardent. "
Il me regarde, surpris, mais sans vraiment de curiosité, il renonce à chercher à comprendre quelque chose qu'il doit imputer au vain raffinement de mon esprit de professeur strictement formé.
J'ai soudain envie de partir, d'être seul afin de pouvoir m'adonner avidement aux mots qu'il a dits, qui m'ont entremêlé à Isolfe : " Mais pourquoi qu'vous lui dites pas qu'vous l'aimez" et encore " et pis avec les yeux qu'vous lui faites, des yeux qu'ont envie d'la mettre dans vot'lit".
Comme c'est étrange et doux de les avoir entendus, ils ont existé le temps qu'un autre que moi ne les prononce. Et même maintenant qu'ils sont redevenus silencieux, je les sens toujours, pathétiques, éloquents, révélés, autour de moi. La voix d'Hagrid vient témoigner de l'existence d'un territoire d'amour et de désir, entre elle et moi, au milieu duquel nous ne nous rencontrerons peut-être jamais, mais qui ne peut plus disparaître.
Donc non, je ne peux pas partir maintenant, je dois rester avec lui, le temps que son courroux s'écoule hors de lui. Et peut-être va-t-il encore me parler d'elle sans que j'ai besoin de le solliciter. Soudain, son poing évite sa paume et vient frapper la table.
" Mais enfin, z'allez pas m'dire qu'vous l'aimez pas ! "
Il me regarde, dans ses yeux toute sa force me demande une réponse. Je crois que je pourrais résister à cet appel ; mais je sais aussi que je le meurtrirais inutilement, en le renvoyant dans un monde dont les règles absconses ne sont pas faites pour lui. Je vais lui offrir la vérité, et à moi aussi.
" Non, je ne vais pas ne pas vous le dire, car vous avez raison, je l'aime. Maintenant …. il ne faut plus en parler. Je garde le goût de ce je l'aime sur ma langue, sa sonorité sur mes tympans, sa vibration dans ma gorge.
Il est soulagé, il se relève, il exulte, il parle très vite.
" Ben non j'en ai parlé à personn', si c'est ça qu'vous voulez m'demander j'sais tenir un secret, même si tout l'monde ici, Dumbledore l'premier, pense que j'peux pas …. C'est que'que chose entre vous deux, elle et vous, entre vous deux. Et laissez pas Severus venir s'mettre entre vous deux ! Vous m'le promettez, s'pas ?
" Je vous le promets, mais pourquoi cette mise en garde ? "
Je sens ma voix se tordre de peur dans ma bouche, bien sûr Snape a déjà eu l'occasion de se présenter comme un rival (quel mot sordide, deux mâles qui se disputent une femelle), mais c'était devant moi et j'en étais parvenu à la conclusion, trop rapide et trop naïve semble-t-il, qu'il agissait comme cela avant tout pour se venger de moi, et non parce qu'il éprouverait un quelconque sentiment envers Isolfe.
Mais si Hagrid a remarqué quelque chose… cela signifie que Snape lui porte de l'attention, même quand je ne suis pas là pour en souffrir. Quel aveuglement a été le mien, suis-je si sûr de moi ? Quelle était donc l'expression d'Albus ? Je ne vous connaissais pas suffisant, Remus.
Il hésite un peu, j'espère qu'il va me dire que c'est juste une impression qu'il a, et puis il s'élance.
" Ben, c'est une fois qu'je les ai vus, enfin entendus plutôt, vu que d'là où j'étais j'pouvais pus vraiment les voir. Alors voilà comment ça s'est passé.
C'était y a à peu près deux s'maines. J'étais dans la salle des profs à corriger des copies. "
Il a dû remarquer que je levais les sourcils car il fait une digression pour m'expliquer
" Ben oui, Minerva m'a dit que j'pouvais pas faire que du pratique, mais qu'y fallait aussi du théorétique, donc m'vlà avec un paquet de maudites copies à corriger ! "
Ah, oui étrange comme j'avais oublié cette histoire, alors que j'ai pourtant collaboré à la rédaction de ce fameux sujet, avec … Isolfe.
