Bien, des revues qui vont un peu dans le même sens et constatent - regrettent (? ) qu'il n'y ait pas assez de Hogwarts, de magie, de têtes connues, de Harry, dans Journaux Croisés… - vous me feriez presque douter de moi !
Allons, c'est un parti pris, je revendique – mon but n'est pas de coller au paradigme rowlingienn, où Lupin n'est qu'un professeur et un ancien maraudeur chargé de faire le lien entre James Lily et Harry, un passeur de connaissances et d'histoire familiale… j'ai eu envie de le faire exister, vivre pour lui-même, le mettre sur le devant de la scène, lui donner du neuf et de l'inédit, le "revivifier" - c'est pour cela qu'Isolfe est un personnage inventé…
Je pique à la saga Potter ce dont mes personnages ont besoin (merci JKR, car évidemment, il y a matière à emprunt dans ce que vous écrivez) mais après, c'est à moi de jouer et d'inventer.
Et puis Fenice, pourquoi écrire sur les rapports Harry Remus, alors que tu le fais si bien ? Je ne serais ni à l'aise, ni convaincante, sur ce terrain.
(par ailleurs - douceur, doux, oui, je trouve que j'ai tendance à abuser…)
Et puis oui, Hogwarts n'est qu'un cadre, et la magie n'est qu'une technique au service des … magiciens.
Pourquoi Neville ? parce que son histoire et celle de ses parents est terrifiante, la torture et ensuite la folie, qui toutes deux dépossèdent de l'humanité… et le handicap dont ce jeune garçon en train de se construire se trouve chargé - je crois que c'est finalement plus lourd que le fait d'être orphelin.
Et Fée, merci de ta suggestion d'un Remus s'exprimant au sujet des Longbottoms : c'est vrai qu'il va parvenir petit à petit à "déverrouiller" son passé, mais quand il le fera, ce sera surtout au sujet de ses propres parents. Et une précision pour finir, j'ai écrit la majeure partie de JXC avant d'avoir lu l'Ordre du Phoenix – je pratique les Potter quand ils ont bien refroidi…et je me suis basée sur une belle fic lue il y bien longtemps, dont j'ai oublié le titre, qui raconte les années de Lupin post-Hogwarts, passées en Roumanie, à la chasse aux vampires et au "containment" des loups-garous – partant de là, il n'y aura pas de référence à l'Ordre… (ouais, ouais, pas très orthodoxe tout cela…)
Harana – je suppose qu'Isolfe pensait à l'Adriatique en été… en fait, dans la première version, c'était les eaux de la Martinique, et pour des raisons qui, là, n'appartiennent qu'à elle, Guézanne a procédé à cette modification. Et merci d'avoir parlé de JXC à Severia – j'aime beaucoup le terme de mic-mac psychologique.
Alixe - je te rassure, Isolfe ne déraillera plus à propos de Rogue
Léna – désolée d'avoir ranimé de désagréables souvenirs….
Aujourd'hui, je continue à ramer à contre-courant (autant vous avouez que je ne déteste pas…)
Remus Lupin, seul, frivole, un peu benêt (comme un amoureux ? ), en environnement muggle… c'est la moitié du monde d'Isolfe, comment pourrait-il ne pas s'y intéresser ? Et puis, il y a une réflexion que je voulais voir apparaître sous sa plume.
Ensuite, retour dans les lieux magiques…
… mais, dites, si un jour, je sors mes deux héros de la scène hogwartienne, parce que ce n'est pas là que l'histoire va se dénouer, vous me suivrez quand même ?
Bonne lecture !
Journal de Remus, 7 mars
Ce matin, après avoir repris ma forme humaine, je me suis subitement décidé à ne pas traîner ma déprime "post-pleine lune" à Hogwarts.
D'habitude, quand je n'ai pas de cours à assurer, je m'arrange pour rester planqué dans ma chambre, en essayant d'oublier la nuit et les traces qu'elle a laissées sur moi et en attendant le retour d'Isolfe.
En priant aussi, je ne sais quelle déité, Séléné peut-être ? pour que ma splendide ne cherche pas à examiner de trop près la nature de ma zone d'ombre et pour que je puisse continuer à rêver à un futur improbable à ses côtés.
Pourtant, je dois écrire que chaque mois, en un sentiment d'urgente nécessité qui va croissant, je souhaiterais la trouver près de moi lorsque je réintègre le monde humain, en m'échappant de celui des loups et des monstres, oui, qu'elle soit là, immédiate et accessible et peut-être me prendrait-elle dans ses bras afin de me consoler de mon malheur.
Mais l'exaucement de ce vœu inconsidéré ne viendrait-il pas mettre fin à l'amicale compréhension qu'elle me manifeste ? Comment être certain qu'elle ne s'enfuirait pas en courant ? Mais comment penser qu'elle me regarderait d'un air dégoûté et terrifié ? Pourtant, cela ne cadrerait pas avec ce que, petit à petit, j'apprends d'elle… et ce que Dumbledore semble en penser.
Donc, aujourd'hui, samedi, j'ai décidé de laisser Hogwarts derrière moi et d'aller passer la journée à Londres. Maintenant que je dispose d'un revenu régulier et très au-dessus des rétributions que m'accordaient chichement les établissements de second ordre où j'enseignais avant d'être repêché par Dumbledore, j'ai décidé de renouveler ma garde-robe. Cette dernière est d'ailleurs si succincte, deux tenues et un manteau, sans compter celui prêté par Isolfe, que je vais pouvoir tout changer sans mettre en péril mon avenir financier.
J'ai également l'attention de passer un long moment dans une librairie, laissant mon inspiration – ou celle du libraire – m'orienter vers des achats de livres et de CDs. Et comme je parle de Londres, il s'agit bien sûr de la ville muggle, et de littérature et de musique muggle, qui offrent le double mérite de m'éloigner de mes histoires de loups-garous et de me rapprocher d'Isolfe et de sa culture de prédilection.