Y'avait aussi Snape et … Isolfe, hein on peut l'appeler comme ça entre nous… - je fais un signe d'assentiment afin qu'il poursuive- qu'étaient l'un face à l'autre, enfin un peu décalés, et moi j'm'étais assis loin, pour pas déranger. Bon j'soupirais sur mes feuilles, 'xactement comme quand j'étais étudiant. Ah misère, si un jour on m'avait dit qu'j'aurais des copies à corriger ! Pasque quand faut les écrire, on n'en a qu'une, mais là, y en avait des dizaines à corriger. "
Si l'anxiété où je suis d'entendre ce qu'il a à m'apprendre n'était pas aussi grande, je crois que je pourrais presque rire !
" Pis voilà Snape qui m'demande d'arrêter de faire du bruit, et Isolfe qui m'dit – Hagrid, accordez-vous donc une p'tite pause, allez faire un tour, et puis vous r'prendrez vos corrections. Et si vous avez besoin d'un conseil, et ben je pourrais vous l'donner. "
C'est drôle d'entendre Isolfe parler à la Hagrid…
" Pensez si j'étais content, a'me retirait une sacrée épine du pied. Snape là d'ssus, y lève les yeux au plafond en soupirant… et pis y s'met à la r'garder et pis i' dit – déjà qu'vous lui avez trouvé l'sujet, avec Lupin, y faut encore qu'vous lui corrigiez ses copies. I' s'tourne vers moi – Vous allez d'mander à Dumbledore d'lui verser vot' salaire ? A' lui répond d'arrêter, et moi j'en profite pour m'faufiler dehors, c'est vrai que j'me sens mieux au plein air que dans un' salle de cours ! "
Il rit d'un ton un peu coupable. Je me remémore effectivement la séance que j'avais passée avec Isolfe à essayer de trouver un sujet d'évaluation pour le cours d'Hagrid, nous avions ri comme des fous en imaginant des énoncés plus loufoques les uns que les autres, pourquoi n'ai-je pas consigné ces moments dans mon journal ? (en fait nous aurions dû lui concocter un QCM que les élèves se seraient mutuellement corrigés, j'y penserais pour la prochaine fois !)
" Bon, alors m'v'là sorti, quand soudain j'm'aperçois qu'j'avais oublié dans mon sac quequ'chose que j'voulais montrer à Harry et à Ron, donc j'fais d'mi tour, et j'arrive à la salle, j'avais pas bien fermé la porte, et j'les entends. "
Ouf, nous y voilà enfin, je déglutis plusieurs fois.
" Donc j'ralentis et pis j'écoute, quoi, j'faisais rien de mal pisque Snape i' parlait d'moi. I' disait – L'atmosphère est plus tranquille sans ce gros lourdaud – il s'est concentré pour imiter la voix hautaine de Snape, c'était assez réussi, jusqu'au trois derniers mots qui font déraper sa voix de fureur. D'ailleurs il tape à nouveau du poing sur la table. - J' t'en ficherais des gros lourdauds, au moins, moi mes élèves ils m'aiment bien. "
Je l'interromps
" Très juste, Hagrid, et après ? – Il tient à préciser, par souci d'honnêteté
" sauf certains de Slytherin, bien sûr, comme vous j'imagine.
– Oui, comme moi, et ensuite ?
– Alors Isolfe a' lui dit " Severus, vous êtes injuste, comme d'habitude, Hagrid est tout sauf un gros lourdaud, c'est quelqu'un d'infiniment sensible."
Lui i' lève encore une fois les yeux au plafond pis i' fait pffff, et i'montre mes copies, et i lui dit :
"Alors, vous vous attaquez à la correction et a ' répond – Non, alors là j'me dit Hagrid, mon gars, dommage pour toi – si je le fais, c'est avec Hagrid, il faut qu'il apprenne, non ?".
I' s'remettent à travailler en silence, moi j'comprends pas comment on peut rester concentré aussi longtemps, et tout d'un coup, v'là Severus qui se lève et va s'placer derrière sa chaise. "
Mon cœur cogne, descend et remonte, je vais bientôt savoir…j'ai envie de secouer Hagrid et de le supplier d'arrêter ses digressions ; au lieu de cela, je serre ma tasse inutilement entre mes mains. Voyant cela, Hagrid la remplit de thé et reprend :
" Il était tout proche d'elle, à lui souffler dans le cou, a' devait bien s'en apercevoir, mais a' continuait à travailler. Un moment, i' tend la main vers ses cheveux, mais j'crois pas qu'il a osé les toucher. Et pis i' dit – Professeur Dazurs, puis-je vous poser une question ? A' répond, mais en continuant avec ses livres et ses papiers – Mais évidemment, professeur Snape. Et vlà qui lui d'mande – Accepteriez-vous de coucher avec moi ?
J' peux vous dire que j'm'attendais pas à ça, j'ai failli m'étrangler ! I ' lui demande çà comme s'i' lui avait d'mandé ce qu'a' pense d'un élève, ou s'i' va pleuvoir ? Quel drôle de bonhomme, trouvez pas ? "
Quant à moi, j'ai enfin desserré les mains autour de ma tasse encore pleine de thé, je les pose à plat, soigneusement de chaque côté, je n'arrive à savoir si je suis surpris ou pas par la question de Snape, en tout cas je suis admiratif de sa brutale franchise, de sa froide témérité.
" A' s'retourne sur sa chaise, a'le regarde, i'sont tous proches l'un de l'autre, a'reste silencieuse pendant un moment, puis a' dit – Non, Severus, non. Lui, i' s'penche encore vers elle, comme si i' allait l'embrasser "
Hagrid me jette un regard en biais, pour s'assurer si je tiens le choc de son récit ? mais le regard est rassurant
" et pis i' r'monte sa tête brusquement, i' retourne s'asseoir à sa place, i dit " Bon ", c'est tout et y fait semblant de s'remettre à travailler, et i' lui dit " Tout cela reste entre nous, bien sûr " et a' dit " Bien sûr " et a' lui fait un si joli sourire que l'bonhomme a dû regretter qu'a' lui avait pas répondu oui à sa question. Mais pour vous , a' l'a des sourires encore plus beaux."
Hagrid me regarde, et me tapote une main en signe d'encouragement. Je me laisse aller à une minuscule jubilation à l'intérieur de moi ; Hagrid mon témoin magnifique, j'ai envie de te serrer dans mes bras.
" Bon, i' restent silencieux, pis tout à trac i' demande - Pourquoi, vous avez décidé d'attendre un nouveau prince charmant – çà m'faisait drôle d'attendre Severus parler comme dans les contes de fées – et en l'attendant de vivre fastement…
J'interromps le récit – fastement vous êtes sûr ? – fastueusement peut-être ? puis je comprends, bien sûr c'est chastement qu'il fallait comprendre, le mot s'enfonce en moi précis comme une vrille.
Oui, fastement, j'comprends pas bien. Bref a'lui dit - Severus, ce sujet ne concerne que moi.
Là dessus, il explose, s'met sur ses pieds, et vient se pencher par d'ssus la table, juste en face d'elle
– Vous et ce maudit Lupin, n'est-ce pas ? Tout Hogwarts sait ce qu'il attend de vous, que vous lui ouvriez votre lit et vos jambes- là, j'peux vous assurer qu'al est d'venue toute blanche, et qu'al a posé ses mains à plat sur le bureau, de chaque côté de ses copies, 'xactement comme vous avez fait tout à l'heure, oh là là, comme vous êtes pareils tous les deux – et pis Snape reprend, il est toujours penché vers elle, et elle, a 's'recule,a 'lui dit - Ayez la correction de respecter ma vie privée, et de me laissez l'usage de mon lit et de mes jambes, i' continue - Mais je ne laisserai pas cela se produire, je vous ai déjà dit que vous deviez vous en méfier, Dumbledore est un inconscient, un jour vous découvrirez la …
Alors là a's'lève, lui plante ses yeux dans les siens, comme si c'était un poignard et a' lui dit en parlant calmement, mais moi j'sentais bien qu'en dedans ça lui bouillonnait les sangs,
- Severus, vous êtes fatiguant et vous radotez : toutes ces choses , vous me les avez déjà dites, ne me confondez pas avec un étudiant à la tête dure auquel il faut toujours et encore répéter les mêmes leçons.