Elle m'a confié un jour que les Muggles n'ayant, de facto, pas de magie à leur disposition, avaient besoin de stimuler les imagination sensible via les beaux-arts, la musique, la littérature, la poésie ; et qu'elle n'était finalement pas certaine qu'elle ne préférerait pas renoncer à la culture magique si un jour elle était sommée de faire un choix.
Isolfe, encore, toujours, à qui j'ai demandé quelques renseignements sur l'argent muggle et son maniement, et qui après avoir regretté que la Grande Bretagne ait snobé l'euro, la monnaie muggle commune dont se sont dotés la plupart des pays européens, si j'ai bien compris, m'a indiqué, que le plus simple pour moi serait de passer d'abord chez Gringott's et de demander la conversion de mes galions et mornilles en livres.
Et je profiterai de ce passage obligé dans le Londres magique pour acheter quelques ouvrages techniques de DCFM qui viennent de paraître, j'attends notamment beaucoup du dernier bouquin de John William Petersen " Magie noire : l'éthique au secours de la technique " sur lequel j'ai lu un bon compte-rendu dans la Nouvelle Revue de DCFM.
J'émerge donc d'entre les racines du saule cogneur aux petites heures du matin, alors que mon ennemie mensuelle a disparu. Pas si tôt d'ailleurs que je ne manque me trouver nez-à-nez avec l'équipe de quidditch de Ravenclaw en route pour le premier entraînement de la matinée. J'ai à peine le temps de me dissimuler derrière un pilier.
Enfin, quand bien même ils m'aurait vu, ils auraient pu en conclure que je revenais d'une nuit passée à l'extérieur, et nul doute que pour une bande d'étudiants de 15 à 17 ans, cela ne peut avoir qu'une signification…
Je ne rencontre plus personne jusqu'à ma chambre, je prends une douche, je ne découvre que deux nouvelles marques, l'une au niveau de la taille, l'autre sur la cuisse gauche. Je les soigne rapidement, efficacement – même s'il y a eu cette alerte d'il y a quelques jours en cours,je suis indéniablement plus calme et moins agressif depuis quelques mois, je m'autorise à imaginer que c'est grâce à Isolfe et à son influence bénéfique.
Je me prépare un thé corsé, j'ai décidé de me passer de petit-déjeuner ici, je n'aurais que l'embarras du choix à Londres si j'ai faim plus tard, mais ce n'est certes pas le cas ce matin.
Je me faufile ensuite jusqu'à mon bureau, encore une rencontre inopportune, et celle-ci, je ne peux l'éviter : Severus Snape sort de son antre, sacrebleu, a-t-il fait bouillir ses infâmes potions toute la nuit ?
(C'est vrai que certaines préparations doivent absolument être réalisées les nuits de pleine lune, pas étonnant que j'ai toujours été un élève médiocre).
Il m'adresse un sourire satisfait et méprisant, clairement écœuré, pourtant je ne ressemble à rien de moins qu'à un humain, propre sur lui et plutôt bien foutu (commentaire de Sacha il y a longtemps, lors d'une séance de piscine), à condition de ne pas trop s'attarder sur mes nippes – et même ce point va bientôt s'arranger.
Snape, quant à lui, n'est pas rasé, ses yeux sont cernés et ses cheveux en désordre. Mais évidemment, sa tenue est impeccable et le contraste entre le tombé parfait de sa mise et le négligé de son visage est assez troublant.
Je suis certain qu'une femme n'y serait pas insensible, Isolfe elle-même, j'écarte d'un geste irrité cette imbécile pensée.
" Eh bien, Lupin, vous avez passé une bonne nuit ? "
Quel con, il faut toujours qu'il se foute de ma gueule, que n'est-il tombé la tête la première dans un des ses chaudrons ? Mais je n'ai pas l'intention de lui céder le moindre pouce de terrain, je réponds donc :
" Excellente, j'ai passé une nuit excellente ! et je me sens ce matin de trop bonne humeur pour perdre ma journée à Hogwarts. "
Il est manifestement surpris, ses sourcils se froncent, venant rajouter du désordre dans ses traits et en dessous, sa bouche se tord, comme si elle se préparait à me cracher dessus. Je m'en fous et contrefous, je lui lance un jovial "Bonne journée" et lui claque la porte de mon bureau au nez, j'ai perdu assez de temps avec cet imbécile.
Je disparais par la cheminée, je me retrouve dans Diagon Alley, au milieu de la foule du samedi, agitée et joyeuse à l'idée du week-end encore quasiment inentamé.
Je file chez Gringott's, la transaction prend plus de temps que ce que j'aurais pensé, j'en profite pour demander le relevé de mes avoirs (je me mets à parler comme un prof d'économie….).
Jusqu'à présent, je n'avais jamais rien eu dans une quelconque banque, j'étais payé directement par mes employeurs ; à Hogwarts le circuit de rétribution est plus sophistiqué et sans doute plus muggle. Le chiffre que m'annonce le goblin ne me dit pourtant pas grand-chose, mais son regard devient tout d'un coup moins désapprobateur, j'imagine que l'état délabré de mes vêtements n'était pas la meilleure des cartes de visite pour se présenter dans une banque.
Par contre, il soupire bruyamment quand je lui demande de convertir cent galions en livres britanniques. Il se met même à bougonner :
" Z'vez jamais songé à mettre en place un virement interbancaire avec une banque muggle ? En tout cas, la conversion coûte trois mornilles, je les prélève en plus ou j'impute sur le montant à convertir ?
Je ne comprends rien à ce qu'il me dit (Isolfe, au secours), je lui fais répéter, il s'exécute de mauvaise grâce, je me décide pour le prélèvement en plus. Je récupère les billets britanniques et regagne Diagon Alley et son issue vers le monde muggle.
Bien, je suis maintenant tout près de Finsbury Circus et je dois me rendre jusqu'à Finsbury Street, l'affaire de quelques minutes à pied, puisque j'ai l'intention d'aller m'habiller chez M&H.
Cette fois-ci, c'est Sacha qui m'a donné le tuyau, je me sens maintenant suffisamment en confiance pour m'être ouvert à lui de mon projet "fringues neuves". Il fut extrêmement coopératif, je pense que tout cela le faisait au fond bien rigoler, lui m'aurait conseillé d'aller faire mon shopping à Paris, en ajoutant que j'aurais eu ainsi une chance de tomber sur Isolfe, minime certes mais qui valait la peine d'être tentée non ?
" Et puis, n'est-ce pas pour ses beaux yeux que vous voulez améliorer vos frusques ? " sourire charmeur pour me faire oublier ce que le mot pourrait avoir de blessant.
" Je ne vous conseille pas l'adresse favorite de mon père, Zeeland and Zeeland, c'est terriblement cher, lui fait passer tout cela en frais de représentation diplomatique, mais pour vous les émoluments d'Hogwarts n'y suffiraient pas. Bon, on oublie aussi Jermyn Street et Bond Street. "
J'admirais l'agilité avec laquelle il navigait au milieu de tous ces noms - et exécutait quelques exercices de barre en prenant appui sur le mur du corridor où nous nous trouvions.
" En tout cas, vous avez raison de ne pas avoir commencé par cela, par soigner votre look, c'est une excellente stratégie, car vous savez qu'elle s'intéresse à vous "
Il marqua une pause, seule sa jambe gauche continuait à passer sur le sol, d'avant en arrière, en un mouvement qui me semblait impeccable, mais qui n'avait pas l'air de le satisfaire.
Puis, il reprit, en me sollicitant abruptement :
" Merde, Lupin, vous n'allez pas oser nier qu'elle s'intéresse à vous ! A quoi jouez-vous ? (non Sacha, Snape suffit pour me poser cette question, mais il est vrai qu'il n'y avait pas de menace dans ta voix, juste de l'irritation et de l'incompréhension).
Vous attendez qu'elle vous file entre les mains ? Vous savez il y a d'autres hommes que vous, notamment à Paris, n'oubliez pas qu'elle y va régulièrement, elle ne vit pas cloîtrée comme vous."
Je ne répondis pas. Il arrêta soudainement ses exercices, s'adossa au mur, repliant une jambe et l'appliquant complètement à la paroi, en ouvrant totalement l'articulation de sa hanche.
" Bien, en l'absence de réponse du … prévenu, nous allons poser un postulat afin de poursuivre notre démonstration. "
Il joignit ses dix doigts, prit un air profondément inspiré, et se mit à faire osciller doucement ses deux mains réunies devant son menton, tandis que ses yeux étaient pleins de moquerie.
" Le postulat étant que, oui, le professeur Dazurs s'intéresse diablement à vous, vous avez su créer autour de vous cette aura mystérieuse, romantique, hm, oui romantique nous pouvons dire cela, à laquelle les femmes son censées ne pas pouvoir résister. Et donc, j'en reviens à mon point de départ, ce n'est pas votre apparence qui l'a attirée, mais vos innombrables qualités intrasèques. Donc, vous vous seriez présenté à poil devant elle qu'elle ne vous aurait pas trouvé moins intéressant ! "
Il éclata de rire, une gaieté juvénile qui vint rouler jusqu'à mes pieds, avant que je ne pusse lui en vouloir d'appuyer justement où j'avais le plus mal. Car en fait son fameux postulat de départ en recouvrait un autre : que j'étais un homme comme les autres qui avait donc toutes ses chances auprès d'Isolfe et je n'étais pas sûr qu'il ne pensât pas, comme d'autres d'ailleurs, que nous étions elle et moi fichtrement bien assortis et qu'il était inévitable que nous finissions dans les bras l'un de l'autre, dans le lit de l'un ou de l'autre.
Peut-être aurais-je dû le détromper, mais quoi ! cela n'aurait rien changé par rapport à elle. Et puis je n'avais pas envie de le faire cesser de me parler d'elle, il m'était une occasion trop précieuse de parler de ma splendide, ce jeune homme qui pose ses mains sur elle quand il danse avec elle….
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Par Merlin, depuis combien de temps n'avais-je pas remis les pieds à Londres ? La ville me semble curieusement attirante, une succession de rues agitées et bruyantes, où je me fais bousculer à plusieurs reprises à cause de mon allure de "campagnard" à la fois trop rapide et trop placide pour s'adapter sans heurt à cet écoulement turbulent, et de zones de calme, presque de recueillement, comme Finsbury Circus, et cette alternance même lui confère un dynamisme endogène, une pulsation que j'ai l'impression de sentir sous mes pas.
Je pénètre maintenant dans un gigantesque endroit, aéré et lumineux , si différent des échoppes ratatinées et obscures du monde magique.
J'ai un mal de chien à m'orienter, je ne vois tout d'abord que des vêtements pour femme, je me dis que, logiquement, le rayon homme doit se trouver dans un coin reculé. Je traverse une zone appelée BIB, en comprenant au bout d'un moment qu'on y trouve des vêtements de (très) grande taille. Je ne suis pas sûr que je trouverais ça drôle si j'étais obèse….
Presque par hasard, je tombe sur un panneau signalétique, pourtant logiquement disposé au pied des escalators. Le rayon que je cherche se trouve donc au premier étage, je me retrouve perdu au centre d'un alignement impressionnant de portants et d'étagères, de pantalons, de pulls, de chemises et de vestes.
Je suis saisi d'angoisse à l'idée de devoir trouver ce qu'il me faut dans toute cette abondance, comme les héros de contes de fées qui doivent faire preuve de discernement et sélectionner le bon chemin.
Oh Remus, la ferme, depuis quand s'acheter des fringues relève d'une question de vie ou de mort, même pour un loup-garou ?
Du moins suis-je soulagé de découvrir qu'il n'y a presque personne à cette heure matinale.
Je me dirige vers une zone qui a l'air d'être consacrée à des jeans, bingo, il s'agit bien de ce que je cherche. J'élimine les modèles trop fantaisistes, j'en trouve un qui me plaît bien, mais évidemment il n'y a pas ma taille (M). j'en déniche finalement un autre qui semble convenir.