I' s'est rassis en faisant la gueule, mouché j'vous dis le Snape, j'étais tout content derrière ma porte. Faut dire qu'il était allé un peu loin, lui parler comme ça de son lit et de ses…
il me jette un coup d'œil rapide et juge plus prudent de s'arrêter là. Je suis en train de me répéter les paroles qu'il a eu l'impudence de lui dire " tout Hogwarts sait ", par Merlin, je suppose qu'il parlait du corps professoral, mais cela j'en suis conscient , c'est un risque que j'ai pris, c'est un affichage que je revendique, mais les autres mots impudiques et crus " que vous lui ouvriez votre lit et vos jambes " comme cela me fait mal, car il est venu empiéter sur mes jardins secrets, il les a saccagés, c'est comme s'il avait glissé sa main entre les jambes d'Isolfe et d'ailleurs ne lui a-t-il pas concrètement proposé de l'accueillir son lit ?
Mais elle a refusé… Et elle n' a rien démenti de ce qu'il lui a dit d'elle et de moi…
Je ne peux pas m'empêcher de la sentir proche de moi, mais plus elle se rapprochera, plus elle se mettra en danger.
Hagrid entre-temps a continué son récit, je n'y prêtais plus attention et pourtant j'arrive quand même à reconstituer le passage manquant, une autre couche de mon cerveau a quand même dû l'enregistrer.
Il n'a pas osé continuer à les écouter, apparemment d'ailleurs ils n'avaient plus rien à se dire, et il n'a pas osé rentrer dans la salle non plus, qui était encore " toute vibrante de colère ", il est reparti, revenu une demi-heure après, et découvert que Minerva était arrivée elle aussi et que tout était tranquille. Et Isolfe lui a donné rendez-vous "en douce" pour le lendemain dans son bureau afin de l'aider à la correction des copies.
Je comprends maintenant l'origine de la scène à laquelle j'eus droit le 31 janvier dans le bureau de Snape. Je ne suis pas sûr qu'il la désire vraiment, mais elle est le moyen magnifique dont il dispose pour me faire souffrir et me détruire, sa meilleure pièce, sa reine blanche.
Mais qui lui a dit non, la reine dans ma vie, bénéfique et volontaire.
Mais à laquelle je ne peux apporter qu'un amour stérile.
Tout le récit d'Hagrid tourne dans ma tête, une rotation hermétique sans voie de recours.
Je suis condamné.
Ad vitam aeternam.
J'entends vaguement Hagrid aller et venir dans la pièce à travers une sorte de rideau pesant et blanchâtre qui me dérobe la réalité de l'instant. Je ne suis même plus sûr d'être véritablement dans cette pièce, je titube à l'extérieur du monde.
Je perçois des bras autour de moi, qui m'étreignent prudemment, me soulèvent sans effort et me déposent sur une matière douce dans laquelle je m'enfonce.
Ce ne sont pas les bras d'Isolfe.
Je ressurgis brusquement, empêtré dans un vaste édredon qui semble n'avoir pas de fin. Je suis installé dans le lit d'Hagrid, Fang jappe de satisfaction de me voir bouger enfin. Il semble que nous soyons seuls lui et moi, Rubeus est sans doute sorti.
Je me lève, me dirige vers la fenêtre la plus proche, il neige à nouveau, le paysage a la blancheur et l'aspect de la ouate, j'ai l'impression de regarder à travers mon cerveau tant je n'arrive plus à penser à quoi que ce soit, mon esprit est encore inconscient de lui-même.
Je retourne m'affaler dans ce lit si grand qu'il pourrait contenir toutes mes nuits jusqu'à l'épuisement de ma fatigue.
Les idées tournent à l'extérieur de ma tête vide, une ronde de loups noirâtres glapissant, je calfeutre mes yeux et mes oreilles, mais leur encerclement est sans remède, un premier se précipite en moi, et avec lui une première pensée dont la force le désintègre – Isolfe comme une abrupte fécondation. Les autres suivent avec une allégresse ardente et douloureuse.
Je me remplis à nouveau de moi.
Je m'accorde encore quelques minutes, je me lève, Fang se remet à frétiller dans mes jambes, il manque me faire tomber, je localise mes chaussures, mon manteau, je m'habille. Je compte sur le chien pour me mener à son maître, que je veux informer de mon départ et remercier de son hospitalité.
Fang se précipite à l'extérieur, à peine ai-je entrouvert la porte, il commence par se rouler déraisonnablement dans la neige, oublieux de moi et de son maître, puis il se remet sur ses pattes, saute plusieurs fois sur place, en ouvrant la gueule et essayant d'intercepter les flocons dans leur chute.