Un jeune homme, un vendeur, s'affaire à remettre à niveau des piles de chemises, puisant dans un grand bac rempli à ras bord. Me voyant hésiter, il délaisse son réassortiment et s'approche de moi. Il commence par m'inspecter des pieds à la tête, j'imagine que seul son professionnalisme l'empêche de froncer le nez de mépris devant mon apparence quelque peu guenilleuse. Il me propose son aide, je décide de tenter ma chance avec le premier modèle, mais il me confirme que, non, la taille n'est pas disponible. Il m'entraîne ensuite vers la zone beige, conformément à ce que je lui ai demandé, détaillant au passage tous les autres coloris devant lesquels nous passons.
Mais je ne veux ni noir, ni vert, je veux du clair et du bleu, du bleu azur….
Devant mon air peu intéressé, il comprend que je suis mono-maniaque – pour ne pa dire un client chiant – et me dégotte un pantalon cargo en coton beige clair et velouté, avec de grandes poches sur le côté (à Hogwarts, un étudiant sur deux, garçon ou fille, possède en modèle de ce genre, et bien sûr Isolfe en a même deux – il est vrai que c'est fichtrement commode pour ranger sa baguette !).
Puis il décide qu'il est temps de retrouver son bac et me laisser seul. Je me suis quelque peu habitué aux lieux, je trouve rapidement deux gilets, zippés, laine et coton, l'un bleu foncé – bleu encre comme le manteau d'Isolfe, l'autre bleu clair – bleu ciel.
Je prends également une chemise blanche, un polo à manches longues, bleu encore. Je réduis l'essayage à l'essentiel, les deux pantalons, le médium est sans doute un peu trop lâche maintenant, mais globalement convient toujours, je trouve une caisse, je serais incapable de dire si le total est élevé ou pas, disons que je fais confiance à Sacha, la jeune femme semble interloquée à la vue de mes billets, il est vrai que les clients devant moi ont tous réglé en présentant un morceau de plastique coloré et brillant.
Je ressors, je me dirige vers Brompton Road, je me suis habitué au rythme urbain, cette sorte de frénésie ralentie par elle-même, je me faufile avec une aisance indifférente dans la foule. Pourtant en remontant sur le trottoir après avoir traversé une rue, je bouscule quelqu'un : une jeune femme portant un enfant dans ses bras. Le choc n'est pas violent, mais la petite fille fait tomber sa peluche, je la ramasse et en me dépliant, je heurte doucement le ventre de la maman, proéminent, arrondi, je lâche " Je suis désolé ", elles me sourient toutes deux en retour, toute la scène glisse de chaque côté de moi, comme la foule, sans me faire trop de mal.
A Barrod's, je fais l'acquisition d'une paire de chaussures, style confortable chic, une drôle de semelle constituée de ronds de diamètres différents. Bon, enfin, j'achète celles là, cette marque précisément, parce qu'Isolfe en a une paire. Voilà. Je ne sais finalement pas si ce mimétisme ne confine pas au ridicule.
Ensuite, je descends au rayon parfumerie. Et là, j'ai absolument besoin de trouver une vendeuse. Mes allers et venues finissent par faire surgir une, je lui demande de m'aider à trouver un parfum, pour moi, qui s'assortisse (je n'ose pas dire se mélange ) avec Hiris, celui que porte Isolfe. (je lui a demandé la semaine dernière de me révéler le nom de son parfum – elle m'a répondu d'une voix appliquée, en me précisant que cela s'écrivait avec un " H ").
La demande a l'air de plaire à ma vendeuse, elle commence à réfléchir en fronçant joliment les sourcils, et m'entraîne vers des rangées de flacons, section femme, et non pas homme, comme je l'avais d'abord pensé.
Je comprends alors le pourquoi de notre venue ici, la voyant prendre un vaporisateur bleu opaque, Hiris bien sûr, et deux petits morceaux de carton blanc. Chacun d'eux a droit à une pulvérisation, elle en garde un, me tend l'autre en souriant.
Je ferme les yeux et plonge dans l'odeur de ma splendide. Et tandis que je plonge, mon sexe lui se redresse. Ahah Lupin, très malin.
Ma vendeuse toussote discrètement. " Bien, je l'ai bien senti, je pense pouvoir vous proposer quatre ou cinq… associations, mais souhaitez-vous que votre parfum s'efface et mette en valeur ou, comment dire, soit aussi présent qu'Hiris ? "
La question me prend au dépourvu, je n'avais jamais envisagé appliquer aux parfums les habituelles grilles d'analyse des rapports humains. Qu'est-ce que, dans l'idéal, j'attends d'une femme, qui toujours dans l'idéal, serait Isolfe ? Qu'elle soit mon égale et que notre relation soit libre de tout rapport de force.
(Et puis qu'elle n'aime que moi, qu'elle mette ses bras autour de mon cou, ses lèvres sur les miennes et qu'elle m'offre la… STOP.)
Je reprends - qu'elle soit mon égale et que notre relation soit libre de tout rapport de force. Il suffit donc de transposer ma réponse au domaine des parfums.
" Les deux sur le même plan, aussi présents, aussi révélés
- Bien " elle a modulé de mot de façon très convaincue,
- le choix se restreint, venez, nos allons essayer plusieurs combinaisons. ".
Je la suis jusqu'à un deuxième mur de flacons, masculins ceux-là. Elle en sélectionne quatre, me tend autant de petits cartons, j'ai subitement peur que ce soit mon odorat animal qui décide à ma place. Retiendrait-il alors l'odeur la plus forte, la plus musquée ?
Je respire à nouveau Hiris, Hiris et celle qui s'en parfume ont pris trop de place dans mon esprit d'homme pour ne pas, aujourd'hui, réussir à chasser le monstre.
Je commence ma sélection, deux odeurs restent sur ma short-list, je prie la vendeuse de lever l'anonymat des candidats : j'ai donc retenu Profil et Allure. Je demande à voir les flacons, je me décide pour le plus sobre, la jeune femme m'assure en souriant qu'Hiris sera enchantée de mon choix, je dois rougir et me crisper, car elle n'insiste pas. Je croirai même qu'elle a compris la raison de mon trouble, car elle me trouve un mini-flacon bleu violet, qu'elle glisse dans le même sac que le grand.
Je range tous mes achats dans mon sac à dos, je ressors de Barrods, j'achète le TLS, je m'installe dans le premier salon de thé que je rencontre sur mon chemin pour un petit-déjeuner tardif.
Je commence la lecture du Time en appréciant totalement le fait d'être complètement anonyme ici, d'avoir la possibilité de renoncer à cette sorte de figuration pesante qu'Hogwarts vous impose en permanence. Je peux même me libérer de la présence d'Isolfe et de la tension – merveilleuse et douloureuse – qu'elle fait peser sur moi.
Et le thé a un goût merveilleux, j'ai pourtant choisi au hasard, le premier dans l'ordre alphabétique, un Assam.
Ma seule préoccupation pour le moment consiste à opérer une sélection parmi tous les romans proposés par le TLS. Mais je suis d'ores et déjà décidé à acheter "The embarassment of riches", l'autre ouvrage majeur de Simon Schama, le fameux auteur des fameux "Yeux de Rembrandt" qui a su créer de tels liens entre Isolfe et Hugues Moddy- Stuart, dont je reste stupidement jaloux. Je mettrais ma main à feu qu'il va tout faire pour être à nouveau choisi comme représentant du ministère lors des prochains conseils de classe, alors qu'en général le ministre partage la sinécure (deux journées à glander et un super gueuleton pour couronner le tout, et, en plus, à côté de l'ultra-charmant professeur Dazurs) entre plusieurs de ses favoris.
Je pense me laisser tenter par un roman intitulé "Jonathan Strange and M. Norell" de S. Clarke, qui évoque la restauration de la magie en Grande Bretagne au moment des guerres napoléoniennes – un mélange parfait entre magie et Muggles, Grande-Bretagne et France… (entre Isolfe et moi – je ne peux pas m'empêcher de venir de faire caresser et taillader par mon impossible amour). Et puis, ce sera intéressant de voir quelle vision un écrivain muggle peut bien avoir d'un monde qu'elle a imaginé sans savoir qu'il existe réellement… !
Ensuite mmm "Thinks", un bouquin du toujours bienvenu David Lodge, pour moi une source utile de renseignements sur la baise. Là je suis vulgaire, car évidemment les romans de Lodge sont remarquablement bien écrits et terriblement drôles et ne parlent pas que de çà (encore que, si on y réfléchit bien…certains… ), disons qu'ils vont simplement jusqu'au niveau de détail dont j'ai juste besoin.
J'en ai terminé avec ma revue, finalement je n'ai rien trouvé qui semble transcendant, à part le Clarke, je vais en revenir à la liste que j'avais plus ou moins établie, j'espère que je trouverais aussi "The Eight", Arthur m'en a dit beaucoup de bien, bien plus que le Code Da Vinci, que j'ai lu sur le conseil d'Isolfe. Nous en avions ensuite brièvement reparlé, pour finalement convenir que le rythme auquel se succédaient révélations et résolutions d'énigmes faisaient finalement perdre de sa force au roman.
Enfin, Isolfe avait tout de même trouvé follement drôle l'idée que le dieu des muggles puisse avoir une fille et des descendants jusqu'à l'époque contemporaine, évidemment la version officielle veut qu'il n'ait jamais couché avec qui que ce soit, quant à la façon dont il aurait été conçu, même le monde magique n'oserait pas un truc de ce genre, (et puis quelle idée révoltante d'imaginer cela, une conception "intellectuelle", sans plaisir physique et sans tendresse…), enfin Isolfe m'a expliqué qu'on pouvait croire en ce dieu sans adhérer à tout ce fatras…
" Imaginez-vous " m'avait –t-elle dit, en prenant soin que mes yeux n'échappent aux siens, " qu'un jour j'ai une fille et que je l'appelle Sarah, et que j'explique à ma mère – Mais Maman tu sais bien, comme la fille de Jésus. Je vois déjà sa tête, la désapprobation se mêlant à la joie de voir sa fille devenir mère à son tour. ".
Lorsqu'elle avait eu achevé d'examiner la façon dont je digérais son "qu'un jour j'ai une fille" – je peux jurer que rien à l'extérieur de moi n'avait tressailli, mais que mon cœur s'était emballé en de douloureuses saccades avant de se calmer – elle s'était enfin laissée éclater de rire. Mais sa voix avait été troublée en prononçant ces mots entre nous, ou alors m'étais-je trompé ?
Je replie mon TLS, regroupe mes affaires et règle directement au comptoir. Il ne faut que quelques minutes pour atteindre Vatchard's, je commence par flâner au hasard entre les rayons, je tombe sur LE nouveau David Lodge "Author, author" qui apparemment vient juste de sortir. Je ne comprends pas pourquoi je n'ai rien vu dans le TLS, bof sans doute n'ai-je pas lu très attentivement. En tout cas, j'aurais une longueur d'avance sur Isolfe.
La chance est toujours avec moi, puisque je localise tous les titres que je souhaitais – rien de plus frustrant que de ne pas trouver les bouquins qu'on s'était promis d'acheter.
(Enfin, si, je connais d'autres choses qui sont infiniment plus frustrantes, infiniment plus douloureuses que de devoir se priver d'une lecture, mais que cela reste une parenthèse dans ma journée). Isolfe une parenthèse dans ma vie ? Une idée hors norme, exorbitante.
Je me laisse dériver encore un bon moment au hasard des tables de présentation, je consacre une bonne demi-heure au rayon Beaux Arts, ouvrant, respirant et tournant des pages, j'arrive même à me plonger quasiment complètement dans un superbe ouvrage "Holbein and England", mais je me fais à nouveau happer à la surface où s'agitent l'inexploité et l'inassouvi de ma vie par un livre de photographies du Français Jacques-Henri Lartigue.
Il est trois heures de l'après-midi quand je ressors de Vatchard's et je n'ai plus qu'à remonter la rue vers Picadilly Circus et Bower Records où je compte bien me débarrasser de la soixantaine de livres qui me restent. Et là, je n'ai pas de liste.