Sans doute lassé de devoir déployer autant d'efforts pour une si maigre récolte, il change de tactique, plonge son museau dans le blanc poudreux et avale de grandes goulées de neige. Il manque s'étrangler avec la dernière, me regarde d'un air de reproche, il m' a entendu rire, il vient alors taper de sa tête dans mes jambes, je m'accroupis, passe mes bras autour de son encolure, mon presque frère de race, il répond à mon étreinte par de précautionneux coups de langue, sans doute pense-t-il que je suis plus fragile qu'Hagrid ? puis il se dégage vigoureusement, et part à toute allure.
Je me redresse, et me lance à sa poursuite, courant sur ses traces, en direction de la forêt.
Je cours sans peine, le souffle que je cherchais depuis mon réveil arrive, ample et régulier; parfaitement accordé à mon allure et au battement rigoureusement rythmé de mon cœur.
Je cours derrière un chien, je cours comme un loup qui laisserait derrière lui des traces d'homme.
Je ne vois plus Fang, il a disparu derrière les buissons serrés qui marquent l'entré de la forêt, mais soudain j'entends ses aboiements, la voix d'Hagrid qui l'appelle brave garçon.
Ils sont tout proches, je passe à mon tour derrière les buissons, je ralentis progressivement, diminuant le rythme et l'amplitude de mes foulées, comme un exercice d'adresse afin que la dernière m'amène exactement devant Hagrid.
Je sais que je ne sais pas encore ce que je vais lui dire, et je sais aussi qu'avec Hagrid, cela n'a aucune importance. Je m'arrête, je passe ma main dans mes cheveux, mes pieds sautillent d'un appui à l'autre.
" Hagrid, vous voyez, Fang a bien veillé sur moi, et il m'a ramené à vous. Je suis venu hm prendre congé et vous remercier, pour et bien en fait pour beaucoup de choses : votre accueil, le petit-déjeuner, la sieste dans votre lit, et … " il complète ma phrase d'un air entendu " Et pis, pour tout c'que j'vous ai dit sur elle et si j'vous ai rendu service, et ben, j'suis content. "
Les mots disparaissent dans un sourire, le mouvement met toute sa barbe en mouvement, faisant glisser la neige qui s'y était accumulée en de minuscules avalanches dont la course se termine sur ses bottes. Il me fait un signe de la main.
" Ben, j'vous laisse rentrer, j'ai à faire par là bas – il me désigne les profondeurs de la forêt d'un signe de la tête – allez la r'trouver. On s'verra au dîner d'ce soir. "
Je réponds un peu mécaniquement :
" A ce soir alors, et encore merci de votre hospitalité "
Je me détourne, fais quelques pas en avant, quand j'ai à nouveau dépassé les buissons, je me remets à courir. Mes pieds s'enfoncent dans la couche de neige récente qui n'offre aucune résistance, et rebondissent ensuite facilement au niveau où la neige ancienne s'est tassée en souplesse. Mes foulées sont silencieuses, je force volontairement ma respiration afin que la cadence de mon souffle ne me laisse pas seul dans cette disparition des bruits.
Je choisis une des portes de côté pour rentrer, celle qui donne sur un très étroit corridor qui me permet de rejoindre ma chambre en toute discrétion via un escalier en colimaçon taillé dans l'épaisseur du mur.Je pourrais éventuellement y rencontrer Isolfe, nous comptons tous deux au rang des rares occupants d'Hogwarts à utiliser ce passage. Où il est impossible de se croiser sans se frôler étroitement.
Mais j'attendrai ma chambre sans avoir vu, ni frôlé personne.
Isolfe qui traverse mes nuits comme une reine bénéfique
Ombre vigilante pesant sur mes paupières
Présence obstinée déportée hors de moi
Mon eau salée et mon eau douce
Ma rémanente aux regards amples
J'ai rêvé d'un temps où il n'y aurait plus rien entre nous
entre nous rien
Même plus l'ombre de l'épaisseur d'une ombre noire
J'ai rêvé d'un temps où nous serions
L'un à l'autre irrémédiablement réunis
Fertilement mélangés
( car tu aurais uni à toi quelque chose de moi )
Hors de nous prolongés, créateurs recréés
Mais ce moment est inaccessible
terré au fond d'une cruelle chimère
qui se dévore chaque mois