Le magasin est rempli d'acheteurs, qui semblent se grouper devant les bacs moins en fonction de leurs goûts musicaux que de leur style d'habillement. Quelle musique correspondra à mon accoutrement ? Je m'aperçois soudain que j'aurais pu enfiler ce que j'ai acheté tout à l'heure afin d'améliorer ma mise.
Pourtant cette dernière n'a pas l'air d'effrayer un vieux monsieur, lui très correctement vêtu de tweed et de velours, mais qui semble avoir du mal à lever ses bras vers le haut du rayon classique. Il me demande donc, un peu gêné, de l'aider à attraper, un CD de Bruckner, la Symphonie n° 7.
" C'est un tout nouvel enregistrement, Herreweghe, c'était un baroqueux et le voilà devenu romantique. Vous aimez Bruckner ? "
Je lui explique que ce n'est pas mon compositeur préféré. Il ne répond pas tout d'abord, puis reprend :
" Je n'en avait presque jamais écouté de ma vie, j'avais toujours préféré la musique plus ancienne, vous savez jusqu'à Beethoven, pas vraiment au-delà."
Il m'informe alors, se mettant à parler plus rapidement, qu'il a perdu son épouse, il y a quelques mois, d'une "vilaine maladie". Comme toujours en de telles circonstances, je ne sais trop quoi dire, à part articuler le "Je suis désolé" de rigueur. Et pourtant sa peine est si clairement lisible sur son visage, dans tous ses traits qui viennent de se redécomposer, presque de s'arracher du visage, devant moi, faisant place à un désarroi affreux, et à la fatigue de devoir continuer à vivre – ou à faire semblant. –
" Et donc, je me suis aperçu que je ne supportais plus l'appartement où nous avions vécu tout les deux, mais vendre, déménager, je n'ai pas non plus trouvé le courage pour tout cela. J'ai fait quelques modifications, remplacer un fauteuil par un autre, et puis je me suis rabattu sur la musique, j'ai mis sous clef notre discothèque commune, nous en écoutions énormément vous savez, de longues heures tous les jours, nous allions au concert le plus souvent possible, mais toujours le répertoire dont je vous parlais. "
Il s'interrompt tout d'un coup, me scrute attentivement, j'ai l'impression qu'il cherche à déterminer ma capacité d'écoute, ou de résistance, ou ma sympathie.
" Excusez-moi, je vous retiens, vous aviez sans doute des achats à faire, ou des disques à écouter…
– Non, je vous en prie, je suis … " je ne sais pas trop comment m'exprimer…" si vous avez besoin, envie de parler de tout cela avec moi, allez-y, je serais…" je retiens à temps le mot heureux , " je peux rester à vous écouter.
" Vraiment, c'est très …généreux de votre part. Mais nous pouvons nous déplacer dans les rayons, vous me parlerez de vos goûts. "
Je reprends, pour lui faire retrouver le fil de son discours :
" Vous vous êtes donc mis à écouter une autre musique, pour moins y penser ?
– Oui, vous voyez, j'ai fait faire un bond de quelques années à mes goûts musicaux, et finalement j'ai découvert plein de belles choses et j'ai regretté que nous ne les ayons pas écoutées ensemble. Vous voyez, je ne m'en sors pas. J'essaie de penser à autre chose, mais c'est comme si je marchais sur les cordes d'un piano, et qu'il me soit impossible de ne pas les faire résonner, et que leur son, au lieu d'être une consolation, un apaisement, soit une lamentation, un crève-cœur qui m'épuise. Vous devez penser que c'est une drôle d'image, mais en fait j'en ai rêvé, plusieurs fois, j'était minuscule, ou alors le piano était immense, je devais avancer, je devais marcher sur les cordes, et pourtant je savais que j'allais devenir fou si je les entendais.
Finalement ce qui me fait le plus mal, maintenant, c'est d'avoir failli à ma promesse et de ne pas avoir été auprès d'elle au moment où … "
Son visage se fige tout d'un coup, non plus que cela, il est littéralement paralysé. Je complète sa phrase :
" Au moment où elle est morte ? "
Il bat une fois des paupières pour me dire oui.
" Mais c'est elle qui avait voulu que je parte, pour me reposer à la maison, et l'interne m'avait dit qu'elle allait mieux, et que quelques jours encore…
Et puis aussi le fait d'avoir vécu quelques heures en pensant qu'elle était encore vivante, alors que je l'avais déjà perdue, ce moment monstrueux dans ma vie, où je savais pas ! ce moment terrible, où la mort se déguise en vie pour mieux vous tromper…comme une sorte de violence… Une gigantesque duperie, vous vous rendez compte, vous pensez que quelqu'un est vivant, alors qu'il est déjà mort, qu'est ce que ça veut dire, c'est aberrant, aberrant.."
Il crie presque, de colère. Je comprends son déchirement, la double souffrance d'avoir perdu un être cher et de se dire qu'on aurait pu faire quelque chose pour éviter cette perte, ou dans le cas de ce monsieur, pour être présent à ce moment irrémédiable, parce qu'après il ne reste plus rien, l'action possible jusqu'à un certain point, l'extrême limite d'une vie, et ensuite eh bien la mort est justement terrible parce quand elle survient on perd l'adversaire contre lequel on pouvait encore se battre ?
Comment ne repenserai-je pas à Lily et à James ? Je suis presque à le maudire de m'obliger à affronter tout cela de nouveau, mais qui me dit que ma douleur vaut mieux que la sienne ?
" L'hôpital n'a pas eu le temps de vous prévenir ?
– Non, non, elle est morte très subitement, d'un arrêt cardiaque, pas vraiment prévisible, même si tous les traitements avaient affaibli son cœur. C'est terrible de n'avoir plus qu'à regretter. Tout le monde me dit que les regrets ne servent à rien, à part vous empoisonner, mais elle seule pourrait me pardonner, et c'est impossible puisqu'elle est morte. "
Nous nous faisons bousculer tout d'un coup par une jeune femme, qui s'impatiente de nous voir stationner indéfiniment devant le même bac. Le vieux monsieur ne réagit pas, je suis obligé de le prendre par le coude et de l'éloigner du passage. J'en profite pour nous rapprocher du rayon "S" , j'ai vu que le volume trois de "Stravinsky compositeur et interprète" était sorti - je n'ai pas envie de résister, d'autant plus qu'il contient mon cher Circus Polka, mais je ne sais trop comment faire avec mon bonhomme : dois-je changer de sujet, lui parler de Stravinsky ? ou de sa femme ?
Je m'en veux de ne pas savoir lui exprimer toute la compassion que je ressens pour lui, est-ce le fait d'avoir eu à m'endurcir contre mes propres malheurs qui me rend stupide et taciturne quand il s'agit d'apporter du réconfort à quelqu'un qui en a besoin ?
D'autant plus que j'ai été touché au cœur par ce qu'il m'a dit de ce moment affreux où il croyait que tout était encore comme avant – sa femme encore vivante pour lui et pourtant déjà morte. Finalement, c'est lui qui vient à mon secours.
" Vous aimez Stravinsky ? " et il enchaîne, confus " Merci de m'avoir écouté, alors que vous avez sans doute des choses plus agréables auxquelles consacrer votre samedi. "
- J'adore Stravinsky, en fait je crois que je dois avoir à peu près toutes ses œuvres, et là vous voyez je craque à nouveau. C'est … irrépressible.
– J'en ai écouté un peu, l'Oiseau de Feu, Petrouchka, enfin le plus conventionnel, mais vous auriez sans doute d'autres œuvres à me conseiller. Tenez, si vous voulez bien m'en choisir une ? "
Je suis content de pouvoir faire quelque chose pour lui, une action facile à la hauteur de mes piètres talents de consolateur ? (Saurais-je consoler Isolfe si l'occasion s'en présentait ? Je pense à nouveau à ce moment, où elle m'avait parlé à demi-mots de sa rupture, mais je n'avais pas eu besoin de la réconforter, elle avait tout fait toute seule). Mes yeux et mes mains parcourent la portion de bac réservée à Stravinsky, tous ces boîtiers plastiques dont les sages rangées ne sont perturbées que par les intercalaires signalant les changements d'œuvres ou de compositeurs. Je sens leurs arrêtes sous la pulpe de mes doigts, qui les font rapidement basculer en avant. Je trouve celui que je cherchais, mon premier Stravinsky, l'histoire du soldat et le concerto en mi bémol.
" Voilà, j'espère que cela vous plaira … Si c'est le cas, vous pourrez ensuite essayer les 4 études pour piano. "
Il prend le CD que je lui tends, mais au lieu de le regarder, il le serre dans ses mains, fortement, au point que je me demande s'il ne va pas le briser. Il a de grandes mains décharnées, couvertes de tavelure, mais belles, sous la peau vieillie des os merveilleusement proportionnés.
Je reprends.
" Peut-être n'aimerez-vous pas dès la première écoute, en fait c'est ce qui l'était arrivé, prenez votre temps, réécouter, vous verrez, Stravinsky saura vous toucher. "
Ses mains se détendent enfin, il approche le boîtier de ses yeux, se met à le regarder attentivement. A quoi pensait-il alors qu' il crispait ses mains sur le disque ? En tout cas, maintenant il est pleinement revenu dans le moment présent, je perçois même une sorte d'attente, d'impatience dans la façon dont il le tourne et le retourne, ce que j'expérimente à chaque fois, le contact physique avant l'écoute. Il relève la tête, me regarde, ses yeux sont scrutateurs et presque durs, mais il y a beaucoup de chaleur dans la main qu'il pose sur mon bras.
" Je vous remercie infiniment, je n'aurais jamais imaginé ce matin que j'allais avoir la chance de vous rencontrer. Merci encore, maintenant je vous laisse, je vais aller l'écouter. "
Il m'adresse un sourire, presque complice et s'éloigne sur un rythme un peu saccadé, obligé qu'il est de louvoyer à travers la foule.
Cela me fait presque mal de penser qu'il y a peu de chances que je le revoie jamais.
Je quitte moi aussi le rayon classique, je redescends au rez de chaussée, je traîne, imprécis, devant les nouveautés, j'écoute un peu au hasard, rien de convaincant, je cherche quelque chose de quoi , délicat ? tendre ? subtil, oui voilà subtil, et précieux, alors pourquoi pas celui-là : Another Day (entre nous, sans toi ? ) et cette chanson qui renvoie à son titre : Melody.
You're like a melody
That follows me
And when you go I still hear music constantly
Voilà, j'ai trouvé ce que je cherchais. (Mais quelle inconséquente folie que de vouloir à tout prix que tout autour de moi me parle d'elle….)
Je règle mes achats, il me reste plus d'argent muggle, il est dix huit heures, je dois encore passer chez Floorish & Blotts pour ramener ce fameux bouquin dont je ne suis plus sûr d'avoir envie. Dois-je vraiment me replonger dans mes histoires de monstres ?
Je songe à ma rencontre de tout à l'heure, c'est je pense la première fois de ma vie que je suis resté si longtemps seul à seul avec un muggle et j'ai eu l'impression d'avoir su lui apporter l'aide dont il avait besoin, pour un bref instant bien sûr. Mais quand même. Cette rencontre m'aurait-elle permis de déplier un aspect de moi que je ne connaissais pas ? ou que je tenais à couvert ? Pourquoi ? Parce que je ne craignais pas d'être reconnu comme monstrueux, du seul fait d'avoir en face de moi un muggle qui ne croit pas aux loups-garous ?
Et si le monde magique n'était qu'une chimère à laquelle je participais involontairement ? et s'il suffisait alors de le quitter pour me retrouver intact ?
Je l'ai pourtant réintégré, je suis passé rapidement chez Floorish & Blotts, j'y ai trouvé le bouquin de Petersen, un véritable pavé qui pèse une tonne dans mes mains. Ensuite, je m'achète un truc quelconque à manger, je n'ai pas envie de m'apparaître à la table d'Hogwarts, pour y dîner sous le regard de Snape.
Attablé dans ma gargote, je repense à nouveau, comme une obsession, à ce que m'a dit mon petit monsieur, ce terrible décalage entre la mort de quelqu'un et la connaissance qu'on a de l'événement. Mais il y a une autre circonstance où cela se vérifie – à l'exact opposé – le début d'une vie, une étreinte, une fécondation, une cellule qui commence à se diviser et une femme – et un homme – qui n'en savent encore rien.
Lupin, je t'interdis de te dire que tu ne connaîtras jamais cette bouleversante découverte – je sais que c'est pourtant irrémédiablement vrai, mais je n'ai pas envie de te l'entendre dire. Par moment, tu mériterais que je te casse la gueule, toi et ton défaitisme.
Puis, je me retrouve à Hogwarts, il est presque 21 heures, et évidemment Snape rôde dans le couloir qui mène à ma porte. Savais-je qu'il en serait ainsi ? En tout cas j'ai pris soin de porter bien en évidence l'ouvrage de Petersen, en fait j'avance même en faisant semblant d'avoir le nez plongé dedans, je porte ce livre devant moi comme une conscience professionnelle… Alors que je m'en fiche et contrefiche pour le moment.
Mais je tiens à tout prix à éviter que Snape ne vienne fourrer son nez dans le détail de ma journée. Je fais semblant de ne pas l'avoir vu, il se décolle alors du mur auquel il s'était ventousé en m'attendant, j'entendrais presque un bruit de succion, à la fois claquant et visqueux, il vient se mettre en travers de ma trajectoire. Je continue, prêt à lui rentrer dedans, au propre comme au figuré. Juste avant le choc, il élève la voix :
" Alors, Lupin, toujours d'aussi bonne humeur ? " Je ne modifie en rien mon allure, le livre vient le taper, de toute son envergure, en plein dans le sternum, et reste entre nous, lourd et massif. Je le pousse vers lui, mais l'autre résiste, avec une facilité déconcertante.
Je me décide à répondre :
" Hélas, ma bonne humeur vient de me quitter, à l'instant précis où je vous ai vu. "
Il affiche un sourire satisfait, qui lui illumine le visage. Quelle perversion gouverne cet homme qui devient beau à hauteur de ce qu'il se montre cruel ? Et effectivement, il est à deux doigts d'être magnifique.
Je rétorque :
" Vous êtes pitoyablement prévisible, Snape – vous n'avez vraiment rien de mieux à foutre que de m'attendre ? Depuis quand êtes- vous là ? Pourquoi ne pas vous occuper de vous, et me foutre la paix ?
– Mais Lupin, bien sûr que j'ai mieux à faire, j'étais d'astreinte ce samedi, et j'ai dû arbitrer les habituelles querelles entre étudiants, eux aussi sont prévisibles, tenez votre petit protégé, Arthur Brenner, qui s'est mis dans la tête d'organiser un chahut à table, contre les élèves de ma maison – sa bouche imprègne ce ma maison d'une teinte flamboyante et menaçante –
J'ai dû supprimer une certaine quantité de points avant que tout ne rentre dans l'ordre. J'ai cru qu'il allait ne pas céder avant qu'il ne reste plus rien dans l'escarcelle de Gryffondor. "
Je n'ai pas envie d'en entendre davantage sur cette affaire pour le moment, j'enquêterai demain. Snape, sans doute déçu de ne pas me voir réagir, enchaîne sur une autre de ses obsessions.
" Mais vous, Lupin, si, à votre tour, vous vous occupiez de vos propres affaires, plutôt que de tourner autour du professeur Dazurs, plutôt que de l'encercler comme un loup encercle sa proie.".
Son triomphe vibre dans sa voix, vibre sur mes tympans ; je retire le livre et le referme, il est ridicule entre nous deux, il est impuissant à me protéger des paroles de Snape qui me violentent avec une cruauté goulue.
" Comment pouvez-vous penser que vous aimez cette femme, alors que vous représentez une menace pour elle " il vient mettre son visage juste face au mien, comme le mur d'une prison.
" Mais, pauvre imbécile, fou ignoble, si vous l'aimiez, vous n'auriez de cesse de la mettre à l'abri de vous, en disparaissant à jamais. "
Je pensais avoir eu le droit au droit au pire tout à l'heure, l'allusion à mon éternelle malédiction, mais ce qu'il vient de me dire est dix mille fois plus cruel – il m'en fait tirer l'inéluctable conclusion, à moi de m'accommoder du rôle déchirant de celui qui partirait, en lui laissant à lui toute liberté d'action ?
J'ai un bref instant la sensation que je vais tomber comme une pierre, et qu'il n'aura plus qu' à me flanquer un bon coup de pied pour m'expédier au loin et me faire disparaître à jamais. Il épie ma réaction avec une sorte de surexcitation qui affleure sous la peau de son visage, je ferme mes yeux pour les protéger des siens qui seraient capables de me fouiller l'âme jusqu'à son degré zéro, jusqu'à ma négation.
Et puis tout d'un coup, comme une rémission, les paroles de Dumbledore "Ne doutez jamais d'elle", celles d'Isolfe "vos yeux doux",mes yeux d'humain… – le réseau de bienveillance que lui et Isolfe ont constitué autour de moi – j'échappe à la malveillance de Snape, je souris, et c'est comme si je venais de lui flanquer un coup de poing, je lui souhaite une bonne fin de soirée, comme ce matin, je lui claque ma porte au nez.
Je l'entends qui s'éloigne dans le couloir, je sors et range mes achats.
J'ouvre précautionneusement le flacon d'Hiris, le parfum monte froidement jusqu'à moi, dans sa version de laboratoire, avant la rencontre avec la peau d'Isolfe, donc différent, un peu frustrant. J'avais d'abord songé à en mettre un peu sur ma peau, mais cela m'aurait donné l'impression de dormir avec le fantôme erratique de ma splendide, et je suis convaincu que j'aurais passé la nuit à avoir envie d'elle.
Et j'ai envie de dormir, j'ai besoin de récupérer après mon épreuve de pleine lune.
J'opte donc pour une giclée d'Allure.
